• « La pensée a beau mépriser la force, quand la force l'opprime en la faisant taire, c'est un martyre sans consolation. »

    Héloïse et Abélard, la gloire, l'amour et la spiritualité ; Elie Durel

    Publié en 2015

    Editions Geste 

    296 pages

    Résumé :

    Au début du XIIe siècle, Pierre Abélard, le péripatéticien (partisan de la philosophie d'Aristote) du Pallet, en Haute-Bretagne, est, à Paris, un maître célèbre dans l'art du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique). Homme plutôt chaste, totalement investi dans son art philosophique, l'ambitieux Abélard fait la conquête d'Héloïse, une noble et belle jeune fille lettrée et cultivée, dont la sensualité l'enflamme. L'amour vécu par Héloïse et Abélard est alors l'expression la plus parfaite de ce qui rapproche un homme et une femme : le désir sensuel, la passion fusionnelle, la communion de pensée et l'admiration. D'Héloïse, on a pu dire qu'elle est « la femme qui inventa l'amour », tant elle a su transmuer le sentiment amoureux en passion absolue. Emportés dans la même spirale passionnelle étourdissante, Héloïse et Abélard sont aussi les témoins de la prodigieuse révolution des mœurs qui se produit à l'aube de ce XIIe siècle, véritable renaissance de la France. Mais, par vengeance, Abélard subit une cruelle mutilation. Le couple uni par les liens du mariage fait alors profession religieuse pour suivre le chemin de la spiritualité. L'essor intellectuel de la rive gauche de la Seine remonte à l’enseignement de Pierre Abélard sur la colline Sainte-Geneviève, à Paris où le latin était alors la langue officielle. Ce quartier deviendra le Quartier latin.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Quelle histoire d'amour médiévale et peut-être même de tous les temps est plus connue que celle-ci ? Elle prend un tout autre relief, en plus, quand on sait que l'histoire, longue et passionnelle, qui unit Heloise et Abelard, a bien existé. Nous sommes là dans l'un de ces exemples qui illustrent bien que, parfois, la réalité peut dépasser la fiction. Personnellement, je ne serais jamais plus fascinée par Tristan et Iseult ou Roméo et Juliette que par Héloïse et Abélard.
    On connaît tous une version plus ou moins édulcorée de cette histoire : le chanoine Fulbert oncle de la jeune fille, à la recherche d'un maître pour parfaire l'éducation de sa jeune nièce, jette son dévolu sur l'un des écolâtres les plus célèbres de Paris, Abélard, originaire de Bretagne et qui n'a pas hésité à tenir tête à des maîtres de la philosophie, comme Roscelin de Compiègne ou Guillaume de Champeaux. La suite, on la connaît : le maître et l'élève, que près de vingt ans séparent, tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. Un amour aussi sentimental que charnel, bien éloigné de la fin'amor à la mode à l'époque puisque naîtra un fils de leur union : Pierre Astrolabe. On connaît aussi la terrible vengeance du chanoine Fulbert et le châtiment qu'il inflige alors à Abélard : l’émasculation, purement et simplement.
    Malgré les revers, Abélard et Héloïse ne se sépareront jamais vraiment et, dans la seconde partie de leur vie, communieront dans une même fois, en fondant le Monastère du Paraclet, où Héloïse mourra, dans les années 1160.
    Le livre d'Elie Durel apporte un nouvel éclairage à cette histoire emblématique. On a beaucoup écrit sur Héloïse et Abélard et eux-mêmes ont laissé une importante correspondance, qui nous est parvenue. S’écartant quelque peu de l' histoire passionnelle et très spontanée qu'on a à l'esprit en général quand on songe à Héloïse et Abélard, Elie Durel nous présente en fait une Héloïse déjà plus ou moins séduite par le personnage d'Abélard et son intelligence, avant même que son oncle ne les présente l'un à l'autre. Quant à Abélard, génie de la dialectique, homme déjà mûr quand il rencontre celle qui va devenir sa jeune maîtresse envers et contre tout, peu porté sur les relations amoureuses, c'est presque par calcul qu'il tente de séduire la jeune fille, avant d'être pris à son propre jeu. Du moins est-ce ainsi que j'ai compris les propos de l'auteur. Avouez qu'on s'éloigne pas mal de l'histoire très romantique qu'on nous présente souvent mais elle n'en est pas pour autant moins vraisemblable. Pierre Abélard et Héloïse d'Argenteuil ayant vécu il y'a aujourd'hui près de mille ans, il sera très difficile de savoir exactement comment a démarré leur histoire mais je dois vous avouer que l'hypothèse d'Elie Durel m'a complètement convaincue. Au fond, il nous livre une vision plus pragmatique de l'histoire d'Héloïse et Abélard mais qui s'accorde aussi très bien avec ce que l'on connaît des deux personnages, à savoir, leur côté très cérébral et intellectuel qui les pousse tous deux et surtout Abélard, à conceptualiser et théoriser leurs sentiments à l'extrême quitte à manquer de spontanéité voire à se montrer froid et calculateur.
    Quant au chanoine Fulbert l'auteur lui prête une ruse et une malice qu'on ne doit pas souvent lui attribuer... et si, questionne Elie Durel, le chanoine avait, au final, complètement été au fait de la relation naissante entre Héloïse et son professeur et avait essayé de s'en servir afin de pousser Abélard à épouser la jeune femme ? Seulement, se sentant trahi par Abélard, il aurait ensuite cherché à se venger de lui... pourquoi pas ? Que Fulbert ait bien été le dindon de la farce comme on le présente souvent ou bien plus fin qu'on ne l'imagine mais malgré tout doublé par Abélard, certainement nous ne le saurons jamais mais les deux postulats fonctionnent.
    Avec ce livre, qui n'est pas le fait d'un historien mais est écrit avec chaleur (on ressent tout l'investissement de l'auteur dans son projet), j'ai appris le nom des parents d’Héloïse... jusqu'ici et ce n'est pourtant pas faute d'avoir lu sur ce couple mythique, la jeune femme était avant tout présentée comme la nièce de Fulbert uniquement et son surnom d'Argenteuil lui venait du couvent où elle avait passé son enfance et son adolescence. Avec ce livre j'ai appris que la jolie Héloïse était en fait apparentée, par son père à la famille de Garlande, qui fraye dans l'entourage royal et par sa mère à la noble lignée des Montmorency. Née en 1095, un an seulement avant le départ de son père en Terre Sainte, la petite a vu le jour hors des liens du mariage. Placée au couvent avec sa fille, Hersende de Montmorency devait y attendre le retour de son jeune amant pour contracter une union en toute légalité. Elle n'attendit pas et prit le voile. Héloïse restera à Argenteuil où elle sera élevée et recevra une éducation soignée, parachevée ensuite par son oncle Fulbert. J'ai beau chercher, je ne crois pas que le nom de ses parents ait été précisé dans les productions romanesques que j'ai pu lire... Héloïse est donc d'une ascendance bien plus noble que je ne le pensais de prime abord.
    L'auteur, originaire d'une région proche de la région natale d'Abélard a retracé également de façon très minutieuse le parcours de ce jeune noble breton au devenir assez atypique puisqu'il n'embrasse ni la carrière des armes ni celle de l'Église, qui sont pourtant, alors, les deux voies de prédilection des nobles. La situation de ses parents est assez particulière également puisque sa mère est la fille aînée du seigneur du Pallet, la place forte où Abélard vit le jour, probablement en 1079, donc son héritière. Et pourtant, c'est son jeune frère qui devient ensuite châtelain du Pallet, aidé par sa sœur et par son beau-frère. Pierre n'est donc pas un héritier en puissance et va choisir une carrière philosophique, qui le conduira à être l'un des écolâtres les plus réputés de Paris. Brillant et intelligent, Abélard se bâtit un avenir solide, remis en question plus tard par sa liaison scandaleuse avec Héloïse. Il finira finalement par choisir l'Église, qu'il avait pourtant dédaignée au moment de se lancer dans ses études. Ce ne sera cependant pas un choix, ni pour l'un ni pour l'autre, d'ailleurs.

     

    Les Amours d'Héloïse et Abélard, par Jean Vignaud (1819)


    La liaison en elle-même est relativement bien connue. Très moderne, elle ne nous choque pas aujourd'hui mais avait un caractère très scandaleux à l'époque. Nous sommes au XIIème siècle et c'est alors le fin'amor des troubadours qui triomphe. Or ce courant est avant tout basé sur des liaisons platoniques et sur l’idéalisation de la femme. Il n'a jamais été contesté que l'histoire d’Héloïse et Abélard a été tout sauf platonique ! Au contraire, elle fut très charnelle et assumée comme telle, à une époque où on ne revendiquait pas de sexualité à plus forte raison si on était une femme. Héloïse en cela est très moderne et en avance sur son temps, non seulement par sa connaissance assez pointue de son propre corps et de son fonctionnement mais aussi parce qu'elle assumera sa liaison aussi sulfureuse soit-elle aux yeux des contemporains et assumera surtout d'y avoir cherché et trouvé du plaisir physique.
    C'est d'ailleurs l'un des aspects qui m'a toujours le plus fascinée dans l' histoire entre Héloïse et Abélard parce que j'y ai toujours vu une modernité hors-du-commun : un couple du XIIème siècle, même savant, qui s’émancipe autant des préceptes religieux a de quoi interpeller à mon avis. C'est surtout le personnage d’Héloïse qui diffère beaucoup de celui des autres femmes de son temps, d'abord par la connaissance parfaite qu' elle a de son corps, comme je le souligne déjà plus haut mais aussi des mécanismes de la reproduction. Héloïse sait donc ce qu'il faut faire pour ne pas tomber enceinte et connaît des moyens contraceptifs. Pour elle, la relation est avant tout charnelle et, si elle sait comment on tombe enceinte, elle sait aussi que cette partie de son corps peut lui apporter un plaisir physique indéniable. Dans leur couple, si Abélard trouve une réponse à ses pulsions sexuelles, qu'on ne viendrait de toute façon pas lui reprocher parce qu'il est un homme, Héloïse n'est pas en reste. Elle est faite pour l'amour et aime le faire. J'ai toujours trouvé fascinant et assez fou ce personnage de femme tellement en avance sur son temps, car ce que prône Héloïse, ce n'est, ni plus ni moins, que ce que revendiquent les femmes depuis moins de cinquante ans.
    Avec l'amour charnel, l'autre important propos du livre concerne les intellectuels du Moyen Âge. Quoi de plus normal, quand on parle d'Abélard qui est certainement, tous siècles confondus, l'un de nos lettrés les plus brillants ? Appelé à une carrière importante, qu'il remet en cause d'ailleurs en se lançant à corps perdu dans sa liaison avec Héloïse, Abélard personnifie ce Moyen Âge savant qu'on ne met pas souvent en avant malheureusement. Le XIIème siècle est pourtant une période importante pour les lettres : les troubadours donnent à la poésie ses lettres de noblesse tandis que l'enseignement de la philosophie attire à Paris des étudiants de toute l'Europe, preuve s'il en est, qu'on n'a pas attendu l'humanisme pour redécouvrir les textes de l'Antiquité et que le Moyen Âge ne méconnaissait pas son héritage. Certes, la philosophie est alors soumise, comme tous les enseignements, à l'Église et à ses dogmes, certaines doctrines scientifiques pouvant vite être considérées comme hérétiques et les intellectuels ayant alors maille à partir avec le clergé. Mais on se rend compte, à la lecture de ce livre, qui déroule assez précisément la carrière d'Abélard avant sa rencontre avec Héloïse et même après, que le Moyen Âge n'est pas si obscur qu'on a bien voulu le dire et qu'il a eu ses génies, dont fait assurément partie Pierre Abélard. Héloïse est, elle aussi, l'une des femmes les plus érudites de son temps, instruite en bien des matières qu'on ne daignait pas, en temps normal, enseigner aux femmes. En cela aussi, elle est avant-gardiste et préfigure en quelque sorte les femmes modernes. 
    Ce livre m'a plu parce qu'il associe des informations précises et des recherches solides, menées localement ou de façon plus large, à un style très chaleureux... à l'aide, notamment de la correspondance entre Héloïse et Abélard, Elie Durel établit des dialogues, assez surprenants au premier abord mais qui ne dénaturent pas pour autant le propos.
    J'ai été surprise de voir que la chronologie adoptée par l'auteur différait de celle communément admise. Ainsi, dans le livre d'Elie Durel, la liaison amoureuse démarre en 1115 et non pas 1113, l’émasculation d'Abélard intervient en 1119 et non pas 1117 et le petit Pierre Astrolabe, unique enfant du couple naît au printemps 1117 au lieu de l'automne 1116. Si j'ai d'abord été étonnée, au final, cette chronologie reste assez logique elle aussi et n'est pas plus fantaisiste qu'une autre. De toute façon, vu l'écart de temps qui nous sépare aujourd'hui des personnages, il sera difficile d'établir une chronologie absolument irréfutable.
    Très basé sur la psychologie, le livre nous apporte un éclairage un peu plus universel de cette belle histoire qui, d'abord calculée devint par la suite un chamboulement des sens tant pour la maîtresse que pour l'amant.
    Une lecture assez agréable, une bonne introduction pour ceux qui voudraient en apprendre un peu plus sur ces personnages mythiques.

    En Bref :

    Les + : une très bonne introduction, pour en apprendre un peu plus sur des personnages mythiques, de manière bien plus pragmatique que la version romantique que l'on connaît et qui n'est peut-être pas complètement vraie.
    Les - :
    quelques coquilles d'impression, dommage. 

     


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  • « Mademoiselle Bertin est une alchimiste de la mode. »

     

    Publié en 2010

    Editions Perrin, en partenariat avec Le Château de Versailles (collection Les Métiers de Versailles)

    178 pages

    Résumé :

    Comment une jeune Picarde, inconnue et sans relation, est-elle devenue l'oreille, l’œil et le conseil de la reine de France Marie-Antoinette et, dans son sillage, de toute l'aristocratie féminine de son temps ? Le talent et l'intelligence alliés à une extraordinaire créativité expliquent cette spectaculaire ascension sociale que nous raconte avec talent Michelle Sapori. Si étonnant soit-il au pays de l'élégance et de la mode, aucune véritable biographie n'avait été consacrée à  « Mademoiselle Bertin » , ainsi que l'appelaient ses contemporains. En sapant les bases de l'Ancien Régime vestimentaire, en substituant aux robes à panier une mode légère, fluide et confortable qui triomphera complètement sous l'Empire, en développant les accessoires - chapeaux et gants -, Rose Bertin a inventé une nouvelle garde-robe. Avec trente ouvrières salariées, de multiples fournisseurs et sous-traitants, son magasin le « Grand Mogol »  situé près du Palais-Royal, au cœur de Paris, recevait une clientèle prestigieuse et exigeante, avec laquelle Rose Bertin entretenait des rapports ambigus, oscillant entre soumission et insolence. Nommée à la tête de la toute nouvelle corporation féminine des marchandes de modes, l' « enjoliveuse » , qualifiée aussi de « ministre femelle » ou de « mauvais génie » de Marie-Antoinette, doit émigrer à la Révolution. Restée célibataire, cette femme hors du commun, au caractère bien trempé, revient après Thermidor pour tenter de sauver ce qui peut encore l'être. A sa mort en 1813, Rose Bertin est déjà entrée dans la légende, aux couleurs vives et contrastées.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Cette collection des éditions Perrin, Les Métiers de Versailles -en partenariat avec le Château d'ailleurs-, nous permet de découvrir ce site emblématique de la royauté française grâce aux métiers qui y gravitent.
    Avec ce livre, Michelle Sapori se propose de nous faire découvrir le métier de couturière de la reine, au travers du nom le plus important, le plus symbolique : Rose Bertin, celle qu'on surnommera de son vivant Ministre des Modes.
    Née en 1747 à Abbeville, la future modiste de Marie-Antoinette est issue du peuple, comme une autre grande dame de ce temps, Madame du Barry née en Lorraine en 1743. Fille d'un officier de la maréchaussée qui meurt alors qu'elle n'a que six ans, celle qui s'appelle encore Marie-Jeanne -le prénom de Rose ne lui sera donné qu'au XIXème siècle, de manière posthume- restera jusqu'à l'âge de dix-neuf ans dans sa ville natale, où elle reçoit une éducation relativement soignée. Région où le textile est roi, la Picardie accueille, à Abbeville justement, les célèbres manufactures Van Robais où la petite Rose fera son apprentissage, comme bien d'autres jeunes filles de sa région. Elle aura la chance de se distinguer, de tirer son épingle du jeu en gagnant la capitale où elle sera tour à tour employée puis employeuse. Novatrice, elle jette notamment les bases de la haute couture française.
    Fournissant d'abord la duchesse de Chartres -future duchesse d'Orléans et mère de Louis-Philippe- qui la fait connaître, très vite, son nom ne sera plus associé qu'à celui de Marie-Antoinette, grande amatrice de mode et qui commande chaque mois bien des accessoires et des tenues, ainsi que des coiffures au Grand Mogol, le magasin parisien de sa modiste, magasin qui préfigure d'ailleurs ce qui va apparaître au siècle suivant : le concept du grand magasin. On connaît les robes simples que la reine se plut à porter, un simple chapeau fleuri sur la tête, des robes blanches, amples et mousseuses mettant son corps en valeur... Après les extravagances des débuts du règne, comme les poufs, très vite, la mode de Rose Bertin, en étroite collaboration avec sa souveraine, se caractérise et s’émancipe de la robe à la française qui faisait force de loi jusque là. Ce qui, aujourd'hui, nous apparaît la qualité principale d'un vêtement, à savoir le confort, n'allait pas de soi à l'époque. Rose Bertin préfigure donc cette mode en pleins changements à l'époque et dont les codes, peu à peu, vont se préciser au fil des ans. En son temps, elle fut donc assurément novatrice, apportant un regard jeune et neuf et plein d'influences diverses. Reine des modistes et modiste des reines, fournissant la Cour de France mais aussi celles de Russie, de Suède, de Danemark, d'Angleterre, la petite picarde eut bien raison de croire en sa bonne étoile.
    Pour autant, le monde de la mode n'était pas plus de tout repos qu'il ne l'est aujourd'hui et, que l'on soit modiste de la reine et surnommée Ministre des Modes n'y changeait rien ! La mode est une sphère de concurrence redoutables où l'on doit batailler ferme pour garder le cap. Sans cesse novatrice, anticipant les modes, Rose Bertin eut là-dessus un avantage considérable sur ses adversaires, avantage qui lui permit de rester toujours à la première place.
    Si elle fut moderne et en avance sur son temps en ce qui concerne la toilette, Rose, de part son métier, le fut aussi dans sa vie privée et se démarque assurément de ses consœurs, pas encore complètement émancipées de leur éducation chrétienne un peu corsetée et des traditions séculaires qui régissaient la famille.

    Une robe typique de la fin du XVIIIème siècle 


    La corporation des modistes est essentiellement féminine...en autorisant les femmes à exercer ce métier en 1675, Louis XIV a, peut-être sans y penser, participé à modifier petit à petit le statut de la femme dans la société d'Ancien Régime. N'allons pas trop vite en besogne cependant, car il faudra tout de même attendre les lendemains de la Première Guerre Mondiale pour que le monde du travail soit accessible plus largement aux femmes et surtout, dans des domaines où on ne les attend pas forcément.
    Pour autant, Rose et ses collègues modistes appartiennent finalement à une classe à part en ce XVIIIème siècle bien paradoxal. Par exemple, Rose privilégiera son métier et sa place éminente auprès de la souveraine au détriment d'une vie de famille, d’épouse et de mère. Rose ne se mariera pas et n'aura pas d'enfants. Si aujourd'hui le célibat est accepté ou du moins ne paraît pas incongru il n'en allait pas de même au XVIIIème siècle où le mariage et la maternité restent encore l'accomplissement majeur de bien des femmes. Rose est une femme d'affaires, une créatrice certes, une artiste, pourrait-on dire, bien plus qu'une simple couturière en tous cas, qui emploie un nombre assez important de personnes, envoie des commandes un peu partout en Europe et, de surcroît, fournit la reine de France ce qui n'est pas rien ! On peut donc dire qu'elle est un personnage assez atypique et presque décalé en sa propre époque ! Il est sûr en tous cas que tous ces éléments font de la Ministre des Modes de Marie-Antoinette un personnage vraiment intéressant et qui peut même nous en apprendre beaucoup sur une époque. Elle continuera de fournir la souveraine jusqu'en 1792, bien que les factures aient, on s'en doute, considérablement baissé. Contrairement à d'autres serviteurs royaux, Rose s'en sortira assez bien, traversant, et son magasin avec elle, la période révolutionnaire sans trop d'encombres, notamment parce qu'elle ne se trouve pas en France au moment de la Terreur. Après le 9-Thermidor, et les débuts du Directoire, la Révolution prend une autre tournure et Merveilleuses et Incroyables donnent le la, apportant un souffle nouveau à la mode. Mais déjà à cette époque, le vent a tourné pour mademoiselle Bertin. Elle habille bien encore, parfois, la fameuse Theresa Cabarrus, madame Tallien, chef de file des Merveilleuses. Mais la fin de la monarchie signe aussi la fin du monopole de Rose Bertin, qui ne peut plus jouir comme avant de la ronflante appellation de Marchandes des Modes de la Reine. Elle n'est plus une instigatrice, celle qui va lancer une mode et la pérenniser... désormais, les succès des marchands de modes sont aussi fulgurants qu'éphémères et c'est essentiellement grâce à sa clientèle étrangère que Rose pourra continuer d'exercer sa profession. L'Empire marquera définitivement la fin de sa pratique et est remplacée, auprès de la nouvelle souveraine, par Leroy, qui sera désormais le créateur des robes de Joséphine : le monopole de la mode passe alors de la sphère féminine quasi exclusive à la sphère masculine, comme c'est encore le cas aujourd'hui, la plupart des grands couturiers étant des hommes. Rose Bertin meurt le 22 septembre 1813, à l'âge de soixante-six ans. Elle meurt le jour anniversaire de la proclamation de la République et six mois avant la Restauration.
    Michelle Sapori est historienne et a réalisé pas mal de travaux sur Rose, qui fut même l'objet de sa thèse. Résumer la vie du personnage en moins de 200 pages est relativement synthétique mais j'ai eu l'impression que tout y était, en tous cas, je ressors de cette lecture satisfaite et avec un apport certains de connaissance sur le monde du travail et de l'industrie du textile en ce siècle finissant, si proche de nous et si lointain en même temps. Le livre contient deux petits dossiers d'illustrations qui nous permettent d'avoir un aperçu des créations, robes et chapeaux, de Rose Bertin et de mettre une image sur les noms fantaisistes ou exotiques de ses créations. Malheureusement, si on possède encore des tenues de Joséphine, par exemple, précieusement conservées à la Malmaison, il ne nous reste rien de tangible concernant Marie-Antoinette. Hormis les robes commandées après la naissance de sa fille et qui étaient destinées à l'habillement de la Vierge et de l'Enfant Jésus d'une église abbevilloise, travail réalisé par mademoiselle Bertin, les tenues de la reine ne sont pas parvenues jusqu'à nous. Ces dossiers illustrés sont donc les bienvenus. Hormis cela, rien à dire de plus. Le livre est intéressant et parlera certainement à tous les amoureux du XVIIIème siècle ou de Marie-Antoinette. Cette biographie de sa modiste permet d'appréhender son époque d'une autre manière, tout à fait convaincante. Une lecture qui m'a très agréablement surprise mais assurément convaincue

    Détail des tissus d'une robe de 1780 conservée à l'Ontario Museum est attribuée à Rose Bertin. 

    En Bref :

    Les + : un aperçu synthétique mais intéressant de la vie de Rose Bertin ; les petits dossiers illustrés vraiment bienvenus. 
    Les - : mais aucun ! 


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  • « Oh ! puisqu'on me rend le chemin de la vertu si difficile, puisqu'on ne me l'offre qu'avec des épines, il faudra donc que je reste dans le vice ! »

    « Je jure au marquis de Sade, mon amant, de n'être jamais qu'à lui » ; Anne-Prospère de Launay et Donatien de Sade

    Publié en 2011

    Editions Le Livre de Poche (collection La Lettre et la Plume) 

    124 pages

    Résumé : 

    Cet ouvrage met en lumière l'un des aspects les plus scandaleux et les plus mystérieux de la vie du marquis de Sade : sa liaison avec sa jeune belle-soeur, Anne-Prospère de Launay, âgée de dix-sept ans et chanoinesse bénédictine. 
    Après de longues recherches, Maurice Lever a découvert, enfouies dans les archives familiales, les lettres échangées entre les deux amants. Liaison scandaleuse, orageuse, où se jouent les aspirations du marquis à la rédemption par l'amour. Espoir brisé par sa propre infidélité, que la jeune femme ne pourra pardonner et qui entraînera la rupture définitive. On trouvera également ici six lettres du marquis à sa femme. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1824, dix ans après la mort du marquis de Sade à Charenton, à l'âge de soixante-quinze ans, le publiciste Louis-Gabriel Michaud, qui s'est lancé dans un vaste projet de Biographie universelle, souhaite y insérer une note concernant le marquis, personnage ô combien scandaleux du siècle précédent, libertin invétéré, qui fut emprisonné plusieurs fois et même condamné à mort.
    C'est l'un des collaborateurs de Michaud, Pierre-Hyacinthe d'Audiffret, qui est chargé de faire les recherches nécessaires à la rédaction de la notice biographique. Tout naturellement, c'est auprès de la famille qu'il va commencer à chercher ces informations, famille d'abord hostile puis qui va finir par se laisser convaincre, au point que de vrais liens de confiance vont se tisser entre Audiffret et Donatien Claude Armand, le fils du divin marquis. Plusieurs cartons de documents familiaux vont être confiés à Audiffret et c'est ainsi que des lettres de Sade à sa jeune belle-soeur, Anne-Prospère, sont découvertes et copiées par Audiffret.
    Ces documents ont ensuite été restitués à la famille et mis sous les yeux de Maurice Lever, biographe de Sade, chargé de mettre en forme ce petit recueil, qui a pour titre la première phrase d'une lettre d'Anne-Prospère à son amant.
    Pour remettre un peu le tout dans son contexte, rappelons qu'en 1763, le marquis de Sade, de bonne noblesse provençale mais à la réputation sulfureuse, épouse Renée-Pelagie de Montreuil. Cette dernière, fille de Claude René de Cordier de Launay de Montreuil, issu de la noblesse de robe et titré baron d'Echauffour et de Marie-Madeleine Masson de Plissay, a une jeune sœur, née en 1751, de dix ans sa cadette, la fameuse Anne-Prospère : la fratrie est bien plus importante mais ici, c'est cette jeune fille qui nous intéresse. Celle-ci a dix-sept ans et est alors chanoinesse séculière chez les Bénédictines d'Alix, près de Lyon, quand elle rencontre son beau-frère. Celui-ci a vingt-neuf ans et une force irrépressible va les pousser l'un vers l' autre. Une longue relation va alors se tisser entre eux, entrecoupée de ruptures, d’infidélités, de séjours en prison du marquis pendant lesquels la jeune fille se meurt d'inquiétude.
    « Je jure au marquis de Sade, mon amant, de n' être jamais qu'à lui » ne contient cependant pas que la correspondance échangée entre le marquis et sa jeune maîtresse, mais aussi quelques épîtres de Madame de Sade à sa sœur ou à son mari et des lettres du marquis à sa femme, écrites lors de ses séjours en détention.

    Anne-Prospère de Launay 


    J'ai cependant été surprise que le livre ne contienne pas uniquement la correspondance entre Anne-Prospère et son beau-frère et ce sont presque d'ailleurs les lettres de ce dernier à son épouse qui prennent le pas sur les autres. Petite déception de ce côté-là mais ça n'a heureusement eu aucune incidence négative sur mon intérêt à découvrir ce recueil, au contraire ! Je trouve l'idée de cette collection vraiment intéressante et, en publiant en majorité des inédits, La Lettre et la Plume nous permet de découvrir des textes que l'on aurait peut-être pas eu l'occasion de lire autrement et c'est le cas de cette correspondance. Avec elle, je découvre la manière d'écrire de Sade, que je ne connais pas du tout, n'ayant pas lu ses œuvres. Par contre, c'est avec plaisir que je retrouve cette langue du XVIIIeme siecle, qui est si belle, tellement pleine de fougue et d'allant ! Étrangement, même si j'ai été un peu déçue de ne lire que quelques lettres d'Anne-Prospère, j'ai été très agréablement surprise par l'échange de lettres entre Sade et son épouse. Que Renée-Pélagie ait été très amoureuse de son mari, c'est un fait ; mais on aurait pu penser, au vu du comportement de Sade, qu'il n'en allait pas de même pour lui or ces lettres, écrites lorsqu'il était en prison, montre une facette de lui assez insoupçonnée, celle d'un mari aimant et même... jaloux (là on peut dire quand même que c'est l'hôpital qui se fout de la charité !)... en tous cas, c'est avec beaucoup de douceur qu'il dit à son épouse qu'il l'aime ce qui nous pousse, nous lecteurs, à le croire sur parole. Les lettres de Renée-Pélagie à sa jeune sœur sont édifiantes également : leur mère étant au courant de la relation de sa jeune fille avec son gendre dépravé, fit un tapage monstre pour les séparer ; on peut donc se douter que l'épouse légitime fut au courant de cette aventure, sans jamais témoigner aucune jalousie ni animosité à sa sœur...la marquise de Sade avait donc beaucoup d'abnégation et peut-être lui en fallait-il beaucoup, au vu du mari qu'elle avait, en effet... ! 
    Ce recueil est aussi un bon éclairage du XVIIIeme siècle, cette époque tellement riche et en même temps, tellement contradictoire. Ce siècle où un libertin peut pervertir une jeune chanoinesse mais risque au même moment la prison pour fornication ! On se rend compte que le XVIIIeme siècle, avant d’être celui de Valmont et de Madame de Merteuil est aussi celui de Cécile de Volanges et de Madame de Tourvel... un siècle où rigueur religieuse et innocence se disputent la part belle avec le libertinage -qui induit aussi une certaine liberté religieuse- et la dépravation et où parfois ceux-ci gagnent... mais à leurs risques et périls toutefois ! La société, bien qu’éclairée, notamment sous l'influence des philosophes des Lumières n'en reste pas moins encore très conservatrice.
    Ce livre, bien que court, est donc révélateur, tant du personnage que de l'époque où il est évolue et qui est toute une histoire à elle toute seule ! Bref, encore une fois une assez bonne découverte par le biais de La Lettre et la Plume

    En Bref :

    Les + : l'éclairage que ce recueil donne sur les relations d'une famille mais aussi sur tout un siècle ; le style de Sade, loin de l'érotisme de ses romans et que je découvrais à cette occasion. 
    Les - : que le recueil soit présenté avant tout comme un échange de correspondance entre Sade et sa belle-sœur parce que c'est loin d'être le cas. 


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  • « Le malheur de cet aimable funambule fut de ne jamais avoir su discerner les limites de sa puissance. »

    Fouquet ; Jean-Christian Petitfils

    Publié en 2005

    Editions Perrin (collection Tempus)

    607 pages

    Résumé : 

    Fouquet, l'un des personnages les plus fascinants du siècle de Louis XIV. Surintendant des Finances, fut-il un financier douteux puisant dans les caisses de l'Etat ou fut-il accusé par jalousie ? Juriste éminent, habile financier, diplomate avisé, ami fidèle, grand mécène et bâtisseur (à Vaux-le-Vicomte et à Belle-Île), il a eu un rôle politique capital dans la période difficile qui va de la fin de la Fronde à la mort de Mazarin. Rongé par la chimère et l'ambition, rêvant de devenir un nouveau Richelieu, ce fastueux ministre ne pouvait que se heurter à l'autorité naissante du jeune Louis XIV. L'ouvrage de J.-C Petitfils apporte un éclairage nouveau sur ce personnage complexe et sur la France baroque. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    De Nicolas Fouquet, on connait surtout la chute fulgurante, qui prend racine dans la fameuse et grandiose fete donnée pour le roi à Vaux-le-Vicomte, le 17 août 1661. Tout s'enchaîne très vite par la suite, son arrestation à Nantes, le 5 septembre, le procès retentissant puis la sentence d'exil commuée en emprisonnement à perpétuité par le roi lui-même. Fouquet purgera sa peine dans la sinistre forteresse de Pignerol dans les Alpes, où il meurt en 1680.
    Mais pour qu'il y'ait eu chute, il y'a eu aussi ascension, une ascension extraordinaire d'ailleurs, dans le cas de Nicolas et qui ne fait pas mentir la devise latine de la famille : Quo non ascendet ?  ( « Jusqu'où ne montera-t-il pas ? » )
    Né en 1615 à Paris, de François Fouquet et Marie de Maupeou, Nicolas est issu de la noblesse de robe par sa mère et d'une famille de parlementaires dont l'ascension est croissante, par son père. Il est loin le temps où l'ancêtre Foucquet, originaire d'Angers, était marchand drapier. Au XVIIeme siècle, la famille veut réussir et c'est Nicolas qui va personnifier cette réussite en gravissant peu à peu les échelons de l'administration royale, jusqu'au poste de surintendant des Finances. Il va s'illustrer sous la régence d'Anne d'Autriche, dont il est le protégé, il ne sera pas exempt d'erreurs mais saura toujours se les faire pardonner. Il sera remarque par Mazarin, qui le trouve lui aussi compétent -ce qu'il est, on ne peut pas le nier.
    Lorsqu'il atteindra les hautes arcanes de la finance royale, qui va mal, en cette période de guerre extérieure et d'agitation intérieures, Fouquet, comme ses collègues, va se rendre coupable de trafics et malversations en tous genres mais encore une fois, ni plus ni moins que les autres. Les Finances allaient mal, étaient fragiles et devenaient donc un terreau fertile pour tout un tas de trafics illicites. On peut en tirer la conclusion que Fouquet en paya les pots cassés sans être l'unique coupable. Si on est enclin aujourd'hui à le voir comme une victime de l'absolutisme louis-quatorzien, on ne peut raisonnablement penser qu'il fut blanc comme neige et totalement innocent de ce dont on l'accusait. Il ne fut pas non plus uniquement condamné à cause de sa riche demeure de Vaux, comme on le lit parfois. La grandiose fête du 17 août fut un élément déclencheur mais pas une cause. Bref, on peut dire que Fouquet n'était pas innocent, que les chefs d'accusations qu'on lui reprochera étaient pour la plupart fondés -et ne découlaient pas uniquement de la jalousie du roi et de l'ambition de Colbert- mais qu'il n'était sûrement pas plus coupable que d'autres qui eurent la chance de passer à travers les mailles du filet.

     

     

    Thierry Frémont (Colbert) et Lorànt Deutsch (Fouquet) dans le téléfilm Le Roi, l'Ecureuil et la Couleuvre (2011)


    Sous la plume de Petitfils, historien renommé qu'on ne présente plus, c'est un personnage complexe et multi-facettes qui nous apparaît loin de l'image communément admise.
    Tour à tour, c'est un Fouquet mécène, séducteur, bâtisseur, administrateur compétent quoique pas exempt d'entourloupes qui nous apparaît. En un peu moins de 600 pages -les 80 dernières pages étant consacrées aux annexes, glossaires et table des matières ainsi qu'à la conséquente bibliographie utilisée par l'auteur-, Jean-Christian Petitfils nous dresse le portrait exhaustif d'un personnage qui est une clé, à mon avis, pour comprendre les premières années du règne personnel du Roi-Soleil mais qui symbolise aussi tout une époque ; en effet, Fouquet est un pur produit de cette administration d'Ancien Régime, complexe à aborder parfois parce que tellement différente de celle que nous connaissons aujourd'hui.
    Sa biographie est servie par son style précis sans être pompeux, très chaleureux, avec des pointes d'humour voire de poésie toute romanesque, bien éloignés de la distante un peu froide de l'historien.
    Je ressors de cette lecture très dense avec beaucoup de nouvelles connaissances mais aussi des confirmations de ce que je savais déjà... j'ai apprécié les derniers chapitres qui se concentrent sur la vie en détention de Fouquet dans le donjon de Pignerol... l'auteur revient à cette occasion sur la fameuse légende du Masque de Fer qui, quoique bien élucidée aujourd'hui, n'en continue pas moins de faire couler beaucoup d'encre et d'inspirer les imaginations fertiles des romanciers !
    Dans cette biographie neutre et objective, Fouquet nous apparaît sous une image qui est certainement la plus proche de la réalité. Il est très difficile, même pour le meilleur des historiens, de saisir l'essence même d'un personnage disparu depuis de longs siècles. Il lui est difficile également de démêler le vrai du faux quand l'objet de son étude, à l'instar de Fouquet, a tant suscité de passions. Il n'y avait pas de doutes qu'un chercheur aussi réputé que Petitfils ne relève pas le défi haut la main. Pour ma part, je suis convaincue, cette biographie est à mon sens un incontournable : elle permet au moins de remettre les pendules à l'heure et de sortir le personnage du carcan de légendes et d'idées reçues qui l'enserrent complètement au risque, du coup, d'avoir une idée fausse ou tronquée, de son existence.
    À conseiller à tous ceux qui s'intéressent au règne du Roi-Soleil.

    En Bref :

    Les + : une biographie exhaustive, extrêmement complète, servie par une bibliographie conséquente et le style chaleureux quoique rigoureux de Jean-Christian Petitfils.
    Les - : peut-être quelques passages un peu trop techniques mais...ça fait aussi partie du jeu ! Je dirais donc qu'il n'y en a pas vraiment, cette biographie est incontournable !  

     

     


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  • « Les voix de Jeanne sont un problème sans solution. Les Armagnacs pensaient qu'elles venaient de Dieu, les Bourguignons qu'elles venaient du diable. L'idée d'une supercherie est plus récente. Quelles qu'elles aient été, elles ont fonctionné comme du vrai. »

     

    Jeanne d'Arc, Vérités et Légendes ; Colette Beaune

     Publié en 2012

    Editions Perrin (Collection Tempus)

    253 pages

    Résumé : 

    Peut-on laisser tout dire, tout écrire au prétexte que la grande histoire serait parfois trop complexe, ou pas assez folklorique ? En quelques chapitres courts, incisifs, Colette Beaune bat en brèche tous les lieux communs qui circulent encore aujourd'hui sur la plus célèbre de nos grandes figures françaises. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Jeanne d'Arc est un personnage historique mais aussi un mythe. Canonisée en 1920, elle fait aujourd'hui partie des saints du panthéon catholique et c'est une figure familière que l'on croise, au détour des rues et dans les églises, où ses statues portent l'armure et son fameux étendard : on croit la connaître et au final, quand on prend la peine de gratter un peu le vernis folklorique et de regarder ce qui se cache dessous, on se rend compte que la vérité est bien plus complexe que ce que l'on pourrait croire. En tant que sainte et en tant que mythe, Jeanne devient en quelque sorte un personnage désincarné sur lequel peuvent alors se greffer les hypothèses et postulats les plus fantaisistes ou farfelus. Quand il est question d'étudier un personnage comme celui-là, l'historien va alors être confronté à un pseudo spécialiste, le mythographe, pour lequel la véracité historique ne compte pas, au contraire. En général il va également chercher à aller à rebours de l'historien et à déconstruire ses arguments. Il est vrai que le sensationnel séduit et interpelle bien plus que le pragmatique mais quel intérêt de ne pas prendre en compte des arguments qui, aujourd'hui, grâce aux techniques scientifiques et aux méthodes historiques qui ont changé, sont fondés et considérés comme sûrs (ou quasiment) ?
    Aujourd'hui, il n'y a plus vraiment quoi que se soit à prouver concernant Jeanne d'Arc : elle n'était pas un homme ; elle n'était pas non plus une bergère indigente ; elle n'était pas la fille bâtarde de la reine Isabeau de Bavière et de Louis d'Orléans ou encore le petit Philippe de France ; elle n'a pas non plus survécu sous le nom de Claude des Armoises. Si aujourd'hui les mythographes n'ont plus d'arguments inédits à opposer aux historiens -des tests ADN réalisés il y'a quelques années, ont par exemple permis d'infirmer la croyance selon laquelle des restes de la Pucelle avaient été conservés- ils n'en continuent pas moins de croire dur comme fer à leurs belles histoires qui, malheureusement, sont complètement fausses. Le problème avec Jeanne d'Arc, c'est que certaines croyances sont fortement ancrées dans notre imaginaire collectif, rattachées à une certaine idée de la France et, de fait, sujettes à une récupération politique franchement mal venue et maladroite. Aller à l'encontre de ces idées reçues est un défi pour l'historien mais qu'il se doit aussi de relever afin de donner une image plus conforme du personnage, que l'exhaustivité et l'impartialité historiques impliquent automatiquement. Il a pour lui la relative proximité du personnage par rapport à nous ; Jeanne est née en 1412, cela fait 604 ans cette année. C'est beaucoup, six siècles, mais qu'est-ce au regard d'un personnage qui a vécu il y'a plusieurs milliers d'années ? Il est clair que des pans de son existence resteront certainement obscurs et le passage du temps n'arrangera rien. L'historien ne pourra pas tout trouver ni tout expliquer mais il a néanmoins en sa possession suffisamment d'éléments et d'outils, pour, en parallèle de la Jeanne mythique et légendaire, dresser le portrait d'une Jeanne historique, peut-être moins sensationnelle mais plus proche aussi de l'image que se faisaient d'elle ses contemporains -quoique le mythe se soit vite emparé du personnage, dès le XVème siècle-, et ceux qui la fréquentèrent, comme ses compagnons d'armes par exemple.

    Statue équestre de Jeanne d'Arc à Orléans


    Déjà, les bornes chronologiques et spatiales, concernant Jeanne d'Arc, sont bien connues : elle est née en 1412, peut-être en janvier, dans le village frontalier de Domrémy, en Lorraine. Fille de paysans, ses parents ne sont cependant pas aussi indigents qu'on l'a dit mais plutôt des laboureurs aisés. Ainsi, Jeanne n'a jamais été une bergère et ce n'est pas en gardant les moutons qu'elle entendit ses voix pour la première fois mais dans le jardin de son père. Son enfance et sa prime jeunesse ne sont malheureusement pas bien connues -on suppose qu'elles furent celles de toute enfant du peuple- mais on peut suivre assez facilement Jeanne à partir de 1429 et jusqu'au mois de mai 1431, date de sa mort sur le bûcher à Rouen, place du Vieux-Marché. Il est indéniable que, grâce à elle, la guerre connut un tournant : la fortune tourna et le camp français connut de belles victoires, qui conduisirent progressivement Charles VII au recouvrement de l'intégralité de son royaume, bien après la mort de Jeanne cependant. Son procès est aussi bien connu, on sait aujourd'hui que Jeanne ne fut pas condamnée pour sorcellerie mais parce qu'elle était relapse -elle avait repris des habits d'homme après avoir solennellement abjuré ses égarements passés-, et que croire en sa survie en la personne de Claude des Armoises, une aventurière à la réputation douteuse n'est pas fondé. Malheureusement les idées reçues ont la vie dure et il est alors difficile à l'historien de s'imposer.
    Le livre de Colette Beaune est un essai efficace, assez technique, mais qui permet de mieux comprendre, non seulement le raisonnement du scientifique mais aussi une époque et un personnage. En forme d'investigation, c'est presque à un travail d'enquêteur que se livre l'auteure, déconstruisant patiemment chaque mythe et idée reçue, en s'appuyant sur des textes armagnacs comme bourguignons, sur les minutes des procès, celui qui conduisit Jeanne au bûcher, mais aussi le procès en nullité, instruit dans les années 1450 par les juristes du roi Charles VII désireux de se dédouaner après avoir été accusé d'avoir abandonné Jeanne à ses juges -ce qui n'est malheureusement pas tout à fait faux.
    Dans ce livre, on en apprend pas mal sur la Jeanne historique, tout aussi attachante que la Jeanne mythique finalement. Elle fut une femme courageuse et intrépide, galvanisant les troupes françaises sans pour autant les commander, elle parvint à mener Charles VII se faire sacrer à Reims, ce qui fut un exploit remarquable. Elle récupéra Orléans assiégée, le 8 mai 1429 ou du moins permit-elle aux Français, remotivés, de reprendre la cité. Elle tint tête, elle, la petite paysanne lorraine, aux théologiens instruits qui composèrent le tribunal qui la jugea et montra à cette occasion qu'elle avait beaucoup d'esprit et le sens de la répartie  et, en cela, elle ne peut que forcer l'admiration. Il faudrait arrêter de voir Jeanne à travers le prisme déformant de la politique ou de la religion ; avant d'être une héroïne sans peur et sans reproches, un personnage de roman édulcoré, quelque part, elle fut une simple femme mais qui eut néanmoins un destin hors des normes de l'époque et tragique -cela, personne ne peut le contester. Le personnage est aussi doté de ses aspérités et contradictions et Jeanne s’avérera parfois intolérante, comme chacun d'entre nous peut l'être.
    On apprend aussi que Jeanne, fortement empreinte de religiosité était une ascète, certainement anorexique et souffrait d'une aménorrhée, dont on ignore si elle est consécutive à ses habitudes alimentaires -on sait aujourd'hui que l'anorexie peut conduire à une raréfaction des règles voire à leur disparition complète- ou bien à une cause plus profondes : en d'autres termes, on ne sait pas si Jeanne fut un jour réglée ou non mais cette information permet en tous cas d'infirmer les hypothèses farfelues de vie conjugale et de grossesses, si tant est que l'on ait cru à une possible survie de Jeanne !
    Le livre de Colette Beaune nous livre donc une version neutre du personnage de Jeanne d'Arc. Sous la plume de l'historien, la jeune femme n'est ni putain, ni sainte et encore moins sorcière. Elle est seulement une femme à la destinée absolument hors du commun. Il est presque normal et donc logique qu'ont ait glosé et spéculé sur elle mais ça n'est pas non plus une raison pour prendre au sérieux tout ce que l'on a dit sur elle depuis près de six cents ans. Les textes des Bourguignons pro-anglais comme des Armagnacs pro-français se doivent d'être pris en compte et manipulés avec beaucoup d'objectivité et de circonspection.
    Si Colette Beaune nous donne ici l'occasion de découvrir un portrait de Jeanne qui semble l'un des plus proches de celui du XVème siècle, elle nous permet aussi d'entrevoir un peu mieux la démarche de l'historien et confirme que l'Histoire est une vraie science qui demande et rigueur et méthodologie. Il n'y a finalement guère que sur les voix entendues par Jeanne d'Arc que l'historien contemporain ne peut affirmer quoi que se soit, mais, pour le reste, on se rend compte que son parcours est relativement bien connu et bien documenté.
    Ceci étant dit : pas de panique ! Le livre est accessible au plus grand nombre. Il est technique, certes, mais c'est cela aussi qui le rend crédible. Les travaux des mythographes sont peut-être plus agréables à lire parce que plus sensationnels ou romanesques mais ils ne participent qu'à colporter de fausses informations.
    Ce livre, relativement court, mais qui n'est pas une biographie, aborde le sujet, très vaste, de façon concise mais claire et s'avère être une bonne introduction. Une lecture enrichissante, un style sobre, un propos intéressant et bien traité : en somme, une bonne lecture historique

    Jeanne sur le bûcher (miniature issue des Vigiles du roi Charles VII, par Martial d'Auvergne, fin XVème siècle)

    En Bref :

    Les + : un propos clair et précis, un livre en forme d'investigation  presque policière très efficace. 
    Les - :
      Aucun. 


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