• « Tel est le paradoxe du Temps : nous croyons qu'il avance ou se déroule, quand il se borne à être simultanément, passé, présent et futur éternellement confondus. C'est au demeurant sa seule borne. »

    Le Chemin de Nostradamus ; Dominique et Jérôme Nobécourt

     

    Publié en 2007

    Editions JC Lattès

    523 pages 

    Résumé : 

    En 1533, à tout juste trente ans, Michel de Nostradame est un médecin et astrologue réputé. Suspecté d'hérésie, il doit trouver refuge à Saint-Rémy-de-Provence auprès de son grand-père Jean, maître en sciences occultes. Le répit est de courte durée : Ochoa, un inquisiteur, parvient à les rattraper et à blesser mortellement Jean. Avant de mourir, ce dernier révèle à Michel l'origine de sa famille : ils descendent de la Tribu d'Issachar, gardienne des arcanes de la destinée humaine. Leur nom secret témoigne de cette mission : Nostra Damus, « nous donnons ces choses que nous possédons». 
    Michel se rend à Paris où il perfectionne ses connaissances en sciences occultes et légales. Il se lie avec Jacques de Saint-André, proche de la famille royale, qui l'introduit auprès des puissants, notamment de la toute jeune Catherine de Médicis. Il tombe aussi éperdument amoureux de Marie, fille du baron d'Hallencourt qui mène la chasse aux hérétiques. Cependant, fort de sa passions et de ses précieux soutiens, Michel ne voit rien des périls qui le guettent. Il ignore que c'est seul, blessé, et en fuite, que toute la puissance de son don se manifestera. Après de longues années d'errance, il reviendra à Paris, auréolé de gloire. 
    Une très belle fresque historique sur le plus grand mage de tous les temps et l'auteur des fameuses Centuries et Pronostications

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1533, le pape lance contre Michel de Saint-Rémy un inquisiteur fanatique. Contraint de fuir la Provence, Michel s'enfuit avec son grand-père Jean, un mage puissant et détenteur d'un savoir millénaire.
    Ancien médecin, celui qui n'est pas encore Nostradamus trouve refuge à Paris, où il devient un parfumeur renommé et apprécié des dames. Il profiter de cette couverture pour parfaire ses connaissances et devenir à son tour un grand magicien comme son aïeul, qui n'a pas survécu à leur échappée mais lui a révélé tout son savoir avant de mourir.
    À Paris, Michel découvre la flamboyante Cour de François Ier : la France connaît alors une émulation sans précédent, nous sommes en pleine Renaissance et si le basculement religieux menace, il n'a pas encore eu lieu. En 1533, le Roi-Chevalier est au sommet de sa gloire et vient de marier son cadet, Henri d'Orléans, à la jeune nièce du pape, Catherine de Médicis. Michel découvre un autre monde, où luttes, rivalités et hypocrisie sont legion et où chacun se cache derrière un masque de fausseté pour mieux frapper.
    De là va alors se dérouler une grande fresque dans laquelle se mêlent grande et petite Histoire. Alors que le royaume, après l'Affaire des Placards (1534), bascule petit à petit dans le fanatisme et la rigueur religieuse et que les relations au sein même de la famille royale se dégradent doucement, opposant de plus en plus le Dauphin François à son jeune et ambitieux frère Henri, Michel de Saint-Rémy, appelé aussi Michel de Nostredame est devenu un véritable magicien, médium et maîtrisant autant la médecine, la science des plantes que l'alchimie ou l'astrologie. Tombé amoureux fou d'une jeune femme, il doit en même temps échapper une nouvelle fois à l'Inquisition et quitter Paris et ceux qu'il aime.
    Le roman en lui-même est intéressant quoique pas du tout fiable historiquement. Si vous cherchez un roman qui colle au plus près à la vie de Nostradamus, passez votre chemin. Si les auteurs sont partis d'un point de départ vraisemblable et authentique, s'ils ont mis en scène des personnages ayant existé, en première lieu Nostradamus, Catherine de Médicis, François Ier ou encore Henri II, les auteurs ont brodé autour de ça une intrigue complètement romanesque. Passé le premier moment de surprise où je n'ai pas pu m'empêcher de penser : « mais qu'est-ce que c'est que ça ? » finalement j'ai trouvé que l'intrigue se tenait et que même si tout ou quasiment tout n'est pas vrai, ça fonctionne. J'aurais peut-être souhaité que les auteurs en fin de volume expliquent leur démarche. C'est peut-être une déformation d'ancienne étudiante en Histoire mais il est vrai que quand on joue avec les faits, si je ne suis pas foncièrement contre, j'aime bien qu'on explique pourquoi. Manque de sources ? Manque d'informations ? Ou alors, l'envie simple de laisser le romanesque et l'imaginaire prendre le pas, ce qui n'est pas, en soi, plus injustifiable qu'autre chose, surtout quand ça marche. Je préfère encore cela à un roman qui se veut historique mais s'avère bourré d'erreurs.
    Bref, si j'ai parfois trouvé que les auteurs forçaient un peu le trait, dans l'ensemble, j'ai été assez convaincue par cette histoire, entre thriller, science occultes et froideur politique.
    Cela dit, je n'ai pas réussi à me sentir pleinement convaincue. J'ai trouvé les premiers chapitres assez hermétiques et j'ai parfois décroché. Ma lecture n'a pas été fluide et je la décrirais comme ayant été en dents de scie ou en montagnes russes. Parfois j'ai été happée par ma lecture, mon intérêt remontait en flèche avant de dégringoler à nouveau et tout aussi en flèche ! J'ai mis du temps à lire ce roman parce que je n'ai pas réussi à me plonger intensément dans cette lecture. Parfois, il m'est arrivé de lire des passages mécaniquement et de devoir revenir en arrière ce que je déteste parce que cela est un signe pour moi de mon manque d'intérêt.
    Je ressors donc de cette lecture assez mitigée. D'un côté, j'ai trouvé que ce récit a beaucoup de qualités mais en même temps, il y'a trop de longueurs. Trop de longueurs pour ne pas lasser, trop de longueurs pour se sentir intéressé du premier chapitre au dernier et je le regrette parce que ça démarrait tellement bien ! Ce récit tournant autour de sujets fascinants comme la magie, l'alchimie, les sciences occultes mais aussi une science cartésienne en développement contre l'obscurantisme d'une Église toute puissante mais corrompue et indigne avait tout pour me plaire, j'ai trouvé le résumé vraiment intéressant. Dommage que le récit n'ait pas réussi à me convaincre.
    En tout cas, c'est bien la preuve que Nostradamus n'a pas fini de nous fasciner et que son aura a traversé les siècles. Il n'y a qu'à taper Prophéties de Nostradamus sur n'importe quel moteur de recherche et vous verrez que l'une des requêtes les plus demandées est : prévisions de Nostradamus pour l'année en cours. Il est finalement, dans l'imaginaire collectif, plus qu'un simple astrologue au service de Catherine de Médicis : après tout, les autres mages et astrologues de la reine n'ont pas marqué l'Histoire. Chez Nostradamus, le mage, le sorcier, le médium, le médecin se fondent les uns dans les autres pour créer un être un peu fou et fascinant, un personnage d'une puissance rare et un peu terrifiante.
    Si je ressors de cette lecture assez mitigée, malgré tout Jérôme et Dominique Nobécourt m'ont donné envie d'en savoir plus sur ce personnage qui fait partie de notre Histoire et qui est très familier mais qu'au final on ne connaît pas réellement : quel était l'homme derrière le mage ? Voilà une question qui me taraude maintenant et que je vais chercher à résoudre...  

    En Bref :

    Les + : une intrigue intéressante et plutôt bien menée, entre thriller, roman historique et alchimie, sciences occultes et magie. 
    Les - :
    une histoire un peu trop romanesque par moments et surtout, trop inégale. Je n'ai pas réussi à me sentir captivée.


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  • « Diane jouissait de toute la liberté du monde et à quoi l'employait-elle ? A faire courir des chevaux. Marcella, elle, faisait courir des empereurs ! »

    Rome, tome 3, Les Héritières de Rome ; Kate Quinn

     

    Publié en 2011 aux Etats-Unis ; en 2015 en France (pour la présente édition) 

    Titre original : Daughters of Rome 

    Editions Pocket 

    441 pages 

    Troisième tome de la saga Rome

    Résumé :

    En l'an 69, la splendeur de Rome appartient au passé et tous se disputent les restes de l'Empire. Surtout les Cornelii... 
    L'ambitieuse Cornelia s'imagine déjà à sa tête : l'empereur Galba a désigné son époux pour héritier. Et sa sœur, Marcella, passionnée d'histoire, a décidé qu'elle ne s'écrira pas sans elle. Mais un coup d'Etat meurtrier bouleverse leurs vies et laisse à Lollia, leur cousine, l'occasion de tirer son épingle du jeu - sa petite sœur Diane préférant les courses de char à l'agitation politique. 
    L'histoire est lancée au galop et emporte les quatre héritières. A la fin, il n'y aura cependant qu'un empereur...et qu'une seule impératrice... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 69, Néron est mort depuis quelques mois et s'ouvre à Rome une année troublée qui restera dans l'Histoire sous le nom de : « l'année des quatre empereurs ». Entre le mois de janvier et le mois de décembre de cette année-là, quatre empereurs vont revêtir la pourpre : Galba, Othon, Vitellius et Vespasien. Si le dernier régnera dix ans sur Rome, ses prédécesseurs, eux, ne resteront empereur que quelques mois avant de connaître une fin violente. Et, pour Rome en général, c'est une période d'incertitude et de trouble qui s'ouvre.
    Les filles de la famille Cornellii sont aux premières loges et assistent à cette valse des empereurs au cours d'une année qui les marquera à jamais : Cornelia, l'aînée, est l'épouse d'un proche de Galba, Pison, pressenti pour devenir son héritier ; sa sœur Marcella est l'historienne de la famille qui n'aime rien tant que ses rouleaux, ses calames et ses tablettes de cire sur lesquelles elle consigne tous les événements auxquels elle assiste en cette année agitée ; Lollia, leur cousine, que son riche grand-père marie au gré des alliances qu'il contracte et enfin, Diane, encore adolescente mais au caractère bien trempé et qui est une passionnée de courses en char, au point de rêver elle-même d'être aurige !
    En se basant sur une trame historique authentique -la succession d'empereurs après la mort de Néron qui aboutira à l'avènement de la dynastie des Flaviens- Kate Quinn brode un péplum efficace et dynamique qui nous fait retenir notre souffle et suivre les rebondissements qui émaillent cette année pas comme les autres d'un œil captivé de bout en bout. Si j'avais aimé lire La Maîtresse de Rome sans pour autant me débarrasser de la gêne que certaines incohérences avaient pu faire naître chez moi (notamment la relation entre Théa et Domitien) j'ai été beaucoup plus enthousiaste à ma lecture de L'Impératrice des Sept Collines l'an dernier et cette bonne impression s'est confirmée avec Les Héritières de Rome. Certes, l'auteure se fait plaisir et intègre beaucoup de romanesque et d'imagination à l'historique avéré mais j'avoue que cela ne m'a pas spécialement dérangée : peut-être parce que l'Histoire ancienne n'est pas ma période de prédilection et les petites approximations ou libertés prises me sautent donc moins aux yeux...Du coup, j'ai lu ce récit comme n'importe quel roman, m'affranchissant de cette manie que j'ai de tout pister, dans un roman historique, à la recherche de la moindre petite erreur !! Je n'y peux rien, je crois que c'est l'ancienne étudiante en Histoire qui prend le dessus dans ces moments là !
    Ce que j'aime aussi avec Kate Quinn c'est qu'elle prend le temps, à chaque fin de roman, d'expliquer ses choix. Je trouve cela intéressant et assez honnête avec le lecteur et j'apprécie de pouvoir démêler, malgré tout, le vrai du faux.
    Ceci dit, Les Héritières de Rome est un roman très cohérent et crédible : Kate Quinn joue avec ses personnages comme avec des pions sur un échiquier, les plaçant ici ou là au gré de ses envies mais c'est toujours sensé et j'ai l'impression que c'est plus fin aussi que dans La Maîtresse de Rome... disons, peut-être, mieux emmené, plus réfléchi.
    Je ne dirais pas que ce roman est excellent mais pour ma part, j'ai passé un très bon moment. J'ai dévoré les derniers chapitres en une journée et avec plaisir et intérêt. J'ai vraiment aimé suivre ces quatre jeunes femmes, si différentes, aux aspirations si différentes aussi, qui s'accommodent comme elles peuvent d'une époque pas évidente et pas forcément tendre pour les femmes. Je ne sais pas si on peut dire que Cornelia, Marcella, Lollia et Diane sont attachantes... Peut-être, chacune à leur manière... L'auteure a bien travaillé leur caractère, leur psychologie, elles sont toutes les quatre très abouties. J'ai beaucoup aimé Diane par exemple, pour sa fraîcheur, sa franchise et sa spontanéité ! J'ai trouvé Marcella plus difficile à cerner mais sa passion pour l'Histoire m'a parlé, évidemment, même si cette passion la pousse vers l'intrigue et se retourne assez cruellement contre elle. Lollia est provocante et extravertie mais cache en même temps une certaine fragilité derrière la bravade tandis que Cornelia est, en apparence, la plus lisse, la plus conventionnelle alors que ce n'est, au final, pas vraiment le cas.
    Vous l'aurez compris, Les Héritières de Rome m'a vraiment convaincue, que ce soit l'intrigue ou les personnages ! La Rome antique, c'est vraiment un monde étrange et extraordinaire que l'on découvre avec horreur parfois mais aussi parfois une certaine fascination. J'ai refermé ce roman, entre Histoire et péplum enlevé, avec un sentiment très positif et c'est tout ce qui compte ! 

    En Bref :

    Les + : même si l'auteure prend beaucoup de libertés avec l'Histoire, mêlant habilement romanesque et historiquement correct, on se prend au jeu. Les Héritières de Rome est un bon péplum et un portrait de cette époque violente et troublée qui est, je pense, fidèle à la réalité. 
    Les - :
     
    pas vraiment de points négatifs à soulever. En ce qui me concerne, j'ai passé un très bon moment avec cette lecture !

     

    Les Enquêtes de Quentin du Mesnil, Maître d'Hôtel à la Cour de François Ier, tome 1, Le Sang de l'Hermine ; Michèle Barrière 

    Thème d'octobre, « SPQR », 10/12


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  • « N'est-ce pas de la folie ? Je me nourris de ce qui me détruit. »

    Le Ciel de la Chapelle Sixtine ; Leon Morell

     

    Publié en 2012 en Allemagne ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Der Sixtinische Himmel

    Editions Pocket

    609 pages

    Résumé : 

    Au printemps 1508, le jeune Aurelio quitte la ferme de ses parents pour la plus belle et décadente ville du monde : Rome. Depuis qu'il est enfant, il n'a qu'un rêve, devenir sculpteur et travailler avec il gigante, le génie, Michel-Ange. Mais l'artiste a dû abandonner son art, contraint par le puissant pape Jules II à se consacrer à un autre projet, peindre le plafond de la chapelle Sixtine. Engagé comme modèle et apprenti, Aurelio assistera aux tourments quotidiens du maestro, aux terribles luttes de pouvoir qui agitent Rome et à la création du plus grand chef-d'oeuvre de la Renaissance. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1508, après la mort de ses parents, Aurelio quitte sa ville natale de Forli pour Rome. Son rêve est de devenir élève de Michel-Ange, sculpteur renommé à qui le pape Jules II vient pourtant de confier une tâche bien différente : celle de peindre le plafond de la chapelle Sixtine.
    On connaît tous cette oeuvre extraordinaire qui orne le plafond de la fameuse chapelle, à commencer par La Création d'Adam, où ce dernier tend la main vers Dieu. Mais le ciel de la Sixtine, ce n'est pas que ça : ainsi, Michel-Ange a fait s'y côtoyer plusieurs centaines de personnages, tous issus de la Bible ou de la mythologie mais représentés de manière particulièrement novatrice par celui qui, on l'oublie trop souvent, n'était pas peintre mais sculpteur.
    Auprès de lui et de ses compagnons, qui forment la bottega -l'atelier- de Michel-Ange, Aurelio, paysan modeste mais d'une grande beauté, qui sera employé comme apprenti mais aussi comme modèle, va apprendre l'art difficile de la fresque, la complexité de l'art en général et les contraintes du travail commandé, surtout quand il l'est par un mécène aussi exigeant que le pape Jules II. Aurelio va s'attacher à son maître, connu pourtant pour son caractère difficile pour ne pas dire irascible et va, dans son sillage, exercer son œil et sa main comme sa sensibilité, apprendre à analyser une oeuvre et à saisir tout ce qui peut échapper aux non-initiés.
    On découvre en même temps que lui le travail d'un atelier italien en ce début de Renaissance. L'émulation est sans pareille, la Ville éternelle est pleine d'artistes qui tentent de se concurrencer à coup d’œuvres ou techniques inédites et tentent d'en mettre plein la vue à leurs commanditaires. Ainsi, sur le chantier de Saint-Pierre alors en construction, Michel-Ange se trouve en compétition avec l'architecte Bramante et le talentueux Raphaël, à qui le pape Jules a demandé de décorer ses appartements, tandis que le sculpteur florentin est dépouillé de ses compétences premières pour devenir fresquiste, technique qu'il ne maîtrise pas et pour cause : travailler le marbre ou le bronze n'a rien à voir avec le travail a fresco, sur un plâtre humide et où la dextérité du peintre le dispute à la rapidité d'exécution. 
    On découvre le pénible travail des peintres, suspendus à plusieurs mètres au-dessus du sol, en équilibre sur des échafaudages de bois fixés dans les murs, la nuque pliée pendant des heures dans une position qui occasionne fatigue et maux de tête. Selon la période de l'année, s'il fait trop chaud ou trop froid, le plâtre ne prendra pas de la même façon, parfois même, on ne pourra pas le travailler... Les pigments risquent de se figer ou de se liquéfier, le plâtre peut moisir s'il fait trop humide... Quant aux repentirs et erreurs, ils sont inenvisageables : ils sont fixés pour toujours dans le plâtre et, à moins de détruire son travail, ils deviennent indélébiles.
    Le travail à la chapelle Sixtine a duré plusieurs années et le pape Jules, son commanditaire, a même failli ne jamais voir le chantier terminé. Mais on se rend compte en lisant ce roman du travail colossal effectué par ces peintres, avec tellement peu de moyens !

    L'ensemble de la voûte de la Sixtine, présenté comme « une réalisation artistique sans précédent » par Gabriele Bartz et Eberhard König dans Michelangelo (1998)


    Comme Michel-Ange et ses peintres, Leon Morell a mis plusieurs années avant d'arriver à bout de ce roman très riche, où se mêlent l'Histoire, les arts et aussi, une bonne dose d'imagination - Aurelio, par exemple et d'autres personnages encore, que l'on croise dans le récit, n'ont jamais existé.
    On comprend cependant pourquoi l'auteur a mis tant de temps avant d'arriver à bout de ce roman : parler d'art ne s'invente pas et lorsqu'on n'est pas du sérail, s'informer, se renseigner sur les différentes techniques, les décrire, amener le lecteur au plus près des peintres et leur faire partager le quotidien des artistes demande énormément de travail préparatoire. Cela dit, ce n'est pas barbant, au contraire et si l'on échappe pas aux termes techniques à de nombreuses descriptions, Leon Morell a su les intégrer à un récit humain où, au-delà de l'artiste torturé au mauvais caractère, on découvre chez Michel-Ange un homme en proie à ses démons, un artiste de grand génie, capable de réaliser une fresque à la qualité inestimable, considérée aujourd'hui comme un véritable trésor, sans être peintre de formation. On découvre un véritable génie et ce qui m'a finalement autant plu dans ce roman, c'est que Leon Morell, sans pédanterie, nous pousse, dans les pas d'Aurelio, à exercer notre œil et ajuster notre regard : il nous apprend tout simplement à appréhender l'art de Michel-Ange dans sa globalité, son étrangeté et toute sa subtilité, à dépasser le beau qui, après tout, est une notion bien subjective, pour découvrir derrière toute la grandeur d'une oeuvre qui a dépassé les siècles et suscite encore aujourd'hui l'admiration chez les milliers de pèlerins et visiteurs qui entrent chaque années dans le Sixtine.
    Si vous me suivez, vous savez que si j'aime énormément l'Histoire, j'ai aussi une passion pour l'Art. Je crois d'ailleurs que les deux vont de pair et que comprendre et connaître l'Histoire d'une époque passe aussi par l'étude de ses artistes et de son art. Et s'il y'a bien une époque qui en est riche, c'est la Renaissance italienne. Le XVIème siècle nous a laissé de grands artistes et de grandes œuvres : on peut penser à Michel-Ange évidemment mais aussi à Léonard de Vinci, Le Caravage, Le Tintoret, Titien, Raphaël, bien sûr et j'en passe. Personnellement, si la technique m'intéresse mais de manière assez limitée, j'aime les romans qui laissent une plus grande place à l'humain. Découvrir ces grands noms que l'on connaît surtout à travers une oeuvre majeure ou plusieurs, mais dont on délaisse souvent l'aspect plus intime, c'est dévoiler ce qu'ils étaient de leur vivant, ce qui a pu bien évidemment influencer leur manière de travailler, leur manière de traiter tel ou tel sujet.
    Le Ciel de la Chapelle Sixtine nous confirme que Michel-Ange était bien un génie mais aussi un homme en proie à des passions contradictoires, se débattant et luttant contre une sexualité refoulée, un homme qui doutait de lui et qui, s'il n'hésitait pas à se montrer provocant, n'était pas entièrement sûr de ses capacités. La Sixtine, dans ce roman, c'est un véritable travail dans le sens d'accouchement, la naissance d'une oeuvre qui ne se fait pas sans douleur et doit se transmettre du cerveau du maître à ses doigts et à ceux de ses compagnons ce qui est, on s'en doute, d'une difficulté hors norme.
    Enfin, ce que j'ai vivement ressenti dans ce roman, c'est l'amour : l'amour d'Aurelio pour l'art, un amour que son maître éveille et stimule, l'amour de celui-ci pour ses œuvres et son dévouement extrême à leur égard comme si elles étaient ses enfants, enfin, l'amour charnel, l'amour des hommes pour les femmes, des femmes pour les hommes ou des hommes pour d'autres hommes. Ce roman est porté par beaucoup de sentiments et d'émotions et si l'art en occupe la place centrale, Leon Morell fait toutefois une part belle à l'humain derrière les pinceaux et les pigments.
    J'ai trouvé ce roman extraordinaire. Il est plutôt dense mais je n'ai ressenti aucune lassitude. Je me suis perdue dedans et j'ai, au cours de ma lecture, plusieurs fois admiré cette couverture emblématique, qui reprend un détail de La Création d'Adam, ce fameux doigt tendu du premier homme vers son Créateur en ayant l'impression de la comprendre enfin, de la saisir dans toute son entièreté. J'en suis ressortie plus que satisfaite, avec l'impression de mieux connaître Michel-Ange et son oeuvre, de l'avoir vu, peut-être pour la première fois, dans son ensemble, peut-être comme Aurelio aurait pu le voir s'il avait existé. On entre dans l'intimité de cet homme et on s'attache à lui immanquablement, comme on s'attache d'ailleurs au jeune Aurelio, au passé pas évident comme c'est souvent le cas à l'époque -une famille dispersée, des parents morts jeunes, la pauvreté, les ravages de la guerre- s'éveille et s'éduque et devient riche non pas d'argent mais d'une connaissance qu'on ne lui enlèvera jamais ce qui est bien plus inestimable, au final, car si on peut perdre une richesse pécuniaire, on ne perdra jamais une richesse culturelle et intellectuelle. Sous nos yeux, Aurelio grandit et, sous l'influence de son maître, pour lequel il a un dévouement sans borne, devient à son tour un artiste accompli.
    Je me suis sentie investie dans ce roman jusqu'à ses dernières pages. Cette Rome pleine de violence et de religiosité m'a passionnée et j'ai passé un excellent moment de lecture, non seulement pour le récit mais aussi pour la plume de l'auteur, entièrement au service de ce qu'elle raconte.
    Si vous aimez les romans historiques et l'Histoire des Arts, je vous recommande chaudement ce roman. Cette plongée au coeur même de la bottega de l'un des plus grands artistes toutes époques confondues ne manquera pas, je pense, de vous séduire et de vous enthousiasme

    En Bref :

    Les + : roman dense et riche, Le Ciel de la Chapelle Sixtine est une superbe évocation de l'oeuvre de Michel-Ange et de sa grandiose réalisation à la Sixtine. Leon Morell a su saisir toute la complexité d'un homme mystérieux et de son oeuvre, finalement pas si connue que cela quand on prend le temps de lire entre les lignes. 
    Les - : il n'y a à redire, c'est juste passionnant ! 


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  • « Elle se redresse, toise ces hommes durant quelques secondes, savourant cette petite victoire sur la vie. Elle a triomphé des hommes. Elle peut enfin mourir par amour pour sa Reine. »

    Monsieur mon Amour ; Alexandra de Broca

     

    Publié en 2014

    Editions Albin Michel 

    233 pages 

     

    Résumé : 

    Princesse vertueuse totalement dévouée à Marie-Antoinette ou conspiratrice séductrice aux moeurs dépravées ? Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, fut en son temps l'objet des plus folles rumeurs. 

    Au fil d'une bouleversante correspondance imaginaire, Alexandra de Broca, l'auteur de La Princesse effacée, se glisse dans la peau de cette jeune aristocrate turinoise, veuve à dix-neuf ans du descendant d'un bâtard de Louis XIV, qui lui aura fait subir les pires affronts. Comme tant d'autres victimes expiatoires du régime de la Terreur, cette femme fragile, attachée à la famille royale au point de reprendre ses fonctions après la fuite du roi, connaîtra une fin atroce. 

    Du fond de la geôle parisienne où elle attend son jugement, Marie-Thérèse écrit chaque jour à Philippe d'Orléans, député et proche de Robespierre. Comme la vertu s'adresse au vice, elle commence ses lettres par « Monsieur mon Amour »...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1792, Marie-Thérèse de Lamballe est séparée de la famille royale emprisonnée au Temple et incarcérée à la prison de la Force. Elle commence alors à rédiger des lettres à l'attention de celui qui est son beau-frère et qui s'est rallié à la Révolution : le duc d'Orléans, cousin du roi et premier prince du sang, dont elle est secrètement amoureuse et qu'elle appelle dans ses lettres « monsieur mon Amour ». Alors qu'elle craint pour sa vie et que la capitale s'échauffe, dans la moiteur d'un été qui n'en finit pas, Marie-Thérèse entreprend de se raconter à celui qu'elle aime et qui, elle l'espère, parviendra à la faire libérer. De son mariage raté avec un descendant de Louis XIV et débauché notoire, le prince de Lamballe à son amitié indéfectible pour la reine Marie-Antoinette qui l'a pourtant bien mal récompensée, la pudique princesse se livre et se dévoile, n'hésitant pas à avouer son amour à Philippe d'Orléans et à confesser des épreuves qu'elle avait tues jusqu'ici...
    Si le roman d'Alexandra de Broca se base sur un fait avéré, la détention de la princesse de Lamballe à la fin du mois d'août 1792, l'auteure brode autour de ça et construit un récit totalement fictif : selon ce que l'on sait, Marie-Thérèse de Lamballe n'a pas entrepris de correspondance avec Philippe d'Orléans depuis sa geôle de La Force. Enfermée du 19 août au 4 septembre, elle sera jugée sommairement puis livrée à la vindicte de la foule qui la lynche puis promènera sa tête sur une pique jusqu'au Temple.
    J'avoue que, si l'idée d'une correspondance fictive mais basée sur des faits avérés ne m'a pas déplu au départ, je n'ai finalement pas été plus convaincue que ça. Peut-être un journal intime aurait-il mieux convenu... j'ai trouvé que les lettres avaient quelque chose d'un peu artificiel. Pourtant le récit que fait la princesse aux portes de la mort -elle ne peut s'empêcher d'espérer mais sait au fond d'elle qu'il y'a peu de chances que les révolutionnaires la laissent en vie- est touchant. Cette femme de quarante-trois ans, encore jeune, veuve depuis vingt ans d'un homme qu'elle n'a jamais aimé, confesse son amour à la seule personne qui ait fait battre son cœur et se raconte une dernière fois, cherchant de quoi elle est coupable et ce qui justifie le traitement dont elle a à souffrir derrière les murs de sa prison. Comme Marie-Antoinette qui dira, lors de son procès qu'elle a commis des erreurs mais non des crimes, on cherche ce que cette femme, princesse certes, mais vertueuse et bonne, a pu commettre comme crimes pour être jetée en prison puis massacrée par la folie collective de la foule. En fait, Marie-Thérèse paye sa fidélité au couple royal et notamment à la reine détestée, dont elle a été la confidente et même la Surintendante de sa maison avant d'être supplantée par madame de Polignac. Elle sera lynchée par les Parisiens qui voient en elle tout ce qu'ils haïssent de cette cour de Versailles désormais renversée, ils voient en elle l'amante d'une reine saphique à qui les pamphlets et libelles prêtent tous les méfaits. Mais ce qui est grand et digne chez cette femme, c'est le sacrifice qu'elle fera, en conscience, de sa vie : rien n'était écrit et elle avait fui. Elle est revenue. De l'inconscience folle ? En un sens oui mais surtout c'est la traduction de son amour et de sa loyauté indéfectible pour la reine et pour sa famille.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, vers 1776


    Dans ce livre, on découvre aussi que Marie-Thérèse de Lamballe est une femme ambivalente et pas aussi lisse qu'on a bien voulu le dire. Discrète certes mais pas sotte, elle a des convictions mais semble en même temps être un personnage paradoxal, à l'image de son siècle : si certains de ses propos sont carrément féministes, si l'égalité entre les êtres va de soi pour elle, elle n'en est pas moins attachée à des principes religieux et traditionnels comme la monarchie de droit divin. Pour elle, il est inconcevable que le roi soit démis au profit d'une République... Elle fut intronisée en 1781 dans une loge féminine franc-maçonne tout en conservant une piété fervente.
    Marie-Thérèse de Lamballe est peu connue au final. On sait qu'elle est l'amie de cœur de la reine, une amie de cœur dévouée qui sera méchamment remplacée par une femme plus amusante mais qui n'hésitera pas à abandonner Marie-Antoinette dans la tourmente alors que la fidèle princesse de Lamballe sera là, jusqu'au bout, prête à tout pour sa reine, prête à endurer la prison, la peur, un jugement inique, la mort.
    Je crois que j'aurais pu la trouver encore plus attachante si je l'avais découverte autrement que par le biais de cette correspondance que j'ai trouvée un peu affectée... Marie-Thérèse de Lamballe, par les épreuves traversées, force de toute façon l'admiration. Victime à dix-huit ans d'un mariage arrangé qui ne lui donnera même pas d'enfants, moquée à la Cour par le clan des Polignac puis haïe par la Révolution, la vie de cette femme n'a pas toujours été rose. Parce que son rang la prédestinait à faire partie de la Cour, parce que son cœur l'a rapprochée d'une reine, méritait-elle cependant de mourir pour ça et de mourir comme ça ?
    Monsieur mon amour est un roman court qui se concentre sur la quinzaine de jours de détention de Marie-Thérèse et les lettres qu'elle écrit chaque jour au duc d'Orléans. Mais en même temps, parce qu'elle lui livre ses souvenirs, on la découvre à son arrivée en France, elle nous explique ses choix, elle se montre telle qu'elle est vraiment et non pas comme les courtisans la voient... Si le roman a peiné à me convaincre par sa forme, j'ai malgré tout vraiment apprécié cette lecture, la découverte intime de cette femme dont on parle peu, qui reste, dans l'Histoire, aussi discrète qu'elle l'était de son vivant.
    Je sais que certains lecteurs d'Alexandra de Broca lui reprochent des textes antirévolutionnaires (ce qui, d'ailleurs, n'a pas beaucoup de sens aujourd'hui, mais bon) : certes, mais de part les personnages qu'elle met en scène dans ses romans, elle ne peut faire autrement. Ne vous arrêtez pas à cela si je peux vous donner un conseil : La Princesse Effacée est un roman bouleversant et poignant.
    Je ne doute pas que Monsieur mon Amour plaise, lui aussi... Peut-être ne serez-vous pas gêné comme j'ai pu l'être par son aspect épistolaire. Quoi qu'il en soit, si vous aimez les romans historiques, ce livre vous plaira sans nul doute ! Le mérite d'Alexandra de Broca est d'avoir écrit un roman très personnel et d'avoir redonné une voix à un personnage oublié.

    La mort de la princesse de Lamballe par Maxime Faivre, 1908 (musée de la Révolution française de Vizille)

    En Bref :

    Les + : la confession de cette femme qui n'a plus rien à perdre et attend la mort est touchante et sans fard. Alexandra de Broca redonne une voix à ce personnage que l'on oublie trop souvent dans les limbes de l'Histoire.
    Les - :
    l'aspect épistolaire a peiné à me convaincre...


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  • INTERMEDE HISTOIRE SPECIAL HALLOWEEN : Les sorcières de Salem

     

    INTERMEDE HISTOIRE SPECIAL HALLOWEEN : Les sorcières de Salem

    Witch Hill ou Le martyr de Salem (The Salem Martyr ; New York Historical Society), par Thomas Slatterwhite Noble.

     

    BOUH ! 


    Aujourd'hui, c'est Halloween et je vous propose un intermède historique spécial. On va parler des sorcières de Salem... Vous avez certainement déjà entendu parler de cette histoire qualifiée d'hystérie collective qui secoua une colonie britannique du Massachusetts à la fin du XVIIème siècle et qui inspira la littérature et le cinéma. 

     

    C'est dans un contexte compliqué que prend corps ce qui sera la plus importante chasse aux sorcières d'Amérique du Nord. Imaginez une colonie encore jeune et donc fragile, isolée, relativement pauvre et régulièrement victime d'attaques amérindiennes... La vie y est rude, la communauté dépourvue de juridictions et structures de gouvernement...
    Et en 1692, débute une affaire qui ne cessera qu'un an plus tard à la suite d'un grand procès qui impliquera plus d'une centaine d'accusés et verra condamnées à mort plusieurs personnes dont quatorze femmes. Elle entrera dans l'Histoire sous le nom de Procès des sorcières de Salem.

    En 1692, dans la petite ville de Salem Village -aujourd'hui Danvers- des jeunes filles, Abigail Williams, Ann Putnam et Betty Parris, entre autres, accusent d'autres habitants d'être des magiciens, des sorciers alliés de Satan qui les auraient envoûtées.
    Durant l'hiver 1691/1692, pour se distraire, les jeunes filles se sont adonnées à la divination et demandent à une servante des Parris, Tituba, qui vient de La Barbade, de leur apprendre à lire l'avenir. Par la suite, l'une des jeunes filles dira avoir, au cours d'une nouvelle séance de divination, aperçu un spectre, ce qui lui cause une vive frayeur et ressenti ensuite une gêne pour respirer. Puis elles se mettent à agir de manière étrange : elles parlent une langue inconnue, souffrent de convulsions et d'hallucinations. On consulte des médecins qui s'avèrent impuissants jusqu'à ce que l'un d'eux parle de possession satanique. Le père de Betty Parris et les autres notables de Salem obligent Abigail et Betty ainsi que d'autres jeunes filles présentant des symptômes similaires de donner les noms de ceux qui les ont envoûtées... Parce qu'elles se rendent compte, horrifiées, que ce qu'elles ont fait est contraire aux préceptes religieux dans lesquels elles ont été élevées, elle s'enferrent dans le mensonge et se décident alors à donner des noms pour éviter d'avouer que ce sont elles qui, par jeu, ont eu l'idée de pratiquer la divination.
    Les premières femmes accusées sont Tituba, Sarah Good et Sarah Osborne. Toutes trois sont à part, en marge de la société de Salem Village : Tituba est une servante esclave d'origine amérindienne, venue des Antilles ; Sarah Good est une mendiante ; Sarah Osborne une vieille femme alitée mais peu appréciée de la communauté après avoir spolié ses enfants de leur héritage au profit de son second mari.
    Rapidement, l'affaire dépasse les limites de Salem et se propage dans les bourgades voisines et même jusqu'à Boston, prenant une ampleur extraordinaire.
    Tituba et les deux Sarah sont officiellement accusées de sorcellerie et emprisonnées, le 1er mars 1692. Mais parce que l'état des adolescentes ne s'améliore pas, elles lancent d'autres accusations, contre Dorcas Good, la fille de Sarah, âgée de 4 ans, Rebecca Nurse, le couple Proctor, Elizabeth et John et d'autres personnes encore.
    La communauté, victime des attaques récurrentes des Amérindiens et ne possédant pas de gouvernement réel semble dépassée par l'affaire, prête foi aux accusations des adolescentes et condamne les personnes mises en cause à la mort par pendaison, pour faits de sorcellerie.
    On peut se demander ce qui poussa ces jeunes filles à accuser ces gens-là et pas d'autres. Pourquoi par exemple s'en prendre à Rebecca Nurse, une vieille dame malade et connue pour sa piété, en apparence inoffensive ? Il s'avère que la famille Nurse avait causé du tort aux Parris en occupant des terres qui leur appartenaient. Pour d'autres, ce sont des tensions et jalousies sociales qui ont motivé les accusations mensongères d'Abigail, Betty et les autres. Ils prennent pour preuve que la majorité des accusés vivent à Salem, une ville portuaire riche, à proximité de Boston tandis que les accusatrices, elles, vivent à Salem Village, plus rurale, isolée à l'intérieur des terres et moins prospère. Cela dit, concernant Sarah Good, une vagabonde à l'esprit un peu fragile, l'hypothèse ne tient pas. On peut supposer ceci dit que les accusations n'ont pas été lancées à la légère et que les jeunes filles s'en sont pris à des personnes ayant causé du tort à leur familles, ou supposées telles.
    Toujours est-il que, petit à petit, les prisons se remplissent... Seulement, se pose alors un problème d'ordre législatif : Salem Village n'ayant pas de vrai gouvernement, les accusés ne peuvent être jugés. Quand le gouverneur William Phips arrive à Salem en mai 1692, Sarah Osborne est morte en prison et Sarah Good a accouché d'une petite fille. Auprès du pasteur venu la confesser, elle se défend férocement d'être une sorcière et clame son innocence. Seule l'esclave Tituba avoue. La propre femme de Phips comptera elle-même parmi les accusés. 
    Pendant l'été qui suit, la cour est en session une fois par mois. Une seule accusée sera relâchée, après que les jeunes accusatrices se soient rétracées à son sujet. Elizabeth Proctor et une autre femme bénéficient d'un sursis parce qu'elles sont enceintes mais seront pendues après la naissance de leur enfant. Aucun acquittement n'est prononcé et les procès se terminent par une mise à mort systématique. Seuls ceux qui plaident coupable et acceptent de dénoncer d'autres personnes échappent à la peine capitale. En tout, dix-neuf personnes sont pendues durant l'été, parmi elles, des personnes respectables voire des notables (un ministre du culte, un ancien policier par exemple). Sur les dix-neuf accusés, cinq sont des hommes et quatorze des femmes, dont plusieurs sont âgées et miséreuses. En avouant son crime, la servante Tituba sera libérée et rachetée par un nouveau meurtre. Elle meurt après 1693.

    Ce grand procès qui s'achève en octobre 1692, aura un impact important sur la colonie : les terres et le bétail sont délaissés, certains habitants fuient vers New York, le commerce est impacté aussi. Jusqu'au printemps de l'année suivante, les accusés sont progressivement remis en liberté... officiellement, le gouverneur royal du Massachusetts, William Phips met fin à la procédure après un manifeste du clergé bostonien emmené par Increase Mather qui écrit dans Cases of Conscience Concerning Evil Spirits (Cas de conscience concernant les esprits maléfiques) : « Il apparaît préférable que dix sorcières suspectées puissent échapper, plutôt qu'une personne innocente soit condamnée ».

    Hystérie collective ou empoisonnement à l'ergot de seigle ? Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette affaire qui marquera l'histoire des futurs États-Unis, au point de faire dire à l'historien George Burr Lincoln : « la sorcellerie de Salem a été le roc sur lequel la théocratie s'est brisée." et à beaucoup d'autres scientifiques que cette affaire sans précédent a eu une influence profonde et durable sur l'histoire du pays. »
    Évidemment, on se demande ce qui s'est passé... La théorie la plus répandue consiste à affirmer que c'est l'influence de la religion, particulièrement influente dans le Massachusetts des années 1630 aux années 1690 et régissant la vie d'habitants isolés et connaissant une vie austère, qui provoqua ces hallucinations et cette hystérie collectives. Si cette hypothèse est aujourd'hui considérée comme simpliste par la plupart des historiens, on ne peut nier que l'existence dans cette colonie est compliquée et que c'est une lutte de chaque instant. Confrontée à des attaques indiennes récurrentes, elle ne peut compter sur le soutien anglais, la population avait été décimée... Cette situation a conduit à un climat de peur dans lequel peut alors se développer facilement paranoïa et hystérie. C'est ce qu'affirme Mary Norton dans son livre Dans le piège du Diable. Pour elle, la plupart des victimes d'accusation des jeunes filles avait un lien personnel ou social avec ces attaques amérindiennes. Petit à petit, les Indiens sont associés aux démons et tout concourt à faire de Salem un véritable microcosme de terreur puritaine. La situation fragile et incertaine de l'avenir de la communauté, la volonté de Samuel Parris de s'émanciper de Salem Town pour faire de Salem Village une cité à part entière, la vie rude et presque hostile des paysans qui composent la majeure partie de la communauté de Salem ont sûrement participé à développer cette affaire de sorcellerie.

    Pour d'autres, c'est un empoisonnement à l'ergot de seigle qui aurait conduit les habitants de Salem à cette terreur massive et cette hystérie... l'ergot de seigle est un parasite de la céréale qui contient des alcaloïdes toxiques proches du LSD, une drogue qui provoque justement des hallucinations. On sait que le seigle était cultivé dans les terres marécageuses autour de Salem et nourrissait hommes et bétail. Un été humide et chaud était propice à la prolifération de l'ergot et c'est justement ce qui se passa pendant l'été 1691 qui précéda les premières accusations.

    Une autre thèse affirme que les accusateurs auraient souffert de la maladie de Huntington, maladie neurologique dégénérative et orpheline qui provoque des troubles moteurs et cognitifs avant de conduire à la mort.

    On a avancé aussi que des cas possibles de maltraitance d'enfants auraient pu conduire à cette massive vague d'accusations par des jeunes filles à peine adolescentes au moment des faits. 

    Actuellement, aucune thèse n'est confirmée ou infirmée par rapport à une autre. Si l'on part du principe que la possession démoniaque ou maléfique n'a pas de fondement, on peut considérer comme cohérent que les conditions de vie difficiles, l'isolement de cette colonie séparée de sa métropole dont elle ne peut rien attendre, la forte influence de la religion puritaine et les raids réguliers des Indiens participent à créer un climat de peur et de psychose qui conduit finalement à la recherche éperdue d'un bouc-émissaire et à ces vagues d'accusations qui se succèdent pendant plusieurs mois et touchent des centaines de personnes, des notables aux miséreux.

    • La maison de la sorcière à Salem (Witch House)

    INTERMEDE HISTOIRE SPECIAL HALLOWEEN : Les sorcières de Salem

    Si vous visitez Salem, nul doute que votre curiosité vous poussera à découvrir celle que l'on appelle la Maison de la Sorcière ou Witch House, en anglais. Une maison en bardeaux noirs et légèrement effrayante, il faut bien le dire... 
    Pourtant, en réalité, ce n'est pas réellement une maison de sorcière mais l'endroit où se tient le procès des sorcières en 1692 et où vit le juge Jonathan Corwin. Il avait racheté cette maison en 1675.
    Très bon exemple de l'architecture de la Nouvelle-Angleterre au XVIIème siècle, c'est aujourd'hui un des hauts lieux du tourisme près de Boston et la dernière maison encore debout qui soit rattachée directement à l'époque des sorcières de Salem.

    Salem est réputée pour ses manifestations au mois d'octobre, notamment pour Halloween et est prisée à cette époque de l'année par les touristes fan de cette ambiance peuplée de monstres, démons et autres... sorcières.

    INTERMEDE HISTOIRE SPECIAL HALLOWEEN : Les sorcières de Salem 

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 


    Le procès des sorcières de Salem : quand le diable colonisa l'Amérique, Jonathan Dehoux. Essai historique.
    Les sorcières de Salem, Arthur Miller. Pièce de théâtre. 
    Les mystères de Salem, Megan Chance. Roman. 
    - Moi, Tituba, sorcière, Maryse Condé. Roman.




     


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