• « Les racines sont profondes, elles nourrissent les branches qui poussent, s'entrelacent par les mariages, passent par la maison royale d'Ecosse et la noblesse d'Angleterre, jusqu'à mon père et à moi. Toi, Robert, tu es un bourgeon qui pousse sur des branches maîtresses. »

    Les Maîtres d'Ecosse, tome 1, Insurrection ; Robyn Young

     

    Publié en 2010 en Angleterre ; en 2013 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Insurrection trilogy, book 1, Insurrection 

    Editions Pocket

    826 pages

    Premier tome de la saga Les Maîtres d’Écosse

    Résumé :

    Le tonnerre gronde. En 1286, l’Écosse subit le plus terrible hiver de son histoire. Certains y voient l'annonce du jugement dernier. Mais les hommes ne respectent pas plus le destin qu'ils ne prennent garde aux avertissements. Afin de s'octroyer le trône, laissé vacant depuis l'assassinat du roi Alexandre III, la noblesse du pays s'est lancée dans une guerre féroce. Edouard Ier, roi d'Angleterre, compte profiter de ces luttes fratricides pour assujettir l'Ecosse à son royaume. 
    Robert Bruce, jeune écuyer, est décidé à l'en empêcher. Avec la foudre, frappe son insurrection. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1286, le roi Alexandre III meurt, sans descendance mâle. Son seul héritier est une petite fille, Marguerite de Norvège, âgée de sept ans, la propre fille de la fille d'Alexandre III. Vous suivez ? Alors, on continue.
    Tout le monde le sait, un souverain qui meurt sans laisser de réel héritier, abandonne son royaume au chaos, aux intrigues et aux assassinats en tous genres... C'est là que les ambitieux et les opportunistes se réveillent... Et en cette fin de XIIIème siècle, la succession écossaise s'avère bien compliquée... Après le décès de la petite héritière d'Alexandre III, les grandes familles se déchaînent et deux se sont face avec beaucoup de violence : les Bruce, représentés par le vieux lord d'Annandale et les Balliol, soutenus par les Comyn, ambitieux sans aucun scrupule, prêt à tout pour un peu de pouvoir et de gloire. Dans le camp des Bruce, un jeune garçon, le petit-fils de lord d'Annandale, observe et grandit... Robert Bruce est promis à un avenir qu'il n'aurait jamais soupçonné... Mais il ne le sait pas encore et, à l'heure où Jean de Balliol ceint la couronne écossaise, il assiste surtout à une lutte sans merci pour le pouvoir.
    Ce premier tome, Insurrection, est un roman d'apprentissage. On suit Robert de ses plus jeunes années jusqu'aux premières de l'âge adulte, peut-être les plus importantes pour un jeune homme issu de la noblesse, au Moyen Âge. C'est l'époque de son apprentissage de chevalier, couronné par la symbolique cérémonie de l'adoubement. Les jeunes prennent conscience de leurs devoirs, c'est une réelle initiation par laquelle ils passent et, même dans la sauvage et reculée Écosse, on y passe, quoi qu'il arrive. C'est donc le récit de cette jeunesse, d'un garçon pas tout à fait comme les autres, que Robyn Young aborde dans ce premier roman, premier volume d'une trilogie sur Robert Bruce et l’Écosse médiévale.
    Ce roman est une vraie fresque historique et a beaucoup de souffle. Très visuel, le roman permet de faire renaître les paysages grandioses de cette île britannique encore morcelée et divisée. Et très sauvage !
    Mais je dirais que cette fiction historique, si elle est efficace et mêle habilement le vrai et l'imaginaire, a les défauts de ses qualités. Très dense, ce premier tome pose les bases d'une saga, il est donc normal que l'auteure prenne son temps pour poser son intrigue et nous présenter les personnages mais j'avoue que les premiers chapitres ont été pour moi extrêmement laborieux... J'ai eu du mal à avancer vraiment parce que, ne connaissant pas le contexte ni les personnages -du moins vaguement-, j'ai souvent interrompu ma lecture pour faire des recherches, d'autant plus que, et je pense que cela est imputable à la traduction française, beaucoup d'incohérences sont venues se glisser dans les chapitres : noms de personnages orthographiés différemment d'un chapitre à l'autre, liens entre les personnages qui changent...Et beaucoup de coquilles également, ce qui me gêne un peu même si ce n'est pas la faute de l'auteure. C'est cependant assez désagréable pour le lecteur et dommage pour le livre qui en perd un peu en crédibilité du coup.

    Robert Bruce, roi d'Ecosse de 1306 à 1329


    J'ai aussi déploré beaucoup de longueurs et des chapitres qui, à mon sens, étaient superflus et pas forcément utiles pour la compréhension de l'histoire. Les prises de liberté de l'auteure si elles sont bien expliquées en fin de volume, ce que j'apprécie toujours -ça prouve que l'auteur s'est renseigné même si, au final, il choisit de faire primer le romanesque-, m'ont semblé parfois, peut-être pas inutiles, mais injustifiées... Quel intérêt par exemple de transformer une mort naturelle en assassinat alors que les conséquences de cette mort finalement, seront les mêmes ?
    Si les points que je viens de soulever m'ont effectivement gênée, je dois dire que j'ai quand même passé un bon moment et que j'ai trouvé ce roman de plus en plus plaisant, à mesure que j’avançais... Malgré quelques longueurs, découvrir cette Histoire inconnue pour moi -la crise dynastique en Écosse, l'ingérence anglaise, les rébellions galloises etc- et ses personnages m'a plu. Robyn Young a mâtiné tout ça d'un peu de légendaire, avec Arthur et Merlin et ses prophéties qui apparaissent au cours du récit et au sein d'un ordre secret de chevaliers. Si je n'ai pas forcément compris pourquoi au départ, cela ne m'a pas dérangée au final... Les légendes celtiques sont très présentes dans l'Histoire de la Bretagne et de la Grande-Bretagne et se confondent parfois avec l'Histoire établie donc j'ai finalement bien aimé cet aspect là du récit ! Que le roi Edouard mène en quelque sorte sa propre quête, comme Arthur, m'a plu. Cela permet de créer un lien entre l'Histoire immémoriale de l'île et les monarques de cette fin du XIIIème siècle. 
    C'est un Moyen Âge assez onirique, flamboyant mais aussi très violent que l'auteure nous décrit, relativement bien, grâce notamment aux nombreuses et solides recherches effectuées, ce qui est tout à son honneur. Insurrection est une bonne fiction historique, qui a des défauts et présente aussi quelques inégalités. Ce roman peut être cependant une bonne introduction à des lectures un peu plus scientifiques sur l'Histoire des îles britanniques. Et surtout, malgré quelques moments où je me suis ennuyée, j'ai refermé ce livre en ayant envie de continuer la saga, ce qui est bon signe ! Insurrection nous démontre comment devenir le pivot d'une Histoire nationale tient parfois à peu de choses. Qui, au XIIIème siècle, en Écosse et ailleurs, aurait parié sur Robert Bruce ? Et finalement, devenu le père de Marjorie Bruce, qui épousera Alexander Stewart, il deviendra l'ancêtre des rois Stuarts, qui ont régné à la fois sur l’Écosse et l'Angleterre. Un roman qui permet de toucher du doigt un grand destin, complexe également et multi-facettes, comme l'explique bien l'auteure en fin de roman. On comprend aisément l'obsession qu'elle a pu ressentir à la lecture de textes et documents concernant la crise de succession en Écosse et dans lesquels elle a fatalement retrouvé Robert Bruce et William Wallace... Ce dernier, que l'imaginaire connaît mieux, apparaît finalement comme très uniforme face à Bruce, qui changea plusieurs fois d'allégeance et est dépeint dans toute sa complexité par une auteure convaincue. Assurément, Insurrection est un bon roman historique et j'en ressors décoiffée par son souffle, pas dénué de défauts mais qui parvient cependant à capter le lecteur. 

    En Bref :

    Les + : une fresque très vivante et dynamique. On sent l'intérêt de l'auteure pour son sujet et elle parvient à nous convaincre. Ce roman a au moins le mérite de nous éclairer sur un pan de l'Histoire de la Grande-Bretagne, qui est plutôt intéressant. 
    Les - : beaucoup de coquilles d'impression, des approximations dans les liens entre les personnages (peut-être dues justement à ces fameuses coquilles) et quelques distorsions des faits historiques un peu superflues à mon goût. 

     


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    INTERMEDE XXIII

     

    L'un des portraits les plus célèbres de Victoria, daté de 1882. La photographie a été prise par Alexander Bassano. 

     

     

    I. Une petite fille qui n'était pas destinée au trône

     

    Victoria à l'âge de quatre ans, peinte par Stephen Poyntz Denning (1823)

    A l'aube du 24 mai 1819, à quatre heures et quart du matin, une petite fille pousse son premier cri à Kensington. Elle est l'enfant d'Edouard Auguste de Kent et de Strathearn et de Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Par sa mère, la nouvelle-née a donc du sang allemand qui coule dans ses veines, par contre, par son père, elle est apparentée directement à la plus grande monarchie d'Europe, puisqu'Edouard de Kent n'est autre que le quatrième fils du roi Georges III du Royaume-Uni, qui règnera encore un an avant de s'éteindre, atteint d'une forme de folie.
    Normalement, l'enfant qui vient de naître et à qui l'on donne le prénom d'Alexandrina Victoria, n'est pas destinée à devenir la grande souveraine que l'on connaît. C'est une crise de succession qui va amener la descendance du duc de Kent sur le trône d'Angleterre...en effet, deux ans plus tôt, en 1817, l'unique petite-fille du roi Georges III, qui avait pour nom Charlotte Auguste de Galles, est morte, sans descendance. Cette mort entraîne une véritable crise dynastique au sein de la famille royale britannique et l'on encourage alors le duc de Kent, futur père de la petite Victoria ainsi que ses autres frères célibataires à convoler au plus vite, afin d'avoir des enfants. En 1818, Edouard de Kent épouse Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld, qui n'est autre que la soeur de Léopold, veuf de la princesse Charlotte Augusta.
    Victoria sera l'unique enfant du couple. Par contre, d'un premier mariage, la duchesse de Kent, sa mère, avait eu deux enfants, dont le père est Emile Charles de Linange, second prince de Leiningen : Charles, né en 1804 et Feodora, en 1807. Plus tard, la jeune Victoria gardera des contacts assez soutenus avec sa demi-soeur.
    Dès sa naissance, la petite Victoria est baptisée, en privé, par l'archevêque de Canterbury, Charles Manners-Sutton, dans la Cupola Room du palais de Kensington, où elle vient de voir le jour. Le prénom d'Alexandrina lui est donné en hommage à l'un de ses parrains, Alexandre Ier de Russie. Quant au prénom de Victoria, c'est aussi celui de sa mère.
    A sa naissance, Victoria est cinquième dans l'ordre de succession au trône, après son père, le duc de Kent et ses trois oncles, le prince régent, le duc d'York et le duc de Clarence. Le prince régent et le duc d'York étaient alors séparés de leurs épouses, sans descendance et, qui plus est, d'un âge avancé, ce qui excluait donc presque à coup sûr l'éventualité d'une descendance. Quant aux ducs de Kent et de Clarence, ils se marièrent le même jour, en 1818. On l'a vu, l'union du duc de Kent sera rapidement couronnée par une naissance. Quand à celle du duc de Clarence, futur Guillaume IV d'Angleterre avec Charlotte de Brunswick, elle fut endeuillée par la mort en bas-âge des deux filles qui en était nées.
    En 1820, à une semaine d'écart, la petite Victoria perd, et son grand-père Georges III et son père, Edouard de Kent. Quant au duc d'York, il mourut en 1827 et le roi Georges IV en 1830. Ces décès successifs rapprochent la petite Victoria de la couronne britannique. En 1830, c'est Guillaume IV qui monte sur le trône et sa nièce, âgée de onze ans, devient son héritière présomptive. Le Regency Act, ratifié en 1830, stipule d'ailleurs que la duchesse de Kent devra assurer la régence au nom de sa fille dans l'éventualité où Guillaume IV mourrait avant que sa nièce n'ait atteint sa majorité, c'est-à-dire, l'âge de dix-huit ans. Cependant, le roi avait peu confiance en sa belle-soeur pour assurer la régence et, en 1836, il déclara qu'il souhaitait vivre jusqu'à la majorité de sa nièce, pour éviter au pays de subir une période de régence.
    Si l'on en croit, la reine, qui évoque ses souvenirs, elle passa une enfance « plutôt triste ». Sa mère était très protectrice avec elle et fit en sorte de l'élever à l'écart des autres enfants. Son éducation était étayée par des règles et des protocoles très stricts, rédigés par la duchesse elle-même et par son ambitieux contrôleur de gestion, John Conroy qui, le bruit courrait, aurait été son amant. Cette série de règle et protocoles porte un nom : c'est le « système de Kensington ». Il était par exemple interdit à la jeune princesse Victoria de rencontrer toute personne jugée indisérable par sa mère et par Conroy -par exemple, la plus grande partie de sa famille paternelle-, et ce système avait pour but simple de rendre la petite faible et dépendante. Choquée par la présence à la Cour des bâtards du roi, la duchesse de Kent évite au maximum d'y emmener sa fille, cherchant ainsi à ne pas l'exposer à l'inconvenance sexuelle. Victoria partage la chambre de sa mère la nuit, étudie en journée avec des maîtres privés selon un emploi du temps très précis et ses quelques heures de loisir se partageait entre ses poupées et son petit chien, un king charles prénommé Dash. On lui apprit le français, l'allemand, l'italien et le latin mais elle ne parlait que l'anglais dans l'intimité.
    Dans les années 1830, la duchesse de Kent et Conroy décidèrent d'emmener Victoria visiter l'Angleterre. Partout où elle se rendit, la jeune fille fut accueillie avec les honneurs et elle put se rendre compte qu'elle était populaire dans le peuple, au grand agacement de son oncle, le roi Guillaume IV qui considérait ces voyages comme des Joyeuses Entrées où Victoria n'était plus son héritière présomptive mais réellement, sa rivale. Cela dit, ces voyages n'étaient pas non plus du goût de la jeune Victoria car ils la fatiguaient. Mais, malgré ses plaintes et la désapprobation du roi, sa mère refusa de ramener sa fille à Londres.
    Et ce qui devait arriver, arriva. En octobre 1835, à Ramsgate, la jeune Victoria, âgée de seize ans, développe soudain une forte fièvre. Le contrôleur Conroy se moqua de cette maladie qu'il qualifia de caprice enfantin. Pendant cette maladie, sa mère tenta, sans succès, de la pousser à nommer Conroy comme son secrétaire général mais la jeune fille ne flancha pas et, une fois, couronnée, elle le bannira de sa Cour.
    En 1836, l'oncle maternel de Victoria, Léopold, qui avait été un temps l'époux de sa défunte cousine, Charlotte Augusta, devient roi des Belges et espère marier sa jeune nièce britannique avec Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, un autre de ses neveux, fils de son frère Ernest Ier de Saxe-Cobourg et Gotha. Victoria et Albert sont cousins germains, puisque la mère de l'une et le père de l'autre sont frère et soeur.
    En mai 1836, alors que Victoria s'apprête à fêter ses dix-sept ans, le roi Léopold de Belgique décide d'organiser une grande réunion de famille dans le but de présenter Victoria à Albert. Cependant, le roi d'Angleterre se montrait peu favorable à une union de sa nièce avec un Saxe-Cobourg et Gotha et privilégiait le parti d'Alexandre des Pays-Bas, second fils du prince d'Orange.
    Victoria est tout sauf une jeune fille naïve et elle est tout à fait consciente des nombreux projets matrimoniaux qui la concerne. Il faut dire que l'héritière présomptive d'un roi d'Angleterre est un bon parti. C'est avec un oeil critique qu'elle juge tous les candidats qui lui sont proposés. Finalement, malgré la désapprobation du roi Guillaume IV, Victoria va rencontrer Albert, son cousin, qui a deux mois de moins qu'elle seulement -il est né le 26 août 1819. A l'en croire -Victoria rédige un journal- cette première rencontre a été loin d'être désagréable et c'est plutôt bien passée. Il semble que le physique du jeune prince ait fait grande impression sur cette jeune fille de dix-sept ans, puisque voici ce qu'elle écrit à propos de son cousin : « [Albert] est extrêmement beau ; ses cheveux sont de même couleur que les miens ; ses yeux sont grands et bleus et il a un beau nez et une bouche très douce avec de belles dents ; mais le charme de sa contenance est son atout le plus délicieux ». A l'inverse, le prince Alexandre, soutenu par son oncle, est jugé quelconque par la jeune fille.
    Par la suite, la jeune Victoria écrit à son oncle Léopold afin de le remercier de l'avoir fait rencontrer Albert. « Il possède toutes les qualités qui pourraient être désirées pour me rendre parfaitement heureuse. Il est si raisonnable, si gentil et si bon et si aimable aussi. Il a en plus l'apparence et l'extérieur les plus plaisants et les plus délicieux qu'il vous est possible de voir. », dit-elle dans sa lettre. Il semblerait donc que le dessein de Léopold de Belgique et de la duchesse de Kent soit en passe de de se réaliser : Victoria a, semble-t-il, était tout à fait impressionnée par son cousin et parait disposée à envisager une union avec lui. Cela dit, ce ne serait pas pour tout de suite, Victoria se jugeant un peu jeune pour convoler, à dix-sept ans seulement. Ainsi, on ne s'accorda pas sur un engagement formel mais on estima que le mariage se ferait en temps et en heure.

    II. Reine d'Angleterre !

    Le couronnement de la reine Victoria, par George Hayter

    Le 24 mai 1837, Victoria fête ses dix-huit ans. Victoire de son oncle, qui avait déclaré vouloir vivre jusqu'à la majorité de sa nièce afin d'éviter une régence au royaume. Lorsque Victoria accède à la majorité son oncle est à bout de souffle mais il est encore vivant. Il s'éteint à peine un mois plus tard, le 20 juin, à l'âge de 71 ans, abandonnant le royaume à une reine majeure, capable d'assurer ses affaires. A 2 heures 12 du matin, Guillaume IV n'est plus ; à 6 heures, la duchesse de Kent vient éveiller sa fille, qui s'était couchée héritière et s'éveille ainsi reine du Royaume-Uni : « J'ai été réveillée à 6 h pile par Mamma qui me dit que l'archevêque de Cantorbéry et Lord Conyngham étaient là et qu'ils voulaient me voir. Je suis sortie du lit et me suis rendue dans mon salon (en ne portant que ma robe de chambre) et seule, je les ai vus. Lord Conyngham m'informa alors que mon pauvre oncle, le roi, n'était plus et avait expiré à 2 h 12 ce matin et que par conséquent Je suis Reine. », écrit la fraîche souveraine dans son journal. Les documents officiels sont préparés au nom de la reine Alexandrina Victoria mais, à sa demande, le premier prénom est supprimé : la reine Victoria vient de naître...
    Depuis 1714 et la mort, sans descendance, de la reine Anne, le royaume d'Angleterre était passé sous la tutelle des rois hanovriens. Comme la loi salique est en vigueur au Hanovre, Victoria n'héritera pas de ce titre-là, puisque les femmes ne peuvent prétendre à la succession. Si elle se voit investie de la tutelle de toutes les colonies britanniques, le pouvoir au Hanovre sera, lui, dévolu au frère de son propre père, le duc de Cumberland et Teviotdale, qui devient Ernest-Auguste Ier de Hanovre. Il est également l'héritier de sa nièce, tant que cette dernière reste sans enfant.
    A son accession au trône, Victoria, qui est encore toute jeune, est politiquement inexpérimentée et c'est le premier ministre whig Lord Melbourne qui va la seconder et exercer une influence importante sur elle. L'écrivain Charles Greville disait même que Lord Melbourne, veuf et sans enfant considérait la jeune reine comme sa propre fille et Victoria, qui n'avait pas connu son père, mort alors qu'elle avait à peine un an, le voyait certainement comme une figure tutélaire et maternelle.
    La reine est couronnée solenellement le 28 juin 1838, un an après son accession au trône. Elle réside au palais de Buckingham et devient en cela le premier souverain à y séjourner durablement. Elle hérite des revenus des duchés de Lancastre, de Cornouailles et se voit dotée d'une liste civile annuelle de 385 000 £. Relativement prudente financièrement, elle en profita pour rembourser les dettes de son père.
    Au début de son règne, la jeune Victoria est populaire et estimée. Mais, en 1840, sa réputation est ternie par l'affaire Hastings : l'une de ses dames d'honneur, lady Flora Hastings présente un ventre arrondi qui pourrait très bien signifier une grossesse. Victoria, qui ne peut supporter « cette odieuse Flora » la fait examiner, après que des rumeurs aient sous-entendu que la dame d'honneur aurait été enceinte des oeuvres de John Conroy, l'exécré contrôleur de gestion de la duchesse de Kent, la mère de la reine. Or, il s'avère que Flora Hastings est...vierge. Elle souffrait d'une importante tumeur hépatique qui l'emporte d'ailleurs au mois de juillet 1840. Victoria est alors conspuée et huée lors de ses apparitions publiques et appelée ironiquement « Mme Melbourne ». Ce dernier avait démissionné après que les radicaux et les tories, parti opposé aux whigs qu'il représentait, aient voté contre une loi suspendant la constitution de Jamaïque. La législation prévoyait en effet de supprimer les pouvoirs politiques des planteurs qui s'opposaient aux mesures associées à l'abolition de l'esclavage. Malgré la détestation qu'elle vouait aux torries, la reine Victoria chargea Robert Peel de former un nouveau gouvernement. A l'époque, il était d'usage que le premier ministre nomme les « dames de la chambre à coucher », qui sont au service de la famille royale dans ses diverses résidences et, la coutume voulait que ces dames soient souvent des épouses des membres du parti au pouvoir. Or, les « dames de la chambre à coucher » étaient alors des épouses de whigs et Peel, tout logiquement, souhaitait les remplacer par des épouses de torries, ce que Victoria refusa. Cela donna lieu à la « crise de la chambre à coucher » et au retour de Melbourne au pouvoir puisque Peel, refusant de gouverner selon les conditions de la souveraine, donna sa démission.
    Maintenant que Victoria est une souveraine couronnée, sa position de célibataire devient délicate et elle doit se marier. De plus, les conventions sociales lui imposaient de vivre sous le même toit que sa mère, avec qui elle ne s'entendait absolument pas, notamment à cause de John Conroy. La duchesse de Kent vit donc à Buckingham auprès de sa fille mais la reine refuse souvent de la rencontrer. Un jour, Victoria se plaignit à Melbourne de cette promiscuité avec sa mère qui ne promettait que des « souffrances pendant de nombreuses années ». Alors, le ministre conseilla à la reine de se marier car c'était le seul moyen pour elle d'échapper à la tutelle de sa mère. Mais la reine rétorqua que c'était là une « alternative choquante ». Même si elle se met à songer sérieusement à son cousin, rencontré quelques années plus tôt, Victoria refuse de céder aux pressions qui la poussent à se marier rapidement.
    Finalement, Victoria saute le pas en octobre 1839, alors que son cousin est venu en séjour en Angleterre. Le 15, elle le demande officiellement en mariage et le couple se marie le 10 février 1840 dans la Chapel Royal du palais de St-James de Londres. Victoria se montre très éprise de son époux et ils formeront, jusqu'à la mort d'Albert un couple aimant et uni. Grâce à la médiation du prince consort, les relations entre la duchesse de Kent et sa royale fille s'amélioreront également progressivement.
    En cette année 1840, la jeune reine, âgée de vingt-et-un ans, s'aperçoit qu'elle est déjà enceinte. Alors qu'elle se promène dans une calèche avec son époux, lors d'un déplacement pour rendre visite à sa mère, un jeune homme de dix-huit ans, Edward Oxford, tire deux fois sur la reine mais manque sa cible. Jugé pour haute trahison, il fut condamné mais finalement acquitté pour raisons mentales et il fut interné pendant une trentaine d'années. Après cette agression, la popularité de Victoria augmenta significativement et calma le mécontentement résiduel après l'affaire Hastings et la crise de la chambre à coucher. Au cours des années suivantes, la reine Victoria échappa à plusieurs autres tentatives d'attentat : en 1842, alors qu'elle descendait le Mall en calèche, John Francis, armé d'un pistolet, tira en direction de la reine, mais l'arme ne fonctionna pas ; en 1849 et 1850, William Hamilton et Robert Pate tentèrent également de s'en prendre à la personne royale...
    Le 21 novembre 1840, la reine Victoria donne naissance à son premier enfant, une fille, qui recevra également le prénom de Victoria. Victoria n'aimait pas beaucoup les enfants -elle considérait les nourrissons comme des êtres laids-, elle se montrait dégoûtée par l'allaitement et détestait être enceinte mais elle eut néanmoins huit enfants. A ce moment-là, la maison de la reine est alors gérée par son ancienne gouvernante, la baronne Louise Lehzen, hanovrienne d'origine. Jugée incompétente par le prince Albert, elle sera limogée à la suite d'une violente dispute opposant les deux époux. Quoi qu'il en soit, le couple resta très amoureux, très uni et Victoria et Albert devinrent les parents de neuf enfants. En 1853 et 1857, Victoria donna naissance à ses deux derniers enfants. En 1853, pour la première fois, elle usa pendant son accouchement d'un nouvel anesthésiant, le chloroforme, à la grande fureur des prélats, qui estimaient que ceci était contraire aux enseignements de la Genèse et à l'inquiétude des médecins qui considéraient cette substance comme dangereuse.

    III. La politique victorienne

    Si le parti whig est majoritaire au début du règne de la jeune Victoria, il va en s'affaiblissant au cours des ans. En 1841, les whigs, parti de Lord Melbourn, qui avait servi de mentor à la jeune reine, est battu lors des élections générales et Peel devint premier ministre. Il réorganisa alors la chambre à coucher de la reine et les dames les plus associées au parti whig furent remplacées.
    En 1845, en Irlande, une grave crise alimentaire survient, alors que la pomme de terre, aliment de base de la population, est touchée par le mildiou. Cette crise entraîna la mort d'un million environ d'habitants tandis que d'autres émigrèrent, notamment vers les Etats-Unis : cette période est restée dans l'Histoire sous le nom de Grande Famine et, en Irlande, Victoria fut surnommée « The Famine Queen », autrement dit « la reine famine ». Et pourtant, la reine piocha dans sa propre cassette afin de venir en aide au peuple Irlandais et donna environ 2 000 £ pour que la famine soit endiguée. La légende qui veut qu'elle n'ait donné que 5 £ tandis que, le même jour, elle versait une somme extravagante à une organisation de protection des animaux, la Battersea Dogs Home, n'est qu'un mythe, créé de toutes pièces vers la fin de son règne.
    En 1846, le gouvernement Peel doit affronter la crise qui survient après le projet d'abolition des Corn Laws : ces lois, votées essentiellement au siècle dernier et au début du XIXème siècle -la dernière datait de 1815- interdisaient toute importation de céréales lorsque les cours passaient en dessous d'un seuil-plafond. Les tories, c'est-à-dire les conservateurs, étaient opposés fermement à ce projet mais Peel, quelques membres du parti torry et la reine Victoria elle-même étaient favorables à l'abolition de ces lois. Votée de justesse, l'abolition de ces lois coûta tout de même son poste de Premier Ministre à Peel, qui dut démissionner et fut alors remplacé par Lord Russell.
    En ce qui concerne la politique extérieure, la reine Victoria va travailler à l'amélioration des relations diplomatiques avec la France. Ainsi, elle rencontra à plusieurs reprises des membres de la famille d'Orléans, liée à la famille royale britannique par des mariages, notamment via les Cobourgs. En 1843 puis 1845, Victoria et Albert se rendirent en France où ils rencontrèrent le roi Louis-Philippe d'Orléans au château d'Eu, en Normandie. Elle fut le premier souverain britannique à rencontrer son homologue français depuis le fameux Camp du Drap d'Or, en 1520, qui avait réuni François Ier et le célèbre Henri VIII !! En 1844, ce fut Louis-Philippe qui se rendit en Angleterre et, de même, devint le premier roi français à se rendre outre-Manche. Lorsqu'il fut déposé, à la suite de la révolution d 1848, le roi Orléans parti en exil en Angleterre. Cette année 1848 est mouvementée partout en Europe, où l'on constaste de nombreux soulèvements populaires. Par précaution, la reine et sa famille iront séjourner à Osborne House, la demeure de Victoria sur l'île de Wight, achetée en 1845. Finalement, il n'y eut pas de soulèvement général au Royaume-Uni et la perspective d'une révolution s'éloigna peu à peu. En 1849, Victoria effectue un voyage en Irlande, voyage qui fut un succès en terme de relations publiques mais qui n'eut pas, cependant, d'impact sur la croissance du nationalisme dans l'île. Elle dut s'accomoder pendant de nombreuses années du gouvernement de Lord Russel, dominé par les whigs, un parti que la reine n'appréciait pas. Elle détestait tout particulièrement Lord Palmerston, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, qui faisait souvent cavalier seul et se permettait d'agir sans l'avis du Cabinet, du Premier Ministre ou de la reine. Finalement, il fut limogé en 1851 lorsqu'il osa annoncer que le gouvernement britannique approuvait le coup d'état mené par Louis-Napoléon Bonaparte, en France, qui venait de renverser la république pour instaurer un nouvel empire. L'année suivante -1852-, Russel fut remplacé par lord Derby.
    En 1855, du fait de la guerre de Crimée, le gouvernement de lord Aberdeen, qui avait remplacé Derby, démissionna, à la suite de critiques formulées envers leur mauvaise gestion de la situation de crise. La reine approcha alors Derby puis Russel pour reformer un gouvernement mais n'ayant pas suffisamment de soutiens, les deux hommes refusèrent et Victoria fut donc contrainte de nommer l'ingérable Palmerston au poste de Premier Ministre.
    Durant la guerre de Crimée, la France de Napoléon III et le Royaume-Uni furent alliés et l'Empereur des Français se rendit donc, en avril 1855, en Angleterre pour rendre visite au couple souverain. Victoria et Albert firent le voyage inverse en août de la même année : ils furent accueillis par Napoléon III à Dunkerque et ce dernier les conduisit ensuite jusqu'à Paris où le couple royal britannique put visiter l'exposition universelle. Albert et Victoria se rendirent également sur la tombe de Napoléon Ier aux Invalides -ses cendres avaient été rapatriées en 1840- et furent au centre d'un bal donné en leur honneur au château de Versailles. A la fin des années 1850, les gouvernements successifs connurent de graves crises, notamment à la suite d'une tentative d'assassinat de Napoléon III par un réfugié italien en Angleterre qui avait tenté de tuer l'Empereur avec une bombe fabriquée outre-Manche. Derby fut rappelé au pouvoir puis, en juin 1859, il fut de nouveau remplacé par Palmerston.
    Par la suite, la politique victorienne sera marquée par le ministériat du célèbre Disraeli -à la mort de ce dernier, la reine fut sincèrement affligée- et Victoria devint officiellement impératrice des Indes le 1er janvier 1877. La reine, au cours des dernières décennies de son règne, sera de nouveau la cible de plusieurs attentats, qui, fort heureusement pour elle, manqueront leur cible à chaque fois et devra affronter la montée du républicanisme en Angleterre, ravivé notamment par l'avènement de la Troisième République en France.

    IV. Victoria s'achemine vers la mâturité

    Le prince Albert, Victoria et leurs enfants, en 1857

    Le 25 janvier 1858, alors que leur dernière fille, Béatrice du Royaume-Uni est encore au berceau, Victoria et Albert marient leur fille aînée Victoria au prince Frédéric Guillaume de Prusse. La cérémonie a lieu à Londres. Victoria et Albert ont trente-neuf ans, la jeune Victoria, dix-huit. Ce fut avec beaucoup d'émotion que la reine Victoria vit partir la jeune fille vers la Prusse et voilà d'ailleurs ce qui lui écrira par la suite, dans la correspondance qui les unit :« cela me fait vraiment frissonner quand je regarde vos sœurs douces, joyeuses et inconscientes et que je pense que je devrais les abandonner également, une par une. » Dès l'année suivante, alors que le couple royal a à peine quarante ans, leur fille Victoria leur donne leur premier petit-enfant, un garçon qui sera prénommé Guillaume.
    Les années 1860 sont marqués par des deuils pour Victoria. Ainsi, en mars 1861, la duchesse de Kent, Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld, mère de la reine, meurt, sa fille à son chevet. Après son décès, Victoria prend connaissance des documents de sa mère où elle découvre avec stupeur et tristesse que sa mère, contrairement aux apparences, l'aimait profondément. La reine en eut le coeur brisé et blâma sévèrement John Conroy et sa gouvernante, Louise Lehzen, pour l'avoir sciemment éloignée de sa mère. Albert fut d'une grande aide pour la reine pendant cette période troublée de sa vie et prit notamment en charge une partie de ses fonctions bien qu'il eût lui-même des problèmes de santé. En août, le couple rend visite à leur fils, le Prince de Galles, qui assistait à des manoeuvres militaires non loin de Dublin et passèrent quelques jours en Irlande. En novembre, le prince consort apprit avec stupeur les rumeurs selon lesquelles son fils avait couché avec une actrice irlandaise. Ulcéré, il se rendit à Cambridge, où Edward étudiait, afin de le réprimander. Début décembre, Albert est gravement malade. Appelé à son chevet, le médecin William Jenner diagnostique une fièvre typhoïde et, le 14 décembre 1861, le prince rendait son âme à Dieu à l'âge de quarante-deux ans, laissant une veuve profondément anéantie. Révoltée par la mort de son époux, la reine n'hésita pas à en attribuer la responsabilité à l'attitude frivole de son fils, Edward et affirma qu'Albert avait été « tué par cette affreuse affaire. » Pendant tout le reste de sa longue vie, on ne verra plus la reine que vêtue de noir, portant le deuil d'un mari très aimé et parti trop jeune. Après la mort d'Albert, elle vint de moins en moins à Londres et se retira au château de Windsor, ce qui lui valut d'ailleurs le surnom de « veuve de Windsor ».
    Cet isolement volontaire entraîna une diminuation de la popularité de la monarchie, ce qui encouragea donc une croissance du mouvement républicain dans le pays. Cependant, Victoria continua d'assumer ses fonctions gouvernementales comme elle l'avait toujours fait mais choisit de rester le plus souvent confinée dans ses résidences favorites : Windsor, en Angleterre, Balmoral, en Ecosse et Osborne House, sur l'île de Wight, où elle vivait dans le souvenir de son cher disparu. Cependant, l'isolement de la reine encourage la colère du peuple et, en mars 1864, un manifestant n'hésite pas à placarder une affiche sur les grilles du palais de Buckingham, proclamant que « ces imposants bâtiments étaient à vendre en raison du déclin des affaires de l'ancien propriétaire ». Sur le conseil de son oncle, Léopold, roi des Belges, Victoria consentira à apparaître de nouveau en public. Sa première sortie a lieu aux jardins de la Royal Horticultural Society à Kensington.
    Durant les années 1860, suite à son veuvage, la reine diminuée par la peine d'avoir perdu son compagnon de vie va s'appuyer et se raccrocher de plus en plus à un de ses domestiques, un Ecossais du nom de John Brown. Bien vite, cette relation privilégiée alimente les rumeurs, qui font état d'une relation entre la reine et Brown et même d'un mariage secret entre eux. La reine fut perfidement affublée du sobriquet de « Mrs. Brown ». Pourtant, dans son livre intitulé Leaves from the Journal of Our Life in the Highlands, Victoria n'hésitera pas, malgré les rumeurs qui vont bon train, à rendre un vibrant hommage à cet homme qui lui apporta réconfort et protection. Un film, La Dame de Windsor, en 1997, relate cet épisode de la vie de la reine Victoria.
    Désormais veuve, c'est sur ses enfants que la reine Victoria vieillissante reporte toutes ses inquiétudes. En 1871, elle doit affronter la maladie de son fils, le prince de Galles, héritier du trône qui a contracté la typhoïde, la maladie qui avait emporté Albert dix ans plus tôt. Victoria craignit que son fils ne mourut mais, finalement, le prince survit. Victoria sortait alors tout juste elle-même d'une maladie relativement sérieuse : en septembre 1871, elle avait souffert d'un abcès au bras et dut son salut au médecin Joseph Lister qui incisa l'abcès et le désinfecta au phénol. En février 1872, Arthur O'Connor, âgé de dix-sept ans, petit-neveu du député irlandais Feargus O'Connor, agita un pistolet non-chargé sur le passage de la reine. Neutralisé par Brown, il sera condamné à de la prison et son geste renforcera la popularité de la souveraine.
    Le 14 décembre 1878, Victoria s'apprêta à commémorer comme il se doit le dix-huitième anniversaire de la mort de son époux chéri, Albert. Ce même jour, sa seconde fille, nommée Alice et qui avait épousé Louis IV de Hesse, meurt de la diphtérie à Darmstadt, en Allemagne. Cette Alice de Hesse était la mère d'une petite fille appelée à connaître un destin aussi brillant que tragique : la petite Alix deviendrait un jour impératrice de Russie sous le nom d'Alexandra Fedorovna, épouse de Nicolas II, tsar de toutes les Russies...Victoria, à la veille de son soixantième anniversaire, sera particulièrement touchée par le décès de sa fille. En mai 1879, elle devient arrière-grand-mère, à l'occasion de la naissance de Théodora de Saxe Meiningen, petite-fille de Victoria, sa première fille. La reine se dit alors vieillie, abattue par la perte de « perte de [son] enfant chéri ». Victoria s'achemine vers la vieillesse dans la tristesse.

    V. Les dernières années

    La reine Victoria à quatre-vingt ans, représentée en 1899 par Henrich von Angeli 

    Le 2 mars 1882, Victoria, alors âgée de soixante-trois ans, échappe à une tentative d'assassinat perpétrée par Roderick McLean, un poète visiblement mécontent que la reine ait refusé l'un de ses poèmes. La reine se montrera particulièrement outrée qu'il ne soit finalement pas condamnée pour cause de santé mentale défaillante. Cela dit, elle fut réconfortée par les nombreuses manifestations de soutien du peuole et aurait eu ces mots : « cela valait la peine de se faire tirer dessus pour voir à quel point l'on est aimée ».
    En 1893, elle tomba dans les escaliers du château de Windsor et ne récupéra jamais complètement de cet accident. Cette même année, elle eut la douleur de perdre Brown, qui mourut 10 jours après son accident et, malgré la consternation de son secrétaire privé, Henry Ponsonby, qui considérait d'un mauvais oeil son initiative, la vieille reine décida d'entreprendre une biographie de son ancien domestique. Il lui fut cependant déconseillé de la publier si elle ne souhaitait pas alimenter les rumeurs qui lui prêtaient une relation amoureuse avec Brown. Elle eut encore le chagrin de devoir faire face à la mort de l'un de ses enfants, le prince Léopold, décédé à Cannes mais, quelques années avant sa mort, la reine Victoria eut le bonheur de connaître son arrière-petit-fils, le prince Edward, qui devait un jour monter sur le trône sous le nom d'Edward VIII. En 1887, les Britanniques célébrèrent le Jubilé d'or de la reine, c'est-à-dire le cinquantenaire de l'accession au trône de Victoria. Dix ans plus tard, Victoria, âgée de soixante-dix-huit ans, célébra son Jubilé de Diamant, autrement dit, ses soixante ans de règne. A l'heure actuelle, elle est le souverain britannique à avoir régné le plus longtemps sur le pays, quoique sa descendante, la reine Elizabeth II, semble bien décidée à concurrencer sa célèbre aïeule : elle a célébré son Jubilé de Diamant en 2011.
    Malgré son âge très avancé, Victoria continua de voyager en Europe. Ainsi, en 1889, lors d'un séjour à Biarritz, elle en profita pour passer la frontière espagnole et fut donc le premier monarque britannique à poser le pied sur la terre hibérique. Cependant, en avril 1900, alors qu'elle devait se rendre en voyage en France, le voyage fut annulé en raison de la guerre des Boers jugée de manière particulièrement négative partout en Europe. Victoria se rendit don en Irlande, où elle n'était plus allée depuis 1861. En juillet 1900, la vieille reine dut affronter la mort de son fils Alfred, surnommé Alfie et elle écrivit ceci dans son journal : « Oh, Dieu ! Mon pauvre chéri Affie est parti aussi. C'est une année horrible, rien d'autre que la tristesse et l'horreur sous une forme ou une autre ».
    Le réveillon de 1900 se passa à Osborne House, comme Victoria en avait pris l'habitude depuis son voyage. Elle boitait un peu, du fait des rhumatismes qui la torturaient depuis des années et sa vue s'était obscurcie à cause de la cataracte. Au début du mois de janvier 1901, la reine, âgée de bientôt quatre-vingt-deux ans, se sent faible et souffrante. Elle meurt finalement le 22 janvier 1901, à l'aube du XXème siècle, à 18 heures 30. Elle avait régné soixante-quatre ans sur le Royaume-Uni et aurait fête ses quatre-vingt-deux ans au mois de mai suivant. C'est son fils, Edward, prince de Galles, qui lui succède sous le nom d'Edward VII.
    Victoria fut habillée d'une robe blanche et couronnée d'un voile de mariée. Des souvenirs rappelant sa famille, ses amis et ses domestiques furent placés à ses côtés dans le cercueil. Elle fut inhumée le 2 février 1901 : à la suite d'une cérémonie en la chapelle Saint-Georges de Windsor, elle fut portée en terre à Frogmore, dans le mausolée royal, aux cotés de son mari Albert.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - La Saga des Windsor, Jean des Cars. Essai historique.
    - Queen Victoria : A Personal History, Christopher Hibbert. Biographie. 
    - Écrits de la reine Victoria (disponibles sur l'Internet Archive) 
    - La reine Victoria, Jacques de Langlade. Biographie. 
    - La reine Victoria, Philippe Chassaigne. Biographie. 
    - Victoria : Reine d'un Siècle, Joanny Moulin. Biographie. 


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  • « Ainsi, qu'elles pleurent ou qu'elles aient les joues sèches, qu'elles soient arrivées à pied, en voiture, en transports en commun ou à dos de mulet, elles avaient toutes une chose en commun : la honte. Et cette honte, Ada pouvait les en débarrasser. »

    Une Bonne Âme ; Audrey Perri

     

    Publié en 2017

    Editions Librinova (livre numérique)

    172 pages 

    Résumé : 

    Londres, 1899.
    Florence Jones, jeune mère célibataire, décide de faire adopter sa fille Sélina, faute de pouvoir la garder auprès d'elle. Elle se tourne alors vers Mrs Hewetson, l'une de ces fermières de bébés qui pullulent dans la capitale et qui affirme pouvoir s'occuper de son enfant. Mais Florence ignore encore que cette femme, loin d'être la bonne âme qu'elle prétend être, est déjà impliquée dans la disparition de nombreux enfants...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Aujourd'hui, je reviens pour une chronique assez particulière puisque c'est la première fois que je rédige un billet sur un livre écrit par quelqu'un que je connais. Connaître est peut-être un bien grand mot car nous ne nous sommes jamais vues mais Audrey Perri, l'auteure de cette nouvelle, est aussi une blogueuse, avec qui j'échange depuis quelques mois et que je prends toujours plaisir à lire, sur son blog Cellardoor. Car si son nom ne vous dit rien, peut-être celui de son blog, lui, vous sera plus familier ? Celladoor est une page que j'ai découvert par hasard il y'a près d'un an. Une page très variée, où Audrey rédige des billets littéraires ou cinématographiques... Pour ma part, ce sont les premiers qui m'ont intéressée, surtout quand je me suis rendu compte que nous avions toutes les deux sensiblement les mêmes lectures et des avis similaires, le plus souvent. J'ai commenté ses articles, Audrey m'a rendu la pareille : suffisamment rare sur la blogo pour que ce soit signalé, d'ailleurs ! Bref... et depuis janvier dernier, nous avons beaucoup échangé via nos blogs respectifs. J'ai donc été très contente pour elle quand j'ai appris en octobre dernier que sa nouvelle avait été récompensée et allait être publiée par Librinova. Bon, c'était un livre numérique... et je ne suis pas fan de la lecture numérique, ce n'est pas trop mon truc. Mais s'il y'a bien quelqu'un qui, une fois, pouvait me faire approcher un livre numérique, c'était bien elle ! Le résumé de sa nouvelle, Une Bonne Âme, avait tout pour me plaire et a fini de me convaincre. Inspirée par un faits divers de la fin du XIXème siècle, Audrey nous emmène donc en Angleterre, en pleine époque victorienne. C'est une époque passionnante, je trouve. Une époque très paradoxale, aussi : la croissance de l'industrie s'accompagne aussi d'une paupérisation grandissante, surtout dans les grandes villes et les plus défavorisés se voient entassés dans des taudis, où la mortalité et les maladies ont la part belle. La modernité naissante s'accompagne malheureusement de conditions de vie absolument épouvantables et qui vont perdurer d'ailleurs au siècle suivant. Dans ces conditions, elles furent nombreuses celles qui, pour tout un tas de raisons, se virent obligées, à un moment où un autre de leur existence, d'abandonner un ou plusieurs enfants. Il y'avait les mères de famille, accablées par des grossesses répétées et qui finissaient par se défaire des nouveau-nés qu'elles ne pouvaient pas nourrir. Et il y'avait celle dans une situation bien plus délicate, celles qui, à la suite d'un moment d'abandon, se retrouvent enceintes et célibataires. Comme le dit bien l'auteure à la fin de sa nouvelle, l'époque victorienne se caractérise par un puritanisme extrême, même si cela n'est pas inhérent à l'Angleterre de l'époque. On n'est pas tendre avec les fille-mères à l'époque et cela, quel que soit le pays. Encore fortement marqués par une éducation marquée par la religion, les gens sont particulièrement peu indulgents devant ce qu'ils considèrent comme une faute et comme une honte. Il n'est pas rare que les jeunes femmes soient rejetées, même par leurs propres familles, pas prêtes à endosser une mise au ban de la société. Ne s'ouvrent alors à elles que des solutions terribles : l’avortement, clandestin et illégal, au risque d'y laisser leur vie, le suicide ou les fermières à bébés. Dans le meilleur des cas, certaines mères célibataires parvenaient à trouver des solutions leur permettant de protéger leur enfant, en les plaçant en nourrice, par exemple, dans l'espoir de les reprendre un jour avec elles. Mais, la plupart du temps, c'est entre les trois premières solutions que les malheureuses étaient obligées de choisir. Et, à une époque où les abandons d'enfants sont monnaie courante, des réseaux interlopes se développent, qui flirtent avec la criminalité et la petite délinquance. Des réseaux qui profitent du désespoir de ces mères pour mieux les manipuler. Des faits divers comme celui traité dans Une Bonne Âme, il y'en a certainement eu des dizaines, des centaines. Audrey, elle, a choisi de s'intéresser au cas d'Ada Williams, fermière à bébés -la bonne âme qui a donné son titre à la nouvelle- finalement confondue et jugée en 1900. Elle a existé, tout comme Florence Jones, l'autre personnage principal de la nouvelle et sa fille, Sélina Ellen Jones.
    Cette nouvelle illustre bien une époque, dans toute sa cruauté et nous démontre bien que, si elle n'était pas tendre avec les couches sociales les moins favorisées, elle ne l'était pas non plus pour les femmes et ce, quel que soit leur rang. Dans ces histoires malheureusement courantes, les jeunes femmes se trouvaient confrontées à la lâcheté de l'homme qui les avait mises enceintes et au rejet de la société qui ne pouvait pas les tolérer. Une femme n'était reconnue que mariée et mère de famille, c'était à ce moment-là le seul statut auquel elle pouvait prétendre et qui était gage de respectabilité. Et gare à elle si elle s'éloignait un tant soit peu du chemin tracé pour elle par une société bien-pensante et hypocrite. De là alors l'apparition de femmes comme Ada Williams, profitant du malheur des autres pour s'enrichir et qui, parfois, dévient jusqu'à verser dans les crimes les plus sordides.
    Une Bonne Âme se construit autour de deux figures féminines antagonistes, Florence et Ada mais qui, on s'en rend compte au fil de la lecture, ne sont finalement pas éloignées l'une de l'autre autant qu'on pourrait le croire. J'ai vraiment apprécié que l'auteure ne tombe pas dans une sorte de manichéisme mal venu qui était justement l'écueil à éviter. On pourrait pourtant tellement facilement se laisser aller à noircir les traits de la fermière à bébés, objet d'incompréhension et dégoût, pour nous. Mais en distillant des événements de son passé, l'auteure nous permet de nuancer notre jugement. Il est hors de question bien sûr d'excuser ni même d'expliquer le comportement déviant et criminel d'une femme qui mérita assurément la peine à laquelle elle fut condamnée. Mais en lui donnant un soupçon de complexité, l'auteure nous permet d'entrevoir le mécanisme qui se met en place progressivement et peu amener quelqu'un à verser progressivement et irrémédiablement, dans une spirale néfaste qui l'emporte et l'empêche de faire machine arrière. Ada, dans la nouvelle, sans être véritablement touchante, a des failles et j'ai apprécié qu'elle ne soit pas qu'un monstre froid dénué de sentiments, de doutes et de culpabilité, parce que ce n'est pas le cas. Moi qui pensais la détester au final, si je ne me suis pas attachée à elle, je dirais que je me suis intéressée à son personnage parce que je l'ai trouvé complexe et très bien travaillé.
    Je me suis par contre beaucoup attachée à Florence Jones qui n'est pas, elle non plus, qu'une pauvre victime faible, aisément manipulable et trompée. Florence est une jeune femme modeste, comme il y'en a tant à Londres à cette époque, gagnant sa vie au service des autres. Elle est une jeune femme qui, un jour, tombe amoureuse de la mauvaise personne, la laissant seule assumer une faute pourtant commise à deux. Elle n'est pas naïve pour autant. J'ai trouvé qu'elle avait une réelle force de caractère et une envie de s'en sortir. Imaginez : vous vous verriez, vous, subitement relégué, brutalement congédié par votre famille, par votre employeur ? Sans emploi, sans famille, sans issue, on peut aisément imaginer dans quelle situation se retrouvaient ces pauvres jeunes femmes qui, parfois, étaient à peine sorties de l'enfance. Et Florence, elle, ne flanche jamais ou, si elle flanche, se relève toujours. Je l'ai trouvé forte et admirable pour cela. Je ne pensais pas m'attacher autant à elle, me sentir tellement proche d'elle. J'ai presque ressenti de la peine et de la commisération pour elle, c'est assez fou.
    Si l'auteure a su saisir à merveille une époque, elle a su aussi tracer des portraits très fins, ciselés et nuancés qui m'ont beaucoup plu, en évitant justement le ou tout noir ou tout blanc qui aurait alors fait tomber dans sa nouvelle dans une sorte de facilité. J'ai aussi été épatée -et je ne dis pas ça par flatterie, ce n'est parce que l'auteure ne m'est pas inconnue que j'écris une critique élogieuse, loin s'en faut, cette chronique est tout à fait sincère-, par la capacité d'Audrey a s'approprier l'époque ! Le contexte est vraiment très très bien restitué, on sent qu'elle est une lectrice de romans historiques, comme moi et qu'elle adore ça...comme moi aussi ! Pas facile aussi de devoir broder une fiction à partir d'éléments authentiques qui brident un peu, de fait, la liberté du romancier, mais j'ai trouvé qu'elle s'en était bien sortie, en orientant la description des personnages sur leur psychologie, sur les blessures de leur passé. Elle fait apparaître ces deux femmes sous un jour crédible et vraisemblable et c'est ce que j'aime aussi, dans les romans historiques.
    J'ai passé un bon moment avec Une Bonne Âme. J'ai été très agréablement surprise, tant par l'histoire que par le style. Tout n'est pas parfait mais, pour un premier roman, franchement, Audrey s'en tire très très bien. J'ai aimé sa façon d'écrire et, dans sa globalité, j'ai aimé sa nouvelle... Je ne sais pas à quoi je m'attendais mais je n'ai franchement pas été déçue... Je crois qu'en fait, je n'attendais rien. J'ai d'abord voulu lire cette nouvelle pour son auteure. Puis le résumé m'a interpellée...A ma lecture, j'ai retrouvé du Anne Perry et du Ann Granger dans cette histoire et, oui -Audrey, je ne sais pas si telle était ton idée au moment de la rédaction-, le personnage de Charles Morton m'a fait un peu penser à Thomas Pitt, le fameux enquêteur d'Anne Perry !
    Je vous conseille cette nouvelle. Lancez-vous ! Si vous aimez les faits divers et si vous aimez l'Histoire, cette petite nouvelle est faite pour vous, vous ne regretterez pas : ça se lit vite et, une fois qu'on a commencé, c'est difficile de lâcher

    En Bref : 

    Les + : une nouvelle vraiment aboutie qui aurait presque mérité plus de développements tant l'histoire est réussie et les personnages, tous autant qu'ils sont, intéressants. J'ai passé un bon moment. 
    Les - : quelques coquilles de ci de là mais rien de catastrophique. 


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  • « Quand la jeunesse et le désespoir viennent à se réunir, on ne peut dire à quelles fureurs ils porteront, ou quelle sera leur résignation subite; on ne sait si le volcan va faire éclater la montagne, ou s’il s’éteindra tout à coup dans ses entrailles. »

    Cinq-Mars ; Alfred de Vigny

    Publié en 2012

    Date de parution originale : 1827

    Editions Folio (collection Classique) 

    594 pages 

    Résumé : 

    1640 : un procès de sorcellerie. Un bûcher. Un complot. Louis XIII défaillant d'amour, de culpabilité et de haine devant son jeune et gracieux favori. Richelieu remontant le Rhône dans un bateau tapissé de velours cramoisi qui traîne derrière lui l'embarcation où Cinq-Mars et de Thou enchaînés sont conduits au supplice : leur mort signifiera la fin de la vieille noblesse écrasée par le pouvoir et la raison d'Etat. Dans la foulée de Walter Scott et en attendant Dumas, Cinq-Mars est le premier en date, le plus dramatique et sans doute le plus réussi des romans historiques français. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis : 

    Publié en 1827, le Cinq-Mars d'Alfred de Vigny est considéré comme le premier roman historique français, avant les grandes fresques de Dumas ou de Hugo. Le XIXeme siècle permet aux auteurs français de s'intéresser à un genre littéraire auquel ils n'auraient pas pu toucher auparavant. Sous l'ancien Régime, il aurait été hors de question de mettre en scène la Cour et les souverains, à moins de le faire, comme Madame de Lafayette dans La Princesse de Clèves, en déguisant son propos. Après la Révolution, tout est possible et Alfred de Vigny sera l'un des premiers à expérimenter le genre. Il prépare aussi en quelque sorte le terrain aux grands romans feuilletons de la seconde moitié du siècle et qui ont eu tant de succès, un succès qui ne se dément d'ailleurs pas : qui n'a pas frémi avec Esmeralda, qui ne s'est pas laissé emporter par la fougue des Trois Mousquetaires, qui n'est pas tombé amoureux en même temps que Buckingham de la jeune reine Anne d'Autriche, abandonnée dans son jardin d'Amiens ? Qui ne s'est pas non plus laissé séduire par la reine Margot ou par la dame de Monsoreau ? Les romans historiques français du XIXème siècle ont beaucoup de charme, je trouve. Bien sûr, ils sont totalement fantaisistes mais... C'est ça aussi qui fait tout leur intérêt, à mon avis !
    Le Cinq-Mars de Vigny a été cependant totalement occulté par les autres, très connus. Pour ma part, c'est totalement par hasard que je l'ai découvert il y'a quelques années, sans jamais en avoir entendu parler auparavant mais je me suis intéressée à ce roman grâce à sa figure centrale : Henri Coiffié de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars.
    J'ai une opinion assez ambivalente du personnage. Le nom de Cinq-Mars fait aussitôt naître à mon esprit l'image d'un jeune homme très beau, un peu fat, vain et orgueilleux qui, par désillusion et déception, va se retourner contre la main qui l'a nourri et fait s'élever, trahison et ingratitude qu'il paiera de sa vie. Mais je ne peux aussi m'empêcher de nuancer cette image et de me dire que, peut-être, Cinq-Mars n'a été qu'un objet, aisément manipulable et qui a permis à plus grand que lui de mener à bien intrigues et conspirations, à une époque passée maîtresse en la matière. Cinq-Mars a laissé son nom à la toute dernière conspiration contre Richelieu, en 1642, qui visait à se débarrasser du ministre de Louis XIII mais aussi à s'entendre avec l'Espagne. Pour la postérité, il porte la tâche de cette conjuration mais, comme Chalais avant lui, Cinq-Mars a certainement assumé et payé de sa vie une conspiration qui n'est pas réellement ou du moins, pas totalement son oeuvre. On a usé de son mécontentement et, une fois la conjuration découverte, on l'a envoyé payer tout seul. Mort à vingt-deux ans à peine, après avoir connu une ascension fulgurante et la faveur assumée du roi, Cinq-Mars qui n'est, à l'origine, qu'un petit noble de province comme il y'en avait tant à l'époque et qui ne s'élevèrent jamais au dessus de leur condition.
    Alors justement, ce fameux Cinq-Mars, qui inspira suffisamment Vigny pour qu'il lui consacre un roman, qui est-il ?
    Avant de nous intéresser plus particulièrement au roman, quelques petits points historiques. Ben oui, déformation professionnelle et puis, si vous me lisez, vous savez que j'aime bien ça !
    Henri Coiffié de Ruzé d'Effiat naît en 1620, d'Antoine Coëffier-Ruzé, marquis d'Effiat et de Marie de Fourcy. Son père était un ami proche de Richelieu qui a l'idée, en 1639, de présenter le jeune homme à Louis XIII. Après avoir faire s'éloigner de la Cour mademoiselle de La Fayette puis Marie de Hautefort, le tout puissant ministre a l'idée d'installer près du roi un favori masculin qu'il manipulerait à sa guise, comptant sur le lien qui l'unissait autrefois au père de Cinq-Mars pour s'attacher le jeune homme. Mais, en trois ans, Cinq-Mars devient un électron libre : il déçoit le roi en passant du temps chez la courtisane Marion de Lorme et se met le cardinal à dos après s'être mis en tête d'épouser Marie de Gonzague, d'un rang bien plus élevé que le sien. Il sera ensuite le représentant d'une énième conjuration contre Richelieu, la dernière et servira brillamment ce dernier qui pourra, à l'occasion de son jugement et de son exécution, le 12 septembre 1642, manifester une dernière fois de son pouvoir. C'est le dernier coup d'éclat d'un soleil couchant puisque Richelieu va mourir moins de trois mois plus tard. Exécuté en même temps que son ami de Thou, Cinq-Mars est resté, pour la postérité, le renégat qui a voulu vendre la France à l'Espagne, l'ingrat qui, après s'être élevé très haut, en a voulu plus encore et a conspiré par dépit.

    Richelieu traînant ses prisonniers sur le Rhône, tableau de Paul Delaroche (1829)


    Cinq-Mars est un personnage romantique avant la lettre et nul doute qu'il ait inspiré un auteur du XIXème, époque romantique par excellence : sa beauté, le tragique de son destin, la fulgurance de son passage et de son ascension, comme un éphémère météore, son exécution à vingt ans et le courage dont il fit preuve sur l'échafaud...Tout y est. Et Alfred de Vigny a trouvé dans ce destin un terreau fertile dans lequel il a fait pousser l'intrigue du premier roman historique français !
    Malheureusement, il a fallu que j'attende les ultimes chapitres pour que mon intérêt ouvre un oeil et se dise : « ah tiens ? Mais c'est intéressant, ça. »
    Mais c'est arrivé bien trop tard. Je ne dis pas que l'auteur n'a pas de talent et que le roman est sans intérêt, loin de là. Seulement, je l'ai trouvé un peu plat, pas aussi dynamique et enlevé qu'un bon Dumas, par exemple. Je m'attendais à un roman de cape et d'épée que je n'ai pas eu. L'orientation un peu plus romantique, qui fait de Cinq-Mars un héros presque sacrificiel et expiatoire, avec dès le départ des prémonitions qui semblent annoncer sa propre fin ne m'a pas gênée pour autant mais j'ai trouvé que les deux premiers tiers du livre étaient très longs. Cinq-Mars n'est finalement pas toujours au centre du récit, il disparaît souvent au profit d'autres personnages... Je n'ai pas non plus compris pourquoi l'auteur a choisi de se servir de l'affaire des possédées de Loudun comme trame à son roman. Certes, l'arrivée de Cinq-Mars alors que la ville est en ébullition et que le prêtre Urbain Grandier est en passe d'être jugé puis brûlé vif rappelle la fin imminente et similaire du héros. Mais que de fréquents rappels à cette histoire soient faits... Non vraiment, je n'en ai pas réellement vu l'utilité. Le destin de Cinq-Mars est court mais suffisamment dense pour se suffir à lui - même à mon avis.
    Parlons du style, maintenant. Si vous me suivez depuis longtemps ou que vous me lisez régulièrement, vous savez que j'aime beaucoup les classiques et notamment pour la qualité des textes et le savoir-faire des auteurs qui semble presque inné ! Nos auteurs du XIXème sont talentueux et méritent d'être lus : il y'avait à l'époque une vraie qualité de la langue, qu'on n'a peut-être plus aujourd'hui ou, du moins, qu'on ne retrouve plus aussi systématiquement. Chacun à un univers propre mais intéressant. J'aime les textes classiques pour leur force et leur capacité à sublimer les mots. J'ai retrouvé ça chez Vigny : un vrai talent, une écriture intéressante mais parfois un peu alambiquée, peut-être. D'où parfois, des moments où je me suis surprise à lire mécaniquement et à ne vraiment pas comprendre ce que j'avais sous les yeux. Le roman demande beaucoup de concentration, que je n'ai peut-être pas eue au bon moment, malheureusement.
    Je ressors de cette lecture avec un sentiment assez étrange. J'ai conscience que ce que j'ai écrit plus haut peut vous faire douter et que vous vous dites que je n'ai pas aimé. En fait, c'est plus compliqué que ça ! Disons que certaines choses m'ont déplu, mais j'ai trouvé cette lecture intéressante par bien des aspects. Lire un classique historique pour nous, lecteurs contemporains, c'est un peu comme une mise en abyme : c'est l'Histoire qui parle d'Histoire. Né en 1797, Alfred de Vigny a traversé l'Empire puis a vu les Bourbons restaurés. Il écrit sous le règne de Charles X, descendant direct de ce Louis XIII au centre de l'intrigue et qui fit du jeune Cinq-Mars son favori. Il est clair que la vision qu'on avait de l'Histoire à cette époque n'est pas la même qu'aujourd'hui. La discipline n'est plus considérée ni abordée de la même manière. Au XIXème siècle, l'Histoire se raconte avec beaucoup de fougue, mais on la romance à souhait, même dans les livres qui se veulent scientifiques. C'est souvent par eux, d'ailleurs, qu'ont été forgées et véhiculées des légendes noires. C'est le cas pour Louis XIII et Richelieu, qui apparaissent dans ce roman exactement tels qu'on les percevait au XIXème : le machiavélique et tout puissant ministre, prêt à tout pour arriver à ses fins, le roi faible, malléable et manipulable, suspendu comme un pantin aux moindres désirs et décisions de son éminence rouge. S'il y'a un peu de vrai là dedans il y'a aussi beaucoup de faux et on sait aujourd'hui que la relation qui a uni Louis XIII à Richelieu est plus complexe. J'ai retrouvé aussi chez Vigny, comme chez Dumas aussi, d'ailleurs, cette absence d'hésitation à manipuler les faits et les dates à sa convenance quoique cela soit peut-être moins flagrant chez Vigny. Cela ne me dérange pourtant pas. Un roman historique bien documenté et aussi proche de la réalité que possible est très intéressant mais cela ne me gêne pas quand l'imaginaire et la fiction prend le dessus, dans la mesure où c'est assumé et qu'on commet l'erreur sciemment. Dans ce roman, j'ai retrouvé tous ces grands personnages qui ont gravité, de manière plus ou moins proche, autour de Cinq-Mars, le dernier favori de Louis XIII, le dernier coup de génie de Richelieu. On retrouve dans ce roman la pieuse mère du héros, la maréchale d'Effiat, l'ami fidèle jusque dans la mort, de Thou, l'amoureuse sincère mais promise à un trône, Marie de Gonzague. Les Grands dominent l'intrigue : le roi, son ministre, la reine, Gaston d'Orléans etc... Brigands prêts à tout, moniales immaculées viennent compléter le tableau qui s'avère effectivement chargé mais qui fonctionne.
    Il y'a beaucoup de bonnes choses dans ce roman. Beaucoup de points positifs, malheureusement, j'ai trouvé qu'ils arrivaient un peu tard et c'est dommage. Je déplore aussi que le personnage qui est censé être le héros disparaisse parfois de longs moments au profit d'autres personnages sans grand intérêt pour le développement de l'intrigue.
    Mais j'ai aimé cette touche de romantisme que l'auteur a donné à Cinq-Mars ! Oui, c'est anachronique mais ça marche ! Il y'a du Werther et du Chateaubriand dans ce favori royal ! Finalement quand on y pense, c'est vrai et c'est donc cohérent. J'ai aimé aussi que l'auteur oriente tout son roman vers la fin, pressentie et inéluctable grâce à des signes ou des présages qui émaillent le récit et avertissent autant le lecteur que Cinq-Mars de la fin qui l'attend.
    Le roman est plutôt efficace et bien senti. C'est un bon roman historique, un bon classique mais qui n'a pas su me convaincre complètement pour autant. Il m'a manqué un petit quelque chose pour me sentir réellement investie. 

    En Bref : 

    Les + : l'intrigue et la fiction historique qu'en fait Vigny, cohérente et vraisemblable. 
    Les - : j'ai trouvé beaucoup de longueurs aux deux premiers tiers du roman et je me suis un peu ennuyée ; le style, pas forcément très facile d'accès tant qu'on est pas habitué. 

     


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  • « On peut donner du respect, de l'honneur, de l'admiration et même de l'amour sans retour, mais la loyauté est forcément mutuelle. »

    Le Ranch des Trois-Collines ; Leila Meacham

    Publié en 2016 ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Titans 

    Editions Charleston 

    511 pages 

    Résumé :

    Printemps 1900.
    Séparés à leur naissance, des jumeaux, Nathan et Samantha, fêtent leur vingtième anniversaire, dans des comtés éloignés de l’État du Texas, sans se connaître ni soupçonner l’existence de l’autre… À la ferme de Barrows, Nathan reçoit une visite inattendue qui va bouleverser son existence. Trevor Waverling, un titan des premières heures du forage pétrolier, vient lui proposer un pacte des plus étranges…
    À Fort Worth, à trois jours de chevauchée au sud, Samantha décide que son destin se trouve sur les terres de Las Les Lomas, le ranch des Trois Collines, l’un des plus grands du Texas. La jeune fille entend aider son père adoptif à réaliser son rêve : devenir un titan de l’élevage texan. Mais malgré les secrets bien gardés, les routes de Nathan et Samantha sont appelées à se croiser… La vie réunira-telle les jumeaux séparés ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1880, au Texas, naissent des jumeaux, Samantha et Nathan, séparés à la naissance. L'un sera élevé dans sa famille et l'autre par des parents adoptifs. Mais l'année de leur vingtième anniversaire, tout change... Nathan est confronté à un choix qui l'éloigne de sa famille et va petit à petit le rapprocher de Samantha, héritière du ranch de Las Tres Lomas - le Ranch des Trois Collines. Les deux jeunes gens ne savent pas qui ils sont l'un pour l'autre jusqu'à ce que, progressivement, la vie et ses aléas leur révèlent la vérité sur leur naissance et leur filiation.
    Le Ranch des Trois Collines est une grande saga familiale et historique, qui se déroule dans les paysages spectaculaires du Texas de la fin du XIXème siècle. Comme La Plantation, le premier roman de Leila Meacham que j'ai lu l'année dernière, ce roman a un charme particulier, celui de ce Sud des États-Unis, encore sauvage et inexploré. Le Texas et ses grands espaces se prête parfaitement aux sagas pleines de souffle de Leila Meacham, qui magnifie la région d'où elle est originaire.
    Le Ranch des Trois Collines est aussi un grand roman d'amour...Amitié, amour, passion, liens filiaux s'y mélangent pour créer une intrigue touchante et intéressante. Prévisible, certes, car on se doute bien, dès le début, que le destin et le hasard vont se charger de réunir Nathan et Samantha mais cela n'enlève rien à l'intrigue. Au contraire, on a très envie de savoir comment les jumeaux vont se retrouver, dans quelles circonstances... Et en tant que lecteur, on a aussi envie que la vérité éclate enfin. Leila Meacham démontre bien que, si elle peut s'avérer douloureuse, elle est cependant et très souvent, salutaire. Nous assistons à toute la quête, à tous les questionnements par lesquels va passer Samantha, parce qu'elle est celle qui a été élevée loin de sa famille naturelle. Samantha est la personnification très juste de ces questions légitimes que se posent les enfants adoptés, de ce sentiment de déracinement qui est le leur tandis que ses parents et notamment son père, Neal, propriétaire du ranch de Las Tres Lomas, symbolisent la panique latente des parents d'enfants adoptés : la peur d'être un jour rejeté au profit des liens du sang, la terreur de se voir abandonné par l'enfant qu'on a tant aimé et auquel on a tout donné. Voilà pourquoi Le Ranch des Trois Collines est aussi un roman d'amour : c'est un hommage à l'amour qui peut unir une famille, à cet amour filial plus fort que tout et qui ne tient pas compte de la biologie mais est infiniment plus immanent.
    J'ai retrouvé dans ce roman tout ce que j'avais aimé dans La Plantation, même si je n'ai pas ressenti de coup de cœur cette fois, notamment à cause de longueurs en milieu de roman qui m'ont pendant un temps -très court cependant- un peu ennuyée. J'adore ces grandes sagas familiales qui nous permettent de suivre des personnages sur plusieurs années, de les voir dans leurs développements, leurs évolutions. Quand ceux-ci sont attachants c'est encore mieux et justement Leila Meacham est très douée pour faire naître des personnages qui captent vite l'intérêt du lecteur. En tous cas, pour moi, ça a pris très vite. J'ai bien sur beaucoup aimé le duo au centre de l'intrigue, Samantha et Nathan, avec peut-être une légère préférence pour la première parce qu'elle est une femme et qu'il est bien sûr plus facile pour moi de m'identifier à un personnage féminin...Mais tous les autres à leur manière sont dignes d'intérêt et très bien travaillés. On sent que l'auteure n'en a laissé aucun sur la touche, comme elle ne laisse rien au hasard dans son intrigue, qui est de qualité. Les circonvolutions qui amènent Nathan et Samantha à se retrouver après vingt ans de séparation peuvent effectivement apparaître comme téléphonés mais je crois qu'il faut les prendre seulement comme un coup de pouce du destin. Ça existe parfois, même s'il est bien sûr plus facile de manipuler celui-ci dans un roman et l'amener où on veut qu'il aille !
    Le Ranch des Trois Collines est un roman très dynamique, qui n'ennuie pas. Mon intérêt est peut-être légèrement retombé lorsque j'ai ressenti quelques longueurs en milieu d'intrigue mais à part ça, j'ai toujours été captivée, j'ai toujours eu envie de découvrir ce qui allait se passer par la suite ! Il y'a toujours un petit quelque chose qui donne envie de tourner la page et de découvrir la suivante !
    Ce livre n'a absolument pas déçu mes attentes. J'ai mis du temps à le lire, pour tout un tas de raisons. Je suis contente d'en être venue à bout parce que j'avais tellement envie de connaître la fin. Je ne m'attendais pas à tout et j'ai parfois été surprise. Si la réunion de Samantha et Nathan était effectivement logique et prévisible, certains autres rebondissements eux, ne l'étaient pas et m'ont fait ouvrir de grands yeux. J'aime ses romans qui nous font passer par toute une gamme de sentiments et d'émotions. En cela, je n'ai pas été déçue et je referme ce roman un brin nostalgique, ce qui est un bon signe. Mon dernier mot ? Je vous le recommande, évidemment ! 

    En Bref : 

    Les + : une belle saga familiale, aboutie et maîtrisée, sur fond de conquête du Texas et exploitation pétrolière balbutiante, un roman historique intéressant et des personnages attachants. 
    Les - : quelques coquilles, c'est un peu dommage, mais pas grave en soi. 

     

     

     


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