• Adelia Aguilar, tome 1, La Confidente des Morts ; Ariana Franklin

    « Je suis de bonne volonté envers les bonnes volontés qui peuvent m'être utiles. »

    Adelia Aguilar, tome 1, La Confidente des Morts ; Ariana Franklin

    Publié en 2007 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Mistress of the Art of Death

    Editions 10/18 (collection Grands Détectives) 

    519 pages 

    Premier tome de la saga Adelia Aguilar

    Résumé : 

    Cambridge, 1171. Un enfant a été massacré dans des conditions atroces et les Juifs, désignés comme boucs émissaires, ont été forcés de se retirer dans le château seigneurial afin d’éviter un lynchage en règle. Henri, roi d’Angleterre, ne voit pas ces événements d’un très bon œil. Le véritable assassin doit être trouvé, et rapidement. Un enquêteur de renom, Simon de Naples, est dépêché depuis le continent et débarque en ville accompagné d’un Maure et d’une jeune femme, Adelia Aguilar, spécialisée dans l’étude des cadavres... Un savoir-faire qu’elle devra garder secret si elle veut éviter d’être accusée de sorcellerie.

    L’enquête d’Adelia la plongera au cœur de Cambridge où, fatalement, elle attirera l’attention d’un meurtrier prêt à tuer à nouveau…

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1171, la ville de Cambridge est endeuillée par les meurtres atroces de plusieurs jeunes enfants, qui ont disparu avant d'être retrouvés assassinés de la plus affreuse manière. Et parce que d'étranges objets ont été retrouvés sur eux, objets qui ont évoqué aux habitants de la ville l'étoile de David, les Juifs de la ville, afin de se soustraire à la vindicte populaire, sont allés se réfugier dans le château. La situation dure depuis un an et le roi Henri II, qui voit, non sans souci, baisser les rentes que la cité lui doit, décide d'employer des grands moyens pour élucider cette affaire.
    Dépêché depuis Salerne, par le roi de Sicile lui-même, Simon de Naples arrive en Angleterre, bien déterminé à faire la lumière sur ces meurtres affreux. Il est accompagné par Mansur et surtout Adelia, une jeune femme étrange et savante : elle est surtout un maître de l'art de la mort et une Trotula Medica, c'est-à-dire une femme médecin car, si au nord de l'Europe, au XIIème siècle, il est impossible et impensable que les femmes exercent la médecine, à Salerne, ville réputée pour sa faculté de médecine, justement, les femmes y sont admises comme les hommes et peuvent ensuite exercer et enseigner sans problème. Et Adelia s'est spécialisée dans ce que l'on appellerait aujourd'hui la médecine légale et fait parler les cadavres, pouvant, grâce aux autopsies qu'elle pratique, découvrir où, quand et comment ils ont été assassinés ou s'ils l'ont été, justement. Exerçant une médecine rationnelle et scientifique, très éloignée de la discipline brouillonne et ignare, pétrie de superstitions religieuses et qui tue plus sûrement qu'elle ne guérit qui est alors la norme dans la plupart des pays d'Europe, Adelia va devoir, avec l'aide de ses compagnons faire la lumière sur une affaire sensible qui menace l'équilibre même du royaume des Plantagenêt.
    Elle découvre un pays bien différent de celui qu'elle a quitté : si Salerne est une ville cosmopolite, où se côtoient des dizaines de peuples et de langues différents et dont l'Histoire riche mêle traditions arabes, romaines et chrétiennes, réchauffée par le soleil méditerranéen, où sa condition de femme ne l'a pas empêchée de devenir médecin -même si elle a rencontré des difficultés-, l'Angleterre du début des années 1170 est, pour elle, une terre barbare et arriérée, dont l'antisémitisme forcené lui est incompréhensible et où la religion et surtout l'Eglise sont toute-puissantes et entendent bien exercer cette hégémonie, en empêchant Adelia et ses compagnons d'exercer correctement, à s'opposant à l'examen des cadavres par exemple ou en ne reconnaissant pas Adelia, une femme, comme un véritable médecin apte à guérir et soigner. Car si elle peut faire parler les morts, Adelia n'en reste pas moins un médecin tout à fait habilité à sauver et soulager les vivants.
    J'aime beaucoup le Moyen Âge et c'est une période que je trouve fascinante depuis bien longtemps. Déjà, dans le temps, elle est immensément longue et couvre dix siècles, ce qui n'est pas rien. C'est un trait d'union entre l'Antiquité et les Temps Modernes et quel trait d'union ! Seulement, on a tendance à aborder cette époque à travers les clichés et les idées préconçues que films, romans et même anciens travaux d'historiens ont nourri, c'est-à-dire une époque fruste, sale, ignare, illettrée, barbare... On imagine des châteaux austères, des paysans pataugeant dans la boue, des seigneurs qui passent leur temps à guerroyer. Et si, tout dans ce portrait, n'est pas faux, le Moyen Âge est une période malgré tout plus fine et plus éclairée qu'on ne le pense en général et le Moyen Âge central, justement, est une époque d'émulation culturelle, notamment dans les terres continentales des Plantagenêt ou dans les terres occitanes, où l'art de la fin'amor est poussé à son paroxysme par les troubadours et encouragé par la fameuse et très belle Aliénor, l'épouse justement, du roi Henri II d'Angleterre. Et Adelia et ses compagnons symbolisent eux aussi cette érudition médiévale qui n'est pas un mythe : oui, de tout temps il a existé des médecins capables et qui envisageaient la médecine rationnellement et surtout dans le bassin méditerranéen d'ailleurs, où les Arabes ont pratiqué très tôt cette science et développé aussi la chirurgie.
    Malgré tout, il faut nuancer cette image qui peut paraître idyllique et qui, comme la précédente, serait totalement fausse si on oubliait que superstitions et obscurantisme ont bien sûr existé, surtout du fait de l'Eglise, d'ailleurs, qui y voyait un moyen d'assurer sur des populations soumises sa mainmise et c'est à cela qu'Adelia va se heurter à Cambridge, ce qui suscite son incompréhension : pourquoi laisser mourir ou souffrir quelqu'un sous prétexte que cela plaît à Dieu, alors qu'on a les moyens de le sauver ou de le soulager ? Pourquoi les hommes d'Eglise et les religieux pourraient-ils bénéficier, quand ils sont coupables d'un délit ou d'un crime, d'un droit d'impunité et d'une indulgence que l'on n'aurait pas pour quelqu'un qui ne porte pas le voile ou n'est pas tonsuré ? Pourquoi, enfin, lui jettent-ils sa condition de femme au visage comme une abomination et l'empêchent-ils d'exercer son art alors qu'elle est là pour faire la lumière sur une affaire sordide qui est en passe de semer la terreur et la psychose parmi les habitants de Cambridge et des environs ?
    La Confidente des Morts est une violente diatribe contre les Croisades et surtout contre cette Eglise médiévale puissante, trop puissante et qui se contredit, imposant à ses ouailles ce qu'elle-même ne met pas en pratique, une Eglise corrompue et gangrenée, dans laquelle cependant on trouve des âmes éclairées et étrangères au fanatisme, comme celle du père Geoffrey.
    La Confidente des Morts est un éloge de la pensée raisonnée et débarrassée de toute entrave religieuse et superstitieuse, l'éloge d'une science exercée rationnellement, par un esprit humain non enchaîné par des croyances et habitué à faire fonctionner ensemble tous ses rouages et ses mécanismes. Adelia, dans sa conception de la médecine, est d'un autre temps, elle détonne dans cet univers où se mêlent étroitement croyances chrétiennes et croyances païennes héritées de tous les peuples qui se sont succédé en Angleterre, des Vikings aux Saxons. Pas croyante ou alors, sans idôlatrie, tolérante envers toutes les religions, accompagnée d'un Juif et d'un Arabe musulman, Adelia n'appartient pas vraiment à ce Moyen Âge masculin et très religieux, dur et intolérant.
    Certains lecteurs ont déploré qu'Adelia n'était pas vraiment un personnage agréable et attachant mais j'ai l'impression que ce n'est pas vraiment lui rendre justice que de penser ainsi : Adelia, de part sa condition de femme médecin, qui la place obligatoirement en marge d'une société qui n'est pas pour elle, ne peut se permettre d'être agréable et avenante et sa brusquerie n'est finalement que le reflet de sa méfiance et de la surveillance qu'elle exerce sans arrêt sur elle-même. Personnellement, je l'ai beaucoup appréciée et dès le début, même si, effectivement, elle apparaît comme froide et un peu sèche. Petit à petit cela dit, le personnage se nuance et son humanité apparaît derrière le masque figé du médecin et du scientifique.
    Ce thriller médiéval, premier tome d'une saga en quatre tomes qu'il me tarde déjà de découvrir, est parfaitement réussi. J'ai retrouvé des univers familiers, ceux de Karen Maitland ou Andrea H. Japp qui dénoncent elles aussi subtilement et décrivent parfaitement cette époque si complexe, mais un petit quelque chose aussi qui fait de La Confidente des Morts un roman absolument unique. Je l'ai lu en quelques jours et je me suis sentie happée par cette ambiance poisseuse, tendue et sale, qui a suscité en moi bien des sentiments : dégoût, angoisse et j'ai même ri, parfois, parce que l'humour n'en est pas absent pour autant et le langage fleuri des habitants du Cambridgeshire est plutôt drôle ! Il y'avait longtemps qu'un roman ne m'avait pas tenue éveillée et n'avait pas serré ma gorge en faisant battre mon cœur comme si je me trouvais devant un écran et que je voyais vraiment les images se dérouler devant mes yeux. La traque de ce tueur horrible qui s'en prend aux plus jeunes et aux plus démunis pour leur faire subir les pires sévices devient petit à petit la nôtre, on se surprend à échafauder des hypothèses qui tombent d'elle-mêmes à mesure que l'on avance dans le roman ou qui s'avèrent finalement justes. On soupçonne tout le monde, la psychose des personnages se transmet au lecteur...
    Le journal The Guardian dit d'Ariana Franklin qu'elle est l'un des meilleurs auteurs de thrillers médiévaux actuellement et je pense que cette réputation n'est pas usurpée. Très honnêtement, en commencant ce livre, je ne m'attendais pas à aimer autant ni à me sentir totalement scotchée comme ça a été le cas. Ce roman m'a fait l'effet d'un film tour à tour angoissant, dégoûtant ou drôle, on passe vraiment à sa lecture par tout un panel de sentiments et, en ce qui me concerne, c'est le signe d'un roman réussi.
    J'ai passé un excellent moment avec cette lecture et, n'ayant pas les autres tomes sous la main, il va falloir que j'attende un peu avant de poursuivre ma découverte des aventures d'Adelia en Angleterre. J'ai donc quitté les personnages à regret même si heureuse qu'ils aient pu faire la lumière sur cette affreuse affaire. Et, bien évidemment, j'ai été surprise par le dénouement comme dans tout bon roman policier qui se respecte.
    Si vous aimez les ambiances tendues et noires, légèrement angoissantes, si comme moi, vous avez lu avec intérêt les romans de Karen Maitland ou Andrea H. Japp, alors ce roman est fait pour vous. J'ai apprécié aussi l'aspect très médical du roman, qui est passionnant.
    Un roman à conseiller vraiment et dont on ne ressort pas indemne, ça c'est sûr ! Ariana Franklin signe là un formidable thriller médiéval ! 

    En Bref :

    Les + : l'aspect scientifique et médical du roman, ses personnages aussi, indéniablement, l'ambiance et le style de l'auteure qui sert tout cela habilement. Ariana Franklin écrit vraiment très bien. 
    Les - : Aucun ! J'ai été passionnée par ce roman. 

     

     

    Adelia Aguilar, tome 1, La Confidente des Morts ; Ariana Franklin

    Les Enquêtes de Quentin du Mesnil, Maître d'Hôtel à la Cour de François Ier, tome 1, Le Sang de l'Hermine ; Michèle Barrière 

    Thème de juin, « Preux chevaliers », 6/12


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 23 Juin 2019 à 23:18

    J'avais pas mal aimé certains livres d'Andrea H. Japp alors que je ne suis pas fan du Moyen Âge mais je réitérerai bien l'expérience avec Ariana Franklin, que je ne connais pas. Je sens bien que cette saga pourrait me plaire autant qu'à toi... À lire, donc !

      • Lundi 24 Juin 2019 à 20:01

        Même en étant pas forcément fan du Moyen Âge, je pense que tu peux trouver ton bonheur chez Ariana RFranklin parce qu'on est finalement happé par l'intrigue en elle-même et on oublierait presque qu'elle se passe au Moyen Âge, même si l'omniprésence de la religion nous rappelle effectivement que nous sommes au XIIème siècle. Si tu as aimé Andrea H. Japp qui, elle, pour le coup soigne vraiment ses ambiances sombres et moyenâgeuses alors je pense que tu aimeras Adelia... En ce qui me concerne, j'ai très très envie de découvrir la suite, surtout le tome consacré à l'enquête sur l'hypothétique tombe du roi Arthur et de la reine Guenièvre ! smile

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