• #7 : La reine Cléopâtre (69 av. JC - 30 av. JC)

    INTERMÈDE LXIX

     

    INTERMÈDE LXIX

     Buste présumé de Cléopâtre 

     

    I. Une jeunesse floue et un début de règne agité

    INTERMÈDE LXIX

    Cléopâtre testant des poisons sur des condamnés à mort par Alexandre Cabanel (1887)

    Cléopâtre VII Thé Philopator, plus connue sous le seul nom de Cléopâtre, serait née vers 69 avant Jésus-Christ à Alexandrie, dans l'hiver.. Reine de la dynastie ptolémaïque, elle est pourtant d'origine grecque et issue de la famille des Lagides. Son père est Ptolémée XII Aulète. Sa mère reste inconnue, elle pourrait peut-être être une concubine égyptienne du roi, mais nous n'avons aucune information sur elle. Elle a pour frères et sœurs Bérénice IV, Arsinoé IV, Ptolémée XIII Dionysos et Ptolémée XIV Philopator II. Selon la tradition égyptienne qui voulait que le pharaon épouse l'une de ses soeurs, Cléopâtre devint l'épouse de son frère Ptolémée XIII. Selon Strabon, Ptolémée XII n'aurait eu qu'une fille légitime, la reine Bérénice IV qui régna de -58 à -55, ce qui ferait donc de Cléopâtre une bâtarde mais l'information ne fut jamais ni confirmée ni infirmée. Par la suite, lorsqu'elle fut au pouvoir, toutes les attaques qui lui furent adressées ne mentionnèrent jamais une quelconque bâtardise...
    Et puis, de toute façon, être une fille illégitime n'était nullement un handicap pour elle, puisque son propre père, Ptolémée XII était lui-même un bâtard de Ptolémée IX. Cléopâtre choisit par la suite de faire planer le doute sur son ascendance maternelle, brouillant les pistes et évoquant une possible filiation égyptienne...C'est l'un des facteurs qui permit à des historiens -outre le fait qu'elle parle parfaitement égyptien- d'expliquer son titre curieux de Philopator, qui signifie « qui aime sa patrie », étrange dans une dynastie qui privilégie les liens dynastiques : (« qui aime son père… sa mère… sa sœur… », etc.). Mais il est possible que ce titre ne concerne en fait que l'origine macédonienne de Cléopâtre et donc, des Lagides ou bien encore, qu'il ne concerne que la ville d'Alexandrie, où Cléopâtre serait née. Cela ferait donc de Cléopâtre une simple « créole » macédonienne et non une Egyptienne : en effet, la ville d'Alexandrie, qui, comme son nom l'indique, a été créée par le roi Alexandre le Grand, était alors considérée comme extérieure à l'Egypte et indépendante vis-à-vis d'elle. Alexandrie ne sera d'ailleurs rattachée à l'Egypte que du fait de ses souverains.
    De l'enfance puis de la jeunesse de Cléopâtre nous ne savons rien, ou presque rien. On ne peut en fait que donner des hypothèses car la prime jeunesse de la future reine reste bien sombre. Tout ce que l'on sait, c'est que Cléopâtre, dans sa jeunesse, dut certainement très faire face au règne agité et chaotique de son père, Ptolémée XII, un moment où le désamour entre la dynastie Lagide d'origine grecque et le peuple égyptien est flagrant. Les causes en sont nombreuses : tout d'abord la débilité (au sens propre et figuré du terme) des souverains, ensuite, la corruption et la cupidité des administrateurs qui gangrènent l'Etat, la perte de plusieurs provinces (Chypre, la Cyrénaïque...) et bien d'autres choses, qui font du règne du père de Cléopâtre l'un des plus calamiteux de la dynastie.
    En -58, Bérénice IV, demi-soeur de Cléopâtre, renverse leur père et s'empare du pouvoir. Elle reste sur le trône jusqu'en -55, date à laquelle Rome intervient militairement pour replacer le souverain déchu sur le trône d'Egypte. Ce dernier va alors se lancer dans une série de massacres, de proscriptions et d'assassinats à laquelle n'échappe pas la reine séditieuse Bérénice IV mais cela ne le conforte pas du tout dans le pouvoir précaire qu'il tient encore entre ses mains grâce aux Romains qui le soutiennent. Il semble que Cléopâtre ait assisté à tous ces évènements avec beaucoup d'attention et elle retiendra la leçon. Une fois elle-même montée sur le trône, elle saura utiliser tous les moyens qui se présentent à elle pour éliminer ses ennemis de son chemin ou ceux qui la gênent, comme so frère Ptolémée XIV, en -44, qui était aussi son époux.
    De la personnalité de Cléopâtre, on ne pourtant peu de choses, le romantisme ayant participé à déformer la vision du personnage. Mais il est certain que c'est une femme courageuse et intelligente, qui sut se réléver assez puissante pour inquiéter Rome...Doté d'un esprit brillant, cultivée, Cléopâtre n'est pas, et loin s'en faut, une beauté. L'image que nous avons d'elle est pourtant tout autre. Son nez a traversé les siècles et a fini par devenir aussi célèbre que sa propriétaire mais on attribue aussi à Cléopâtre une véritable beauté que, vraisemblablement, elle n'avait pas. En effet, le peu de pièces de monnaie que nous avons en notre possession montrent une femme aux traits lourds et au nez très proéminent. Mais elle avait du charme et une certaine séduction, dont elle savait user habilement.
    Il semble que Cléopâtre n'ait pas eu à souffrir de l'enseignement plus qu'insuffisant dont on gratifiait les filles, à son époque, dans le monde hellénistique et cela, même au sein des familles royales. Il semble en effet que la petite princesse ait reçu l'enseignement de pédagogues cultivés et compétents. L'historien latin Plutarque insiste d'ailleurs sur les qualités intellectuelles indéniables de la reine. Véritable polyglotte, elle parle, outre l'égyptien et le grec, l'araméen, l'éthiopien, le mède, l'arabe, l'hébreu et la langue des Troglodytes, peuple vivant au sud de la Libye.
    En mars -51, le roi débile Ptolémée XII Aulète, père de Cléopâtre la désigne sur son testament comme successeur, avec un frère cadet de la jeune fille, le jeune Ptolémée XIII âgée d'une dizaine d'années environ. Selon la coutume ptolémaîque, Cléopâtre est nominalement mariée à son jeune frère car elle ne peut régner seule sur l'Egypte. Toutes les titulatures des débuts du règne relèguent la future reine à la seconde place, accordant donc la plus grande importante à Ptolémée XIII. Leurs trois premières années de règne sont difficiles à cause des problèmes économiques qui secouent l'Egypte. Entre -50 et -48, les souverains doivent faire face à des disettes dues notamment à des crues insuffisantes du Nil mais aussi à des intrigues curiales, notamment entre l'eunuque Pothin et le général Achillas qui cherchent à diviser le frère et la soeur.
    A l'autome -49, le torchon brûle entre Cléopâtre et son jeune frère, leurs relations se dégradent brutalement. On ne connaît pas les causes de cette brusque rupture entre Cléopâtre et Ptolémée. Mais, à partir de cette date, le nom de la reine apparaît dans les textes officiels avant même celui de Ptolémée XIII. Ces tensions aboutissent à un véritable affrontement à l'été -48, lorsque le frère et la soeur se font face à Péluse. Cléopâtre est en difficulté et choisit de fuir : elle passe en Syrie puis à Ascalon, où elle trouve de l'aide. C'est alors que Rome intervient dans les démêlés égyptiens : Pompée, vaincu par Jules César à Pharsale en juin -48, tente de trouver refuge en Egypte. Appien, auteur latin, affirme que Cléopâtre et Ptolémée XIII avaient aidé Pompée en lui envoyant une flotte d'une soixantaine de bateaux. Mais le jeune roi juge, avec ses conseillers, la cause de Pompée comme perdue et décident de le faire assassiner à son arrivée en Egypte, pour se faire bien voir du vainqueur, c'est-à-dire, Jules César. Pompée pose le pied le 30 juillet -48 sur le sol égyptien et est aussitôt assassiné par les sbires de Ptolémée, sous les yeux de son entourage. Seulement, ce que le roi d'Egypte n'avait pas pensé, c'est que cet assassinat met César, arrivé deux jours plus tard en Egypte, en rage. En effet, César considère cet assassinat comme un lâche forfait. Il se fait remettre la tête de Pompée -il a été décapité- qu'il enterre dans le bosquet de Némésis, en bordeur du murs Est de l'enceinte d'Alexandrie et n'éprouve pour Ptolémée XIII que mépris.

    II. La rencontre avec César

    INTERMÈDE LXIX

     César et Cléopâtre par Jean Léon Gérome (1866)

    Pourquoi César débarque-t-il en Egypte ? Il semblerait que l'homme fort de Rome ait des raisons politiques -annexion de l'Egypte, par exemple- mais aussi des raisons plus personnelles : il cherche en effet à obtenir le remboursement des dettes contractées par Ptolémée XIII auprès d'un banquier romain et qu'il a reprises à son compte. Il se rend bien compte de la désunion qui déchire le couple royal égyptien et s'emploie alors à les réconcilier dès la fin de l'année -48. Les deux souverains sont convoqués par lui au palais royal d'Alexandrie. Ils finissent, après bien des tergiversations, à s'y rendre et c'est à ce moment-là qu'aurait eu la fameuse légende du tapis de Cléopâtre : la jeune reine de 20 ans se serait en effet enrouler dans un tapis que des domestiques auraient ensuite déroulé aux pieds de César. La jeune femme serait ainsi apparue sous les yeux du Romain, séduit sinon par sa beauté, par son redoutable charme.
    César propose le « statu quo ante », c'est-à-dire, à un retour à ce que préconisait le testament de Ptolémée XII, père de Cléopâtre et Ptolémée XIII. La jeune femme accepte mais son frère refuse, guère impressionné qu'il est par les faibles effectifs de César -7000 hommes environ. D'ailleurs, César se trouve d'ailleurs même prisonnier dans les murs d'Alexandrie à la fin de l'année -48. C'est finalement la noyade de Ptolémée XIII dans le Nil, le 15 janvier -47 qui met fin aux hostilités.
    A ce moment-là, César a renoncé à ses projets d'annexion. Il faut dire que, séduit par la jeune reine, il a commencé une romance avec elle, qui est en plus devenue son alliée. Mais on ne peut pas dire avec certitude que c'est cette liaison qui a poussé César à revoir ses ambitions et à préférer une alliance plutôt qu'une annexion. Il est vrai aussi que l'Egypte représenterait pour un homme politique ambitieux un véritable tremplin : un gouverneur d'Egypte ambitieux pourrait tenir Rome à sa botte en la privant par exemple du blé égyptien qui approvisionnait la cité...En effet, à ce moment-là, la position de César n'est pas si assurée que l'on veut bien le croire.
    Avant de quitter l'Egypte, César ordonne à Cléopâtre d'épouser un autre de ses frères cadets, le jeune Ptolmée XIV. Mais désormais, elle est la seule à détenir le pouvoir, sous un protectorat romain. Désormais, le nom de la reine est en placé en tête des actes officiels. En Egypte, sa liaison avec le Romain ne fait mystère pour personne. Mais César doit bientôt quitter l'Egypte pour aller se battre contre Pharnace, le roi du Pont mais aussi contre les derniers partisans de Pompée en Afrique. Lorsqu'il revient à Rome en -46, il convoque les souverains Lagides. Les raisons de cette convocation sont imprécises : César veut-il revoir sa maîtresse égyptienne ? Veut-il impressionner les souverains d'Egypte en les faisant assister aux éclatants triomphes qui célèbrent sa gloire à Rome durant l'été -46 ? Ou bien souhaite-t-il leur montrer ce qu'il en coûte de se révolter contre lui en exposant dans ses triomphes Arsinoé, soeur de Cléopâtre, qui s'était fait reconnaître comme reine par les troupes du roi Ptolémée XIII ? Ou bien veut-il garder en otage à Rome les souverains d'un pays dont les ressources en blés sont essentielles pour Rome ? Il est difficile de trancher pour telle ou telle question et apporter une réponse claire. Toujours est-il que les souverains d'Egypte quittent leur pays pour Rome. Pendant ce temps, le royaume est gouvernée par les officiers des troupes restées à Alexandrie. A Rome, Cléopâtre, qui retrouve son amant, est logé par lui dans sa villa qui surplombe le Tibre.
    Cléopâtre passe deux ans à Rome. D'abord, elle est logée dans la villa du Trastevere par César. Elle retourne ensuite en Egypte mais son séjour y est bref et elle revient à Rome. Elle est, à ce moment-là, probablement logée dans les anciens jardins appartenant à Claudia, la femme de Catulle, qui est aussi son amie. Le seul geste officiel de César en faveur de la reine d'Egypte est de faire placer une statue dorée à son effigie dans le temple de Vénus Genetrix à Rome, ancêtre mythique de la dynastie des Julio-Claudiens, dont il est issu. Par contre, on sait qu'elle rencontre quelques hommes politiques...parmi eux, Cicéron, qui écrira d'ailleurs, péremptoire, à Atticus : « Je déteste la reine. »
    Le peuple romain la considère également d'un mauvais oeil. A ses yeux, Cléopâtre n'est finalement rien d'autre que la prostituée de César. Même si elle est reine et déesse en sa demeure, elle n'incarne qu'une conquête romaine, une esclave, qui ne peut offrir de descendance à César. Pline la surnomme d'ailleurs la « regina meretrix », la « reine putain », ce qui est très clair. Sur de nombreuses lampes à huiles, on représente des caricatures de Cléopâtre : ainsi, elle est représentée en train de s'accoupler avec un crocodile et tenant une palme de victoire ! 

     

    III. La reine d'Egypte

    INTERMÈDE LXIX

    Antoine et Cléopâtre par Lawrence Alma-Tadema (1885)

    Cléopâtre tombe enceinte de César et donne naissance à un fils, Césarion, dont la date de naissance reste inconnue et sujette à caution. Il semble vraisemblablement qu'il soit né après la mort de César en -44. En effet, dans le testament de César, aucune allusion n'est faite au fils de Cléopâtre et il désigne son petit-neveu Octave comme son héritier.
    Aux ides de mars -44, César est assassiné lors d'une séance du Sénat. Profitant de la confusion qui secoue Rome après l'assassinat de César, Cléopâtre quitte Rome à la mi-avril. Elle fait une escale en Grèce puis fait voile vers Alexandrie où elle arrive en juillet -44. Elle entreprend de rétablir l'autorité de l'Egypte sur l'île de Chypre, qui avait été cédée à Rome en -59 par son père Ptolémée XII.
    A peine revenue en Egypte, elle y fait assassiner son jeune frère et second époux Ptolmée XIV, qui était un monarque fantoche donc inutile mais aussi, un rival potentiel. La naissance de son fils lui assurant un successeur éventuel, elle prend seul le titre de reine et ne se remarie pas.
    Mais la reine est confrontée à des années difficiles. Dès -43, elle doit faire face à une famine qui s'abat sur son pays puis à une absence de crues du Nil pendant deux années consécutives, en -42 et -41. Cléopâtre s'emploie surtout au ravitaillement de sa capitale, pourtant prompte à se rebeller contre le pouvoir. Elle doit en plus composer avec les trois légions romaines installées là par César avant son départ d'Egypte et qui se livrent à des exactions, jusqu'à leur départ définitif en -43.
    De plus, la guerre que se livrent les assassins de César et ses héritiers oblige la reine à louvoyer, diplomatiquement parlant. En effet, les assassins de César, Brutus et Cassius tiennent respectivement l'Asie Mineure et la Syrie. Le gouverneur de l'Egypte à Chypre, qui administre donc l'île au nom de la reine, aide Cassius, sans doute avec l'assentiment de la reine d'Egypte ce qui peut paraître étrange puisqu'elle a tout de même été l'amante de César. Il semble que la reine soit passée au dessus des sentiments que lui inspirent les assassins de César mais Sérapion, le gouverneur de Chypre, sera désavoué par la suite.
    Dans le même temps, Cléopâtre envoie une flotte aux partisans de César, menés par ses héritiers, Octave -futur empereur Auguste- et Marc Antoine. Ils reconnaissent Césarion comme roi. La flotte est victime d'une tempête au large des côtés de la Libye mais permet à la reine de se placer dans le camp des vainqueurs, quand, en -42, les Républicains sont battus lors de la bataille de Philippes. En -43, elle envoie les légions romaines qui stationnent en Egypte contre Cassisus. Elle espère en effet qu'elle vont s'opposer à lui mais en fait, elles finissent par se rallier à sa cause ! Cassius envisage, semble-t-il, de s'emparer de la ville d'Alexandrie, quand le débarquement d'Antoine et d'Octave en Egypte le fait reculer dans ses projets.
    En -41, Cléopâtre est âgée de 29 ans, Marc Antoine d'une quarantaine d'années. Le général romain avait participé, en -55, au rétablissement de Ptolémée XII sur le trône d'Egypte mais on ne peut dire avec certitude que la future reine et le général s'étaient fréquentés à ce moment-là. Appien indique que Marc Antoine avait déjà remarqué la jeune femme, mais nous n'en avons pas la preuve. On ne peut donc pas savoir si la rencontre de -41 est la première ou bien si les deux protagonistes s'étaient déjà vus dans le passé. Cléopâtre et Marc Antoine auraient pu également se connaître lors du séjour de la jeune femme à Rome. Quoi qu'il en soit, lorsque le général pose le pied sur le sol égyptien, il semble mal connaître la reine et c'est réciproque. Après le partage du monde romain qui a lieu après la bataille de Philippes, Marc Antoine reçoit l'Orient. Il reprend alors le grand projet que César nourrissait avant sa mort : une formidable expédition contre les Parthes, ennemis héréditaires de Rome. Pour cela, il convoque tous les souverains des royaumes clients de Rome en Cilicie, à Tarse, précisément. Parmi eux, la reine d'Egypte est conviée. Comme Cléopâtre connaît la vanité et le goût du faste de Marc Antoine, elle débarque avec un navire à la poupe dorée et aux voiles de pourpre. Elle-même siège sous un dais d'or et est entourée d'un équipage déguisé en Nymphes, en Néréides et en Amours. Puis, elle invite Marc Antoine à bord de sa galère magnifique pour un banquet qui se veut lui aussi tout aussi somptueux. C'est alors que commence entre eux une liaison qui va durer dix ans, sans doute l'une des plus célèbres retenues par l'Histoire, même s'il est difficile de savoir si, chez Marc Antoine, le calcul n'a pas le pas sur l'amour -en effet, il a besoin de l'Egypte pour soutenir et nourrir ses projets.
    Marc Antoine suit Cléopâtre à Alexandrie où il passe l'hiver -41 / -40, laissant son armée. C'est le moment que choisissent les Parthes pour lancer une vaste offensive qui leur permet de s'emparer de la Syrie mais aussi du sud de l'Asie Mineure et de la Cilicie. Antigone Matthathias, prince de la famille des Hasmonéens, hostile aux Romains, est reconnu comme roi de Jérusalem et installé sur le trône. Marc Antoine quitte alors son havre de paix d'Alexandrie pour tenter de sauver l'honneur. Il lance une courte offensive depuis Tyr mais obligé de rentrer rapidement à Rome, dans le courant de l'été -40. Là, s'affrontent ses partisans et ceux d'Octave. Pour tenter de calmer le jeu avec ce dernier, il conclut avec lui la paix de Brindes en octobre -40 et épouse sa soeur Octavie pour sceller leur pacte. Pendant ce temps, à Alexandrie, la reine d'Egypte accouche de jumeaux, enfants de Marc Antoine : le garçon est prénommé Alexandre Hélios, la fille Cléopâtre Séléné.
    La séparation d'Antoine avec sa maîtresse dure trois ans, du printemps -40 à l'automne -37 précisément. On ne connaît rien des actions de la reine pendant cette période. Lorsqu'Antoine quitte Rome, les deux amants se retrouvent à Antioche à l'autome -37. Comme il dirige l'Orient, Antoine lance une politique nouvelle d'envergure : ses alliés ont chassé les Parthes et, là où il le peut, il substitue à l'administration directe de Rome des Etats clients. C'est ainsi qu'Hérode devint roi de Judée, avec l'appui direct de Marc Antoine. Un même phénomène se produit simultanément en Galatie, dans le Pont et en Cappadoce. Cléopâtre tire bénéfice de cette nouvelle politique puisqu'elle se voit confirmer dans sa possession de Chyre -effective en fait depuis -44-, mai dans certaines villes de la côte syrienne, de le royaume de Chalcis -Liban actuel- et de la côté cilicienne. Cléopâtre reconstitue ainsi patiemment une partie de la thalassocratie des premiers rois de la dynastie Lagide.
    En -37 / -38, Marc Antoine, qui est décidément d'humeur belliqueuse, décide de s'attaquer une nouvelle fois aux Parthes, mais cette campagne tourne au désastre, notamment à cause de l'hiver rigoureux qui dévit dans les montagnes de l'Arménie et de l'Iran actuels. Antoine lui-même en réchappe de peu. Cléopâtre ne l'a pas accompagné dans sa campagne : elle est restée à Alexandrie car elle est enceinte une nouvelle fois et elle donne naissance à Ptolémée Philadelphe, son quatrième enfant et le troisième né de son union avec Marc Antoine.
    Après -37, à Rome, on commence à voir à Rome l'alliance d'Antoine et de la reine d'Egypte d'un mauvais oeil. En effet, elle est considérée comme une véritable menace contre l'Empire et contre Octave lui-même. Ce dernier décide d'envoyer sa sœur Octavie, propre épouse d'Antoine et mère de ses deux filles, Antonia Major et Antonia Minor, au début du printemps -35, rejoindre son légitime époux. Mais Antoine, qui n'est pas prêt à quitter sa maîtresse, ordonne à sa femme de faire demi-tour alors qu'elle est à Athènes. Octavie, sans montrer aucun signe de contrariété, ordonne aux troupes qui l'accompagnent, des renforts destinés à son époux par son frère, de poursuivre leur route vers Alexandrie.
    Antoine, toujours en Egypte, n'en finit plus de ruminer son échec militaire humiliant contre les Parthes et il décide de lancer une nouvelle expédition militaire en -35, qui va s'avérer bien plus chanceuse que la précédente. Ainsi, l'Arménie et la Médie lui font allégeance et Antoine célèbre un triomphe, non à Rome mais à Alexandrie. A ce triomphe, il associe la reine d'Egypte et ses trois enfants, nés de leur liaison. Un peu plus tard, Césarion, le fils de Cléopâtre et de César est proclamé roi des rois tandis que le jeune Alexandre Hélios reçoit en partage l'Arménie et les terres se trouvent au-delà du fleuve Euphrate. Ptolémée Philadelphe, pour sa part, se voit confier, nominativement bien évidemment, car il n'a alors que deux ans environ, la Syrie et l'Asie Mineure. La petite fille, Cléopâtre Séléné, n'est pas oubliée et se retrouve ainsi à la tête de la Cyrénaïque. Cléopâtre, elle, réclame la Judée, mais Marc Antoine ne cède pas. La Judée ne tombera pas dans l'escarcelle de l'Egypte. Très fine, la reine d'Egypte ne manque pas de remarquer, également, que la moitié des états confiés à ses enfants par Marc Antoine ne sont pas effectivement sous son contrôle.

    IV. Le désastre d'Actium et la fin légendaire

    INTERMÈDE LXIX

    La Mort de Cléopâtre par Reginald Arthur (1882)

    En -32, les relations entre Marc Antoine et Octave s'enveniment de nouveau. L'affrontement devient inévitable. Octave craint Marc Antoine et sa popularité, grandissante au Sénat depuis son triomphe de -35. La désignation, par la suite, de Ptolémée XV Césarion, fils de la reine d'Egypte et de son grand-oncle César, lui front entrevoir une menace plus grande encore que tout ce qu'il avait pu imaginer. En effet, Césarion est le fils de César, Octave n'en est que le petit-neveu et il pourrait venir à l'idée du jeune homme de réclamer un jour l'héritage paternel.
    Octave s'emploie alors à dénigrer Marc Antoine par tous les moyens et dénonce aussitôt l'influence de Cléopâtre, l’Égyptienne, sur lui. Il accuse la reine d'Egypte de retenir le général grâce à ses charmes et juge les absences de Marc Antoine comme désastreuses pour Rome. La plupart des accusations portées contre Cléopâtre par Octave sont fausses mais elles auront la vie dure puisqu'elles participeront à tisser, dans l'oeuvre latine -Sénèque, Pline l'Ancien...-, la légende noire qui accompagne son personnage depuis des siècles. Ainsi, Cléopâtre est rendue responsable de la guerre et la propagande du futur Auguste n'hésite pas à affirmer que le but ultime de la reine d'Egypte est de régner sur Rome !
    La guerre qui va opposer Octave et Marc Antoine voit l'Egypte fournir une part importante de l'effort de guerre : près de 200 trières sont ainsi fournies par la reine d'Egypte. Les royaumes alliés, à l'exception de la Judée, grâce aux manœuvres de l'habile Hérode, qui parie sur Octave, sont aussi mis à contribution. Marc Antoine possède des troupes aguerries et supérieures en nombre. Pourtant, il va être défait lors de la bataille qui se prépare...Tandis qu'Octave peine à réunir une armée digne de ce nom, en Egypte, les officiers d'Antoine voient d'un mauvais œil l'implication clairement affichée de Cléopâtre dans la guerre, en particulier par les anciens républicains, assassins de César, qui se sont ensuite alliés à lui. Par exemple, Domitius Ahenobarbus refuse de saluer Cléopâtre de son titre de reine et finit par faire défection.
    Pendant la préparation de la guerre, Cléopâtre ne quitte pas Antoine d'une semelle. Ainsi, elle est avec lui à Ephèse, à Athènes puis à Patras. Plus lucide que les officiers de son amant, elle comprend très bien que les accusations portées contre elle par Octave n'ont pour but que de miner la popularité d'Antoine au Sénat, à Rome.
    La bataille navale d'Actium a lieu en septembre -31. Cléopâtre, qui comprend très vite l'issue de la bataille, rompt le combat et rebrousse chemin avec sa flotte, vers l'Egypte. Cette fuite est bien évidemment utilisée par Octave et permet à ce dernier de se rallier de nombreux fidèles d'Antoine.
    Les derniers mois de Cléopâtre et Antoine sont mal connus. Antoine est retourné en Egypte après Actium et ne prend aucune mesure ou presque, pour lutter contre l'avancée triomphale et de plus en plus menacante d'Octave. Il se perd en banquets, beuveries et fêtes somptueuses sans plus se soucier de la situation de plus en plus désastreuse. Et qu'en est-il de la reine d'Egypte ? Certains affirment qu'elle cherche maintenant à séduire Octave, qui est l'homme fort du moment mais aucune preuve n'a été apportée à cela. Il semble surtout qu'elle ait cherché à mettre son fils aîné, Césarion, à l'abri, en l'envoyant à Méroé, au Soudan.
    Vers août -30, onze mois après la bataille, Octave arrive à Alexandrie. Marc Antoine, à qui l'on rapporte la fausse annonce du suicide de Cléopâtre décide de mettre lui aussi fin à ses jours en se jetant sur son épée. Il est transporté agonisant dans le tombeau que Cléopâtre était en train de faire construire pour elle et dans lequel elle s'est retranchée avec quelques femmes. La reine est conduite devant Octave, qui accepte de la laisser se retirer avec ses servantes. Cette attitude est étrange, car Octave ne semble prendre aucune précaution pour éviter un éventuel suicide de la reine. Et pourtant, il a besoin d'elle, pour la faire figurer dans son triomphe. Mais peut-être craint-il que la reine déchue, à l'instar de la reine Arsinoé dans le triomphe de César, ne suscite chez les Romains de la compassion plutôt que de la haine ? Il n'est pas impossible qu'Octave ait espéré le suicide de la reine qu'il aurait pu ensuite montrer comme l'ultime lâcheté de cette femme perverse et charmeuse. Suétone, lui, affirme au contraire qu'Octave souhaitait maintenir Cléopâtre en vie et qu'il aurait même tenté de la sauver. Mais il est difficile de connaître la vérité, les sources se contredisant toutes.
    En ce qui concerne la mort de Cléopâtre, le légendaire suicide à l'aide d'un aspic est aujourd'hui regardé comme une fausse information. C'est Plutarque qui dresse un récit mélodramatique du suicide de la reine. Pour cela, il s'inspire du récit des événements publié par Olympios, le médecin personnel de Cléopâtre.
    Avec ses deux plus fidèles servantes, qui ne l'ont pas abandonnée, Iras et Charmiane, la reine Cléopâtre se donne la mort le 12 août -30, en se faisant apporter un panier de figues dans lequel se trouvent deux aspics venimeux. Pour E. Will, cette mort voulue par la reine d'Egypte lui permettait de se rattacher un peu plus aux traditions égyptiennes qui voulaient que la morsure de l’uræus confère l'immortalité.
    Certains historiens ont soulevé l'invraisemblance de cette mort. En effet, Cléopâtre se donne la mort avec deux de ses femmes, or, les serpents se déchargent de tout leur venin lors de la première morsure. Ainsi, deux aspics n'auraient pu tuer trois personnes. Mais l est vrai que certains serpents, comme les cobras peuvent contrôler leur venin et ainsi, tuer à plusieurs reprises...Ces historiens pensent en fait que c'est Octave qui a fait exécuter la reine mais il négligent le fait que Cléopâtre était alors âgée de 39 ans, un âge important pour l'époque et qu'elle avait quatre enfants. Ainsi, elle ne représente plus vraiment une menace pour Octave. Et d'ailleurs, s'il fait assassiner Césarion, les trois enfants nés d'Antoine et de Cléopâtre ont la vie sauve et ne sont pas exécutés alors qu'ils auraient pu représenter une menace bien plus importante que leur mère affaiblie par la mort de son amant et la défaite d'Actium. Cléopâtre Séléné et ses frères Alexandre Hélios et Ptolémée Philadelphe sont aménés à Rome où Octavie, l'épouse d'Antoine, va les élever. Par la suite, la petite Cléopâtre Séléné devenue grande épousera le roi berbère Juba II de Maurétanie, orphelin de guerre élevé à Rome comme elle. On ne sait ce que devinrent les deux garçons.
    Pour en revenir à la mort de Cléopâtre, certains historiens avancent la théorie du poison, déjà invoquée par Strabon. Le poison le plus connu à l'époque était un mélange d'opium, de ciguë et d'aconitum, que la reine aurait placé dans une épingle à cheveux qui maintenant son diadème orné d'un double uræus, d'où la quiétude sur le visage de la reine défunte et la confusion, par la suite, avec les cobras ou les aspics.

    Cléopâtre, bien qu'affublée dès avant sa mort d'une légende noire tenace, a été une bonne administratrice et s'est rendue compte que l'Egypte ne pouvait plus se suffire à elle-même, malgré son passé glorieux. Elle a tenté de sortir son pays de la décadence tout en maintenant son indépendance et en affermissant son propre pouvoir. A aucun moment, Cléopâtre ne perd de vue qu'elle est la représentante suprême de l'Egypte et de son peuple. Elle tente ainsi de rallier les gens de la chôra -la province, par opposition aux gens d'Alexandrie- et protège les populations juives installées en Egypte. Finalement, le règne de Cléopâtre est une période plutôt heureuse pour l'Egypte. Elle assume aussi des rituels pharaoniques que ses prédécesseurs ont négligés et elle adopte le rituel traditionnel pour la naissance de Ptolémée-Césarion-Horus, fils de César-Amon et de Cléopâtre-Isis. Le trône pour elle est moins un patrimoine que l'on dilapide qu'une patrie que l'on dirige, ce simple fait la distingue des derniers souverains de la dynastie.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.


    Pour en savoir plus :

    - Cléopâtre, la déesse-reine, Christian-Georges Schwentzel. Biographie.
    - Cléopâtre, Joël Schmidt. Biographie.
    - Antoine et Cléopâtre, la fin d'un rêve, P-M Martin. Essai historique, biographie.

     


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