• #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

     

    I. 1er janvier 1515 : François Ier monte sur le trône et sa mère triomphe


    Le 1er janvier 1515, le roi Louis XII meurt à Paris, à l'âge de cinquante-trois ans. Malgré trois mariages, il disparaît sans descendance masculine et ne laisse que deux filles, nées de son union avec Anne de Bretagne : Claude, née en 1499 et qui, fiancée l'année précédente avec son cousin François d'Angoulême, devient reine de France et Renée, âgée de quatre ans et demi et qui deviendra quelques années plus tard duchesse de Ferrare.
    La reine Anne était morte le 9 janvier 1514 à l'âge de trente-sept ans, des suites de la gravelle et, malgré la peine sincère du roi qui perdait son épouse à laquelle il était très attaché, l'espoir d'avoir enfin un héritier mâle était le plus fort : Louis XII avait donc contracté une troisième union avec Mary Tudor, la sœur du roi d'Angleterre Henry VIII. La jeune femme apporta un vent de fraîcheur à la cour de France et sa beauté en séduisit plus d'un, à commencer par le jeune François d'Angoulême, qu'une sèche semonce de sa mère devait remettre dans le droit chemin...malheureusement, il n'y eut point d'enfant royal et le roi, déjà affligé d'une mauvaise santé, vit son état se détériorer rapidement...d'aucuns ont dit que la belle Anglaise avait épuisé son royal époux dans la couche conjugale, tant Louis XII fut ardent à honorer sa belle et jeune épouse ! Pourtant, c'est peine perdue puisque Mary Tudor ne tomba pas enceinte. Il semblerait surtout que Louis XII ait succombé à des d'hémorragies intestinales mais aussi de la goutte, maux dont il avait été affligé toute sa vie. 
    La mort du roi, après dix-sept ans de règne, consacre le triomphe de la famille de Valois-Angoulême puisque c'est le jeune cousin de Louis XII, François, qui devient roi de France sous le nom de François Ier. Dans l'ombre, une femme triomphe, on pourrait même dire qu'elle exulte : c'est sa mère, Louise de Savoie, qui voit couronnées de succès toutes ces années où elle a patiemment attendu, préparant son « César », à la fonction suprême et s'attirant aussi l'inimitié de la reine Anne de Bretagne, qui considéra dès lors Louise de Savoie comme une dangereuse rivale...
    Pour comprendre comment est né ce duel féminin au sommet de l'Etat, il faut d'abord remonter dans le temps et découvrir les origines respectives d'Anne et de Louise. Car si l'une était destinée à régner, ce n'était pas le cas de l'autre...


    II. Anne de Bretagne : l'hermine et la France

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État


    Anne naît en janvier 1477 à Nantes. Elle est la fille du duc François II de Montfort et de son épouse Marguerite de Foix. Par son père, elle est issue de la maison de Montfort-l'Amaury qui règne sur la Bretagne depuis 1365. Sa mère, la duchesse Marguerite est quant à elle apparentée à la maison de Foix-Béarn et à la maison de Navarre. Elle a épousé le duc de Bretagne en 1471 à Clisson.
    Si rien n'empêche les femmes d'hériter des terres de leur père - on a l'exemple d'Aliénor d'Aquitaine au XIIème siècle ou encore celui de la comtesse Ermengarde de Narbonne à la même époque - contrairement au trône de France qui ne peut se transmettre que par primogéniture mâle, le couple ducal souhaite évidemment un fils, qui ne viendra jamais. Le duc François craint en effet que sans héritier mâle, des troubles successoraux ne viennent secouer son duché, ce qui était déjà arrivé au siècle précédent, au moment de la guerre de Succession de Bretagne. Et si sa maîtresse Antoinette de Maignelais lui donne un fils bâtard, François d'Avaujour, la duchesse Marguerite n'accouche que de deux filles : Anne, l'aînée puis Isabelle, entre 1478 et 1480. Anne est officiellement reconnue comme héritière du duché de Bretagne en 1486.
    Mais la situation politique de la Bretagne est instable et le duché, divisé de l'intérieur, est lorgné à ses Marches par son puissant voisin, le royaume de France. Il est vrai que François II ne se tient pas tranquille et s'est engagé dans la Guerre Folle, contre la France et sa régente, Anne de Beaujeu. A plusieurs reprises, il a reçu le duc Louis d'Orléans qui s'est lui-même retourné contre la couronne de France.
    En 1488, François II et ses partisans sont défaits à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier et le duc est contraint de signer l'humiliante paix du Verger. Une clause de ce traité se révélera particulièrement importante par la suite comme nous allons le voir : l'héritière de Bretagne ne pourra se marier sans l'accord du roi de France. La défaite du duc François est totale et la France triomphe. Quelques semaines plus tard, en septembre 1488, le duc meurt des suites d'une chute de cheval et Anne devient, à onze ans, duchesse en titre.
    Les premières années de pouvoir de la jeune fille sont compliquées : trahie par son propre frère et par des nobles bretons, certains désignés par le duc François avant son décès pour conseiller sa fille, comme la famille d'Albret ou encore le maréchal de Rieux, Anne est aux abois, d'autant plus que la France se mêle des affaires bretonnes et défait les armées de la duchesse qui, quant à elle, reste fidèle à la promesse faite à son père de ne jamais céder à l’assujettissement au royaume de France. En 1489, Anne est officiellement couronnée duchesse de Bretagne.
    Mais sa situation ne s'améliore pas. En 1490, cherchant par tous les moyens un appui, Anne se tourne vers Maximilien de Habsbourg, qu'elle épouse par procuration au mois de décembre de cette année-là, provoquant alors la colère de la France. En effet, par ce mariage, la duchesse a violé le traité du Verger. En 1491, malgré les renforts anglais et castillans, la duchesse est assiégée dans sa ville de Nantes par le roi de France en personne, qui commande ses troupes. Charles VIII est venu personnellement lui faire entendre raison et la persuader de renoncer à son mariage avec Maximilien de Habsbourg. Acculée, comprenant que son peuple va au devant de maux terribles, à commencer par la famine, la duchesse Anne décide de se rendre et envoie plusieurs messages en ce sens au roi de France. Toutefois, elle persiste encore à refuser le mariage.
    Autre conséquence de cette union non consentie par le roi de France : ce dernier rompt son alliance avec Maximilien de Hasbourg en répudiant sa jeune fiancée, la petite Marguerite d'Autriche, la propre fille de Maximilien, élevée depuis ses trois ans en France pour devenir reine. Afin de conclure la paix avec la Bretagne, il n'y a plus qu'une solution : l'annulation du mariage d'Anne avec Maximilien - qu'elle n'a par ailleurs jamais vu - et une nouvelle union avec Charles VIII, qui consacrerait ainsi l'alliance du duché et du royaume. Ironie du sort, en renonçant à son mariage avec Marguerite d'Autriche pour épouser la duchesse de Bretagne, Charles VIII fait précisément ce qu'il a reproché à Anne : se parjurer, puisqu'en répudiant Marguerite, il viole le traité de Francfort.
    Courant novembre 1491, Charles VIII et Anne de Bretagne se rencontrent. Le roi est surpris de se trouver en présence d'une jeune fille plutôt charmante, alors que la duchesse de Bretagne lui avait été décrite comme peu jolie et bancale (boiteuse). Anne quant à elle, n'est pas séduite : habituée à une cour raffinée et instruite, elle est plutôt indifférente à ce jeune homme qui n'est pas très beau et se montre même un peu rustaud...
    Le 6 décembre 1491, à Langeais, Anne de Bretagne épouse Charles VIII qui, quelques semaines plus tôt à Baugé, a signifié à Marguerite d'Autriche sa répudiation. La jeune fille rentrera auprès de son père après la signature du traité de Senlis en 1493. Amère, défaite, la duchesse de Bretagne devient reine de France, où ses premiers pas ne sont pas des plus faciles, la jeune fille se heurtant notamment à l'hostilité de sa belle-sœur, la puissante Anne de Beaujeu, qui avait été régente du royaume après la mort de son père Louis XI.
    Mais Anne est intelligente et, à force de patience, elle parvient à se faire sa place à la cour de France. Si son mariage avec Charles VIII n'est qu'un mariage de convenance, elle parvient cependant à se rapprocher de son mari et une certaine entente naît entre eux deux, renforcée notamment par plusieurs naissances. En tout et pour tout, de 1492 à 1498, Anne sera mère six fois. En 1492 naît un petit Dauphin, prénommé Charles-Orland. Le petit prince est élevé au château d'Amboise, la pouponnière des rois de France, où son propre père est né et a grandi. Dans ce palais des bords de Loire, l'air est réputé pur et bénéfique à la croissance des enfants.
    Si Charles VIII et Anne de Bretagne se montrent attachés à leur premier-né et attentifs à son confort et sa santé, ils sont des souverains de leur temps, itinérants et qui doivent tenir leur cour. Ce ne sont pas eux qui prennent soin du bébé mais une armada de nourrices et de gouvernantes, avant que le prince ne passe aux hommes et ne commence sa véritable éducation, à l'âge de sept ans. Mais le petit Charles-Orland n'atteindra jamais cet âge-là, puisqu'il meurt à l'âge de trois ans, probablement des suites d'une rougeole. Ses parents se montrent sincèrement affligés, à commencer par le roi qui surnommait affectueusement son fils "mon bel écuyer".
    Malheureusement, la succession d'Anne de Bretagne et de Charles VIII s'arrête là : les fils qui naîtront après verront le jour prématurément ou seront morts nés et le dernier enfant, qui naît en mars 1498 est une fille, Anne, qui ne vit pas. Le règne de Charles VIII s'achève brutalement quelques semaines plus tard : le 7 mars 1498, alors que la cour se trouve à Amboise, le roi et la reine circulent dans une galerie afin d'aller voir une partie de jeu de paume. En franchissant une porte basse, le roi se cogne violemment le front au linteau. Un peu étourdi, il chancelle mais semble se remettre de la commotion, assiste à la partie tout en devisant avec ses compagnons. L'incident pourrait vite devenir un mauvais souvenir quand soudain, quelques heures plus tard, le roi se sent mal et fait un malaise. Il perd connaissance et meurt peu après, allongé sur une paillasse apportée à la hâte dans une galerie humide et puante du château d'Amboise. Il meurt sans descendance et Anne est veuve à vingt-et-un ans. Sans enfant, reine douairière, son seul avenir est de revenir en Bretagne, ce qu'elle fait...elle ne le sait pas encore, mais ce ne sera pas pour longtemps.


    II. Louise de Savoie : jamais sans mon fils

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Les enfants de Louise à l'âge adulte : Marguerite d'Angoulême devenue reine de Navarre et François, premier roi de la dynastie des Valois-Angoulême


    En décembre 1491 quand Anne de Bretagne devient reine de France, une autre jeune femme loin de là, en son château de Cognac, attend de devenir mère : Louise de Savoie est enceinte de cinq mois et attend son premier enfant pour le mois d'avril prochain. Le bébé sera une fille, prénommée Marguerite et destinée à un éminent destin. Future reine de Navarre, celle que l'on surnommera la Marguerite des Marguerites est encore connue aujourd'hui pour sa vaste culture et son érudition. Elle est notamment l'autrice de L'Heptaméron et sera l'un des fleurons de la cour de son frère... Mais n'allons pas trop vite en besogne et concentrons-nous d'abord sur sa mère.
    Louise de Savoie est née en 1476 au château de Pont-d'Ain. Princesse de la maison ducale de Savoie, elle est une exacte contemporaine d'Anne de Bretagne, qu'elle retrouvera plusieurs années plus tard à la cour de France : elles n'ont en effet que quatre mois d'écart.
    Le père de Louise est le futur duc de Savoie Philippe de Bresse, dit sans Terre et sa mère est Marguerite de Bourbon. Quand cette dernière meurt en 1483, la petite fille de sept ans est confiée à une cousine de sa mère, Anne de Beaujeu, alors régente du royaume de France, qui prend entièrement son éducation en charge. Au cours des années qui suivent, on aperçoit par exemple Louise à Gien, chez les Beaujeu. En 1488, alors qu'elle a presque douze ans, Louise est unie au comte d'Angoulême, Charles d'Orléans. Ce dernier est un cousin du roi de France : c'est aussi un cousin du turbulent duc d'Orléans Louis, qui aura une influence si grande par la suite sur les destins respectifs d'Anne et de Louise. Par son père Jean d'Orléans, Charles est un descendant de Louis Ier d'Orléans - le frère de Charles VI - et de Valentine Visconti.
    Louise de Savoie va quitter la cour d'Anne de Beaujeu pour l'Aunis où se trouve le château de Cognac, où elle s'installe. Son époux Charles est connu pour entretenir de nombreuses liaisons. On dit que lorsque Louise arriva à Cognac elle trouva au château deux maîtresses installées et leurs enfants respectifs qui vivaient tous dans une joyeuse promiscuité. Cette anecdote est-elle vraie ? En tout cas, elle est représentative si besoin en est, de la vie relativement dissolue que mène le comte d'Angoulême avant son mariage. Il semblerait qu'il ne soit pas plus fidèle à Louise après leur mariage mais le couple aura tout de même deux enfants : Marguerite en 1492 et le petit François, qui naît en septembre 1494. Deux ans plus tard, en 1496, le comte d'Angoulême meurt, laissant une jeune veuve de dix-neuf ans et deux enfants de quatre et deux ans.
    Louise de Savoie n'est pas une mère conventionnelle pour l'époque. Leur isolement dans un château de province, loin de tout puis son veuvage et probablement leur proximité en âge - elle a seize ans de plus que Marguerite, dix-huit de plus que François - fait de la mère et des deux enfants une triade particulièrement soudée. Louise se montre très attachée et attentive à son jeune fils, qu'elle aime beaucoup mais ne néglige pas non plus l'éducation de sa fille Marguerite. Aidée par son confesseur Cristoforo Numai de Forli, elle prend à bras le corps l'éducation des deux jeunes princes et, fidèle à sa devise Libris et liberisPour des livres et pour des enfants »), elle fait oeuvre de mécénat en commandant de nombreux ouvrages et manuscrits destinés à l'éducation de Marguerite et François.
    En 1498, à la mort de Charles VIII sans descendance mâle, c'est son cousin et beau-frère Louis d'Orléans qui monte sur le trône. L'ancien prince rebelle devient roi sous le nom de Louis XII et l'une de ses premières décisions est...de se séparer de son épouse, Jeanne de France. Celle-ci est la soeur de Charles VIII et d'Anne de Beaujeu et lorsque Louis XI avait donné en mariage sa fille au duc d'Orléans il aurait eu cette phrase : « Je gage que les enfants qu'ils auront ensemble ne leur coûteront guère à nourrir. » faisant référence à la stérilité de Jeanne, affligée également de malformations handicapantes (elle était boiteuse et bossue entre autres choses). Louis d'Orléans avait considéré ce mariage comme une humiliation, voire un affront et prend donc pour prétexte la stérilité de son épouse pour annuler leur mariage lorsqu'il devient roi. En effet, il a besoin d'un héritier mâle pour asseoir et consolider sa lignée. Le 8 janvier 1499, il se remarie et peu de temps après, invite à la cour sa cousine Louise de Savoie et ses deux enfants, dont il est le tuteur depuis la mort de Charles d'Angoulême.


    III. La rivalité de deux femmes pour le trône


    En entamant les démarches d'annulation de son mariage avec Jeanne de France, Louis XII ne fait que respecter les clauses du contrat signé entre Charles VIII et Anne de Bretagne en 1491 : si le roi venait à mourir sans descendance, son successeur devrait alors épouser sa veuve, à condition qu'il parvienne à faire annuler son mariage dans un délai d'un an.
    Anne, en attendant, ne reste pas inactive. Puisque les démarches en annulation peuvent durer un moment, elle décide (selon une clause de son contrat de mariage qui l'y autorise) de rentrer en Bretagne et de reprendre les rênes de son duché. En octobre 1498 elle est à Nantes, après avoir échangé une promesse officielle de mariage avec Louis XII le 19 août, à Étampes.
    Entre avril 1498 et son second mariage en janvier 1499, la duchesse fait acte de souveraineté en restaurant notamment la chancellerie de Bretagne qu'elle confie à l'un de ses plus fidèles conseillers, Philippe de Montauban et nomme Jean de Chalon lieutenant général de Bretagne. Elle convoque les états de Bretagne, fait émettre une monnaie à son nom et sur laquelle figure son effigie et nomme son écuyer Gilles de Texue gouverneur du château de Brest. Les liens avec la cour de France ne sont probablement pas rompus et il est presque certain qu'Anne, entre l'été 1498 et le début de janvier 1499 reste informée de l'avancée de la procédure en annulation lancée par Louis XII.
    Le 8 janvier 1499 à Nantes, la veuve de Charles VIII épouse son successeur et redevient reine de France, moins d'un an après être devenue veuve. Tous les espoirs sont à nouveau permis et Anne souhaite plus que tout donner un fils au trône.
    Si le mariage avec Charles VIII, sans être très harmonieux a finalement été relativement heureux, il semblerait que l'union avec Louis XII le soit plus rapidement, même si elle est contractée au départ pour des motifs bassement prosaïques. Il faut dire aussi que la donne a changé : Anne est plus âgée, a plus d'expérience, elle n'est plus la petite duchesse humiliée et vaincue de 1491. Le contrat de mariage avec Louis XII lui est d'ailleurs relativement favorable. En d'autres termes, Anne joue dans la même cour que son époux et est capable d'en imposer s'il le faut.
    Le couple s'entend bien, malgré leur différence d'âge - Louis a quinze ans de plus qu'elle. Le roi surnomme affectueusement son épouse sa « Brette » (sa Bretonne). Peu de temps après le mariage, Anne est enceinte. Une grossesse qu'elle mènera seule puisque Louis XII s'est lancé, comme son prédécesseur Charles VIII, dans la conquête de l'Italie. Descendant de Valentine Visconti, le roi fait notamment valoir ses droits sur le Milanais. Quand la petite Claude de France naît en octobre 1499, son père est d'ailleurs en pleine campagne militaire dans le Nord de l'Italie.
    Louise de Savoie assiste-t-elle à la naissance royale en qualité de dame d'honneur d'Anne de Bretagne ? C'est probable, dans la mesure où la reine accouche dans sa propre maison de Romorantin, où le roi avait transporté la Cour avant son départ d'Italie pour cause d'épidémie de peste à Blois. Louise était revenue à la Cour dès avril 1498 et petit François, qui est alors le plus proche parent mâle du roi tant que celui-ci n'a pas de fils, est fait duc de Valois en 1499.
    La famille d'Angoulême s'installe à Amboise, où Louise continue de superviser l'éducation de ses deux enfants, entourant François de tout son amour et de sa prévenance, à l'instar de Marguerite, qui se montre très attachée à son jeune frère. Quand Louis épouse Anne de Bretagne, elle est naturellement nommée dame d'honneur de la reine.
    A Amboise, Louise doit composer avec le maréchal de Gié, gouverneur du petit duc de Valois. Mais les relations entre la mère et le gouverneur sont électriques, Louise désapprouvant manifestement les méthodes d'éducation du maréchal : il semble que le roi soit même intervenu pour aplanir les relations.
    Les relations d'Anne et Louise se tissent à l'occasion des séjours de la duchesse d'Angoulême à la cour. En tant que dame d'honneur de la reine, elle fait partie de son cercle rapproché, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles partagent une certaine intimité ou même, de l'amitié. Louise et Anne ont pourtant au moins un point commun : leur caractère trempé par l'adversité et les épreuves. Cela pourrait les rapprocher mais va se transformer, en ce qui les concerne, en rivalité pour la succession au trône...
    La naissance de Claude de France, si elle réjouit ses parents, est néanmoins une déception. De plus, Anne tremble pour cette enfant plutôt chétive et fragile. Louise, quant à elle, est satisfaite : tant que la reine ne parvient pas à donner de fils au roi, l'héritier mâle le plus proche est le petit duc de Valois, son fils. Dès lors, la duchesse d'Angoulême ne va plus vivre que pour cela : ambitieuse certes, elle ne l'est pas pour elle-même mais uniquement pour son fils. Ainsi, à chaque grossesse d'Anne, les deux femmes tremblent et espèrent, mais pas de la même façon : tandis que la reine prie pour que lui naisse un fils, Louise de Savoie elle, ne veut que le contraire...En 1500, 1503 et 1512, la reine donne naissance à trois fils qui ne vivront pas et devra supporter entre 1505 et 1509 l'épreuve de plusieurs fausses-couches qui la minent. A l'occasion de l'une de ses naissances malheureuses, tandis que la reine pleure son échec, Louise écrit à propos de la mort du petit prince : « Il ne pouvoit retarder l'exaltation de mon César, car il avoit faute de vie ».
    Il semblerait qu'Anne ait vite compris les espérances et les ambitions de Louise, d'où l'amertume de la reine envers sa cousine par alliance et envers son fils, enfant turbulent, espiègle et surtout, en bonne santé qui lui rappelle sans cesse qu'elle n'a pas de fils. En effet, dans la mesure où les femmes sont écartées de la succession royale, celle-ci est relativement simple : si le roi régnant n'a pas de fils, on désigne le cas échéant son frère ou ses neveux pour lui succéder. S'il n'en a pas, on cherchera le plus proche héritier mâle de la lignée ou dans les branches cadettes : c'est ainsi qu'aux Capétiens directs ont succédé les Valois directs en 1328...c'est encore une fois du fait de cette loi de primogéniture mâle que le duc d'Orléans, cousin du roi, a succédé à Charles VIII en 1498 car il était son plus proche parent masculin. En toute logique, le jeune prince d'Angoulême est le premier dans l'ordre de succession tant que Louis XII n'a pas de garçon.
    En 1510 naît une fille en bonne santé, baptisée Renée, qui survivra. Mais en onze ans de mariage, aucun fils n'a encore vécu et Louis XII et Anne se désespèrent. Ils ont beau mener grand train et entretenir une cour brillante (à Blois notamment, le château natal du roi, qu'il fait remanier au goût du jour avec une aile gothique flamboyante ) où Anne fait preuve d'un véritable mécénat, il leur manque l'essentiel. Les attentions du roi envers François suscitent évidemment la colère de la reine et ses relations avec Louise n'en sont que plus houleuses.
    En 1512, la dernière naissance finit de briser les rêves des parents, avec la naissance d'un fils qui ne vit pas. Anne de Bretagne ne sera plus jamais enceinte après cela et sa santé commence à se dégrader. A trente-six ans, la reine souffre de la gravelle (aujourd'hui appelée lithiase urinaire), aussi appelée maladie de la pierre : il s'agit en fait de calculs rénaux qui occasionnent des douleurs importantes (les fameuses coliques néphrétiques) et des troubles urinaires. Si aujourd'hui la plupart des cas sont curables car les symptômes sont connus et pris en charge rapidement, ce n'est pas le cas au XVIème siècle. Épuisée par de nombreuses grossesses, Anne meurt au matin du 9 janvier 1514 à Blois, sans avoir pu empêcher que sa fille Claude, âgée de quatorze ans et demi, soit promise à son cousin François d'Angoulême, qu'elle épousera d'ailleurs quelques mois après la mort de sa mère.
    La mort de la reine enlève à Louise de Savoie le poids qui pesait sur ses épaules : Louis XII et Anne de Bretagne n'ayant pas eu le fils tant espéré, la voie de la succession s'ouvre toute grande devant son fils. Le destin de son César est marche !
    Et pourtant...

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Charles VIII et son successeur, le roi Louis XII ont tous les deux épousé Anne de Bretagne, respectivement en 1491 et 1499 


    IV. Une dernière épreuve avant le triomphe final

    #42 Anne de Bretagne et Louise de Savoie : duel au sommet de l'État

    Mary Tudor, sœur du roi Henry VIII, épouse Louis XII en octobre 1514 : elle sera une reine éphémère puisque le roi meurt le 1er janvier suivant


    Coup de théâtre : Louis XII, à cinquante-deux ans, lui aussi usé par une mauvaise santé, décide pourtant de se remarier ! Ce choix provoque la stupeur à la cour de France qui voit débarquer, en octobre 1514, une jolie princesse d'outre-Manche, Mary Tudor, âgée de dix-huit ans. Celle-ci est la fille d'Henry VII Tudor et de son épouse Elizabeth d'York. Elle est surtout la sœur du futur rival politique de François Ier, le jeune roi Henry VIII, monté sur le trône d'Angleterre en 1509.
    A la cour, la jolie reine ensorcelle les jeunes gens à commencer par François Ier qui se montre très séduit et la courtise sans vergogne. Prévenue, Louise de Savoie entre dans une violente colère contre son fils ! Où a-t-il la tête ? Et s'il mettait la reine enceinte et que celle-ci accouche d'un fils ? Sa paternité en serait aussitôt attribuée au roi et François serait automatiquement évincé de la succession. Or, Louise de Savoie ne peut se résoudre à cela : non, elle a trop tremblé pendant toutes ces années, à attendre avec angoisse les délivrances d'Anne de Bretagne, à remercier le Ciel qu'il n'ait pas daigné envoyer au couple royal le fils tant espéré, elle a tant travaillé dans l'ombre pour son propre enfant, son César, qu'il ne va pas tout gâcher maintenant pour une princesse anglaise un peu trop jolie ! Rappelé à l'ordre, François se le tient pour dit.
    De toute façon, le comte à rebours est enclenché : Mary Tudor ne sera qu'une reine éphémère puisque la maladie rattrape le roi. Entouré des siens, il meurt le 1er janvier 1515 et François accède enfin au trône. Il prend le nom de François Ier et devient le premier souverain de la dynastie des Valois-Angoulême. Il garde auprès de lui comme conseillère privée sa mère, Louise de Savoie, qui deviendra régente du royaume à plusieurs reprises, sans avoir été reine, ce qui est inédit. Le roi décide de lui accorder un titre nouveau et à sa juste valeur : Louise de Savoie devient Madame, mère du roi et sera titrée duchesse d'Angoulême, duchesse d'Anjou et comtesse du Maine et Beaufort-en-Vallée ainsi que baronne d'Amboise à l'occasion de l'accession au trône de son fils. Soutien à toute épreuve, principal artisan de la paix des Dames (ou paix de Cambrai) en 1529, elle aura droit à des funérailles royales, à sa mort qui survient en 1531.
    Louise de Savoie lorsqu'elle disparaît à cinquante-cinq ans a sans nul doute triomphé entièrement sur son ancienne rivale. Certes, elle n'a jamais été reine en titre mais elle a été bien plus que cela et, par-dessus tout, elle avait ce qu'Anne de Bretagne n'a jamais eu : un fils suffisamment fort et en bonne santé pour fonder et perpétuer sa propre dynastie.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    - Pour aller plus loin : 

    - Les reines de France au temps des Valois : le Beau XVIe siècle, Simone Bertière. Biographie. 
    - Anne de Bretagne, Mireille Lesage. Biographie romancée. 
    - Anne de Bretagne, Joël Cornette. Biographie.
    Sur les pas d'Anne de Bretagne, Geneviève-Morgane Tanguy. Biographie. 
    - Charles VIII, Didier Le Fur. Biographie. 
    - Louis XII, Didier Le Fur. Biographie. 
    - François Ier et la Renaissance, Gonzague Saint-Bris. Essai historique. 
    - François Ier, Pascal Brioist. Biographie. 
    - Louise de Savoie : régente et mère du roi, Aubrée David-Chapy. Biographie. 


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