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Biographies / Essais Historiques / Mémoires
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Par ALittleBit le 8 Novembre 2024 à 15:54
« Il aurait fallu que l'homme soit capable de prendre une distance par rapport à lui-même, mais les peurs qui le tenaillaient étaient trop profondément inscrites en lui pour qu'il puisse s'en faire le juge objectif et la sorcière, née de ses propres peurs, s'imposait comme une évidence. »
Publié en 2019
Éditions Tallandier (collection Texto)
496 pages
Résumé :
Que sait-on vraiment des sorcières et de leurs charmes ? Quelles fonctions leur ont été attribuées ? Et surtout, quelles représentations a-t-on projetées sur ces créatures surnaturelles ?
Toujours redoutées, souvent dénoncées et parfois brûlées, les sorcières hantent depuis toujours l'imaginaire occidental. Les Grecs avaient les leurs et nos sociétés contemporaines continuent d'en cultiver l'image. Colette Arnould retrace l'étrange histoire de la sorcellerie de l'Antiquité jusqu'au XXe siècle dans un récit qui dépasse largement la simple chronique : au fil des pages se profilent quelques grandes questions telles que la place des femmes dans la société, la tolérance ou la fascination pour le mal et la violence. Autant de sujets d'une actualité inquiétante.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Toutes les époques ont eu leurs sorciers ou leurs sorcières. De l'Antiquité jusqu'à nos jours, le personnage a certes évolué, mais sans jamais disparaître.
Ironie, méfiance, terreur, attirance, le personnage du sorcier et plus particulièrement de la sorcière - car la notion tend à se féminiser assez rapidement - a suscité bien des sentiments qui, eux aussi, se sont modifiés tout au long de l'Histoire. Et, pour passer de la sorcière criminelle que l'on brûle, à la figure populaire que nous connaissons aujourd'hui, notamment par le biais des dessins animés, des livres pour enfants mais aussi d'un néo-paganisme qui séduit de plus en plus, il a évidemment fallu que la société et ses mentalités évoluent, comme un renversement s'opéra au tournant du Moyen Âge et des Temps modernes, pour passer de croyances en la sorcellerie et en la magie que l'on considérait vaguement au mieux comme des superstitions, à une véritable chasse aux sorcières et aux démons, qui fit de très nombreuses victimes partout en Europe et ce, jusqu'au XVIIIe siècle.
Alors, de Médée et Circé, les deux personnages de la mythologie grecque que l'on peut le plus rapprocher de l'image de la sorcière, à la figure brandie par les militantes féministes depuis les années 1970 (« Nous sommes les filles des sorcières que vous n'avez pas brûlées »), il est intéressant de découvrir comment l'Occident a traité ses sorcières et de briser bien des clichés, par exemple celui qui veut que le Moyen Âge, période sombre et obscurantiste ait été celle des grands bûchers, alors que ce sont les Temps Modernes, pétris pourtant d'humanisme et marqués par l'émergence de nouveaux courants de pensée (notamment la pensée cartésienne) qui ont le plus persécuté les sorcières - ou du moins, celles que l'on considérait comme telles. A l'époque, si discours contraires il y a, ils sont encore minoritaires, mais tendront peu à peu à s'imposer.
Le livre de Colette Arnould est intéressant pour cela, car il aborde plus de deux mille ans d'Histoire, ce qui n'est pas rien. Mi-historique mi-philosophique, cet essai nous amène au plus près de ceux - accusés, accusateurs, délateurs, mais aussi écrivains, religieux ou théologiens - qui ont façonné le mythe de la sorcière et lui ont donné relief et réalité, au point de faire naître, dans certains coins d'Europe, une véritable fièvre, voire une véritable psychose, comme ce fut le cas par exemple avec le personnage du vampire, qui enflamma l'Europe de l'est au XVIIIe siècle.
Si l'Antiquité et le début du Moyen Âge ne font aucune différence entre hommes et femmes, qui peuvent être indifféremment sorciers et sorcières, ce sont les derniers siècles de l'ère médiévale, qui vont commencer à populariser une image presque essentiellement féminine de la sorcière : alors que les premiers siècles du Moyen Âge considèrent les femmes comme parties prenantes de la société, ce n'est plus le cas à partir du XIVe siècle et, très vite, la misogynie ambiante, notamment véhiculée par les clercs, contamine une société malade et fragile, qui cherche des boucs émissaires : en effet, guerres, épidémies, schismes marquent les deux derniers siècles du Moyen Âge et la femme, comme l'étranger ou le Juif, devient la cristallisation des peurs du temps, un objet de haine ou de répulsion. De là va naître l'image de la sorcière dangereuse, vénale, lubrique, se livrant à des sabbats orgiaques avec le démon. La fin du Moyen Âge, notamment par le biais de bulles papales, va commencer à instaurer la future chasse aux sorcières et se hérisse des premiers bûchers. Mais c'est bien au cours des XVIe et XVIIe siècles que les sorcières vont être le plus malmenées avant qu'enfin la raison ne prenne réellement le dessus et que, de nouveau, ne soient considérées que comme des affaires d'escroquerie ou de charlatanisme ce qui, encore quelques décennies auparavant, était considéré comme des affaires hautement criminelles car démoniaques.Le sabbat des sorcières par Francisco de Goya au début du XIXe siècle
Reflet d'époques, de croyances, la figure de la sorcière n'aura donc jamais cessé d'évoluer et de se confondre avec des sociétés patriarcales marquées par la surpuissance des hommes et notamment des religieux qui, pendant des siècles, ont régi la vie spirituelle et pesé sur les consciences. Si l'on s'accorde aujourd'hui, dans une époque où la science règne en maître, à ne plus croire ni aux sorcières ni aux démons, ils n'ont pas pour autant disparu de notre imaginaire ni même de la société...mais un renversement s'est opéré : aujourd'hui, la sorcière est devenue le symbole flamboyant brandi par de nombreux courants féministes qui se réclament d'elle, parfois en opérant des raccourcis un peu trop faciles, il est vrai. La sorcière est devenue objet de commerce ou de nouveaux cultes, avec l'arrivée de courants néo-païens qui en ont fait une figure centrale de leurs croyances, en revenant à des cultes pré-chrétiens comme les mythologies celte, nordique ou gréco-romaine. Les Inquisiteurs des XVe, XVIe et XVIIe siècles tomberaient sûrement de leurs chaises en voyant ce que le XXIe siècle a fait de la sorcière qu'ils ont tant voulu éradiquer et qu'ils ont fait tant souffrir : une figure attirante, qui fait vendre (encens, pierres, bougies ou livres) et de laquelle se réclament sans se cacher des mouvements d'émancipation des femmes.
Si je regrette que l'autrice se soit arrêtée avant justement d'aborder le renversement d'image qui s'opère au XXe siècle, notamment avec l'émergence du féminisme militant des années 1970, j'ai passé un agréable moment de lecture avec cet essai finalement plus accessible que je ne le pensais. J'avais peur que les notions philosophiques soit complexes à comprendre mais ça n'a en réalité pas été du tout le cas et je crois justement que cette approche plus psychique permet de comprendre quels ont été les mécanismes de réflexion des humains de l'Antiquité, du Moyen Âge ou encore, de l'époque moderne et qui ont conduit à concevoir la sorcière comme un objet dont on doit se méfier ou non. Et même si nous ne pouvons cautionner ou comprendre qu'ils aient envoyé sur le bûcher ou réprimé des croyances qui, au final, ne se fondaient sur rien de tangible, nous entrevoyons au moins une explication. L'humain évolue et c'est tant mieux, surtout quand il se rend compte de ses erreurs et s'en amende - même si parfois, le processus est long, comme c'est le cas ici et jalonné de régressions voire de paradoxes. D'un point de vue sociologique, l'étude de la sorcière permet en effet de mieux éclairer des sociétés aujourd'hui disparues et sur lesquelles circulent parfois de très nombreux clichés : pendant combien de temps a-t-on cru que le Moyen Âge avait été l'époque des sorcières, avant que nous nous rendions compte que ce que nous projetions sur cette époque était en réalité biaisé et pas du tout conforme à la vérité historique ?
L'autrice nous explique également comment la procédure inquisitoriale s'est mise en place et institutionnalisée. Elle revient également sur l'édition du Malleus Maleficarum (littéralement le Marteau des sorcières) à la fin du XVe siècle qui fut aussi un tournant dans la répression de la sorcellerie et participa notamment à la confusion entre sorcellerie et féminité, à tel point que, très vite, le terme de sorcière s'imposa, jusqu'à nos jours d'ailleurs, où l'on parle de chasse aux sorcières - expression popularisée et que l'on utilise d'ailleurs encore aujourd'hui, dans bien d'autres cas.
Bref, c'était assez intéressant à lire, même si ça ne s'aborde évidemment pas comme un roman. Si vous vous lancez dans une telle lecture, ne vous attendez pas à le lire en quelques jours, il vous faudra un peu plus de temps et de la concentration, c'est certain, mais cela en vaut la peine. On ressort de ce type de lectures avec de nouvelles connaissances ou des connaissances actualisées et c'était vraiment tout l'objectif pour moi.Gravure représentant l'exécution d'une prétendue sorcière, Anneken Hendiks, à Amsterdam en 1571
En Bref :
Les + : un livre clair et très accessible sans être trop simplificateur non plus, bien au contraire. Une lecture passionnante pour peu que le sujet vous intéresse.
Les - : j'ai regretté que l'autrice n'ait pas abordé le visage plus contemporain (et notamment féministe) de la sorcière, qui n'a pas disparu de nos sociétés.
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Par ALittleBit le 27 Août 2024 à 11:12
« Si les énigmes de l'histoire fascinent tant le public, c'est sans doute parce qu'elles se présentent le plus souvent comme de captivantes enquêtes policières, auxquelles ne manque que le mot de la fin. »
Publié en 2018
Éditions Perrin
360 pages
Résumé :
Le 27 septembre 52 avant notre ère, tout était réuni pour que Vercingétorix l'emportât à Alésia sur les légions de César ; or, c'est tout l'inverse qui se produisit. Comment expliquer ce désastre où se joua le destin de la Gaule ? Le 29 mai 1968, le général de Gaulle disparaît ; face au mouvement social, eut-il la tentation de se retirer, et qu'est-il allé dire et faire à Baden-Baden ? Le secret de ces heures capitales n'est pas entièrement élucidé. La grande histoire est faite aussi de ces incidents, hasards et affaires qui ont défrayé la chronique et conservé leur part de mystère tout en influant sur les destinées du pays : épopée de Jeanne d'Arc, Masque de Fer, survivance de Louis XVII, exécution du duc d'Enghien, complot de la Cagoule, bien d'autres circonstances tout aussi romanesques et le plus souvent tragiques ont contribué à façonner la mémoire et la légende nationales, et continuent d'intriguer ou de faire rêver. Sur ces vingt épisodes, voici enfin ce qu'il est possible de savoir et de comprendre. Une autre manière d'écrire l'histoire de France.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
L’Histoire est truffée d’énigmes et de mystères en tous genres. Certains sont nés de sources lacunaires, contraignant les historiens à émettre des hypothèses plus ou moins cohérentes. D’autres sont du ressort de la légende et finissent par appartenir au domaine public. L’historien doit alors jongler entre ce que l’imaginaire et la science se disputent. Comme le dit très bien Colette Beaune dans son essai sur Jeanne d’Arc, l’historien se trouve alors face à un ennemi coriace, le mythographe. Et Dieu sait qu’au cours de l’Histoire, il y en a eu pléthore, qui ont voulu remodeler les faits, au mépris des faits.
Pour ce recueil, Jean-Christian Petitfils, économiste et historien réputé - il a ainsi publié de nombreuses productions sur le Grand Siècle notamment, de Louis XIV en passant par Nicolas Fouquet – s'est entouré de nombreux confrères réputés : Hélène Delalex, conservatrice à Versailles, signe le chapitre consacré à Marie-Antoinette et à l’Affaire du Collier, Joëlle Chevé, historienne et chroniqueuse, qui s’intéresse notamment à l’Histoire au féminin, a été chargée de rédiger le chapitre sur la « Mauresse » de Moret, cette jeune moniale de Moret-sur-Loing, à la peau noire et qui se disait fille de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche...on retrouve aussi, à la rédaction du chapitre consacré à l’arrestation de Jean Moulin, Olivier Wieviorka dont la sœur Annette est aussi une historienne réputée de la Seconde Guerre Mondiale et de la Shoah. On peut citer aussi Thierry Lentz, spécialiste de Napoléon Ier et du Premier Empire, qu’on ne présente plus ou bien encore, Laurent Theis, médiéviste réputé mais qui a aussi signé en 2008 une biographie de l’homme politique du XIXème siècle François Guizot...
Organisé de manière chronologique – ce qui, somme toute, est tout à fait cohérent dans ce genre de livres – le livre nous fait voyager de la Gaule de Vercingétorix, en passe d’affronter les légions de César à Alésia jusqu’aux émeutes de mai 1968, au cours desquelles De Gaulle quitta discrètement le pays pour gagner Baden-Baden, où résidait le Général Massu.
Selon vos prédilections et centres d’intérêt, vous serez plus ou moins intéressés par chacun des chapitres, ce qui est normal, mais ils ont chacun le mérite de nous proposer une lecture débarrassée des élucubrations que l’on peut lire ici ou là et qui finissent parfois par s’incruster dans l’imaginaire commun et deviennent alors des vérités pour la plupart des gens. Jeanne d’Arc a-t-elle survécu au bûcher, substituée puis réapparaissant sous le nom de Claude des Armoises ? Charles IX et Catherine de Médicis ont-ils véritablement décrété le massacre des protestants parisiens en 1572 ? Quelle est la nature des liens qui unissaient Anne d’Autriche et son ministre Mazarin ? Le Masque de Fer était-il le frère jumeau de Louis XIV condamné à vivre toute sa vie cachée pour ne pas revendiquer le trône ? Le formidable trésor de l’abbé Saunière est-il bien celui des Templiers ? Et ces derniers, peut-on véritablement les accuser d’hérésie et d’avoir adoré une étrange divinité à tête de chèvre ?Le Masque de Fer est probablement l'une des plus grandes énigmes de l'Histoire de France mais aujourd'hui en partie élucidée par les historiens et...son histoire est évidemment bien plus prosaïque que sa légende
Bref, on le voit – et ce ne sont que quelques exemples – l'Histoire de France foisonne de mystères. Ici, il s’agit de rétablir la vérité sur des événements que l’on a parfois – et à tort - montés en épingle, jusqu’à les travestir complètement : on peut penser par exemple à ce qu’il s’est passé entre la fin du XIXème et le début du XXème siècles à Rennes-le-Château, petite paroisse de l’Aude, dont le nouveau prêtre, l’abbé Saunière, va s’enrichir de manière prodigieuse en peu de temps. Mais, loin d’avoir mis la main sur un trésor millénaire et bien plus loin encore des mystères ésotériques que certains ont imaginé, la raison de l’aisance financière du curé était bien plus prosaïque.
Le Masque de Fer était-il véritablement un personnage éminent, condamné sa vie durant à dissimuler ses traits sous un masque et à vivre prisonnier pour éviter une affaire d’État ? Et si la vérité, encore une fois, était bien plus humaine et bassement terre à terre, tour comme celle de la « Mauresse » de Moret qui sut elle-même employer les bruits qui courraient autour d’une possible naissance royale, tout à fait infirmée aujourd’hui par les historiens ?
Tous les passionnés d’Histoire trouveront forcément de quoi se passionner dans ce livre, que ce soit pour l’Histoire Antique, Médiévale, Moderne ou beaucoup plus proche de nous, avec des chapitres consacrés à la mort - étrange - de Zola en 1902, à la mystérieuse organisation de La Cagoule, proche de la droite extrême dans les années 1930 ou encore, à Jean Moulin puis à la gestion des événements de 1968 par De Gaulle, alors président de la République.
Vraiment, il y en a pour tous les goûts et les historiens dont s’est entouré Jean-Chrisitian Petitfils sont tous d’éminents chercheurs dont les travaux aujourd’hui sont très connus et qui, pour la plupart, enseignent leur spécialité à l’université. On sent toute la rigueur de leurs recherches, de leurs enquêtes et chaque chapitre thématique est accompagné d’une petite bibliographie bienvenue, au cas où on souhaiterait approfondir ou creuser tel ou tel sujet.
Je n’ai pas lu ce livre d’une traite et j’ai vraiment apprécié d’en lire quelques pages de temps en temps. J’ai eu l’impression de suivre des petites enquêtes, bien ancrées dans leur contexte et dans lesquelles chaque rédacteur infirme les fantaisies qui ont fini par devenir des vérités admises alors que rien ne permet justement de les légitimer en quoi que ce soit. Et je me rends compte que, même en ayant une assez bonne connaissance de l’Histoire de France, certaines de ses contre-vérités ont fini par coloniser mon esprit, à s’imposer...non pas forcément comme authentiques mais elles sont tout de même là, bien présentes.
Comment donc, déconstruire ces images d’Épinal qu’on peut parfois avoir à l’esprit où ces convictions qui se sont forgées au fil du temps, quitte à être si valables pour nous qu’il est difficile de voir autrement ? Justement en lisant ce type de livres, de vulgarisation certes mais signé par des historiens de renom dont on ne peut pas remettre en cause aujourd’hui les travaux.Depuis leur arrestation à l'automne 1307 sur ordre du roi Philippe le Bel, les Templiers n'ont jamais cessé de passionner : trésor, légende ésotérique...encore aujourd'hui, l'Ordre du Temple et sa chute spectaculaire font couler beaucoup d'encre
En Bref :
Les + : certaines énigmes sont très connues, d'autres un peu moins. On navigue d'une époque à l'autre, d'une énigme à l'autre, dans les pas d'historiens réputés, passionnés et passionnants.
Les - : peut-être certains chapitres sont-ils un peu moins accessibles que d'autres...
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Par ALittleBit le 25 Août 2024 à 11:40
« C'est un tableau que tout le monde connaît. Une de ces œuvres phares de l'histoire de la peinture, tellement vues, revues et reproduites qu'elles font partie du paysage et ont l'air d'avoir toujours été là. … Renoir l'a baptisé « Yvonne et Christine Lerolle au piano ». …. Leur nom ne parle qu'aux amateurs et aux érudits. Elles semblent immobilisées pou l'éternité dans la douceur d'un ancien temps. Qui sont-elles, ces sœurs Lerolle ? Qu'ont-elles fait ? Ont-elles été heureuses ou malheureuses ? Que sont-elles devenues ? »
Publié en 2013
Éditions Le Livre de Poche
456 pages
Résumé :
Tout le monde connaît Yvonne et Christine Lerolle. Elles ont été immortalisées par Renoir dans son tableau : Yvonne et Christine Lerolle au piano (1897). Leur père Henri était peintre et collectionneur. Il comptait parmi ses familiers des artistes, des écrivains, des musiciens : Renoir, Degas, Debussy, Chausson, Mallarmé, Gide, Claudel. Elles avaient tout pour être heureuses, quand Degas, qui aimait jouer les entremetteurs, eut l'idée de les marier à deux des fils d'un autre collectionneur de ses amis, Henri Rouart. Les sœurs Lerolle, devenues les sœurs Rouart, en avaient fini avec le bonheur et l'insouciance.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Il y a deux ans, j’ai acheté ce livre en ne sachant absolument rien de ces deux sœurs, Yvonne et Christine Rouart donc, mais j’avoue que j’étais intriguée. Découvrir le destin de deux sœurs, muses de l’impressionnisme, c’était vraiment tentant, d’autant plus que j’avais lu peu de temps auparavant Colette et les siennes, de Dominique Bona, qui m’avait bien plu. Vraiment, je partais très confiante et...c’est là que le drame survient !
Bon, d’accord, le drame, c’est peut-être un peu fort, mais pour le dire plus simplement, je n’ai pas vraiment accroché à cette lecture, qui a été longue et laborieuse. Pourquoi ? Eh bien, en premier lieu, parce que le résumé ne m’a pas vendu ce que j’ai réellement trouvé dans le livre et je trouve que c’est toujours un peu décevant pour un lecteur. Certes, on peut se faire soi-même une fausse idée, mais là j’ai plus eu l’impression d’avoir été induite en erreur...moi qui m’attendais à une biographie d’Yvonne et Christine – que je me faisais une joie de rencontrer d’ailleurs - j’ai plutôt eu droit à une chronique de la Belle Époque et de son émulation artistique qui, en soi, n’est pas inintéressante, bien au contraire, mais voilà, pour ma part, ce n’est pas ce que j’attendais. Au final, alors que je pensais que ce serait justement l’époque qui se mettre “ au service “ si je puis dire, du récit des destinées des deux sœurs, c’est finalement le contraire qui s’est produit et il m’a semblé que Yvonne et Christine devenaient finalement des faire-valoir, alors que je m’attendais à quelque chose de radicalement différent.
Alors certes, l’autrice prend comme point de départ de son récit - assez chaleureux, on ne peut lui enlever ça - un tableau de Renoir représentant justement Yvonne et Christine, alors qu’elles sont encore adolescentes. Nous sommes en 1897, les deux sœurs, qui ne s’appellent pas encore Rouart mais Lerolle, n’ont pas vingt ans. Musiciennes confirmées, baignant dans l’art sous toutes ces formes, Yvonne et Christine sont représentées chez elle, dans l’appartement parisien de leurs parents, devant le piano familial : l’aînée, Yvonne, s’exerce, tandis que sa cadette Christine, en robe rouge, est penchée sur les partitions, dont elle semble tourner les pages. Derrière elles, on aperçoit deux tableaux accrochés aux murs. Leur père, Henry Lerolle, non content d’être un peintre reconnu, est aussi un collectionneur et un mécène averti : dans le salon où jouent ses filles, sont donc exposés deux tableaux de Degas, dont on aperçoit des détails. Avant la course, sur la gauche et un Groupe de danseuses, sur la droite. Ce tableau est donc tout à fait symbolique et représentatif du monde dans lequel vivent les deux sœurs, un monde bourgeois aisé qui a érigé l’art (peinture, littérature, musique) en véritable religion. Les amis de la famille sont des artistes de génie, tels Degas, Renoir ou encore, le compositeur Debussy. Leur père est peintre, elles-mêmes maîtrisent le piano à la perfection quand l’un de leurs oncles écrit et l’autre compose. Leurs amies d’enfance sont Geneviève Mallarmé, la fille du poète ou encore, Julie Manet, la fille de Berthe Morisot et nièce du « père » d’Olympia...Yvonne et Christine Lerolle au piano, tableau de Renoir daté de 1897 est le point de départ de l'enquête de Dominique Bona pour écrire Deux soeurs
Issues de la bourgeoisie parisienne, catholique mais aux idées libérales, Yvonne et sa cadette Christine – elles sont nées respectivement en 1877 et 1879 – grandissent dans un cocon de douceur familiale où les filles et leurs aptitudes ne sont pas brimées. Les livres ne sont pas interdits et les deux sœurs peuvent pratiquer comme elles le souhaitent les arts dont leurs parents sont de fins connaisseurs : pour elles, ce sera le piano. Yvonne et Christine sont de très bonnes musiciennes. Dans cette France de la Belle Époque, déchirée toutefois par la haine antisémite que suscite l’affaire Dreyfus, deux sœurs issues de la bonne bourgeoisie parisienne ne peuvent faire que de beaux mariages avec des pairs, des jeunes hommes issus eux aussi des meilleures familles de la capitale. Pour Yvonne, l’heureux élu sera Eugène Rouart, né en 1872. Il sera ingénieur agronome de formation mais se rêvera toute sa vie écrivain. Il entretient une relation amicale assez tumultueuse avec André Gide. Quittant Paris peu après son mariage avec Yvonne, il s’installe à la campagne, où il devient propriétaire terrien dans la région de Toulouse puis s’engagera en politique.
Le futur époux de Christine est le frère d’Eugène. Le sort veut donc que les deux sœurs Lerolle, très unies, se marient avec deux frères qui eux, sont très dissemblables. Ce double mariage, qui aurait d’ailleurs pu resserrer les liens va en fait les distendre, puisque Christine continuera sa vie parisienne, culturelle et mondaine, presque comme lorsqu’elle était encore jeune fille, tandis qu’Yvonne suit la mort dans l’âme son mari en Haute-Garonne et s’occupe de son foyer tandis qu’Eugène est toujours par monts et par vaux.
Né en 1875, Louis est le benjamin d’Henri Rouart et de son épouse Hélène Jacob-Desmalter, issue d’une « dynastie » d’ébénistes réputés qui ont notamment travaillé pour les derniers rois de France. Christine et Louis sont les grands-parents de l’auteur, chroniqueur, essayiste et académicien Jean-Marie Rouart. Se faisant notamment remarquer pour son caractère de polémiste assez violent, il fonde les éditions de L’Art catholique au début du XXème siècle, où il publie des auteurs dont il est proche, comme Claudel ou Maritain. Fermement anti-dreyfusard, il est un adversaire farouche de Zola.
Les deux mariages d’Yvonne et Christine ne seront pas heureux, pour des raisons différentes mais le résultat sera le même : les deux sœurs vivront dans l’amertume d’un mariage raté, après avoir connu la douceur d’un foyer uni. Yvonne souffre de son éloignement de Paris et de sa famille, avec laquelle elle garde surtout un contact épistolaire. Surtout, Eugène Rouart est écartelé entre son désir de vie bourgeoise et sans histoire et une homosexualité qui le torture mais qu’il n’acceptera jamais, au contraire d’André Gide qui parviendra toute sa vie à faire la part des choses entre sa sexualité et son mariage avec son épouse.
Quant à Christine, les relations seront très vite houleuses avec son époux au caractère volcanique, à tel point qu’ils finiront par se séparer de corps, après la naissance de sept enfants.
Finalement, alors que j’attendais beaucoup de cette lecture, j’avoue avoir été un peu déçue. Comme je le disais un peu plus haut, finalement, Yvonne et Christine sont plutôt des faire-valoir, des prétextes pour un propos plus vaste qui aborde le monde de l’art, de la littérature et de la musique entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle. C’est bien sûr toujours enrichissant de découvrir cet univers mais j’avoue que je m’attendais à autre chose et, dans les premiers chapitres, le nombre de personnages et les œuvres d’art pléthoriques m’a perdue, à tel point que le livre m’est souvent tombé des mains. Et si ça s’est un peu arrangé par la suite, malheureusement je ne me suis pas sentie plus captivée. Sans avoir eu du mal à finir le livre, malgré tout je me suis parfois surprise à lire mécaniquement et sans forcément beaucoup de passion.
Je ne regrette toutefois pas cette lecture, notamment parce qu’avec Dominique Bona, on a toujours l’assurance de lire un livre riche, bien détaillé et bien documenté. Je reste juste un peu sur ma faim, dommage.Photographie des deux soeurs au piano : près d'elle, leur frère Jacques, derrière, leur mère Madeleine Lerolle (le cliché est conservé au musée d'Orsay depuis 2008)
En Bref :
Les + : un livre intéressant, bien documenté, chaleureux.
Les - : malheureusement le résumé m'a laissé entrevoir que je lirai une biographie d'Yvonne et Christine Rouart. Au final, les deux sœurs servent plutôt de faire-valoir pour un propos beaucoup plus dense et vaste.
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Par ALittleBit le 19 Juin 2024 à 10:37
« Marie-Louise aura donc surtout eu pour elle d'avoir toute sa vie su jouer le rôle qu'on attendait d'elle. »
Publié en 2017
Éditions Perrin (collection Biographies)
448 pages
Résumé :
A l'instar de sa tante Marie-Antoinette, Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine a été victime de sa légende noire. En 1810, son mariage avec Napoléon fait d'elle un symbole de la paix fragile entre la France et l'Autriche. Mère de l'héritier du trône impérial, elle soutient Napoléon malgré ses premières défaites.
Pourtant, dès 1814, lorsqu'elle refuse de rejoindre son mari à l'île d'Elbe, le regard change et l'épouse modèle se transforme en traîtresse. Depuis lors, elle passe pour une femme égoïste, futile, infidèle et nymphomane.
En s'appuyant sur des archives inédites, Charles-Éloi Vial s'applique avec talent à restituer la personnalité de cette princesse cultivée au tempérament d'artiste, dévouée à sa famille et à ses enfants. Devenue duchesse de Parme grâce au soutien des Alliés, elle joue aussi un rôle majeur sur l'échiquier diplomatique européen pendant trois décennies. Au fil des pages, nous découvrons ainsi un destin hors du commun et une personnalité ignorée, révélée par un historien d'envergure.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Au mieux oubliée, au pire traînant une légende noire tenace depuis le XIXème siècle, Marie-Louise d’Autriche reste relativement méconnue. Impératrice éphémère d’un empire déclinant, elle n’a pas eu le temps de se faire aimer des Français, ni même de se faire connaître d’eux. Depuis plus de deux cents ans, une historiographie « à charge » a véhiculé l’image d’une femme terne, manipulée et traîtresse, qui a tourné le dos à Napoléon Ier au moment de l’abdication de 1814, jetant dos à dos un Empereur déchu et souffrant de son isolement à l’île d’Elbe, appelant de ses vœux la venue de son épouse et de son fils, tandis que l’ingrate filtrait ses courriers, se réinstallant dans une douce oisiveté à Vienne qu’elle ne voulait plus quitter pour aller vivre sur un petit caillou de la Méditerranée. Sa relation hors mariage avec Neipperg, qu’elle épousera après la mort de Napoléon et avec lequel elle eut deux enfants, Albertine et Guillaume, finit de ternir l’image d’une femme qui n’en méritait sûrement pas tant. Par chance, l’historiographie actuelle est bien plus nuancée et objective qu’il y a encore quelques décennies, désormais on n’enquête plus « à charge » et on ne colporte plus rumeurs et autres témoignages orientés sans avoir pris le temps de les confronter et de les resituer dans leur contexte. Tant mieux, car cela permet de réhabiliter des figures de l’Histoire que l’on a parfois préféré oublier ou sur lesquelles les légendes noires ont fini par devenir des vérités.
Grâce à des sources parfois inédites, disséminées aux quatre coins du monde, de l’Italie à l’Autriche en passant par la France et les États-Unis, à de nombreux témoignages décortiqués et passés au crible de l’historien, Charles-Eloi Vial, archiviste et paléographe signe une biographie vivante, nuancée et actualisée de la petite-nièce de Marie-Antoinette et seconde épouse de Napoléon Ier.
Marie-Louise d’Autriche naît à Vienne en 1791, deux ans avant l’exécution de sa tante la reine de France, qu’elle ne connaîtra donc jamais. Fille de l’empereur François II du Saint-Empire (devenu François Ier d’Autriche), Marie-Louise et ses frères et sœurs seront cependant élevés dans le souvenir des souverains français considérés comme des martyrs : ainsi, sur un tableau de famille où l’on peut apercevoir l’empereur, son épouse, la jeune Marie-Louise et ses cadets dans une paisible scène familiale, on voit également accrochés au mur derrière eux deux portraits où se distinguent les profils de Marie-Antoinette et Louis XVI. La petite Marie-Louise n’a pas cinq ans quand sa cousine Marie-Thérèse Charlotte arrive en Autriche : dernière survivante de la famille royale, marquée par les traumatismes répétés vécus au cours des années précédentes, la jeune fille n’a sûrement pas manqué de frapper négativement l’esprit de sa toute jeune cousine. Cette dernière et ses frères et sœurs se retrouveront même confrontés directement aux conflits opposant l’Autriche au Premier Empire, devant fuir plusieurs fois devant l’avancée des troupes françaises. Pour Marie-Louise et les autres petits archiducs, très vite, Napoléon Ier devient « l’Ogre », un danger impalpable pour eux mais toujours présent dans leurs esprits.
En 1809, soucieux de consolider sa dynastie, Napoléon se résigne à divorcer de son grand amour, l’impératrice Joséphine, avec laquelle il n’a pas pu avoir d’enfant. Commence alors une course au mariage et aux princesses européennes, pour rattacher la toute nouvelle lignée des Bonaparte aux plus illustres familles princières de l’Europe. Après deux conflits avec l’Autriche, l’Empereur a l’idée de réactiver le renversement des alliances voulu par Louis XV en 1756 et dont Marie-Antoinette fut le gage. Quarante ans plus tard, la petite-nièce devient à son tour une garantie de paix : à sa grande épouvante, Marie-Louise est promise contre son gré à l’Empereur des Français. Telle une Iphigénie moderne, la jeune archiduchesse est donc sacrifiée pour la paix et doit prendre la route vers la France, vers son avenir.Napoléon, Marie-Louise et leur fils, le roi de Rome, surnommé l'Aiglon : élevé en Autriche et titré duc de Reichstadt, le jeune homme disparaît prématurément à 21 ans, en 1832
Contre toute attente, le mariage entre Napoléon Ier et Marie-Louise, de vingt-deux ans sa cadette, sera harmonieux et relativement heureux. Face à elle, la jeune archiduchesse découvre un homme d’une quarantaine d’années, encore fringant et au charisme certain, qui sait la mettre en confiance et la séduire. Quant à Napoléon, il est agréablement surpris par cette jeune fille de dix-neuf ans, charmante sans être d’une grande beauté, à la carnation claire et aux yeux bleus. Enceinte dès la première année de son mariage, Marie-Louise réussit là où Joséphine avait échoué, puisqu’elle accouche d’un fils, le petit « roi de Rome », le 20 mars 1811. Tout pourrait sourire à ce couple disparate qui a provoqué la stupeur de l’Europe mais ne s’entend, somme toute, pas si mal que cela. Mais déjà, l’Empire décline : les campagnes glorieuses de Napoléon sont derrière lui. En 1812, il se lance dans la désastreuse campagne de Russie, laissant la régence entre les mains de Marie-Louise qui apprend peu à peu son métier d’impératrice et le fait plutôt bien. Mais les mauvaises nouvelles s’accumulent, après la Russie, Napoléon Ier doit affronter les campagnes d’Allemagne puis de France et Marie-Louise doit fuir le palais des Tuileries pour aller se réfugier, d’abord à Rambouillet puis à Blois, où elle apprend avec horreur l’abdication de son époux à Fontainebleau, en avril 1814.
Quatre ans après son arrivée en France, Marie-Louise fait le trajet en sens inverse : mise sous la protection de son père, l’empereur d’Autriche, la jeune femme et son fils le roi de Rome quittent la France pour Vienne, où Marie-Louise se réinstalle dans les palais de son enfance, retrouvant avec joie ses frères et ses sœurs. C’est à partir de là que va commencer à se forger la terrible réputation de Marie-Louise, qui n’aura jamais plus sa place nulle part, soupçonnée par les Autrichiens de chercher à rejoindre Napoléon, accusée par les bonapartistes d’avoir abandonné l’Empereur, suspectée également par les monarchistes, qui espionnent ses moindres et faits et gestes et la considèrent comme dangereuse alors que la jeune femme n'aspire plus qu'à vivre sa vie. Marie-Louise a-t-elle été coupable comme on l’a dit d’avoir abandonné l’Empereur ? Certes, elle ne fit rien, après son retour à Vienne, pour rejoindre l’île d’Elbe, servant ainsi les intérêts de l’Autriche et des alliés. Mais elle fut aussi, très certainement, manipulée par eux et, comme on s’emploiera par la suite à faire oublier au petit roi de Rome son passé français, on fit tout ce qui était possible pour détacher Marie-Louise d’un époux qu’elle n’avait pas choisi mais qu’elle n’aurait sûrement pas abandonné de son plein gré.
Héritant du duché de Parme après le congrès de Vienne de 1815, Marie-Louise y vécut heureuse, gouvernant habilement ce petit État italien satellite de l’Autriche et y vivant une histoire d’amour sincère – et choisie – avec Adam Albert de Neipperg, qui était devenu son chaperon à Vienne, puis son principal conseiller à Parme avant de devenir son époux en 1821, quelques semaines après la mort de Napoléon.
Monstre femelle, mère dénaturée, nymphomane, laide et prématurément vieillie, souvent aussi décrite comme sotte, Marie-Louise cumule en apparence les défauts, qu’une étude objective et nuancée peut démonter un à un. Certes, comme n’importe quel autre être humain, Marie-Louise n’est pas exempte d’erreurs ou de mauvais jugements. Mais elle était une femme, donc jugée plus durement que ses contemporains masculins et, face à l’image de l’Empereur déchu, il fut facile de charger celle de cette épouse qui s’était si vite remise de la séparation et ne souhaitait plus le retrouver. Peut-on aujourd’hui lui jeter la pierre ? Marie-Louise sut aussi plus qu’adroitement assurer son avenir et celui de son fils, devenu duc de Reichstadt. Elle avait peut-être compris, même avant tout le monde, que cet avenir se ferait au prix de sa renonciation à sa vie conjugale avec Napoléon : le destin finit de s’en mêler en mettant sur sa route Neipperg, dont elle tomba sincèrement amoureuse et avec lequel elle connut une vie maritale saine, voulue et apaisée. L’autre prix à payer fut celui du tribut face à l’Histoire.L'un des portraits les plus célèbres de Marie-Louise, par le peintre français François Gérard
Dans les pas de l’historienne Geneviève Chastenet, qui a signé il y a déjà plusieurs années une biographie où une image objective de Marie-Louise était présentée, Charles-Eloi Vial nous propose ici un ouvrage intéressant, bien documenté et accessible, écrit d’une plume chaleureuse et inspirée. L’auteur nous place au plus près de Marie-Louise, des palais viennois, des ors de Schönbrunn, jusqu’aux salons des Tuileries, où elle fut pendant quatre ans l’atout charme d’un Empire dont les velléités étaient de se placer au même niveau que les plus anciennes dynasties européennes, rien de moins. Puis nous découvrons l’administratrice avisée et habile dans son écrin de Parme, où elle mourut en 1847, après y avoir passé plus de vingt ans, y avoir contracté deux mariages – celui avec Neipperg puis celui avec Charles-René de Bombelles – et y avoir mis au monde deux enfants, dont elle ne put jamais s’occuper au vu et au su de tous mais dont elle se chargea d’assurer l’avenir avec beaucoup d’à-propos.
Marie-Louise souffrira probablement toujours de cette tenace légende noire qui lui colle à la peau comme la tunique de Nessus. On ne cessera probablement jamais de lui renvoyer, comme en miroir, l’image glorieuse de son premier mari, alors qu’elle ne fut elle-même que l’incarnation de la médiocrité et de la faiblesse. Toutes les biographies la réhabilitant n’y feront certainement rien, peut-être adouciront-elles tout juste un jugement au vitriol. Mais malgré tout, elles apportent un peu d’eau au moulin et diluent peu à peu la mauvaise image de l’impératrice, apportant des arguments contraires et étayés par des sources et des documents historiques fiables qui nous font entrevoir un caractère bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
Agréable à lire et facile d’accès, cette biographie saura ravir tous les amoureux d’Histoire et même si vous n’êtes pas fan de Napoléon Ier, comme c’est mon cas, probablement vous sentirez-vous proches de cette jeune impératrice inexpérimentée mais qui gagne en relief d’année en année. Si les Bonapartistes ont volontiers colporté l’idée que Marie-Louise était bien loin de pouvoir rivaliser avec « l’incomparable » Joséphine, cette biographie nous confortera dans l’idée contraire.En Bref :
Les + : une biographie véritablement passionnante, écrite d'une plume inspirée et chaleureuse. On découvre ou redécouvre le destin de la deuxième épouse de Napoléon Ier, poursuivie par une légende noire implacable qui nous fait oublier la véritable Marie-Louise. Une lecture que tous les amoureux d'Histoire savoureront comme il se doit.
Les - : Aucun.
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2 commentaires -
Par ALittleBit le 15 Mai 2024 à 16:17
« J'existe mon bien aimé et c'est pour vous adorer. Que j'ai été inquiète de vous, et que je vous plains de tout ce que vous souffrez de n'avoir point de nos nouvelles ! »
Publié en 2022
Éditions Pocket
432 pages
Résumé :
« J'existe mon bien-aimé et c'est pour vous adorer. »
Jusqu'à ce jour, l'histoire d'amour que les historiens prêtaient à Marie-Antoinette était restée à l'état d'hypothèse. Que la reine se soit entichée du comte de Fersen, et qu'il l'aimât en retour ? Leur correspondance secrète, découverte en 1982, le laissait entendre...Aujourd'hui que les technologies de pointe ont évolué, ce sont ses passages caviardés, raturés, censurés qu'elles nous donnent à lire - révélant entre l'Autrichienne et le gentilhomme suédois, depuis les fastes de Versailles jusqu'aux soubresauts de la Terreur, l'une de ces passions totales dont on fait les grandes tragédies.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
S'il fallait résumer en peu de mots le destin de Marie-Antoinette, la description de son exécution, le 16 octobre 1793 serait probablement la phrase la plus efficace et la plus représentative : « Le 16 octobre, à midi et quart, elle gravit les marches de l'échafaud et entra dans la légende. »
Que dire, à part que cette phrase recèle à elle seule toute l'aura de la reine, toute la légende Marie-Antoinette ? Parlerait-on encore d'elle si elle s'était tranquillement éteinte à Versailles à un âge respectable ou si elle était morte en couches ? On l'aurait probablement aujourd'hui complètement oubliée. Mais son destin tragique et tous les mécanismes spectaculaires qui semblent y conduire, comme une course à l'abîme irrémédiable ont contribué à forger une légende par le prisme de laquelle nous sommes aujourd'hui souvent tentés de regarder la reine. Et, entre ceux trop enclins à la salir et ceux qui, au contraire, l'encensent au point d'en faire une sainte, le contre-sens remplace souvent l'objectivité et la distanciation nécessaires à tout historien.
Tout avait pourtant si bien commencé : certes, Marie-Antoinette n'est pas très bien mariée et elle n'a qu'indifférence pour un jeune mari effacé qui ne l'aide pas beaucoup et qu'on la presse pourtant d'aimer et de soutenir. Mais elle est aimée du peuple français qui l'acclame follement à chacune de ses apparitions parisiennes. Et elles sont nombreuses car Louis XV, qui s'est pris d'affection pour cette petite-fille fraîche, affectueuse et spontanée qui lui tombe du ciel, l'autorise à fréquenter la capitale...les débuts de Marie-Antoinette et de la France sont une lune de miel, qui se transformera en un calice amer que la reine devra boire jusqu'à la lie.
Parmi tous les griefs que ses détracteurs ont pu lui reprocher, de son vivant et après, c'est sa coterie, ces mauvais génies qui ont profité d'elle, à commencer par le clan des Polignac. Parmi ces favoris, il y eut aussi des hommes et le plus important est sans nul doute le comte Axel de Fersen, que Marie-Antoinette rencontre à l'âge de dix-huit ans lors d'un bal donné à l'Opéra. Incognito, la Dauphine engage la conversation avec ce jeune homme gentilhomme suédois qui est alors en train d'accomplir son Grand Tour. Lorsqu'elle le reverra par la suite à la Cour, alors qu'elle est devenue reine de France, elle aura d'ailleurs cette phrase : « Ah, mais c'est une vieille connaissance ! », preuve qu'elle n'a pas oublié le charme du jeune homme.
Marie-Antoinette et Fersen sont liés dans une légende commune, une légende amoureuse qui a traversé les siècles et fait couler beaucoup d'encre. Car après tout, qu'y a-t-il de plus tragique - mais aussi de plus répréhensible - qu'une reine s'éprenant d'un autre homme que son mari et qui ne s'en cache pas ?Les caviardages sont ces ratures sur certaines parties des lettres qui ont laissé penser qu'ils cachaient peut-être des mots tendres ou amoureux : les chercheurs se sont aussi rendu compte que des informations politiques ou diplomatiques étaient dissimulées dans la correspondance secrète
Que ce soit clair, malgré le décaviardage de la correspondance secrète de la reine et d'Axel de Fersen, nous ne pouvons encore aujourd'hui répondre avec certitude à la question accrochée à toutes les lèvres depuis les années 1780 : Marie-Antoinette et Fersen ont-ils été amants ? Leurs lettres, écrites qui plus est dans un contexte politique des plus complexes, ne laissent rien entendre qui puisse confirmer ou infirmer ce fait. Mais ce qui apparaît comme incontestable, c'est qu'une affection sincère unissait ces deux êtres et qu'ils se sont probablement aimés, effectivement et malgré tout.
Si Fersen entretint d'autres relations amoureuses et ne s'en priva pas - notamment avec la fameuse Madame Sullivan -, il n'en reste pas moins fidèle à la cause de la reine et de la royauté en général et sera le soutien de Marie-Antoinette et Louis XVI dans l'échappée de Varennes. De Bruxelles, il apportera conseils et écoute à la reine isolée aux Tuileries, en proie à l'incertitude, à la terreur et à l'indécision du roi. Si on peut être tenté de voir en Fersen un mauvais conseilleur, qui poussa peut-être la reine dans la mauvaise voie, la nuance voudrait cependant qu'on loue sa constance et sa fidélité dans des circonstances que d'autres avaient utilisées pour justement prendre leurs distances avec la royauté ou poursuivre leurs propres intérêts.
Ce livre n'a ni pour but de ternir l'image de la reine, ni de la réhabiliter en niant des faits historiques incontestables aujourd'hui - oui, Marie-Antoinette était probablement amoureuse de Fersen et il le savait. Si vous vous attendiez à des révélations fracassantes, vous risquez d'être déçu mais vous pourrez aussi découvrir la correspondance secrète et échangée par Marie-Antoinette et Fersen jusqu'au milieu de l'été 1792 et qui nous éclaire non seulement sur les agissements de la reine durant les premières années de la Révolution, mais aussi sur les liens qui les unissaient tous deux, faits de beaucoup de tendresse et de confiance mutuelle.
Si le fond m'a passionnée, comme bien souvent les livres d'Evelyne Lever, toujours captivants, bien écrits et rigoureux, j'ai été toutefois moins convaincue cette fois par la forme : je crois que j'aurais préféré que les lettres soient présentées et éclairées à l'aune du contexte dans lequel elles ont été écrites plutôt que d'avoir d'abord, une première partie consacrée à découvrir comment Marie-Antoinette a pu rencontrer Fersen puis tisser avec lui des liens qui dépassaient la simple amitié ou la simple courtisanerie puis une seconde partie qui tient pas mal du bloc et qui nous présente les lettres les unes après les autres, avec certes des notes de bas de page très intéressantes mais j'ai eu l'impression que cela cassait mon rythme de lecture et je me suis sentie moins partie prenante. Finalement, les découvertes effectuées en 2020 concerne un infime pourcentage de cette correspondance qui avait déjà été étudiée à fond depuis sa découverte dans les années 1980. Les différents examens et notamment les scanners de pointe qui ont permis de passer outre le caviardage e t les ratures ne font que confirmer ce que les historiens présupposaient déjà : les ratures ou autres pontillés dans les lettres recopiées dissimulaient des adresses tendres et amoureuses certes mais pas inconvenantes pour autant et surtout, ils ne dissimulent pas que cela...Fersen comme la reine y avaient recours aussi pour masquer certaines informations politiques importantes et qui devaient rester secrètes et connues d'eux seuls.
Pourtant, ce livre reste intéressant et éclairant car il prend un autre angle de vue : derrière la reine apparaît la femme, une femme qui n'a pas choisi de devenir reine ni même de tomber amoureuse d'un autre homme que le mari qu'on lui a choisi pour servir de gage à une alliance entre deux pays. Marie-Antoinette n'a probablement été ni plus pure, ni plus fautive que bien d'autres femmes de l'Histoire. Elle a pourtant cristallisé sur sa tête une haine immense qu'il est bon aujourd'hui de dissiper par tous les moyens sans pour autant dédouaner la reine des erreurs et des faux-pas qu'elle a pu commettre. Et tant que nous n'aurons aucune information concernant une possible relation charnelle entre elle et Fersen, accordons-lui le bénéfice du doute en ne lisant ses lettres que pour ce qu'elles sont : celles de deux personnes qui se sont aimées et auraient peut-être pu le faire au grand jour si elles n'avaient pas été ce qu'elles étaient...Réputé pour son charisme et son charme naturel, Axel de Fersen était connu pour avoir eu beaucoup de succès auprès des femmes
En Bref :
Les + : toujours aussi intéressant, comme tous les livres d'Evelyne Lever consacrés à Marie-Antoinette et à la Révolution.
Les - : je suis plus perplexe concernant la forme : je crois que j'aurais préféré que les lettres soient intégrées au propos et expliquées, plutôt que présentées en annexe car cela casse un peu le rythme de lecture.
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