• « Il n'y a ni honte ni crime en amour, sauf quand on le sacrifie, y compris pour les bonnes causes. »

    Ce que le Jour doit à la Nuit ; Yasmina Khadra

     

    Publié en 2014

    Editions Pocket 

    441 pages 

    Résumé : 

    Algérie, années 1930. Les champs de blé frissonnent. Dans trois jours, les moissons, le salut. Mais une triste nuit vient consumer l'espoir. Le feu. Les cendres. Pour la première fois, le jeune Younes voit pleurer son père. 
    Confier à un oncle pharmacien, dans un village de l'Oranais, le jeune garçon s'intègre à la communauté pied-noire. Noue des amitiés indissolubles. Et le bonheur s'appelle Emilie, une princesse que les jeunes gens se disputent. Alors que l'Algérie coloniale vit ses derniers feux, dans un déchaînement de violences et de trahisons, les ententes se disloquent. Femme ou pays, l'homme ne peut jamais oublier un amour d'enfance...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Ce que le Jour doit à la Nuit est mon premier Khadra et ce fut, je dois bien l'avouer, une très forte expérience littéraire.
    Comment, quand on termine un roman comme celui-là, parvenir à y poser ses propres mots, sans avoir l'impression de commettre un blasphème ?
    Comment retranscrire le plus fidèlement possible les différents sentiments qui déferlent en flots et en ondes de choc tout au long de cette lecture ? Le roman n'est pas très long : un peu plus de quatre cents pages et pourtant, il est d'une puissance certaine et rare.
    C'est la première fois que je lis un roman sur la guerre d'Algérie. Je dois avouer que l'Histoire contemporaine après 1945 ne me passionne pas et surtout, l'omerta soigneuse que l'opinion française et ses politiques se plaisent à respecter quand il s'agit de cette guerre me déplaît profondément, à tel point que je n'ai pas forcément lu ni cherché à me renseigner sur cette époque, par crainte d'être confrontée à des textes orientés, partiaux et c'est tout ce que je n'aime pas, parce que l'Histoire se doit d'être objective.
    La guerre d'Algérie est une plaie suppurante, près de soixante ans après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Pourquoi ? Pourquoi ne pas reconnaître fermement et une bonne fois pour toutes que la France a plus que sa part de responsabilité dans ce que certains se bornent à appeler encore pudiquement les événements d'Algérie, comme pour nier que ce fut une véritable guerre, laide et sale, et éprouvante, comme tout conflit ?
    Colonisée un peu plus de cent ans auparavant, sous Louis-Philippe, l'Algérie était devenue un satellite un peu particulier de la France, où des familles entières ont émigré, pour faire fructifier une terre, s'y construire une existence meilleure. Certains des exilés de 1962 n'avaient jamais rien connu d'autre de la France que l'Algérie. Aujourd'hui, soixante ans plus tard, il n'est pas question de nier leur véritable souffrance au moment du déracinement et de l'exil, parfois avec rien. Il n'est pas non plus question d'oublier que certains se sont conduits en colons de la pire espèce, en grands féodaux exploitant sans vergogne les populations locales, à peine mieux considérées que des esclaves. Il n'est pas non plus question de reconnaître comme illégitimes les désirs de liberté d'un peuple. Toute émancipation et toute révolution ne peut se faire sans morts et sans que le sang ne coule... Des innocents sont morts des deux côtés et des injustices ont été commises par les deux parties. Aujourd'hui nous sommes en 2019 et, plus nous avançons dans le temps et plus ce conflit s'ancre dans notre Histoire : c'est pour cette raison qu'il serait temps d'y réfléchir de manière sensée en laissant de côté les sentiments susceptibles de nous parasiter.
    Et c'est justement ce que fait Khadra dans ce roman. Il est plein de sentiments ce roman, mais il ne juge pas et il ne prend pas parti.

    Image associée

    Nora Arnezeder et Fu'ad Aït Aattou interprètent Emilie et Younes dans le film d'Alexandre Arcady (2012)


    Des années 1930 jusqu'aux derniers soubresauts qui aboutissent à l'indépendance de l'Algérie, on suit Younes, né algérien mais élevé par son oncle et sa tante comme un pied-noir et qui se trouvera écartelé, au moment du conflit, entre, d'une côté, le milieu où il a été élevé et la fidélité à ses valeurs et, de l'autre, sa naissance qui, pour certains, le place immédiatement dans le camp des indépendantistes.
    Younes a une dizaine d'années quand ses parents, des paysans modestes, perdent tout en l'espace d'une nuit. Issa, son père, décide alors de tout laisser derrière lui et prenant femme et enfants, il va s'installer à Oran où la famille connaîtra la misère et le dénuement. Confié à son oncle Mahi, pharmacien ayant épousé une Française, Younes sera choyé par ce couple dont le malheur a été de ne pas avoir d'enfants. Il va grandir dans une bulle de chaleur, entouré, son oncle et sa tante vont lui offrir un avenir mais parfois, cette bulle éclatera devant les mots sans pitié de certains, devant les préjugés desquels découlent une haine aveugle et le racisme que ceux qui en sont l'objet ne comprennent pas.
    Après quelques années passées à Oran, Younes déménage dans un village au milieu des vignes, un village de pied-noirs d'origine espagnole, où il va, adolescent, expérimenter ses premiers émois amoureux et se lier d'amitié avec des fils de colons, Jean-Christophe, Simon et Fabrice. Et puis il y'aura Émilie, la belle Émilie qui sera le grand amour de sa vie, un amour distant et qui ne grandira jamais. Un immense gâchis qui empoisonne la vie jusqu'à la fin en laissant dans la gorge un désagréable arrière goût de frustration.
    Grande fresque historique et dépaysante, Ce que le Jour doit à la Nuit est aussi un très beau roman extrêmement poignant que j'ai lu souvent la gorge serrée et les larmes au bord des yeux. Les derniers chapitres les ont fait couler à flots et ce livre m'a fait pleurer comme, je crois, jamais un livre ne l'avait fait avant, avec autant de force. Les mots de Khadra m'ont remuée parce qu'ils m'ont parlé, parce qu'ils m'ont évoqué quelque chose et parce qu'ils l'ont fait avec pudeur et sans tapage. Les mots de l'auteur sont d'une force phénoménale et c'est, je pense, ce qui m'a permis de m'immerger aussi facilement et aussi pleinement dans ce récit. Ils sont concrets et tangibles et j'ai trouvé que Khadra, que je ne connaissais pas, écrivait formidablement bien. Quelle force et quel talent il a pour parler si bien de sentiments et pour décrire cette époque si complexe qui voit se forger dans le sang et dans les larmes l'identité d'un pays.
    Raconté par un Younes âgé et qui se retourne avec nostalgie, bonheur et parfois chagrin, sur son passé, Ce que le jour doit à la nuit ressemble à une longue confession, le besoin d'un homme de partager ce qu'il a vu. Pas manichéen pour deux sous, ce roman au contraire nous offre une vision nuancée et nous pousse nous aussi à revoir nos positions. Sans cautionner la colonisation, on s'émeut devant ces flopées de familles poussées à l'exil, attendant les bateaux sur les jetées d'Oran. On se révolte aussi devant les assassinats gratuits et les brimades des colons envers les Algériens où leurs propos condescendants.
    Puis on se prend aussi d'amitié pour Younes et Émilie, on découvre les émois de deux jeunes gens dans une époque troublée, leur apprentissage de la vie qui n'est pas évidente et bien souvent amère.
    Ce fut une lecture éprouvante qui m'a beaucoup émue et beaucoup remuée. Je me suis sentie touchée comme rarement je l'ai été, comme si ce roman soulevait quelque chose en moi et faisait vibrer une corde sensible.
    Je ne sais pas si vous avez entendu parlé de cette histoire de plagiat : peu de temps après la sortie de ce roman, Khadra a été accusé d'avoir plagié un autre livre, qui mettait en scène deux jeunes gens en pleine guerre d'Algérie, séparés par leurs origines (Les amants de Padovani, de Youcef Dris). Certes, on peut voir un point de départ assez similaire effectivement mais dans ce cas - là, pourquoi ne pas dire que Ce que le jour doit à la nuit est une copie d'Autant en emporte le vent ? Après tout, c'est un peu la même chose, non ? Dans ce cas, tous les romans sur la Seconde guerre mondiale qui mettent en scène un couple franco allemand sont des plagiats les uns des autres ? Personnellement, j'ai préféré me concentrer sur les qualités littéraires de ce récit, sur sa beauté toute en pudeur et en subtilité. Pourquoi ne pas se contenter seulement d'en profiter quand on l'a sous les yeux ? Pourquoi ne pas seulement se dire qu'on vit un moment de bonheur suspendu, de temps interrompu, si rare mais si important dans une vie de lecteur ?
    Se faire un avis est essentiel. Je me suis fait le mien en passant outre les voix discordantes et je ne le regrette pas. En terminant ce roman, j'ai l'impression de descendre d'un train en marche, de revenir brutalement à la réalité mais aussi avec le sentiment, assez parfait, d'avoir découvert quelque chose d'immensément parlant, d'immensément talentueux, poignant et beau. Je ne demandais rien de plus.

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    En Bref :

    Les + : une superbe histoire, dans un pays déchiré, comme son personnage principal, entre des valeurs opposées et qui luttent. Un véritable drame qui prend corps dans une fresque historique de toute beauté. 
    Les - :
    Aucun !

     


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  • « De l'épouse d'un simple sergent devenu général, il avait fait une duchesse, et peu s'en fallut qu'elle ne devînt reine du Portugal, et aussi l'une des femmes les plus brillantes, une étoile de sa cour. »

    La Petite Peste et le Chat Botté ; Juliette Benzoni

     

    Publié en 2018

    Editions Pocket 

    410 pages 

    Résumé :

    La « Petite Peste », c'est elle : Laure Junot, duchesse d'Abrantès et femme de général, grande figure du Paris impérial. Le « Chat Botté », c'est Bonaparte, ainsi surnommé par elle lorsque, frais émoulu de l'école militaire, il lui parut bien trop maigre pour ses grandes bottes. 
    Ces deux-là se connaissent depuis longtemps. La gloire les a portés, l'un et l'autre, aux sommets. Il n'est pas jusqu'à leurs peines de coeur qui ne soient liées, d'une manière ou d'une autre. Et qui décident, entre alcôves de palais et arcanes du pouvoir, du destin de l'Empire...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1807, Laure Junot est l'une des étoiles montantes du tout jeune Premier Empire. Mariée à un général de Napoléon, Alexandre Junot, qui est aussi gouverneur de Paris, la jeune femme fréquente la Cour et goûte aux magnificences de ce tout nouveau régime.
    Née Laure Permon, en 1784, la jeune femme a connu Napoléon fraîchement sorti de l'école militaire de Brienne quand, tout jeune encore, il portait des bottes trop grandes pour lui. L'espiègle jeune fille l'avait alors affublé de ce sobriquet : le Chat Botté, tandis qu'elle devenait pour Napoléon, la Petite Peste -surnom tout à fait tendre et chaleureux, soit dit en passant et qui n'a rien d'insultant.
    Laure n'a pas trente ans quand l'Empire s'épanouit et, dans l'entourage proche des Bonaparte -elle est dame d'honneur de Madame Mère, amie d'enfance des sœurs de Napoléon puisque sa mère, Panoria Comnène, était d'origine corse-, elle devient un témoin de premier choix de ce régime flamboyant mais aussi éphémère qu'une comète. Plus âgée, elle écrira ses mémoires et c'est d'ailleurs surtout pour cela qu'elle a marqué l'Histoire. Sinon, qui se souviendrait de l'épouse de Junot, un parmi les innombrables généraux d'Empire ?
    Dans ce roman, Juliette Benzoni, de sa plume enlevée qu'on lui connaît bien, redonne une voix et une vraie consistance à cette jeune femme un peu oubliée. Qui se souvient encore aujourd'hui et lit les mémoires de Laure Junot ? Pas grand monde.
    Je ne sais pas si la Laure Junot présentée ici est fidèle au personnage qu'elle a été. Mais ce qu'en fait l'auteure est intéressant : cette petite jeune femme vive, pleine de fougue, d'allant et de répondant est attachante et on suit le destin fabuleux et brillant qui fut le sien, mais aussi éphémère, parce que la chute de l'Empire signifie aussi, pour les proches de Napoléon, que la fête est finie.
    J'ai, ma foi, passé un moment assez agréable avec cette lecture... J'ai trouvé ce roman différent des sagas romanesques et pleines d'aventures auxquelles Juliette Benzoni nous a habitués mais je pense aussi qu'il est peut-être plus abouti, plus travaillé, probablement. Si j'ai toujours été assez heureuse de lire un roman de Juliette Benzoni, parfois, certaines choses m'y dérangeait comme des dialogues un peu lourds, parfois, ce que je n'ai pas retrouvé ici.

     

    Laure et son époux, le général Alexandre Junot par Marguerite Gérard (vers 1800)

    La Petite Peste et le Chat Botté est un roman où, en soi, il se passe peu de choses, dans le sens où il n'y a pas vraiment d'aventures ni de rebondissements. On suit Laure et ses amis des salons dorés parisiens où sont données de sublimes fêtes qui tentent de rivaliser avec celles de l'Ancien Régime, tout en rejetant cette époque, à la folie Saint-James où elle s'installe avec ses enfants vers 1810 et jusqu'aux fabuleux jardins du domaine du Raincy -un château aujourd'hui disparu qui se trouvait à une vingtaine de kilomètres à l'est de Paris où elle passera quelques belles années.
    Le roman est assez court et se déroule sur à peine dix ans. Il s'ouvre en 1807 et on pourrait presque dire que c'est là l'apogée du Premier Empire. Moins de cinq ans plus tard va avoir lieu la retraite de la Bérézina en plein hiver russe et l'Empire commence à craquer de toutes parts. On a l'impression d'une course contre la montre, une course effrénée aux plaisirs de la vie, comme si chacun, à commencer par Laure, avait la prescience que tout ça aura une fin, une fin rapide et qu'il faut profiter tant qu'il est encore temps. On s'étourdit en même temps qu'eux, dans une atmosphère légère, parfumée et tourbillonnante bien restituée par Juliette Benzoni. Dans l'intimité du couple Junot et dans l'ambiance mondaine de ces salons du XIXème siècle, on découvre autrement le Premier Empire et on côtoie l'attachante Pauline Bonaparte, princesse Borghèse, l'hautaine Caroline Murat, future reine de Naples, la discrète Julie Clary, la gentille reine Hortense, fille adoptive de Napoléon, la belle impératrice Joséphine, supplantée en 1810 par la trop jeune et trop naïve archiduchesse Marie-Louise qui ne saura jamais se faire aimer des Français, malgré le petit héritier qu'elle donne à Napoléon en 1811 -d'ailleurs, je ne suis pas forcément d'accord avec l'image assez négative que l'auteure nous livre ici de Marie-Louise, présentée comme une sotte arrogante et envieuse. Pour moi, elle a surtout été un pion politique sans vraiment de pouvoir ni de latitude pour agir et n'a peut-être pas été la mauvaise femme, traîtresse et mal élevée qu'on a bien voulu décrire. Mais fermons la parenthèse.  
    Je ne suis pas spécialement intéressée par le Premier Empire, ce n'est pas une époque qui me passionne et je trouve que Napoléon est un personnage assez subversif qu'on encense peut-être un peu trop en oubliant les parts d'ombre d'un règne et d'une personnalité. Pour autant, je trouve qu'il est entouré de personnalités féminines intéressantes, à commencer par Laure, que j'ai bien envie de découvrir un peu mieux après avoir lu ce roman, Laure qui a presque vécu au sein même de la famille Bonaparte et les a connus intimement quand elle était petite et a été d'une fidélité inébranlable - ce qui est beau quand on sait que beaucoup ont rapidement quitté le navire quand ils l'ont senti chavirer. Du coup, je me suis prise au jeu et cette plongée en plein cœur des splendeurs de l'Empire n'était finalement pas pour me déplaire. 
    La Petite Peste et le Chat Botté est un roman historique intéressant et agréable à lire. Je me suis vraiment attachée à Laure, peut-être parce qu'elle m'était totalement inconnue jusqu'ici et que je la découvrais, à tel point que j'aimerais bien trouver une biographie d'elle pour découvrir son enfance et sa vie après le Premier Empire, puisque Laure meurt en 1838 et connaît donc une bonne partie du XIXème siècle et ses premiers bouleversements.
    Je le conseille à tous ceux qui aiment Juliette Benzoni et les romans historiques. Et même aux autres ! Vous passerez un bon moment de lecture en compagnie de cette jeune femme entière et pleine d'esprit que l'Empereur n'avait pas surnommée pour rien la petite peste !

    En Bref :

    Les + : un roman vif et enlevé, à l'image de son héroïne et bien écrit. Je n'ai pas retrouvé les lourdeurs et les petites maladresses qui, parfois, m'ont gênée dans d'autres romans de Benzoni. 
    Les - :
     
    peut-être la chronologie aurait-elle mérité d'être légèrement plus précise parce que j'ai parfois eu tendance à me perdre dans les dates, mais sinon, vraiment rien de grave. 

     


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  • « La vie de ces êtres fut un roman, il nous restait donc à l'écrire. »

    Gabriële ; Anne et Claire Berest

    Publié en 2018

    Editions Le Livre de Poche 

    480 pages 

    Résumé : 

    Septembre 1908. Gabriële Buffet, une jeune femme de vingt-sept ans, indépendante, musicienne, féministe avant l'heure, rencontre Francis Picabia, un peintre à succès et à la réputation sulfureuse. Il avait besoin d'un renouveau dans son oeuvre, elle est prête à briser les carcans : insuffler, faire réfléchir, théoriser. 
    Elle devient la femme au cerveau érotique qui met tous les hommes à genoux, dont Marcel Duchamp et Guillaume Apollinaire. Entre Paris, New York, Berlin, Zürich, Barcelone, Etival et Saint-Tropez, Gabriële guide les précurseurs de l'art abstrait, des futuristes, des Dada, toujours à la pointe des avancées artistiques. Ce livre nous transporte au début d'un XXe siècle qui réinvente les codes de la beauté et de la société. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1985, Gabriële Buffet meurt à l'âge de cent-quatre ans.
    En 1985, Anne et Claire Berest ont, respectivement, 5 et 3 ans (elles sont nées en 1979 et 1982) et n'ont jamais entendu parler de Gabriële.
    Pourtant, celle-ci est la grand-mère de leur propre mère, Lélia Picabia et donc Anne et Claire sont ses arrière-petite-filles. Elles sont donc aussi celles du peintre franco-espagnol Francis Picabia, que leur aïeule épouse en 1909. Gabriële et Francis auront quatre enfants entre 1910 et 1919 : Laure-Marie, Pancho, Jeanine et Vicente. C'est leur dernier fils qui est l'ancêtre direct des auteures puisqu'il est le père de Lélia. Un père qu'elle n'a jamais connu parce qu'il est mort à vingt-sept ans, alors qu'elle était une toute petite fille. Un père qui est mort jeune à la suite d'une overdose. Une mort qui séparera à jamais les descendants de Vicente de la fantasque et incroyable aïeule, à tel point qu'ils n'en entendront même pas parler, qu'ils ne sauront même pas qu'elle existe et Gabriële ne se préoccupera jamais d'eux non plus.
    D'elles, en l'occurrence. Et, en 2012, Anne et sa sœur Claire vont partir sur les traces de cette étrange arrière-grand-mère, et sur les traces aussi de leur propre histoire familiale. C'est ce livre, qui n'est ni une biographie, ni un roman, qui est le produit de leurs recherches, qui les a ramenées au début du XXème siècle, dans un monde d'émulation artistique sans précédent où naît l'art contemporain. Muse de Francis Picabia, dont elle sera aussi l'épouse, icône de Marcel Duchamp, amie intime de Guillaume Apollinaire, Gabriële Buffet évolue dans une période absolument extraordinaire et particulièrement riche intellectuellement parlant !
    Et, même si vous n'aimez pas spécialement l'art contemporain, comme moi, vous trouverez sûrement ce roman intéressant. En ce qui me concerne, je l'ai trouvé absolument passionnant. Au départ, j'étais un peu circonspecte, ne sachant pas trop à quoi m'attendre : un roman à quatre mains, très centré sur l'évolution de l'art en ce début de siècle, une figure féminine emblématique mais aussi assez subversive...est-ce que j'allais aimer ? Est-ce que j'allais réussir à me passionner pour le destin de cette femme que je ne connaissais pas ?
    Eh bien contre toute attente, oui. Gabriële et son époque m'ont passionnée et j'ai beaucoup aimé la démarche des deux auteures, Anne et Claire, qui partent sur les traces de leur arrière-grand-mère mais aussi sur les traces de leur propre histoire, pour la comprendre enfin et, peut-être aussi, l'exorciser un peu.

    Les deux sœurs n'ont finalement pas trouvé beaucoup d'archives de l'époque : Gabriële a disparu entourée de flou, dépouillée de tout document et de tout souvenir. Il n'y avait plus rien. Alors, grâce à quelques dates et quelques informations qu'elles ont pu trouver ici ou là au cours de leurs recherches, elles ont recréé une Gabriële plus vraie que nature mais aussi très romancée malgré tout. Au cours de cette lecture, on oscille sans cesse entre la part de vérité et la part d'imaginaire... Qu'est-ce qui est vrai et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Où les auteures ont-elles brodé et où se sont-elles contenté de respecter la vérité ? C'est très difficile de démêler le vrai du faux mais en même temps, on se prend au jeu. Est-ce qu'on s'attache à Gabriële, tour à tour appelée par son prénom ou alors, surnommée Gaby ? Pas vraiment, en fait... Ou disons que ce n'est pas forcément important, tant son destin est imposant, tant elle est audacieuse, surprenante, vertigineuse, entière et passionnée. A-t-on réellement besoin de s'attacher à un personnage comme celui-là que même la fiction ne pourrait peut-être pas inventer ? Je ne sais pas. En tout cas, en ce qui me concerne, je n'ai pas eu besoin de m'attacher à Gabriële ou même à Francis pour aimer ce roman et m'y plonger avec plaisir.

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    Francis Picabia, Gabriële Buffet-Picabia et Guillaume Apollinaire, le grand ami. 

     
    Malgré tout, j'ai parfois eu besoin de faire des pauses, de laisser le roman de côté plusieurs heures avant de m'y replonger. Pas par ennui, même si en général, ce comportement, chez moi, en est synonyme justement. Seulement pour emmagasiner ce que j'avais déjà lu, je pense parce que ce roman est d'une richesse phénoménale. On assiste presque en direct à la naissance d'une nouvelle manière de concevoir l'art, que ce soit la peinture, la sculpture ou même la littérature. Même les impressionnistes considérés quelques décennies plus tôt comme des pionniers sont relégués aux oubliettes, pour ne pas dire qu'ils sont ringards. Marcel Duchamp, à New York, expose sa fameuse Fountain, qui n'est ni plus ni moins qu'une pissotière, présentée soudain comme une oeuvre d'art. Francis Picabia expérimente l'art abstrait, avec de larges aplats de couleurs auxquels il donne des noms ubuesques. Apollinaire réinvente la poésie tandis que Picasso, lui, devient le père du cubisme. Ca fait quand même beaucoup à intégrer, surtout quand tout cela se passe sur un fond de Guerre mondiale.
    Mais j'ai toujours repris le roman heureuse de retrouver les personnages. Je ne les ai ni aimés ni détestés, je les ai seulement suivis, incrédule parfois, me demandant -c'était plus fort que moi- s'ils étaient, quand même, tous bien heureux dans cette vie en forme de tourbillon, incrédule donc mais toujours assez fascinée aussi par la modernité de leur pensée et de leur manière d'être. Plus de cent ans avant notre époque, déjà, ces héros d'un art moderne et subversif s’érigeaient en chantres de la liberté, s'émancipant du quand-dira-t-on, de règles établies et dont ils avaient eu à souffrir dans leur enfance et leur jeunesse : pour Gabriële, par exemple, sa vocation de compositrice qui s'était heurtée à l'incompréhension et au mépris des hommes. Du coup, a-t-elle recherché dans son mari, à l'imaginaire hyper fertile, un moyen de revanche contre ces hommes qui lui avaient certes donné sa chance, mais non sans mal ? N'a-t-elle pas cherché à le modeler comme elle le voulait, comme une création, comme une partition, jusqu'à ce que Francis lui échappe ? De l'amour passion à l'incompréhension, en effet, il n'y a qu'un pas chez les Picabia.
    Anne et Claire Berest, en douceur et en subtilité, d'une écriture fine et délicate -j'avais peur de ressentir l'effet écriture à quatre mains, en fait, ça n'a pas été le cas du tout, au contraire, le roman est très fluide-, j'ai aimé les pauses instaurées de temps en temps dans le récit, où les sœurs semblent se parler et nous intègrent ainsi à leur conversation, nous faisant part notamment des bouleversements ou sentiments divers que les recherches autour de Gabriële ont pu faire naître, leurs questionnements aussi et interrogations les plus intimes, parce que, finalement, la jeunesse de cette femme va conditionner et déterminer, aussi, leur propre vie : pourquoi, pour Anne et Claire, enfants, la famille de leur mère, ce n'est que celle de leur grand-mère maternelle ? Pourquoi n'ont-elles pas pu connaître leur grand-père, que leur propre mère n'a pas connu, ce qui fut une immense et terrible souffrance ? Tout ça, au fond, découle de Gabriële. Peut-on la considérer comme responsable de quelque chose ? Non, pas vraiment. Surtout, nous lecteurs, n'avons pas le droit de la juger. Elle a mené l'existence qu'elle a pu, elle a mené l'existence qu'elle a voulu. Pour autant, on ne se permet pas de juger Anne et Claire Berest qui, parfois, peuvent apparaître dures envers cette aïeule : au contraire, on les comprend, d'une certaine manière. Et écrire ce livre, pour elles, c'est finalement une rédemption, une catharsis -du moins c'est ainsi que je l'ai compris-, c'est partir sur les traces de cette arrière-grand-mère idéalisée ou diabolisée pour faire tomber les barrières et essayer, derrière la femme publique, de retrouver la simple femme, mère, épouse, amante, qu'elle a pu être et, peut-être, tenter de mieux la comprendre, si tant est que cela soit possible.
    Contre toute attente, Gabriële n'est pas un roman sur l'art. Ce n'est pas non plus un roman sur Gabriële. C'est plus que ça ; c'est une confession intime et le partage de deux femmes, envers un public, de cette quête identitaire et familiale qui peut résonner en chacun d'entre nous. C'est aussi, effectivement, un roman sur l'art et le portrait d'une femme et c'est tout à fait passionnant mais j'ai aimé encore plus la manière assez pudique dont les deux auteures ont souhaité amener leur récit, sans se mettre en retrait non plus. Leur démarche est là, claire, tangible et bien lisible : essayer, pour leur mère, de faire la lumière sur leur passé commun à toutes les trois et induit par des ancêtres qu'elles n'ont pas connus mais qu'Anne et Claire vont faire revivre à leur façon, comme pour les laisser enfin s'envoler avec les regrets, les non-dits, les tristesses et peut-être les frustrations qui sont notre lot à tous -qui a dit que la famille, c'était facile ? Parfois, c'est même plutôt un fardeau à porter.
    Je sais que certains lecteurs n'ont pas forcément été séduits, justement, par ce parti-pris des auteures. Au contraire, pour moi, c'est une grande force du récit, l'inclusion totale d'Anne et Claire comme des personnages à part entière, au final, m'apparaît totalement justifiée et le fait qu'elles intègrent au récit de la vie de Gabriële des souvenirs personnels ou des bribes de leurs réflexions ou conversations ne m'a pas gênée, j'ai même trouvé ça intéressant comme approche.
    Vous l'aurez compris, j'ai aimé ce roman. Je me suis sentie accrochée comme on peut l'être devant un bon film dont on ne sort qu'au moment du générique de fin, en étant restant un peu en apnée le reste du temps. C'est ce qui est arrivé avec ce roman. Oui, je l'ai lu presque en apnée, totalement subjuguée et je n'ai pas vu le temps passer. Gabriële a été une très, très bonne surprise et je vous le conseille : pour peu que vous aimiez l'art et les beaux et grands destins de femme, vous ne serez pas déçus.

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    Anne et Claire, les deux auteures, arrière-petite-filles de Francis et Gabriële 

    En Bref :

    Les + : un livre surprenant, contemporain et historique à la fois, qui n'est ni, en fait, ni un roman ni une biographie, mais plutôt le récit d'une enquête, celle des auteures et le récit d'une époque, celle, immensément riche et fertile, de Gabriële et de ses pairs.
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs dans ce roman, au contraire !

     

     


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  • «   Lorsqu'on réalise un rêve, on est en paix avec soi-même. On peut ainsi regarder avec davantage de recul tout ce qui arrive aux autres, perdus dans la douleur et l'insatisfaction de la vie quotidienne. »

    Lisario ou le Plaisir Infini des Femmes ; Antonella Cilento

     

    Publié en 2014 en Italie ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Lisario o il paciere infinito delle donne

    Editions Actes Sud (collection Lettres italiennes)

    384 pages 

    Résumé : 

    Devenue muette à la suite d'une opération ratée, Lisario Morales, à peine adolescente, lit en cachette Shakespeare et Cervantès et se confie par lettres à la Sainte Vierge. Pour fuir le mariage qu'on veut lui imposer, elle se réfugie, telle l'héroïne d'un conte de fées, dans le sommeil. 
    Jusqu'au jour où un médecin espagnol, qui aspire à se forger une réputation, trouve une thérapie pour le moins inattendue et transgressive...
    Situé dans la Naples du XVIIe siècle, celle des peintres caravagesques et de la révolution du plébéien Masaniello, le roman d'Antonella Cilento nous raconte, dans la plus pure tradition picaresque, l'éveil d'une jeune fille éprise de liberté, objet des fantasmes d'un homme qui rêve de percer à jour les mystères du plaisir féminin. Dans une ville où la révolte gronde, où les complots abondent et où la vie la plus rutilante côtoie sans cesse les ombres de a mort, Lisario ou le plaisir infini des femmes nous entraîne dans des aventures à rebondissements où les identités sexuelles se confondent, dans un jeu de miroirs et d'illusions digne des théâtres pour l'oeil de Jacques Colmar, peintre et scénographe -dont l'existence sera bouleversée par sa rencontre avec Lisario. Un livre, sous des dehors intensément romanesques, pose des questions brûlantes et étonnamment actuelles. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Alors, voilà... On y est... Il va falloir rédiger la chronique de ce roman et le moins qu'on puisse dire c'est que ça ne va pas être simple. Pourquoi ? Eh bien parce que quelques heures après l'avoir terminé, je suis toujours aussi en peine de vous dire si je l'aimé ou pas...
    On va donc commencer par le commencement. De quoi ça parle ? Déjà, c'est important de le savoir.
    Nous sommes dans les années 1640, à Naples, qui est alors une province espagnole. Dans le palais de Baia, où elle vit avec ses parents, Lisario Morales est devenue muette à la suite d'une opération ratée quand elle était enfant. Alors, pour tromper son ennui, elle lit - Cervantès, Shakespeare - et écrit à la Sainte Vierge, qu'elle appelle Ma Très Suave et qui est sa confidente.
    Quand son père décide de la marier à un vieux barbon qui la dégoûte, Lisario décide d'y échapper en s'endormant d'un sommeil dont on ne peut la tirer.
    Arrive alors à Naples le médecin Avicente Iguelmano, désireux de redorer son blason et qui, en examinant Lisario et en la guérissant, va devoir faire ses preuves. Commence alors un traitement étrange et subversif qui va amener le médecin à s'interroger sur les mécanismes du plaisir - surtout du plaisir féminin -, jusqu'à l'obsession, presque jusqu'à la folie. Et à une époque et dans un pays confit en une dévotion rigoureuse où la sexualité n'est que reproductive, où les homosexuels sont encore passibles de la peine de mort et les femmes à peine considérées comme des pouliches tout juste bonnes à faire des enfants voire comme des prostituées, Lisario devient la proie d'Iguelmano, de plus en plus investi dans une quête qui semble vaine et le fait devenir de plus en plus violent et exigeant envers Lisario, qu'il a guérie -ou soit disant- par des caresses pour le moins équivoques. Lisario qu'il a fini par épouser, ce qui la jette en pâture à ce pseudo-scientifique digne des pièces de Molière. Jusqu'à ce que la jeune femme croise un jour par hasard un scénographe français dont elle tombe follement amoureuse... et lui d'elle et cet événement amorce, pour Lisario, un tournant radical et la rapproche enfin d'une émancipation qu'elle appelle de tous ses vœux. 
    Dans une ville sale et dangereuse, alors en proie à une véritable révolution populaire emmenée par Masaniello (1647) se noue un drame dans lequel des destinées vont se retrouver étroitement mêlées : la jeune Espagnole, son médecin de mari, un peintre hollandais, un anatomiste allemand, l'amoureux venu de France se trouvent pris dans un tourbillon d'amours, de haines, de dangers en tous genres, dans une ambiance étrange et crépusculaire, qui met mal à l'aise et rappelle ces tableaux en clair obscur du Caravage ou des maîtres hollandais du XVIIème siècle. 

    Sur la quatrième de couverture, Lisario ou le Plaisir Infini des Femmes est qualifié de roman picaresque : n'en ayant jamais lu, je dois dire que je n'ai pas d'éléments de comparaison et dois donc croire, somme toute, ceux qui savent mieux que moi. 
    Ce que je peux dire avec certitude, en revanche, c'est que ce roman est vraiment atypique. Historique ? Oui, sans nul doute. Mais pas que. Érotique ? Certainement, aussi, dans la mesure où le sexe n'y est pas toujours présent mais presque et où la quête d'Iguelmano tourne autour d'un seul et même sujet, presque innovant à une époque où on ne raisonne pas en ces termes, surtout pour les femmes : comment atteint-on le plaisir ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Le plaisir est-il le même pour les hommes et pour les femmes et, enfin, question éminemment importante : les femmes, qui, c'est bien connu, sont à peines dotées d'une âme, éprouvent-elles du plaisir, témoin d'un questionnement permanent sur les mystères de la Femme, de la sexualité à la conception. Enfin, on peut se demander aussi où s'arrête la science et où commence le péché mortel ? Et où la science finit-elle par être prise pour prétexte pour assouvir ses plus bas instincts ? 
    Toujours est-il que je ne m'attendais pas à ça en le commençant et c'est peut-être ça, finalement, qui m'a un peu déroutée et me fait donc ressortir de cette lecture avec un ressenti assez mitigé, ni bon ni mauvais...
    J'en ai apprécié certains aspects, notamment l'écriture de l'auteure et la découpe du récit, entre chapitres narratifs et lettres de Lisario à la Vierge, désarmantes de sincérité
    J'ai été rebutée par certains autres, notamment la grande trivialité que contient le récit : la sexualité des personnages n'y est ni belle ni amoureuse -ou très peu- mais animale et instinctive, la beauté voisine sans cesse avec la laideur ou la saleté, les bijoux parent des mains aux ongles sales, les perruques et les chasse-mouches des dames sont envahis de poux et autres vermines. 
    Bon d'accord, c'est sûrement conforme à une certaine réalité de l'époque mais, personnellement, en tant que lectrice, je n'en attendais ni n'en demandais pas tant.
    Clairement, je crois que l'ambiance du roman et l'absence de tout attachement pour les personnages - je me suis même demandé si ce n'était pas voulu par l'auteure d'ailleurs- m'ont mise mal à l'aise, m'ont vraiment gênée et m'ont empêchée de profiter pleinement d'un récit dans lequel, pourtant, j'ai décelé un vrai génie, une écriture superbe, travaillée et presque baroque -ce qui convient parfaitement à l'époque choisie.
    Lisario ou le Plaisir Infini des Femmes est un roman assez inclassable auquel on adhère ou pas. Personnellement, je ne crois pas avoir été pleinement convaincue. Je l'aurais voulu mais ça n'a pas fonctionné avec moi. J'aurais en fait voulu aimer le récit autant que j'ai aimé l'écriture de l'auteure mais je n'y suis pas parvenue et cette lecture me fait dire aussi que la littérature érotique, décidément, n'est pas quelque chose qui me convient, mais alors, pas du tout.
    Ce roman trouble et qui fleure le scandale a quelque chose de pervers et d'attirant mais aussi de rebutant : c'est cru, c'est fort et c'est violent. Trop, peut-être, même si on n'évolue pas dans une époque douce et policée, effectivement. 
    Je ne peux pas vous déconseiller Lisario ou le Plaisir Infini des Femmes. C'est un roman étrange et particulier qui fait réfléchir : sans nul doute, ce n'est pas une lecture anodine et peut-être aimerez-vous, ce que je vous souhaite. 
    Moi je crois qu'il va encore me falloir un petit moment pour digérer ce bouquin. Et peut-être que, dans quelques mois, je me dirais : au final, c'était un bon roman. Toujours est-il que je n'en ressors pas déçue et je crois que c'est l'essentiel.

    En Bref :

    Les + : si je devais mettre en avant un seul des points positifs de ce roman, je dirais, sans aucun doute, l'écriture magnifique de l'auteure, très bien retranscrit par la traduction fine et précise. J'ai eu l'impression de lire un tableau du Caravage ou des maîtres hollandais traduits en mots, finement choisis. 
    Les - : un peu trop de trivialité, des passages qui m'ont mise mal à l'aise et m'ont empêchée d'apprécier ce récit à sa juste valeur, malgré le génie qui point derrière chaque phrase. 

     


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  • « Tôt ou tard, les hommes doivent retourner dans l'arène s'il faut se battre. »

    Les Maîtres d'Ecosse, tome 2, Renégat ; Robyn Young

    Publié en 2012 en Angleterre ; en 2014 en France (pour la présente édition) 

    Titre original : Insurrection trilogy, book 1, Insurrection 

    Editions Pocket

    729 pages

    Premier tome de la saga Les Maîtres d’Écosse

     

    Résumé : 

    Et si son seul espoir, pour vaincre l'ennemi, était de lui jurer allégeance ? 

    Edouard Ier, roi d'Angleterre est prêt à tout pour unir les îles Britanniques sous une seule et même couronne. Cette campagne, inspirée de la prophétie de Merlin, est d'ores et déjà engagée avec la soumission du pays de Galles. Désormais, le roi doit mettre la main sur la relique sacrée de saint Malachie, symbole de la nation irlandaise, afin de parachever son implacable dessein. Un seul homme peut contrarier ses plans : Robert Bruce. Il a quitté son Ecosse natale dans ce but. Mais, pris dans un jeu de conquêtes, de pouvoirs et de trahisons qui le dépasse, celui-ci n'aura d'autre choix que d'abandonner ce qu'il a de plus cher... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Entre la fin du XIIIème siècle et le début du XIVème, Robyn Young nous plonge dans un tourbillon d'histoires et d'aventures, dans le sillage de Robert Bruce et de William Wallace.
    A cette époque, l'Ecosse n'appartient pas à l'Angleterre, au grand dam de son roi, Edouard Ier qui, s'appuyant sur une soit-disant prophétie écrite au temps du roi Arthur par l'enchanteur Merlin, tente d'annexer le Pays de Galles, l'Irlande mais aussi l'Ecosse. Pour ce faire, il doit réunir plusieurs reliques, comme la Pierre du Destin en Ecosse ou encore le Bâton de Malachie en Irlande, qui garantiront son pouvoir incontesté. Seulement, l'Ecosse est rétive et refuse la férule du souverain anglais.
    La révolte écossaise sous le règne d'Edouard Ier est avérée, historiquement. Robert Bruce a existé (1274-1329), tout comme le personnage de William Wallace, réputé pour son courage et sa bravoure sur les champs de bataille (Braveheart, vous connaissez ?). Ce que raconte Robyn Young est donc vrai, en partie, puisque l'auteure, en mêlant habilement fiction et réalité construit finalement un récit cohérent et vraisemblable mais où les lacunes des textes historiques et des sources laissent malgré tout une bonne place à l'imaginaire de l'auteure.
    Renégat est le deuxième tome d'une trilogie qui suit le parcours d'un jeune Écossais, Robert Bruce, de l'enfance dans les landes sauvages de son pays natal jusqu'à son accession au trône. Dans Insurrection, le premier tome, on découvrait le jeune Robert dans ce qui m'avait fait l'effet d'un roman d'apprentissage. On suivait sa formation de chevalier puis sa confrontation avec la politique violente et louvoyante de son époque, sans que le jeune homme, pourtant, n'ait abandonné l'idée de ceindre un jour la couronne d'Ecosse, que sa famille revendique.
    Dans Renégat, pour mener à bien son projet et alors que l'Ecosse est déchirée par les mésententes et dissensions de ses défenseurs, Robert passe à l'ennemi et fait amende honorable auprès du roi d'Angleterre, qu'il avait pourtant trahi une première fois. De retour dans l'entourage d'Edouard Ier, il doit faire face à l'hostilité de ses anciens compagnons, les jeunes Chevaliers du Dragon, qui ne lui font plus confiance mais aussi à celles de ses camarades écossais qui ne comprennent pas son revirement. Pourtant, dans l'ombre, Robert oeuvre pour revenir, plus puissant que jamais et en mesure de prendre le pouvoir.
    Des champs de bataille d'Ecosse, jusqu'aux landes irlandaises en passant par la Cour de Westminster, Robyn Young nous immerge complètement dans ce Moyen Âge britannique où l’identité de ce qui sera un jour le Royaume-Uni est en train de se forger dans la douleur et dans le sang.

    Battle of Bannockburn - Bruce addresses troops.jpg

    Robert Bruce guidant ses troupes sur le champ de bataille de Bannockburn en 1314


    Est-ce que j'ai aimé ce roman ? Oui, même si j'ai trouvé qu'il était un peu lent à démarrer et à se mettre en place. La grande force de cette saga, pour moi, c'est qu'elle est très visuelle : je la verrais bien adaptée en série, par exemple, elle s'y prête parfaitement bien. On visualise parfaitement bien les différents lieux, les différents personnages parce qu'ils sont tous très bien travaillés et ont une consistance bien à eux. Si Robert est le personnage principal du récit, Robyn Young laisse aussi beaucoup de place aux autres et on alterne ainsi de point de vue : tantôt écossais, tantôt anglais.
    J'ai aussi beaucoup aimé le lien très fort qui unit son intrigue à la légende arthurienne, que je trouve fascinante et qui est, finalement, un mythe fondateur en Grande-Bretagne. Chaque chapitre s'ouvre avec une citation tirée de L'Histoire des Rois de Bretagne, par Geoffroy de Montmouth et Edouard Ier convoque souvent l'image du roi Arthur, dont il aimerait être l'héritier spirituel : clairement, c'est dans l'idée de devenir un nouvel Arthur que le petit-fils de Jean sans Terre cherchera, tout au long de son règne, à réunifier les différents peuples de l'ancienne Bretagne.
    Si au départ j'ai pensé que Robyn Young intégrait la geste arthurienne dans son récit par pur intérêt personnel, finalement, ce n'est pas le cas ou pas entièrement : Edouard Ier a bien, en effet, nourri un vif intérêt pour cette époque légendaire qu'il cherche à recréer. C'est sous son règne par exemple que furent réinhumés les restes d'Arthur et Guenièvre à Glastonbury et il se fit construire une Table ronde que l'on peut encore voir au château de Winchester. Finalement, si cela donne au récit un petit côté ésotérique, prophétique et légendaire -ce qui colle parfaitement à son ambiance médiévale, cela va sans dire-, ce n'est pas dérangeant au contraire et cela illustre bien aussi l'ambivalence d'une époque fortement christianisée mais encore sensible aux prophéties et légendes païennes.
    Ce qui m'a un peu gênée dans ce roman, c'est peut-être la multiplicité des lieux dans lesquels l'intrigue a lieu ; on ne s'arrête jamais et c'est parfois un peu difficile de suivre le rythme. Mais, dans l'ensemble, ce deuxième tome est très bien construit et j'y ai retrouvé ce que j'avais aimé dans le premier. Les personnages ont changé, à commencer par Robert, qui a grandi et est désormais un homme accompli de plus de trente ans, prêt à tout pour défendre ses convictions -même à retourner sa veste plusieurs fois- et qui poursuit son propre but.
    Même s'il est difficile de démêler le vrai du faux -et que je ne trouve pas toujours justifiées les libertés prises avec la chronologie-, cette saga est prenante et vraiment captivante. Si vous aimez les récits de chevalerie et le Moyen Âge, si vous aimez la légende arthurienne et que vous avez lu Chrétien de Troyes, vous trouverez sûrement votre bonheur dans la saga de Robyn Young. Ce qui est intéressant finalement, c'est de découvrir les mécanismes d'une annexion froidement pensée par l'Angleterre et son roi -dont on pense ce qu'on veut mais qui fut certainement un monarque charismatique et un roi chevalier, à l'opposé de son fils Edouard II- et qui a certainement modelé l'histoire future du royaume d'Ecosse et de la Grande-Bretagne en général. Le règne difficile de Marie Stuart au XVIème siècle, l'Acte d'Union de 1714, le soulèvement des Highlands au XVIIIème siècle, tout cela ne découle-t-il pas, finalement, de tous ces événements médiévaux que nous raconte Robyn Young dans Les Maîtres d'Ecosse ? Certainement. Et si on veut en apprendre un peu plus sur l'époque, pourquoi, après avoir lu Les Maîtres d'Ecosse ne pas se tourner vers des livres plus historiques ? Ce qu'on peut dire en tous les cas, c'est que l'auteure a fait un énorme travail de recherches pour asseoir son récit sur des bases solides. Les lacunes sont assez consubstantielles à une époque aussi lointaine et on pardonnera volontiers les interprétations que l'auteure se permet. Ce qu'on peut retenir de cette trilogie, c'est qu'elle est dynamique, toujours en mouvement, bien écrite, pleine de rebondissements et d'aventures. C'est parfois sanglant et violent mais c'est un Moyen Âge flamboyant et dans toute sa grandeur que l'auteure nous décrit, dans les paysages grandioses de l'Ecosse, ce qui ne gâche rien ! J'ai hâte de lire le troisième tome maintenant et de découvrir le règne de Robert sur l'Ecosse ! 

     Buste de Robert Ier au National Wallace Monument

    En Bref :

    Les + : un roman toujours très visuel, plein de souffle et de rythme qui ne nous laisse pas en repos un seul instant. C'est toujours aussi captivant. 
    Les - : un début un peu long à démarrer ; une multiplicité de repères spatiaux qui égarent un petit peu. 


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