• « Dans une gorge des montagnes qui s'élèvent au milieu des plaines fertiles du Lothian oriental, existait autrefois un château considérable dont on n'aperçoit plus aujourd'hui que les ruines. Ses anciens propriétaires étaient une race de barons puissants, nommés Ravenswood, nom qui était aussi celui du château. »

    La Fiancée de Lammermoor ; Walter Scott

    Publié en 2018

    Date de publication originale : 1819

    Date de publication originale en France : 1819

    Titre original : The Bride of Lammermoor

    Editions Archipoche

    408 pages

    Résumé :

    Sur la tombe de son père, l'impétueux Edgar Ravenswood a promis de venger son clan, dépossédé de son château et de ses terres par le Garde des Sceaux d'Ecosse, sir William Ashton. Sur le point de châtier l'usurpateur, il tombe sous le charme d'une pure jeune femme aux tresses d'or. Il ignore que Lucie n'est autre que sa fille...

    Prudent et craintif, sir Willim encourage leur amour, pourvu que retombe la colère de son jeune rival. Guidé par l'intérêt politique, il multiplie les gestes de concorde. Mais l'irascible lady Ashton, au contraire, est décidée à empêcher cette union. Elle envoie auprès de Lucie une guérisseuse, chargée de lui conter de vieilles légendes et de sinistres prophéties concernant la famille Ravenswood. La fiancée de Lammermoor, douce et influençable, y perd peu à peu la santé et la raison. Hélas, le contrat de mariage est déjà signé...

    Dans le décor sauvage des Highlands, au début du XVIIIème siècle, le plus shakespearien des romans de Walter Scott mêle la tragédie romantique aux croyances populaires de l'ancienne Ecosse. Parue en 1819, cette histoire d'amour et de mort inspira à Donizetti l'un de ses plus célèbres opéras.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    La Fiancée de Lammermoor est mon premier Walter Scott et j'en profite d'ailleurs pour remercier les éditions de l'Archipel pour cet envoi !
    J'avais au départ prévu de découvrir Walter Scott au travers de son roman le plus connu, le fameux Ivanohé, qui mêle roman historique, Moyen Âge et littérature classique... Et qui a donc tout pour me plaire !
    Finalement, le hasard a voulu que ce soit avec celui-ci que je découvre la plume et l'univers de l'auteur...
    Nous sommes donc en Écosse au début du XVIIIème siècle, une Écosse déchirée entre les partisans des Stuarts et les tenants du pouvoir en place. Edgar de Ravenswood, dépouillé de ses terres familiales par le lord Garde des Sceaux, William Ashton, a juré de se venger de l'affront qui lui a été fait et de la mort de son père, causée par le chagrin d'avoir tout perdu.
    Dans les grandioses et sauvages paysages de l’Écosse du début du XVIIIème siècle se noue alors un vrai drame passionnel et familial, digne des plus grandes œuvres de Shakespeare. Car l'amour, dans ce roman, loin de combler les cœurs, les brise et de ce, de façon irrémédiable. Il y'a effectivement un soupçon de Roméo et de Juliette dans nos deux personnages, Edgar Ravenswood et Lucie Ashton, que l'amour jette au bas du précipice. Il y'a aussi un fond de vrai puisque c'est dans l'histoire, authentique, de la famille Stair que Walter Scott a puisé l'inspiration de son roman : la jeune Lucie du roman s'appelait en réalité Janet Dalrymple et elle était la fille du vicomte de Stair. Elle se serait fiancée, à l'insu de ses parents, à un certain lord Rutherford, que la famille n'agréait point. Le vicomte de Stair et son épouse, Margaret Ross, qui deviennent dans le roman lord et lady Ashton, auraient alors poussé leur fille dans les bras d'un autre prétendant, qui leur convenait mieux : David Dunbar de Baldoon. Le mariage eut lieu, lord Rutherford étant débouté car, malgré le serment échangé avec Janet, les parents de la jeune fille firent valoir que leur consentement avait force de loi. Le serment était donc nul et non avenu puisqu'ils n'étaient pas d'accord. Le soir des noces, on trouva Baldoon blessé dans la chambre nuptiale et la pauvre Janet Dalrymple qui avait perdu la raison. On dit que c'est le premier prétendant qui avait blessé le mari sous les yeux de la jeune mariée qui en était devenue folle.. Les documents nous disent que lord Baldoon survécut à cet attentat. En revanche, Janet mourut une quinzaine de jours après ses noces, le 12 septembre 1669.
    En changeant les noms et l'époque, c'est finalement, dans les grandes lignes, cette tragédie familiale que reprend Walter Scott dans La Fiancée de Lammermoor. Nous ne sommes plus au XVIIème siècle mais au début du XVIIIème, sous le règne de la reine Anne, sans que la date, cependant, ne soit réellement précisée. Janet ne s'appelle plus Janet mais Lucy...quant à lord Rutherford, il devient le fameux maître de Ravenswood, jeune homme étrange mais fascinant, sur lequel les griffes de la malédiction et de la fatalité semblent se refermer sans qu'il puisse rien y faire.
    La Fiancée de Lammermoor est un roman historique extrêmement riche et dense, servi par une langue d'une grande finesse et d'une grande qualité. Malheureusement, le début est très laborieux et si j'ai réussi à sentir poindre un intérêt sincère dans la deuxième partie du roman, j'avoue que les premiers chapitres m'ont vraiment plombée ! Et pourtant, tout le brio d'un auteur de talent comme Scott transparaît dans ce roman ! S'il y'a bien une chose dont il n'est pas dénué, c'est bien le talent ! Entre drame et comédie, entre accents shakespeariens et humour, Walter Scott nous livre un roman très abouti et qui se termine en apothéose. Seulement voilà, le début est assez ardu et on peine parfois à comprendre où l'auteur veut en venir et veut nous emmener... Ce n'est pas inintéressant, mais, malheureusement, ça n'est pas captivant non plus.
    J'ai assurément préféré la deuxième partie, qui se déroule finalement aussi vite que la première partie met de temps pour décoller ! Un peu comme un écheveau très emmêlé que l'on parvient à dénouer d'un coup ! La fin est finalement aussi abrupte que le début est lent et laborieux mais j'ai aimé la montée en puissance dramatique, avant qu'elle n'explose dans le marasme le plus complet, pour le plus grand malheur des deux héros, que rien ni personne ne sauvera : et on retrouve bien là ce fameux drame shakespearien, si présent dans Roméo et Juliette...
    Si j'ai cependant trouvé l'intrigue aboutie et maîtrisée, en un mot, de qualité, si je n'ai rien trouvé à redire également au style, malheureusement, il m'a manqué ce petit quelque chose pour me sentir happée dès le départ... Il m'a manqué ce petit truc qui nous fait tomber tête la première dans un livre ! L'impression de naviguer à vue dans les premiers chapitres y est pour beaucoup, assurément...
    Je ressors en fait de cette lecture ni complètement déçue, ni complètement satisfaite non plus... Cette première lecture me donne maintenant envie de lire Ivanohé et je pense que c'est bon signe... mais j'aurais aimé l'aimer encore plus ! J'aurais voulu que ce classique me séduise comme ils savent si bien le faire en général. C'est dommage mais je ne doute pas que ce roman pourra peut-être trouver son public. Et, si je n'en fais pas partie, je ne le déconseille pas pour autant...

    En Bref :

    Les + : une intrigue aboutie et maîtrisée, un style d'une grande finesse...
    Les - : un début très laborieux qui peine à captiver...on ne comprend pas où l'auteur veut en venir.


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  • « Comme l'amour est violent lorsqu'il assouvit sa vengeance !  »

    Le Temps de l'Amour ; Colleen McCullough

    Publié en 2003 en Australie et aux États-Unis ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Touch

    Editions de l'Archipel

    572 pages

    Résumé :

    Écosse, 1872. A 16 ans, Elizabeth n'a jamais quitté son petit village, sa famille nombreuse et son père autoritaire. Aussi sa vie est-elle bouleversée par la demande en mariage d'Alexander Kinross, un cousin parti faire fortune en Australie.

    Après une longue traversée, Elizabeth découvre un pays sauvage et un homme qui l'impressionne - mais dont elle pressent qu'elle ne l'aimera jamais.

    Par chance, il y'a la sulfureuse Ruby qui, malgré son amour pour Alexander, prend Elizabeth sous son aile...jusqu'au jour où celle-ci croise le chemin de Lee, le jeune fils de son amie...

    Avec le brio qu'on lui connaît, Colleen McCullough tisse un récit courant sur près d'un demi-siècle. Une saga nourrie de personnages hauts en couleur et de rebondissements : l'un des romans les plus marquants de l'auteure des Oiseaux se cachent pour mourir.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    C'est donc avec ce roman que j'ai découvert la plume de la célèbre auteure des Oiseaux se Cachent pour Mourir et Les Quatre Filles du Révérend Latimer...
    Je crois que Le Temps de l'Amour n'est pas son roman le plus connu mais lorsqu'il a été proposé en partenariat par les éditions de l'Archipel, j'ai tout de suite aimé le résumé : cette histoire qui nous emmène dans les grands et sauvages espaces de l'Australie du XIXème siècle avait tout pour me plaire !
    Nous sommes en Écosse, dans les années 1870. Elizabeth a grandi dans une société étriquée, marquée par la rigueur presbytérienne et l'autorité de son père. Aussi, lorsque son cousin Alexander, qui a fait fortune en Australie, la demande en mariage, c'est vers un monde nouveau et inconnu que la jeune fille se dirige... C'est un pays à l'autre bout du monde, inconnu, tellement différent et dépaysant que découvre Elizabeth, loin de son petit village écossais qu'elle n'avait jamais quitté... C'est aussi la vie conjugale qu'elle va expérimenter, sans en tirer aucune satisfaction... Mais en Australie, Elizabeth va aussi faire de belles rencontres...
    Le Temps de l'Amour est une grande fresque familiale, à la manière d'une Tamara McKinley ou une Sarah Lark ! Ou plutôt devrais-je dire que ce sont elles qui sont inspirées de la fougue et de la verve de Colleen McCullough, passée maître en sagas familiales et historiques, prenant comme cadre un pays qu'elle connaît bien, l'Australie ! Dans ce roman c'est l'Australie des pionniers qu'elle nous présente, au travers d'une grande saga qui court sur près de cinquante ans, un pays en plein essor à l'aube du XXème siècle et dont la ville de Kinross est le parfait exemple : au travers de l'expansion de cette cité minière et aurifère -je ne me suis pas renseignée plus que ça, mais il me semble que cette ville est fictive et personnifie toutes ces villes nouvelles qui à l'époque poussent comme des champignons-, non loin de Sydney, c'est finalement celle de ce grands pays-continent que nous raconte Colleen McCullough...
    Si je n'y ai pas tout aimé, loin s'en faut, j'ai trouvé que ce roman était réussi globalement et j'ai pris plaisir à le découvrir... Surtout, c'est une histoire extrêmement riche et dense que nous propose ici l'auteure, avec en toile de fond, un contexte historique vraiment intéressant... Ne connaissant pas vraiment l'histoire de l'Australie, j'ai finalement appris beaucoup de choses sur ce pays... Si l'histoire familiale des Kinross est évidemment au premier plan, j'ai cependant apprécié que l'auteure ne fasse pas de l'époque et de ses particularités qu'un prétexte et un fond flou et ténu... Au contraire, l'industrialisation galopante de l'Australie et même du monde entier, en cette seconde moitié du XIXème siècle est très bien décrite et on sent que l'auteure a fait de solides recherches. L'aspect scientifique est très présent dans le roman, notamment à travers le personnage d'Alexander, l'époux d'Elizabeth... Industriel de génie, ayant voyagé d'Europe en Amérique et d'Amérique en Australie et fait fortune dans l'exploitation de l'or, d'abord en Californie puis en Nouvelle Galles du Sud, c'est un personnage très charismatique et d'une grande intelligence... Un personnage très touchant aussi alors que je ne pensais pas que je pourrais m'attacher à lui ! Et au final, cet amour qu'il porte à son épouse mais aussi toute la passion qu'il met dans tout ce qu'il entreprend, la passion et le génie même, devrais-je dire, m'a plu. Je crois que je me suis même plus attachée à lui qu'à Elizabeth, parfois un peu trop distante pour susciter un sentiment chez le lecteur... Cela dit, j'ai trouvé que tous les personnages, tous autant qu'ils sont, étaient intéressants à leur manière : Alexander, Elizabeth, leurs filles, Ruby et son fils Lee, la communauté chinoise de Kinross, j'ai tous aimé les rencontrer ! Si tout, dans leur vie n'est pas forcément vraisemblable -je crois que je ne me ferais jamais aux enfants, dans les livres, qui parlent avec un style soutenu digne d'un prix Goncourt à deux ans à peine ! ! - j'ai navigué dans leur quotidien et je crois que chacun peut s'y retrouver : comme dans n'importe quel quotidien, les Kinross, leurs amis ou leurs employés connaissent des joies, des peines, des drames, des deuils, de l'amour, de la passion, de l'exaltation... Tout ce qui, au final, fait d'une simple saga familiale une bonne saga familiale !
    Si vous le voulez bien, j'aimerais maintenant revenir sur ce fameux contexte dont j'ai parlé un peu plus haut ! Je vous ai dit que j'avais été surprise de le trouver si présent et, effectivement, à la lecture du résumé, j'ai pensé que le roman serait plus centré sur Elizabeth et sa vie en Australie. Au final, l'intrigue va bien au-delà de ça, avec une trame scientifique, technique et industrielle qui est très présente et qui apporte sans aucun doute un plus au roman : en cette fin de XIXème siècle, la modernité fait un grand bon en avant ! Les mines tournent à plein régime, les villes se modernisent et deviennent plus propres, plus grandes, plus confortables, les maisons aussi qui se dotent de l'électricité et de l'eau courante.... Ce sont les débuts de l'automobile, du pétrole, un essor extrêmement important qui forge déjà, en son sein, notre époque contemporaine. Pour l'Australie, c'est aussi l'époque de la fédération, de la création du Commonwealth...
    Ce roman avait tout pour me plaire et effectivement, même si je n'ai parfois pas aimé les dialogues, qui ne m'ont pas spécialement plu et que je n'ai pas trouvé très spontanés et que j'ai par exemple trouvé que les personnages d'enfants étaient peut-être un peu trop matures pour être vraisemblables -surtout celui de Nell, en fait- dans l'ensemble, c'est toujours avec plaisir et intérêt que je reprenais ma lecture.
    Le Temps de l'Amour est un roman captivant ! Si vous aimez les grands espaces, alors vous allez voyager... Mais finalement, pas qu'en Australie puisque Colleen McCullough nous emmène en Asie, en Perse, en Amérique aussi ! Et enfin, si suivre une famille sur plusieurs décennies, la découvrir comme si vous en faisiez partie intégrante et partager leurs bons comme leurs mauvais moments, alors lancez-vous et vous ne serez pas déçu !
    Si je suis bien sûre d'une chose, en terminant cette lecture, c'est que j'ai très envie de lire les autres romans de Colleen McCullough maintenant ! 

    MERCI A MYLENE ET AUX EDITIONS DE L'ARCHIPEL POUR CET ENVOI !

    En Bref :

    Les + : l'intrigue, riche et dense, basée sur l'histoire privée d'une famille mais aussi sur la grande Histoire, si riche en cette fin de XIXème siècle... 
    Les - :
    pour moi, le gros point négatif de ce roman, c'est clairement les dialogues...

     

     


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  • « Hommes, est-ce ma faute si je vous ai vus tels que vous êtes? Est-ce ma faute si j'ai vu partout l'intérêt personnel se couvrir du manteau de l'intérêt social, l'indifférence se cacher derrière l'amitié et le dévouement, la méchanceté et l'envie de nuire se décorer du beau nom de la vertu et de la religion ? »

    La Voix Secrète ; Michaël Mention

    Publié en 2017

    Éditions 10/18 (collection Grands Détectives)

    231 pages

    Résumé :

    Durant l'hiver 1835, sous le règne de Louis-Philippe, la police enquête sur des meurtres d'enfants. Tous les indices orientent Allard, chef de la Sûreté, vers le célèbre poète et assassin Pierre-François Lacenaire. Incarcéré à la Conciergerie, ce dernier passe ses nuits à rédiger ses Mémoires en attendant la guillotine. Alors que les similitudes entre ces crimes et ceux commis par Lacenaire se confirment, Allard décide de le solliciter dans l'espoir de résoudre au plus vite cette enquête tortueuse. Entre le policier et le criminel s'instaure une relation ambiguë, faite de respect et de manipulation, qui les entraînera tous les deux dans les bas-fonds d'un Paris rongé par la misère et les attentats.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1835, Paris est endeuillée par des crimes horribles commis sur des enfants. La police est sur les dents, alors que la ville, bruyante et sale, est figée dans un hiver glacial. Le mode opératoire ramène les enquêteurs vers Pierre-François Lacenaire (1803-1836), incarcéré à la Conciergerie et attendant son tour pour l'échafaud. Poète dandy et assassin, gentleman cambrioleur à la Arsène Lupin, l'homme est une figure de la criminalité parisienne à cette époque et s'occupe, en sa cellule, à écrire ses Mémoires. Tout porte à croire qu'un admirateur, dans la nature, copie ses crimes et sème ses petites victimes partout dans Paris, suscitant la panique et la psychose. Allard, chef de la Sûreté et son adjoint, Canler, se jettent dans la mêlée, bien décidés à lever enfin le voile sur ces meurtres en série, tous plus horribles les uns que les autres...
    En se basant non seulement sur des personnages historiques authentiques mais aussi sur un contexte exhaustif, Michaël Mention nous livre là un roman, certes court mais tellement intense ! Il nous entraîne dans une ambiance glauque, poisseuse et tortueuse et ne nous lâche plus ! Quelle fougue, quel talent ! ! Finalement, plus qu'un vrai roman policier, j'ai plus eu l'impression de lire un roman purement historique, dense et riche, où l'enquête policière passe au second plan : du moins, est-ce ainsi que je l'ai ressenti, lors de cette lecture. Même si on baigne dans le crime le plus sordide du début jusqu'à la fin, ce qui m'a surtout sidérée, c'est ce que l'auteur fait de son contexte. Nous sommes sous le règne de Louis-Philippe, un règne instable, qui a commencé sous les bons auspices des Trois-Glorieuses avant de basculer ; le roi des Français est victime d'attentats récurrents des Républicains, qui endeuillent la capitale. Et surtout, ce règne bourgeois dont on a tant attendu, après celui, rigoureux et rétrograde, de Charles X, tend à se durcir de plus en plus, entre répressions de plus en plus féroces et censure de la presse... C'est donc dans un contexte politique tendu que surviennent ces meurtres affreux, d'autant plus sordides qu'ils touchent des enfants. En ce qui concerne ceux-ci, rien ne nous permet d'affirmer qu'un tueur en série a sévi à Paris entre décembre 1835 et janvier 1836 mais j'ai trouvé l'idée habile.
    Mais là où réside certainement tout le talent de l'auteur, c'est de s'être aussi bien approprié l'époque, pour donner naissance à un roman naturaliste aux accents zoliens, qui n'a rien à envier aux plus grands romans du Grand Émile : il y'a du Germinal, de L'Assommoir, de La Bête Humaine dans La Voix Secrète ! Franchement... Dans une ville sale et pourrissant dans ses rues médiévales, qui craque de partout sous l'effet d'une modernité galopante, dans une capitale populaire et populeuse, où la pauvreté et la misère sont endémiques et donc, de fait, la violence, la police a fort à faire, surtout quand elle tombe sur plus fort qu'elle, comme avec Lacenaire, homme instruit et talentueux, mais aussi criminel notoire.
    La prouesse de Michaël Mention, c'est vrai d'avoir rassemblé entre ses mains une époque, au point de la maîtriser complètement, de son contexte politique jusqu'au plus trivial de ses quartiers, de son langage le plus châtié au plus populaire, du plus beau au plus dégueulasse : il en a fait une boule, comme de la pâte à modeler, qu'il a ensuite étirée à loisir ! Ils sont rares les auteurs qui finissent par connaître aussi bien leur objet d'études et c'est vraiment ce qui m'a le plus plu dans ce roman. Loin de se servir de son contexte comme d'un prétexte, l'auteur en a fait un personnage à part entière de son intrigue et il est vrai que c'est une période passionnante que l'auteur a choisie ici, une période paradoxale aussi et une période charnière, entre ère moderne et ère contemporaine, une période où l'industrialisation, en France, prend de plus en plus d'essor, où ont lieu les premières revendications salariales et où les premiers syndicats font leur apparition, une période aussi à la police, de plus en plus, se fait scientifique et où la médecine devient légale...
    Enfin, l'autre gros, gros point fort de La Voix Secrète, au-delà de la grande maîtrise de l'auteur, au-delà même du fait qu'il est parfaitement abouti, c'est le style. Une intrigue peut être très bonne mais desservie par un style inégal. Rien de tout ça ici et s'il y'a bien une chose que j'aime, c'est être séduite par une plume que je découvre pour la première fois. Michaël Mention a une plume fine, ciselée et, en même temps, brute de décoffrage et percutante et je crois qu'elle participe pleinement aussi à nous plonger dans ce sombre Paris des années 1830, des rues enneigées jusqu'aux allées des Halles, en passant par les pavés ensanglantés des abattoirs... S'il y'a bien une chose dont on ne peut taxer l'auteur, c'est d'un manque de talent. Et le roman, pourtant, est court ! Malgré tout, c'est en quelques pages seulement qu'on se fait une idée et, en ce qui me concerne, ça a pris tout de suite et je ne crois pas exagérer en disant que ce roman, réellement, m'a mis une claque ! Il m'a retournée, il m'a révulsée parfois, il m'a dégoûtée et si La Voix Secrète avait été un film, j'aurais peut-être parfois détourné le regard... Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de tourner les pages et, une fois que j'ai eu ouvert ce roman, il a été difficile pour moi de le refermer. Ce XIXème siècle gangréné par la criminalité, par la corruption, par la pauvreté est une époque encore suffisamment proche de nous pour nous faire réfléchir, tant sur les hommes que sur la politique... J'ai aimé aussi que l'auteur nous emmène à la découverte de personnages historiques authentiques, à commencer par Lacenaire, qui fait partie de ces personnages qui, malgré les crimes qu'ils ont pu commettre, sont aussi habités d'une aura qui fascine... J'ai aimé Allard et Canler, les deux flics, différents, qui exercent aussi leur métier différemment et le conçoivent aussi différemment, pour tout un tas de raisons personnelles... Allard et Canler ont tous deux existé, eux aussi... Dans ce roman, Michaël Mention leur redonne une voix et nous les fait découvrir.
    Court, mais dense, La Voix Secrète est un très bon roman, je ne peux rien dire de plus. Si je le conseille ? Bien sûr ! Et plutôt deux fois qu'une d'ailleurs, autant aux amoureux des romans historiques purs et simples, qu'aux enquêteurs dans l'âme. Si vous aimez le XIXème et ses romans naturalistes, vous ne serez sûrement pas déçus par celui-ci, qui n'a rien à leur envier.

    En Bref :

    Les + : l'intrigue, entre enquête policière et parfait portrait sociétal et historique ; le style, également, sans aucun doute !
    Les - : Aucun. Ce roman est parfaitement abouti.


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  • « Cette nuit, je rêverai de Tyneford House. Dans mon sommeil, je verrai le manoir tel qu'il était en ce premier été. Les églantines autour de la porte de service. Le cheval dans la cour qui grince des dents. L'odeur du magnolia et des embruns. Alors je me réveillerai à l'intérieur de mon rêve. [..] J'ai un goût salé sur la langue. Un goût de larmes et de longue traversée. »

    Le Manoir de Tyneford ; Natasha Solomons

    Publié en 2011 en Angleterre ; en 2014 en France (pour la présente édition)

    Titre original : A Novel in Viola

    Editions Le Livre de Poche

    518 pages

    Résumé :

    Au printemps 1938, l'Autriche n'est plus un havre de paix pour les juifs. Elise Landau, jeune fille de la bonne société viennoise, est contrainte à l'exil. Tandis que sa famille attend un visa pour l'Amérique, elle devient domestique à Tyneford, une grande propriété du Dorset. C'est elle désormais qui polit l'argenterie et sert à table. Au début, elle se fait discrète, dissimule les perles de sa mère sous son uniforme, tait l'humiliation du racisme, du déclassement, l'inquiétude pour les siens, et ne parle pas du manuscrit que son père, écrivain de renom, a caché dans son alto. Peu à peu, Elise s'attache aux lieux, s'ouvre aux autres, se fait aimer...Mais la guerre gronde et le monde change. Elise aussi doit changer. C'est à Tyneford pourtant qu'elle apprendra qu'on peut vivre plus d'une vie et aimer plus d'une fois.
    Par l'auteur du délicieux Jack Rosenblum rêve en anglais.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1938, la jeune Elise doit quitter sa ville natale de Vienne pour l'Angleterre... Elle est la fille d'un auteur renommé et d'une célèbre cantatrice mais cette notoriété ne sert à rien... Dans la Vienne de la fin des années 1930, les Landau sont des indésirables pour le régime... En d'autres termes, des Juifs. Et leur vie en est menacée, au point que Julian et Anna, les parents, décident d'envoyer leurs filles en sécurité : Margot, l'aînée, ira aux États-Unis avec son époux tandis que la jeune Elise doit traverser la Manche pour se placer dans comme domestique dans une grande maison du Dorset, Tyneford House. Au service de Mr. Rivers, la jeune femme va découvrir une vie radicalement éloignée de ce qu'elle connaissait jusque là mais elle va finir, malgré la méfiance et le racisme, dans le contexte pas facile de la Seconde guerre mondiale, à s'y faire une place... pourtant, Elise va à l'encontre de bien des difficultés malgré la stabilité qu'elle a pu trouver en son nouveau foyer. Des difficultés qui la feront grandir et évoluer et lui permettront aussi, d'une certaine manière, de faire le deuil de ce qu'elle a perdu pour toujours et ne retrouvera plus...
    Le Manoir de Tyneford fait partie de ces romans au style tout en finesse et qu'on lit la gorge serrée, étreint par une multitude d'émotions que la plume subtile de l'auteur parvient à transmettre par des mots sur le papier. Je ne connaissais pas Natasha Solomons et je dois dire qu'elle a une très belle écriture ! Cette histoire, qui aurait pu en être une énième sur la guerre, donc du vu et revu n'en est finalement pas parce que l'auteure en a fait quelque chose de personnel et de très beau, avec la musique en trame de fond, la musique comme un palliatif à la guerre et à sa barbarie... Le Manoir de Tyneford est un drame, un roman empli de tristesse et de mélancolie mais aussi quelque part porteur de beaucoup d'espoir... Étrangement, ce roman m'a finalement émue le plus quand la lueur est enfin perceptible au bout du tunnel, après le marasme des années 1940... Les réunions et les retrouvailles m'ont plus touchée que les séparations... Finalement, le livre illustre bien que, dans tout drame un jour il y'a une renaissance.
    J'ai beaucoup aimé que l'auteure s'inspire de deux histoires vraies pour bâtir son roman : celle d'une parente autrichienne, qui a inspiré le personnage d'Elise et quitta son pays pour devenir aide maternelle en Angleterre, pendant la guerre ; et celle d'un village du Dorset, Tyneham, village réquisitionné en 1943 par l'armée et qui ne fut jamais rendu à la vie civile. Aujourd'hui c'est un village fantôme, figé dans le temps et ouvert au public quelques mois par an. Son manoir élisabéthain a été en partie démoli dans les années 1960... C'est lui qui a inspiré Tyneford à Natasha Solomons.
    Maintenant, j'aimerais vous parler du personnage d'Elise, au centre de ce récit... Elise qui, au début du roman, est une jeune Viennoise comme les autres, une jeune femme de dix-neuf ans issue cependant d'une classe aisée et qui n'a jamais connu de difficultés...Entourée d'une soeur et de parents aimants, elle a finalement une vie confortable et par beaucoup d'aspects, enviable. Mais tout est en train de changer, puisque, avec les lois anti-juives, Vienne, la somptueuse capitale des Habsbourg est en train de devenir une ville sombre et paranoïaque, une ville de pogroms et d'autodafés, où les devantures des commerces juifs sont brisées. L'Autriche, en 1938, est devenue un satellite du Reich où sa forte population juive n'est plus en sécurité... Certains comme Elise sont parvenus à s'échapper... Beaucoup connaîtront l'enfer des camps de concentration...
    Je me suis attachée à Elise dès le début, même si c'est encore une enfant un peu capricieuse dans les premiers chapitres. On perçoit cependant tout le désarroi d'une jeune fille qui doit quitter tout ce qu'elle a toujours connu puis qui découvre un pays étranger, une langue et un mode de vie qui le sont tout autant... En Angleterre, Elise rétrograde d'un rang : alors qu'à Vienne elle était servie, voilà qu'à son tour elle devient domestique... J'ai essayé de me mettre à sa place et de comprendre ce qu'elle peut ressentir : l'humiliation due à la condescendance de ceux qu'elle sert, la nostalgie de son univers familier, le manque de ses parents, l'incertitude et l'angoisse quant à leur situation périlleuse en Autriche, l'attente toujours, l'espoir de les revoir, en Angleterre ou en Amérique... J'ai trouvé Elise touchante et fragile mais aussi très courageuse... Elle symbolise bien toutes ces personnes dont l'existence a été bouleversée à jamais par cette guerre : la séparation d'avec les siens, des vies brisées à jamais, des lieux quittés sans espoir de retour, des frères et soeurs qui se retrouvent des années plus tard sans se reconnaître, l'enfer de la déportation et de la Shoah...

    Les ruines du village de Tyneham, dans le Dorset, qui ont inspiré Tyneford à Natasha Solomons


    Elise échoue dans un monde en perdition lui aussi, celui de ces grands domaines anglais dont les rouages parfaitement huilés ont commencé à s'enrayer après 14-18... Un monde où malgré la guerre, malgré le manque d'argent, le majordome continue de servir à table en gants blancs et à soigneusement repasser chaque matin le journal du maître de maison. C'est une époque de profonds bouleversements que décrit l'auteure ici, une époque charnière entre le premier XXème siècle et le deuxième... La Seconde guerre mondiale est un tournant, un moment où le monde évolue du tout au tout, comme les êtres et sonne le glas d'une ère bientôt révolue...
    Voilà un roman comme je les aime... Le Manoir de Tyneford est une caresse mais aussi une gifle... C'est un roman qui nous fait sourire et qui nous fait pleurer... C'est un roman qui nous fait nous sentir vivant, car la vie, souvent, est plus forte que tout.
    Dernièrement, j'avais beaucoup aimé la vision froide, noire et torturée de la Seconde guerre mondiale et de son immédiat après de Sébastien Spitzer dans Ces rêves qu'on piétine... Un livre choc et coup de poing qui laisse tout, sauf indifférent.
    Je me suis rendu compte que chaque auteur a une vision personnelle et une manière bien à lui d'aborder cette période qui fait partie de notre Histoire commune même si on est né bien après... Natasha Solomons instille dans son roman la nostalgie et la tristesse de ceux qui sont partis et ont été obligés de se reconstruire ailleurs... Sans violence, elle nous livre ici un récit en forme de devoir de mémoire... Un livre qui nous murmure à l'oreille combien se souvenir est important, malgré le temps qui passe. Aujourd'hui encore en 2018, des êtres et des pays portent encore les stigmates de ce traumatisme quasi universel. Elise n'a peut-être pas existé, Tyneford non plus... Mais Gabi Landau et Tyneham, oui et c'est un très bel hommage que leur rend l'auteure.
    Le Manoir de Tyneford est clairement une de mes meilleures découvertes de l'année et j'en ressors avec les larmes qui ne sont pas loin...
    Une lecture formidable... Oui, formidable : quand on aime, n'ayons pas peur des mots. 

    En Bref :

    Les + : une histoire subtile et tout en finesse, émouvante, touchante et dramatique ; le style de l'auteure est aussi, clairement, d'une grande qualité !
    Les - : la seule déception que j'aie pu ressentir et encore, je ne sais pas si on peut réellement parler de déception, c'est à propos de ce fameux roman dans l'alto, qui donne même son nom original au roman... Le dénouement le concernant est certes surprenant mais aussi légèrement décevant, je ne m'attendais pas à ça... Ce n'est cependant qu'un minuscule bémol.


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  • Le Club de Lecture du Salon : Compte-rendu de la deuxième lecture (-août 2018)

    Avec beaucoup de retard, je reviens enfin par ici pour le bilan de notre lecture commune autour du roman La Mer en Hiver, de Susanna Kearsley... L'été a filé, j'ai eu beaucoup d'autres choses à faire et surtout une longue panne internet qui m'a un peu coincée mais me voilà donc avec ce compte-rendu de la deuxième session du Club Lecture du Salon.

    Le Club Lecture du Salon : Compte-rendu #2

    Publié en 2008 au Canada sous le titre The Winter Sea, c'est Charleston, en France, qui publie la première fois en France. L'intrigue se déroule entre le XVIIIème siècle et notre époque, en Écosse. Le résumé et peut-être aussi la jolie couverture ont su attirer des lectrices curieuses qui ont ainsi partagé cette lecture avec moi...

    Dans l'ensemble, ce roman a su convaincre les lectrices, même si certaines ont soulevé quelques petits bémols... Moi-même j'avoue avoir été parfois un peu déroutée par certains choix de l'auteure même si globalement, c'est un bon roman, avec une trame historique solide. Aucune d'entre nous ne connaissait Susanna Kearsley avant cette lecture, ce fut donc une complète découverte, souvent motivée par les avis des copinautes.

    Justement, qu'en est-il de cette trame ? Nous la connaissions toutes plus ou moins et nous sommes toutes tombées d'accord : ce roman est un bon moyen de s'y replonger et, effectivement, on apprend beaucoup sur les premiers soulèvements jacobites, dans les années 1700-1710.

    La Mer en Hiver, c'est aussi une romance ou je devrais même dire, deux romances... En général, c'est celle de Sophia, au XVIIIème siècle, qui a le plus plu. Pour les personnages, c'est un peu pareil, en général, les lectrices ont préféré Sophia à Carrie... Pour ma part, je crois que je les ai aimées toutes les deux. Carrie est aussi attachante et a beaucoup de qualités, j'ai réussi à m'identifier à elle.

    Enfin, l'autre gros point fort de ce roman, c'est l'Ecosse bien sûr, avec ses étendues sauvages et magnifiques... Nous avons toutes réussi à nous laisser porter même si certaines, parfois, on trouvé le début de l'intrigue un peu plat et ont du mal à entrer dans l'ambiance du roman.

    Finalement, malgré quelques petits points négatifs qui nous ont fait légèrement tiquer, nous sommes toutes ressorties de cette lecture avec un avis globalement assez bon ! Certaines ont plus aimé que d'autres et, en ce qui me concerne, le positif a fini par l'emporter sur le négatif...

    Elles sont parties en Ecosse avec moi :

    Mypianocanta

    MrsTurner

    June - Histoire de plumes

    Les chroniques :

    Mypianocanta

     


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