• #10 : Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe (1749-1792)

    INTERMEDE LXXII

     

     

    La Princesse de Lamballe par Anton Hickel (1788)

     

    Née Marie-Thérèse Louise de Savoie-Carignan, en italien Marie-Teresa Luisa di Savoia, dite Mademoiselle de Carignan, la future princesse de Lamballe voit le jour le 8 septembre 1749. Elle est issue d'une branche cadette de la Maison de Savoie. Son père est le prince de Carignan, Louis-Victor de Savoie et sa mère Christine-Henriette de Hesse-Rheinfels-Rothenbourg. Madame de Lamballe est la tante, à la septième génération, de l'actuel chef de la Maison Royale d'Italie, Victor-Emmanuel de Savoie et à la huitième génération de son fils, Emmannuel-Philibert de Savoie, époux de l'actrice française Clotilde Courau.
    La jeune princesse grandit à Turin, où elle est née. Elle y mène une existence plutôt stricte et maussade mais éloignée des intrigues et des complots de la Cour de Savoie. Elle passe finalement une enfance assez sage et douce, pieusement également. Ces traits de caractère vont pousser le duc de Penthièvre à la choisir pour belle-fille.
    En 1767, Marie-Thérèse épouse donc Louis Alexandre de Bourbon, prince de Lamballe, par procuration, à Turin. Il est arrière-petit-fils de Louis XIV, par la main gauche. En effet, son grand-père paternel était le comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de sa maîtresse, Françoise-Athénaïs de Montespan. Marie-Thérèse de Savoie-Carignan fait ainsi, en quelque sorte, son entrée dans la famille royale française puisque les enfants d'Athénaïs de Montespan avaient été légitimés par Louis XIV. Le prince de Lamballe est l'un des hommes les plus riches d'Europe. Mais c'est un dévergondé et son père pense l'assagir en lui donnant une épouse vertueuse comme semble l'être la jeune fille. Le 31 janvier 1767, Marie-Thérèse, une quinzaine de jours après la célébration du mariage par procuration à Turin, arrive en France, à Nangis, où le mariage va être effectivement célébré. Le prince de Lamballe se fond dans la foule et se fait passer pour l'un de ses propres pages auprès de sa jeune épouse, qu'il trouve assez à son goût. Marie-Thérèse remarque le jeune homme et quelle n'est pas sa surprise lorsque, lors de la présentation officielle, elle retrouve le prince de Lamballe sous les traits du jeune page !!
    Malgré cette première rencontre fort agréable, semble-t-il, pour les deux parties, le mariage ne sera pas heureux. Très vite, le prince de Lamballe reprend sa vie dissipée et délaisse sa toute jeune épouse -elle a dix-huit ans-, qui, en désespoir de cause, se réfugie auprès de son beau-père, le duc de Penthièvre, avec qui elle s'entend bien, et la sœur de son époux, Marie-Adélaïde de Bourbon, qui épousera le duc de Chartres et sera en cela, une ancêtre de Louis-Philippe et des actuels prétendants au trône de France, dans la branche Orléans.
    « Je fus mariée presque enfant, épouse avant d'être femme, veuve avant d'être mère et sans espoir de le devenir. » écrira par la suite la malheureuse princesse. En effet, elle ne restera que peu de temps mariée au prince de Lamballe puisque ce dernier décède en 1768, d'une maladie vénérienne contractée lors de ses escapades. La jeune princesse développe, dans son ennui, des accès de mélancolie et des vapeurs, qui lui causent de nombreux évanouissements. Elle ne supporte par exemple pas la vue d'un homard, que ce soit en peinture ou en nature. Elle tombe alors en syncope.
    A 19 ans, la princesse de Lamballe est donc veuve et sans enfant et, comme elle le dit elle-même, sans plus aucun espoir d'en avoir un jour. Son beau-père, qui a de l'affection pour elle, la garde auprès de lui. Ensemble, ils seront très actifs dans diverses œuvres pieuses et charitables. La jeune Marie-Thérèse rend à son beau-père toute l'amitié qu'il nourrit pour elle. L'année suivante, Marie-Thérèse voit partir sa belle-sœur bien-aimée, Marie-Adélaïde de Bourbon, qui épouse le duc de Chartres. Bien qu'issue d'une branche légitimée de la famille royale, Mademoiselle de Penthièvre se trouve être la plus riche héritière du royaume.
    En 1769, après la période de deuil qui a suivi la mort de la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, le parti dévot, soutenu par Mesdames, les filles de Louis XV et son fils, le Dauphin -du moins, avant sa mort, en1765- songe à remarier le roi. Les projets de mariage entre le roi de France déjà vieillissant et l'archiduchesse d'Autriche Marie-Elisabeth n'ayant pas abouti, le parti dévot pense à unir Louis XV à la jeune veuve du prince de Lamballe. Ironie du sort, si le mariage avait abouti, Marie-Thérèse se serait retrouvée une seconde fois l'épouse d'un homme sensuel et accumulant les maîtresses. Le projet n'aboutira pas non plus, la comtesse du Barry, nouvelle maîtresse du roi, ne voulant pas perdre ce prestigieux amant qui lui assurait la gloire et qu'elle tenait, justement, par le plaisir des sens.
    En 1770, Louis XV marie son petit-fils Louis-Auguste, duc de Berry et futur Louis XVI, à la jeune archiduchesse Marie-Antoinette d'Autriche. Les deux époux ont respectivement 16 et 15 ans. Marie-Thérèse, qui a 21 ans, rencontre la Dauphine pour la première fois. A partir de l'année suivante, 1771, la princesse de Lamballe fréquente de plus en plus assidûment la Cour et se rapproche doucement de la Dauphine, qui va faire d'elle une amie et surtout, une alliée sincère et sûre. Marie-Thérèse aime effectivement la jeune fille d'un amour amical et totalement désintéressé.

    La princesse de Lamballe, par Antoine-François Callet


    En 1774, Louis XV meurt de la petite vérole, à l'âge de 64 ans. Son petit-fils, âgé de 20 ans et sa jeune épouse de 19 ans, montent sur le trône. L'amitié entre Marie-Antoinette, devenue reine et Marie-Thérèse de Lamballe, perdure, mais, déjà, des rumeurs fausses et assassines, lancées à dessein pour nuire, par les ennemis de la reine, commencent à entacher leur amitié. Cependant, la princesse de Lamballe continue de garder son caractère pieux et raisonnable, qu'elle possède depuis l'enfance, tandis que Marie-Antoinette, tête folle qui ne songe qu'à s'amuser, se jette à corps perdu dans des activités de plus en plus frivoles.
    L'année suivante, 1775, la reine offre à Madame de Lamballe, qu'elle continue d'appeler son « cher cœur », le titre, très lucratif au demeurant, de Surintendante de la Maison de la Reine, qui avait été supprimé sous le règne de Marie Leszczynska, pour faire des économies. La charge consiste tout simplement à organiser les activités, réceptions, menus plaisir de la reine de France. Mais, très vite, Marie-Antoinette, plus jeune de six ans que la princesse et surtout, bien plus frivole, se rend compte que Marie-Thérèse est bien trop sérieuse pour l'emploi. Elle se tourne alors vers la piquante et insolente Yolande de Polastron, duchesse de Polignac. Cette dernière va prendre la place de l'amie dévouée, dans la charge mais aussi dans le cœur de Marie-Antoinette. Mais la reine ne va pas pour autant en oublier la princesse, qui, malgré le refroidissement de leurs relations, reste dans le cénacle de la reine. Pour occuper son temps, puisqu'elle n'occupe plus aucune charge à la Cour, Marie-Thérèse se rend à la campagne, reprend ses activités charitables envers les pauvres et rachète l'hôtel de Toulouse -siège actuel de la Banque de France, à Paris-, à son beau-père. En 1777, elle devient franc-maçonne et intègre la loge féminine de « la Candeur ». Jeune femme cultivée et intéressée par les avancées de son temps, Marie-Thérèse de Lamballe s'intéresse au mouvements des Lumières, à l'Encyclopédie, immense projet porté à bout de bras par Diderot et d'Alembert. Mais la princesse s'intéresse aussi à la condition féminine et privilégie l'amitié féminine. Elle organise par exemple un banquet où elle ne convie que des femmes. La Cour en fera des gorges chaudes et cette réception irritera la reine Marie-Antoinette. En 1781, elle devient Grande Maîtresse de la « Mère Loge Écossaise ».
    Quelques années plus tard, la Révolution menace. Elle éclate, comme chacun sait, en 1789. La reine, qui commence à prendre conscience de ses erreurs, se rapproche de nouveau de la princesse, dont la réputation vertueuse n'est plus à faire. Rapprochement qui se fait d'autant plus aisé depuis que Madame de Polignac a quitté Versailles, sur les instances de la reine, qui l'a sommée d'aller se mettre à l'abri à l'étranger, après le 14 juillet 1789. En octobre de cette même année, après que les insurgés parisiens aient investi le palais de Versailles pour ramener à Paris la famille royale, la princesse de Lamballe suit Louis XVI, Marie-Antoinette, Madame Elisabeth, sœur du roi et les deux enfants du couple, Madame Royale et le petit Dauphin au palais des Tuileries, qui sera désormais la nouvelle résidence du couple royal et de sa famille. Leur amitié s'en trouve renforcée car la princesse reste l'un des derniers soutiens de la famille royale. En 1791, peu de temps avant la fuite à Varennes, Marie-Antoinette informe la princesse de leur futur départ et l'enjoint à partir à son tour, à émigrer, pour se mettre à l'abri de la vindicte révolutionnaire. Suite à de nombreux contretemps, la famille royale est rattrapée et arrêtée à Varennes, le 21 juin 1791. Marie-Thérèse, munie d'un passeport en règle, a quitté la France par Dieppe et gagné Londres.
    La reine et son amie vont alors échanger une importante correspondance, dans laquelle la reine, qui a tout perdu, réaffirme son affection à la princesse de Lamballe. Voyons ce qu'elle lui écrit en juin 1791 : « j’ai besoin de votre tendre amitié et la mienne est à vous depuis que je vous ai vue ». A la fin de l'été 1791, Marie-Thérèse de Lamballe se voit confier par Marie-Antoinette une mission dont nous ignorons le but et les motifs, à Aix-la-Chapelle. Marie-Thérèse s'y rend effectivement. Mue par une sorte de pressentiment, elle y dicte ses dernières volontés, nommant le marquis de Clermont-Gallerande comme son exécuteur testamentaire.
    Fin de juin 1791, malgré les supplications de la reine, qui lui enjoint de ne pas revenir en France, Marie-Thérèse, qui craint pour la sécurité de ses biens, menacés par les lois en préparation et concernant les biens des émigrés, revient à Paris. C'est aussi par dévouement envers la reine et sa famille que Marie-Thérèse choisit de rentrer. Elle reprend alors ses fonctions de Surintendante aux Tuileries.
    Selon une thèse défendue par Olivier Blanc, Marie-Thérèse de Lamballe émargeait sur les fonds secrets du ministère des Affaires étrangères. Son passeport d'avril 1791 avait par exemple était délivré par le ministre, de Montmorin. Le comité de surveillance de l'Assemblée législative lui reproche bientôt d'avoir coordonné ou encouragé les activités du « Comité autrichien », qui œuvrait en sous-main contre la Révolution. Parmi les pièces originales découvertes dans la fameuse armoire de fer, des documents mettaient clairement en cause Madame de Lamballe.
    Le 10 août 1792, la foule en colère envahit les Tuileries, massacrant les Suisses, postés dans le palais pour protéger le roi, la reine et leur famille. La famille royale et la princesse, qui ne l'a pas quittée, trouvent refuge dans la salle du Manège, où se réunit l'Assemblée législative. La déchéance du roi est alors proclamée et son incarcération au Temple est décidée. Comme Madame de Lamballe ne fait pas partie de la famille royale stricto sensu, elle est séparée, dix jours plus tard, du roi et de la reine. Madame de Tourzel, qui était la gouvernante des Enfants de France, sera également incarcérée ailleurs avec sa fille Pauline. Mais, contrairement à la princesse de Lamballe, Madame de Tourzel et sa fille seront élargies par la suite.

    INTERMEDE LXXII

     

    La mort de la princesse de Lamballe, par Léon-Maxime Faivre (1908)


    Les 2 et 3 septembre, une foule ivre de sang, armée de barres de fer, de piques ou encore de bûches, encercle toutes les prisons de Paris, où croupissent de nombreux nobles. Parmi eux, la princesse, qui a été incarcérée dans la prison de La Force. Tirée de sa cellulle au matin du 3, la princesse est déférée devant une commission improvisée dans l'urgence et composée par des membres du comité de surveillance de la Commune du 10 août. Elle est sommée de « nommer ceux qu’elle avait reçus à sa table ». On lui demande surtout de témoigner sur les liens qui unissent le roi et la reine avec les puissances de la Coalition. Elle aurait refusé et c'est pour cela qu'on l'aurait mise à mort. Pourtant, dans les minutes qui suivent cet interrogatoire bâclé, Marie-Thérèse est élargie. Selon Talleyrand, qui se trouvait encore à Paris et ne devait embarquer que le surlendemain pour Londres, Madame de Lamballe fut assassinée à la suite d'une tragique méprise. Alors qu'elle sort de La Force, elle est prise d'un malaise, peut-être à cause des cadavres qui se révèlent à sa vue. Les émeutiers, croyant qu'elle vient de recevoir un premier coup, l'auraient frappée à leur tour.
    La tête de la princesse fut détachée du reste du corps. On la planta au bout d'une pique, on lui poudra légèrement les joues et on lui fit arranger les cheveux par un jeune coiffeur qui passait par là puis elle fut amenée jusqu'au Temple pour être montrée à la reine, qui se trouva mal à la vue de la tête de son amie. Le corps de Madame de Lamballe fut ensuite transporté sur des kilomètres et profanée. Ramenée au comité, au soir du 3 septembre, la tête de Madame de Lamballe sera inhumée avec le reste du corps, dans une tombe du cimetière des Enfants-Trouvés. Quelques heures plus tard, le duc de Penthièvre dépêcha l'un de ses valets à Paris pour rechercher la dépouille de sa belle-fille, en vain. Selon Arthur de Cirey, seuls les cheveux de Madame de Lamballe furent rapportés à son beau-père, qui mourut peu de temps plus tard en les serrant sur son cœur. Le lynchage de la princesse de Lamballe donna lieu, par la suite, à de nombreux témoignages repris par les historiens dans leurs ouvrages.

     

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus :

    -La Princesse de Lamballe : mourir pour la reine, Michel de Decker. Biographie.
    -Marie-Antoinette, Stefan Zweig. Biographie.
    -La Princesse de Lamballe, une amie de la reine Marie-Antoinette, Albert-Emile Sorel. Biographie.
    -L'Anneau de la Reine, Olivier Seigneur. Roman. 

     


    Tags Tags :
  • Commentaires

    1
    Dimanche 31 Mai 2015 à 06:55

    oh la la destin tragique ! j'ai beaucoup appris grâce à ton billet. merci

    2
    Dimanche 31 Mai 2015 à 10:18

    Destin tragique et malheureusement assez méconnu, c'est dommage. La princesse de Lamballe fut certainement l'une des amies les plus dévouées de la reine, bien mal payée en retour d'ailleurs et qui paya sa fidélité de sa vie. C'est un personnage que j'avais mieux découvert grâce à une courte mais intéressante biographie de Michel de Decker et je dois dire que cette femme eut un destin intéressant quoique bien triste et à la fin vraiment horrible. 

    3
    Vendredi 5 Juin 2015 à 11:17

    Comme toujours, ton article histoire est très intéressant. Après ma lecture des "Années Trianon" de C. Hermary-Vieille, je commence à bien voir qui elle était, et aussi grâce à ton article. Je dois encore avoir un livre qui la concerne dans ma bibliothèque. C'est vrai qu'elle est trop méconnue !

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    4
    Lundi 8 Juin 2015 à 11:39

    Encore un super article ! J'ai lu en mai Monsieur, mon amour de Alexandra de Broca. C'est un peu le testament de la princesse de Lamballe . Un roman bouleversant, que j'ai adoré. J'ai d'ailleurs rencontrer l'auteur au salon du livre ( j'avais adoré son premier roman La princesse effacée) et elle était adorable ! Elle a obtenu une maitrise en histoire.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :