• « Je n'écris pas l'histoire, je le répète. Tout au plus, puis-je me flatter, en retraçant les événements où j'ai assisté, comme acteur ou comme spectateur, de donner quelques coups de pinceau qui fassent mieux apprécier les choses et les personnes. Aussi ne parlé-je jamais de ce que je ne sais que par des on-dit ou par la voix publique. »

    Mémoires : de 1820 à 1848 (volume 2) ; Adèle d'Osmond comtesse de Boigne

     

     

      Publié en 1999

      Date de parution originale : entre 1921 et 1923 en    texte intégral

      Éditions du Mercure du France (collection Le temps    retrouvé)

      722 pages

      Deuxième tome des Mémoires de la comtesse de Boigne

     

     

     

    Résumé :

    Couvrant près de soixante-dix ans, les Mémoires de la comtesse de Boigne occupent une place à part dans la littérature de souvenirs, ne serait-ce que par la richesse de leur information et la qualité exceptionnelle de leur style. 
    Document irremplaçable sur toute la période qui va des dernières années de l'Ancien Régime à la révolution de 1848, ces Mémoires ont fait de la comtesse de Boigne, depuis leur première publication en 1907, un personnage quasi mythique. Elle passe pour le caustique avocat du diable de tous les procès en canonisation de ses contemporains, la plus célèbres de ses victimes étant Chateaubriand. Ces Mémoires sont également l’œuvre d'une extraordinaire psychologue, impitoyablement lucide, qui démonte les rouages d'une société qu'elle a si bien observée et dénonce sans relâche la bêtise de sa classe sociale. 
    Proust, qui en fut l'un des premiers lecteurs, s'enthousiasma pour les Mémoires de la comtesse de Boigne dont il salua la publication et dont il s'inspira directement pour son œuvre personnelle. 

    Ma Note : ★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Le Grand Siècle avait Saint-Simon, le règne de Louis XVI et le début du XIXème siècle ont Adèle d’Osmond, plus connue sous son nom d’épouse : la comtesse de Boigne.
    Quelques mots sur l’autrice, avant d’entrer dans le vif du sujet : Adèle Charlotte Louise Eléonore, future comtesse de Boigne, est née à Versailles en février 1781. Elle est morte à Paris presque nonagénaire en 1866, après avoir traversé une époque d’une richesse folle, du règne de Louis XVI jusqu’à la chute de la Monarchie de Juillet. Par sa proximité avec le pouvoir, la comtesse de Boigne est un témoin de premier plan, pas toujours très objectif selon les historiens, mais elle nous laisse grâce à ses Mémoires – qui, au départ, n’étaient pas destinés à être publiés et le seront entre 1921 et 1923 après une procédure en justice de plus de dix ans – une formidable source, certes à prendre avec des pincettes, mais dans laquelle on se faufile au plus près du pouvoir, dans les couloirs des Tuileries ou de Saint-Cloud.

    Compagne de jeu du petit Dauphin – le premier fils de Louis XVI et Marie-Antoinette, mort de la tuberculose en juin 1789 –, Adèle d’Osmond connaît dans l’enfance l’émigration avant de rentrer en France et de fréquenter les cercles de la Restauration bourbonnienne. Ainsi, la mémorialiste nous laisse-t-elle des portraits circonstanciés de Louis XVIII, de son frère Charles X (qui n’est encore que Charles d’Artois) ou bien encore des enfants de ce dernier, Louis-Antoine d’Angoulême et Charles de Berry, ainsi que des épouses respectives de ces derniers, à commencer par l’impulsive, fière et aventurière duchesse de Berry, Marie-Caroline.
    Ce deuxième tome s’ouvre en 1820 avec l’assassinat du duc de Berry par Louvel en février de cette année-là. Et si l’assassin du fils de Monsieur a cru ainsi porter un coup mortel à la famille de Bourbon, il se trompe car lorsque le duc de Berry expire, dans la nuit qui suit son agression, son épouse Marie-Caroline est enceinte depuis quelques semaines et donnera naissance au mois de septembre suivant, à un garçon bien portant, Henri, titré duc de Bordeaux !

    13 février 1820 : Le duc de Berry est assassiné

    L'assassinat du duc de Berry en février 1820 est le premier grand événement historique de l'époque traité par Madame de Boigne dans ce deuxième volume de ses Mémoires


    En suivant la chronologie, la comtesse de Boigne – dont les écrits initialement sont destinés à la lecture seule de son neveu – retrace ensuite les dernières années de Louis XVIII, de plus en plus impotent, la faveur de Madame du Cayla (souvent considérée d’ailleurs comme la dernière favorite royale) et celle d'Elie Decazes qui s'achève brutalement à la mort du duc de Berry, , puis l’accession au trône de Charles X et le raidissement royaliste et ultra, qui remet de plus en plus en cause la Charte octroyée par Louis XVIII – qui avait été un premier pas vers une monarchie constitutionnelle. La mémorialiste insiste aussi sur l’aveuglement des derniers Bourbons et leur « déconnexion » pour utiliser un terme moderne, usant de diverses anecdotes pour illustrer ce trait qui semble un atavisme familial : à l’image de Louis XVI parfois dépassé par les événements et ne prenant pas la mesure de leur importance et de leur dangerosité, son frère Charles X et son neveu devenu Dauphin de France (lorsque le duc d’Angoulême demande par exemple des nouvelles météorologiques à son interlocuteur en vue d’une partie de chasse alors que celui-ci lui rend compte des émeutes et des barricades parisiennes, le lecteur reste sans voix devant tant d’ingénuité ou de capacité à être dans le déni) ne se rendront pas compte de la grogne populaire qui ne cesse d’augmenter avant d’éclater en juillet 1830 : la révolution dite des « Trois-Glorieuses » portera un coup fatal à la monarchie des Bourbons, conduira la famille royale en exil et le duc d’Orléans au pouvoir. Ne dit-on pas que la couronne, qui tomba de la tête de Charles X roula jusqu’aux pieds de monsieur le duc d’Orléans qui la ramassa ? Puis l’autrice s’attarde assez longuement sur l’épopée chevaleresque de la duchesse de Berry en Vendée, souhaitant faire valoir les droits de son fils Henri en 1832. Une rébellion royale qui aurait pu entrer dans l’Histoire comme un événement marquant mais qui se termina piteusement dans les geôles de Blaye, où la duchesse accouchera d’un enfant naturel avant de partir en exil sans avoir jamais pu obtenir gain de cause ni fait croire à la paternité officielle de l’enfant née en Gironde.
    Si Adèle d’Osmond, devenue comtesse de Boigne en 1798, fréquente la cour des Bourbons par esprit de clan, c’est avec probablement plus de chaleur et d’affection et moins d'obligation qu’elle se rend à la cour plus informelle et familiale de Louis-Philippe Ier et de Marie-Amélie, qu’elle avait connue en Italie, alors qu’elle était en émigration. L’autrice nous offre un portrait circonstancié de cette monarchie arrivée au pouvoir par la volonté du peuple, une monarchie simple et presque bourgeoise mais qui ne durera pas même vingt ans et sera à son tour détrônée par une révolution, les convulsions politiques se faisant succéder à une vitesse folle les pouvoirs et les régimes tout au long du XIXème.

    Trois Glorieuses : résumé d'une révolution sur trois jours

    L'attaque des Tuileries le 29 juillet 1830 : Madame de Boigne s'attarde longuement sur la relation de cette semaine de juillet qui entraîna dans une chute vertigineuse le trône de Charles X 


    Si toutes les considérations politiques de l’autrice ne sont pas toujours faciles à suivre et rendent le livre assez dense et exigeant – il vous faudra réunir toute votre concentration si vous vous lancez dans cette lecture – il n’en reste pas moins passionnant.
    Comme je le disais plus haut, les historiens sont aujourd’hui à peu près unanimes pour affirmer que la comtesse de Boigne se laissait parfois aller à exprimer des opinions personnelles et par là même biaisées. Pour autant, s’il faut se méfier de la source et faire appel à tout son esprit critique lorsqu’on la lit ou la manipule, elle reste un document exceptionnel. C’est peut-être un peu convenu de dire ça mais on a l’impression d’y être ! Dans le sillage de la comtesse de Boigne, on vit les grands comme les plus petits événements et on découvre aussi l’anecdote qui, certes, ne fait pas l’Histoire mais la rend tellement plus savoureuse et moins déshumanisée.
    Le style est remarquable et il aurait été dommage que les Mémoires de la comtesse de Boigne, même si c’était sa volonté, soient restés privés. La comtesse avait un véritable talent d’écriture et savait manier la plume : relativement facile à lire, son style est probablement un gros point fort de ces Mémoires, à lire cependant avec concentration – mais quel classique ne se lit-il pas avec un minimum d’attention de notre part ?
    Pour conclure, j’avais déjà beaucoup aimé le premier tome mais je dois dire que cette suite ne m’a pas déçue non plus, bien au contraire. J’ai encore une fois passé un bon moment de lecture même si je dois être honnête : j’ai gardé internet pas loin de moi au cours de cette lecture, pour rechercher parfois quelques éclaircissements ou informations supplémentaires. Mais dans l’ensemble c’est lisible et compréhensible sans trop de problèmes. A l’instar des Mémoires de la baronne d’Oberkirch, des souvenirs de Madame Campan (la femme de chambre de Marie-Antoinette) ou encore, de l’immense fresque de Chateaubriand Mémoires d’outre-tombe, les Mémoires de la comtesse de Boigne ont toute leur place dans ces sources historiques françaises incontournables pour peu que l’on s’intéresse à la Restauration et à la Monarchie de Juillet mais aussi à la fin de l’Ancien Régime, à la Révolution française et au Premier Empire.

    File:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921 (page 3 crop) -  transparent.jpg - Wikimedia Commons

    Médaillon représentant la comtesse de Boigne dans sa jeunesse

     

    En Bref :

    Les + : le style de Madame de Boigne est accessible et agréable à lire. Immersifs, ses Mémoires nous font revivre l'Histoire au plus près.
    Les - : quelques considérations très politiques qui peuvent paraître un peu floues pour un lecteur du XXIème siècle.

     


    Mémoires : de 1820 à 1848 (volume 2) ; Adèle d'Osmond comtesse de Boigne  

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

    • Découvrez mon avis sur le premier tome : 

    Les Mémoires de la comtesse de Boigne, volume I : du règne de Louis XVI à 1820

     

    Envie de découvrir d'autres célèbres mémorialistes ? 

    - Découvrez mon billet sur les Mémoires de la baronne d'Oberkirch juste ici

     

    - Et mes billets sur les monumentaux Mémoires de Chateaubriand : 

     


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  • « La destinée des Romanov n'est pas un long fleuve tranquille. Bien avant la fin tragique de la famille impériale en 1918, parricides, assassinats, trahisons, conspirations et révolutions de palais ont scandé l'histoire de cette dynastie qui se perpétue sous le règne du sang. »

    Couverture Tsars sans empire : Les prétendants Romanov en exil (1919-1992)

     

     

     

        Publié en 2024

      Éditions Perrin 

      416 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    La dynastie des Romanov n’a pas été anéantie par le massacre du tsar et de la famille impériale en 1918. Après avoir échappé à la révolution, les membres de la famille cadette et rivale de Nicolas II ont émigré en France et ont tout fait pour revenir au pouvoir. Le chef de cette branche des Wladimirovitch, le grand-duc Cyrille, cousin du tsar et premier Romanov à faire allégeance au nouveau pouvoir en février 1917, a rallié autour de lui une partie de l’importante émigration russe et s’est autoproclamé en 1924 empereur de Russie. Après son décès, son fils le grand-duc Vladimir a appelé en juin 1941 à soutenir les Allemands qui venaient d’attaquer l’Union soviétique et leur a fait en vain des offres de service. Après la Libération, il se réfugie chez Franco et demeure interdit de territoire français jusqu’en 1956 pour « activité proallemande durant l’Occupation ». Il foule le sol russe pour la première fois en 1991, au moment où la Russie se désagrège, et meurt l’année suivante, alors que Boris Eltsine envisage de le placer sur le trône d’un pays en plein désarroi.
    Fort de témoignages d’époque et de nombreuses sources russes, l’auteur retrace avec brio l’histoire diplomatique de la Russie, du XIXe siècle à la révolution de 1917, décrit les diverses branches des Romanov, retrace leur exil, leur vie quotidienne – à Paris, en Bretagne, sur la Riviera –, les violentes rivalités au sein de l’émigration, révèle l’extraordinaire pénétration de l’émigration russe en France par les services secrets soviétiques et brosse un portrait saisissant du grand-duc Vladimir, né en exil, envisagé par les Allemands avant-guerre comme éventuel « tsar d’Ukraine » et promoteur d’une « croisade » nazie contre les bolcheviks.
    Une histoire passionnante, tragique et romanesque, brillamment racontée par Boris Prassoloff, fils de Russes blancs émigrés en 1917.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Souvent, l'histoire officielle des Romanov s'achève en juillet 1918, avec la mort de Nicolas II de sa famille à Ekaterinebourg. On aborde rapidement les membres de la famille qui ont pu fuir mais on parle peu de l'après, de ceux qui restent et qui deviennent des prétendants.
    A l'heure actuelle, comme la famille d'Orléans en France qui prétend au trône - si une monarchie devait être rétablie - une branche de la famille Romanov prétend au trône de ses ancêtres : le chef de la maison aujourd'hui, est une femme, Maria Vladimirovna Romanov, née en 1953. Elle est la fille du Grand-Duc Vladimir Kyrillovitch, né en Finlande en 1917 et qui succéda à son père le Grand-Duc Cyrille en tant que prétendant. Mais la famille Romanov est immense, ramifiée comme un vieil arbre et les actuelles querelles familiales s'expliquent et se comprennent beaucoup mieux à la lecture de ce livre.
    Le livre s'ouvre donc au début du XXème siècle, alors que Nicolas II règne encore, tout en étant de plus en plus contesté. La Russie des années 1900 ne va plus très bien et le pouvoir tsariste, corseté dans des traditions d'un autre âge, représenté par un tsar faible et mal préparé et par une tsarine dont le peuple se méfie, ne récolte pas les suffrages. Les Russes ont faim, les conditions de vie et de travail sont dures mais le peuple n'a pas l'écoute des élites et commence à gronder. Comme les empires d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie et Ottoman, la grande Russie des tsars, sur laquelle les Romanov règnent depuis 1613 est sur le point d'être emportée par la tourmente d'une guerre mondiale.
    Boris Prassoloff nous décrit surtout une lignée gangrénée de l'intérieur par des querelles de préséance, des règles strictes dont font les frais les Grands-ducs et Grandes-duchesses, princes et princesses qui s'écartent du rang. Malheur à celui ou celle qui épouse une personne qui ne convient pas au tsar - à plus forte raison si la personne en question est une roturière. A la faveur d'une réforme opérée à la fin du XIXème siècle, on découvre aussi que les tsars ont limité la famille active, privant ainsi certaines branches cadettes de la famille de leur statut : certains s'en accomoderont très bien car pourront ainsi jouir d'une certaine liberté mais cette réforme aura aussi pour travers de développer des jalousies et des rancœurs.
    Comme la France d'avant 1789, on découvre que les premières contestations ne viennent pas forcément du peuple, mais bien de l'intérieur : comme Marie-Antoinette avait pu être surnommée méchamment l'Autrichienne par ses grands-tantes, les Grands-Ducs n'ont pas de mots assez durs envers l'épouse de Nicolas II, la princesse Alix de Hesse devenue la tsarine Alexandra Feodorovna : cette dernière, timide, effacée, amère, sombre dans un mysticisme forcené après l'annonce de la maladie de son petit Alexis, le tsarévitch. Un peu avant la Révolution de 1917, elle tombe sous la coupe du célèbre Raspoutine, dont elle ne pardonnera pas la mort aux princes et Grands-ducs qui la fomenteront, en 1916. On se rend compte aussi que les oncles ou cousins du tsar sont relativement critiques envers son pouvoir, lorgnant ce dernier et n'hésitant pas, pour certains, à se positionner contre lui dès lors que la Révolution démarre. Le prince Cyrille Wladimirovitch sera de ceux-ci.

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    Cyrille Wladimirovitch, son épouse Victoria-Mélita de Grande-Bretagne et leurs enfants : Kira, Maria et le petit Vladimir dans les bras de son père (entre 1917 et 1918)


    C'est donc la destinée de ses descendants que nous découvrons dans ce livre : Cyrille, qui avait eu maille à partir avec son cousin le tsar parce qu'il avait épousé une femme divorcée et que le tsar n'acceptait pas - Victoria-Mélita du Royaume-Uni, soeur de la reine Marie de Roumanie et ex-épouse de Louis de Hesse -, se positionne rapidement dès lors que le pouvoir tsariste vacille. On lui en voudra, d'ailleurs, de s'être répandu dans les journaux contre son cousin Nicolas II, le Grand-Duc n'hésitant pas à enfoncer un homme déjà à terre. Prenant parti pour la Révolution que certains princes de la famille Romanov voient comme un moyen de réformer le pouvoir, la plupart seront malgré tout broyés par elle. Cyrille devra fuir avec sa famille et c'est pourquoi son fils Vladimir, qui naît après deux filles, Maria et Kira, voit le jour en 1917 en Finlande - autant dire en exil.
    Beaucoup d'émigrés russes, Romanov ou seulement issus de grandes lignées princières, s'installeront en France, où il recréeront tant bien que mal le monde de luxe un peu futile qu'ils avaient connu en Russie. Entre Paris et la Côte d'Azur, les Russes Blancs tentent de vivre comme si la Révolution n'avait pas eu lieu, menant une existence mondaine et parfois légèrement oisive. Le Grand-Duc Cyrille et sa famille s'installent notamment en Bretagne, dans le petit village de Saint-Briac, où des souvenirs de leur passage subsistent encore.
    On le sait, les Romanov n'ont jamais repris leur trône et il est fort peu probable que cela arrive un jour. Pour autant, tout le XXème siècle est jalonné par l'organisation d'une politique ordonnée et cohérente - mais toujours efficace - qui ne poursuit que ce but. Le fils de Cyrille traînera jusqu'à la fin de sa vie la tâche d'avoir eu des accointances suspectes avec les autorités nazies, durant l'Occupation - ce qui lui vaudra d'ailleurs de la part de ses parents une véritable hostilité, ceux-ci remettant en cause la légitimité de sa prétention au trône. A la fin des années 1940, le Grand-Duc Vladimir épousera en Espagne une jeune femme qui ne plaît pas à la famille, qui la considère comme une aventurière. Mais le jeune homme passe outre, accélérant encore un peu plus la fracture entre les Romanov survivants. L'affaire Anna Anderson - la fausse Anastasia - sera aussi une source de discorde et de mésentente au sein de la famille, se partageant alors entre ceux qui sont convaincus qu'Anna est bien la plus jeune fille de Nicolas II, qui aurait miraculeusement survécu au massacre des siens et ceux qui ne considèrent la jeune femme que comme un imposteur - grâce à des tests ADN effectués quelques années après sa mort, on s'apercevera en effet qu'Anna Anderson n'avait aucun lien génétique avec Nicolas II.

    Marie de Russie, l'héritière de l'Empire russe née à Madrid ...

     

    Mariage de Maria Vladimirovna en 1976 avec Franz Wilhelm de Hohenzollern : ils auront un fils unique, Georges né en 1981


    Ce qui ressort de ce livre est une famille profondément affaiblie et fracturée et cela, bien avant les débuts de la Révolution. Comme souvent, les contestations, bien que larvées, étaient les plus violentes au sein même de la cellule familiale. Le pouvoir de Nicolas II a été sans nul doute fragilisé par les ambitions et la popularité de ses parents, en plus bien sûr de son incapacité à s'adapter à une nouvelle modernité, à sortir du carcan de l'autocratie comme ses ancêtres l'avait théorisée.
    Le livre est dense et exigeant et je pense qu'en le lisant, il faut accepter parfois de se sentir largué parce que c'est difficile à suivre, et à tout bien comprendre pour des lecteurs du XXIème siècle. J'avoue que les différents courants politiques m'ont parfois un peu perdue mais avec quelques recherches, ça allait vite mieux. Oui, c'est technique, il ne faut pas le perdre de vue : ce livre est plus un essai qu'une biographie et il faut suivre. Un conseil, gardez à portée de main un arbre généalogique pour vous repérer entre les différents protagonistes cités ici. On le comprend, l'auteur ne peut pas rappeler qui est qui sans arrêt, donc il faut parfois faire une petite recherche pour se situer mais après tout, n'est-ce pas aussi le bonheur de ces lectures, certes assez complexes mais en même temps passionnantes ?
    J'ai toujours été plutôt passionnée par l'histoire des tsars et plus particulièrement des Romanov, même si depuis quelques temps, j'aimerais aussi découvrir l'histoire médiévale de la Russie. Mais je me suis aperçue que la plupart des livres s'arrêtent après 1918 et n'abordent bien souvent que la contrition publique de la Russie d'Eltsine à la fin des années 1990, au moment des commémorations pour les 80 ans de la mort de la famille impériale puis le processus de réhabilitation de cette dernière. Mais que s'est-il passé entre-temps ? Boris Prassoloff comble les lacunes avec son livre, en décrivant l'existence de ces tsars sans empire et souvent sans appui, sur près d'un siècle et quel siècle, marqué par deux guerres mondiales puis par une modernité galopante qui emporte encore un peu plus ces vieilles dynasties surannées et un peu dépassées.

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    Le Grand-Duc Vladimir Kyrillovitch : né en Finlande en 1917, il est le père de l'actuelle chef de la maison Romanov, Maria Vladimirovna

     

    COLLABORATION COMMERCIALE NON RÉMUNÉRÉE - LIVRE OFFERT (MERCI AUX ÉDITIONS PERRIN POUR CET ENVOI)

     

     

    En Bref :

    Les + : passionnant, dense, technique et exigeant mais d'une richesse folle ! On ressort de ce livre en ayant appris beaucoup de choses.
    Les - : quelques notions politiques purement russes un peu difficiles à comprendre même si dans l'ensemble, le livre est relativement intelligible.


    Tsars sans empire : les Romanov en exil 1919-1992 ; Boris Prassoloff 

          Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 


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  • « D'un bout à l'autre de sa course, le Grand Siècle a vibré de l'engagement des grandes âmes. Cet engagement prit des formes diverses, à la mesure des talents, des ancrages sociaux, des circonstances et des appels reçus, s'inscrivant aussi dans différents domaines de la vie, qu'il s'agisse de spiritualité et d'action chrétienne dans la cité, de littérature et de culture, de vie en société ou de politique. »

     

     

     

        Publié en 2022

      Éditions Perrin

      382 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Alors que l'histoire des femmes est aujourd'hui largement abordée et débattue sous l'angle de la condition féminine - souvent pour en dénoncer les carences -, le point de vue du présent ouvrage renverse les perspectives, en mettant en valeur la force singulière de l'empreinte féminine sur la société du Grand Siècle.
    Certes, il existe de nombreuses biographies de femmes célèbres de cette époque, mais une galerie de portraits rassemblant, dans leur thématique propre, de grandes dames de la spiritualité, de la vie culturelle et littéraire ainsi que de la vie politique relève d'une démarche originale et inattendue.
    Barbe Acarie, Louise de Marillac, Marie de l'Incarnation, Angélique Arnauld, Catherine de Rambouillet, Madeleine de Scudéry, Mme de Sévigné, Mme de La Fayette, la duchesse de Longueville, Anne d'Autriche et Mme de Maintenon : les onze portraits brossés avec autant de rigueur que de conviction par Marie-Joëlle Guillaume frappent par la puissance civilisatrice et l'intensité d'âme et d'esprit de leurs modèles, qui n'ont rien à envier aux héroïnes du théâtre classique. Ils offrent une plongée concrète et très vivante dans les mentalités du XVIIe siècle, de Corneille à Port-Royal. Ils font surtout apparaître que l'excellence de la civilisation française, de Louis XIII à Louis XIV, est directement liée aux femmes d’élite qui en furent les actrices.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Lorsqu’on pense au XVIIème siècle, on songe facilement au règne de Louis XIV, aux Mousquetaires, à Richelieu ou à de grands militaires comme Turenne ou le Grand Condé. On convoque moins spontanément les figures féminines et pourtant, le Grand Siècle en recèle un nombre important.
    Femmes de foi, de gouvernement, de lettres, héroïnes de théâtre : les années 1600 sont remplies, pour peu qu’on veuille se donner la peine de les chercher, de figures féminines phares, indissociables d’une époque mais aussi d’une grande modernité pour certaines.
    Ce sont ces destins féminins, très connus ou plus confidentiels que l’autrice Marie-Joëlle Guillaume se propose de nous raconter ici. D’Anne d’Autriche en passant par Madame de Sévigné ou encore Madame de Maintenon, on découvre un XVIIème siècle marqué par une influence féminine forte : qu’auraient été les lettres françaises sans les femmes qu’il ne faut pas réduire simplement à de ridicules précieuses ? Quel a été leur apport à la foi catholique et à sa fortification, dans le contexte de la Contre-Réforme ? Et en ce qui concerne l’État, les femmes ne sont pas en reste, que ce soit Anne d’Autriche, régente du royaume pendant la minorité de son fils ou encore, la duchesse de Longueville, qui se soulève pendant la Fronde, bercée d’un idéal aristocratique qu’elle entend défendre coûte que coûte, même contre le pouvoir royal.
    Divisé en trois parties, le livre aborde comme dit plus haut les femmes de foi, les femmes politiques et les écrivaines, les autrices. Certains destins nous sont plus familiers que d’autres : ainsi, on redécouvre plutôt que l’on découvre l’histoire de Madame de Sévigné, la célèbre épistolière ou encore, celle d’Anne d’Autriche, la reine espagnole devenue viscéralement française dès lors qu’il s’est agi de défendre les intérêts de son fils mineur. On en apprend un peu plus sur Mademoiselle de Scudéry, la fameuse inventrice de la Carte du Tendre, à laquelle on l’a trop souvent réduite alors que son œuvre est bien plus riche et bien plus vaste, on découvre aussi avec intérêt tant la psychologie que le quotidien de Madame de La Fayette, qui nourrit son œuvre et a fait traverser le temps à ses romans, La princesse de Montpensier ou encore, le célébrissime La princesse de Clèves.

    Louise de Marillac fonde les Filles de la Charité et se met toute sa vie au service des pauvres et des nécessiteux


    En revanche, c’est avec un certain intérêt que j’ai découvert les femmes de foi, ces femmes qui s’inscrivent avec ferveur dans la mystique complexe et exaltée du XVIIème siècle : Barbe Acarie, née en pleine Contre-Réforme et soutenue par une foi indéfectible qui la conduira à une vie religieuse exemplaire après une vie dans le siècle où elle fut épouse et mère (ce fut elle qui introduisit le Carmel en France). Quant à la tourangelle Marie de l’Incarnation, c’est aussi avec souffle et avec ferveur qu’elle s’engage dans l’aventure de sa vie : s’embarquer pour la Nouvelle-France afin d’y apporter la foi catholique, dans une volonté missionnaire que l’on comprend mal aujourd’hui et qui ne se justifie plus mais qui était alors d’une importance certaine. Arrêtons-nous également un instant sur la battante Louise de Marillac, restée longuement en marge de sa famille car née bâtarde, fondatrice avec Vincent de Paul des Filles de la Charité, qui existent encore de nos jours et œuvrent partout dans le monde, notamment en Afrique auprès des plus déshérités, leur apportant un secours non seulement matériel mais aussi religieux ou encore sur Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal à 18 ans et devenue, à l’instar des membres masculins de sa famille, une figure de proue du jansénisme naissant.
    N'étant pas croyante et pas forcément très à l’aise avec les notions de doctrine, de mystique, de dogme, j’avoue que certains concepts m’ont paru un peu obscurs mais dans l’ensemble, cela ne m’a pas gênée plus que cela pour la compréhension même si, évidemment, mon rythme de lecture s’en ressenti car il m’a fallu plus de temps pour tout bien assimiler. J’ai bien évidemment préféré les chapitres consacrés aux femmes d’État, qu’elles aient tenu le pouvoir effectif entre leurs mains contre Anne d’Autriche ou qu’elles l’aient approché de près, comme Madame de Maintenon après son mariage morganatique avec Louis XIV en 1683 et ceux consacrés aux femmes de lettres. J’ai apprécié également que tous ces portraits de femmes ayant existé et compté soient étoffés d’un chapitre plus court mais tout aussi éclairant, sur les femmes du théâtre, que ce soit celles du théâtre racinien, les héroïnes de Corneille ou encore celles de Molière, car elles nous apprennent beaucoup, à leur manière, sur une époque bien plus riche et bien plus complexe que les images d’Épinal que nous convoquons spontanément ne veulent bien nous le laisser penser. Le XVIIème siècle fut peut-être un siècle misogyne et paradoxalement, une époque où les femmes ne furent jamais si fortes, ni si représentées dans toutes les strates de la société, capables de faire entendre leur voix et de s’imposer.
    Pour autant, ce livre est exigeant et dense et ne se lit pas comme un roman loin s'en faut. Il peut même être nécessaire de faire quelques pauses voire quelques recherches en cours mais ça reste une lecture passionnante pour peu qu’on soit intéressé par l’Histoire en général et par l’Histoire des femmes – les grandes oubliées, malheureusement de l’historiographie pendant des siècles – en particulier.

     

    Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, sœur du Grand Condé, est l'une des égéries de la Fronde

    En Bref :

    Les + : il ne s'agit pas ici de récrire l'Histoire mais bien de replacer les femmes dans un contexte où elles ont été partie prenante avant que l'historiographie ne les efface. Ces femmes de foi, de gouvernement, de culture, ont toute leur place dans un siècle que l'on voit volontiers comme très masculin. Une lecture dense et exigeante mais passionnante
    Les - : quelques notions, notamment religieuses, un peu complexes à comprendre pour un esprit du XXIème siècle.

     


     

    Le Grand Siècle au féminin : femmes de foi, de culture et de gouvernement ; Marie-Joëlle Guillaume

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 

     


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  • « Toute la vie de Nicolas II et des  siens, y compris pendant leur captivité et pratiquement jusqu'à leur exécution, nous est ainsi familière. Des fastes de la Cour à la précarité de leur exil, d'une jeunesse souvent douloureuse à l'épreuve du pouvoir et des drames personnels poignants, on découvre un minutieux et parfois indiscret album de famille. »

     

     

     

     Publié en 2015

     Éditions Perrin (collection Biographies)

     459 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Coupable ou martyr ? Coupable et martyr ? Longtemps, l'histoire officielle, d'inspiration marxiste, a accablé Nicolas II, chargé de tous les crimes, accusé de toutes les erreurs. Depuis la chute de l'URSS, la spectaculaire révision de son rôle, de son attitude, de son influence, les drames personnels qu'il a subis et l'engrenage de la Première Guerre mondiale nous montrent un autre souverain, un homme différent de celui qu'on présentait, dépassé par les évènements, miné par la fatalité et finalement broyé par une histoire éminemment tragique. La destinée du dernier tsar, patriote jusqu'au bout, est plus fascinante et bouleversante que celle de ses illustres prédécesseurs parce que, précisément, le pouvoir des Romanov s'achève en tragédie.
    Cent ans plus tard, dans cette biographie inédite et richement illustrée, Jean des Cars dresse le portrait intime du couple formé par Nicolas II et Alexandra Feodorovna, et de leurs enfants: les grandes-duchesses Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et le tsarévitch Alexis qui naîtra hémophile - un calvaire pour son entourage, une menace sur la dynastie.
    Du couronnement à l'assassinat de toute la famille, l'auteur nous conte avec son talent coutumier la vie du dernier couple impérial russe, des années de bonheur à l'épreuve de la guerre et des révolutions, des réformes intérieures au pouvoir de Raspoutine, de l'abdication au massacre.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Dans la nuit du 17 juillet 1918, la famille Romanov est réveillée brutalement par ses geôliers et sans ménagement conduite jusqu’à la cave de la maison Ipatiev, où elle est détenue depuis quelques semaines. L’avancée des armées royalistes dans la région étant inquiétante, va-t-on les emmener ailleurs, encore une fois : après Tsarskoïe Selo, où la famille a vécu en résidence surveillée, puis Tobolsk, va-t-elle encore devoir gagner une nouvelle prison ? La famille ne sait pas encore qu’elle n’ira plus jamais nulle part, du moins de son vivant. Silencieusement, les Romanov – l’empereur, l’impératrice, leurs quatre filles et le petit Alexis, dans les bras de son père -, descendent les vingt-trois marches qui les mènent vers leur supplice. Ils sont accompagnés du médecin de famille et d’une femme de chambre de l’impératrice. Dans la pièce, ils sont sous la surveillance de leur gardien, le sinistre Iakov Yourovski. C’est lui qui, quelques minutes plus tard, donnera l’ordre à ses soldats de tirer : les Romanov et leurs serviteurs sont assassinés à bout portant. Il n’y aura aucun survivant à cette tuerie qui n’avait pas d’autre but que d’éradiquer purement et simplement la famille du tsar déchu. D’autres membres de la famille seront aussi les victimes du nouveau régime : un peu avant Nicolas II et les siens, son frère le grand-duc Michel a été exécuté, puis ce sera au tour de la grande-duchesse Ella – sœur de l’impératrice et épouse du grand-duc Serge – et de certains cousins de Nicolas II d’être passés par les armes.
    Transportés vers un puits de mine dans une forêt, non loin de la ville d’Ekaterinebourg où la famille était détenue depuis la fin mai à la maison Ipatiev (la maison à destination spéciale), les corps sanglants sont déshabillés, démembrés, jetés pêle-mêle dans le puits. Pour essayer de faire disparaître toute trace du massacre, les soldats de Yourovski finissent par y jeter des grenades qui font exploser les galeries. Sans preuves, personne ne pourra accuser le nouveau régime d’être l’assassin du tsar et de sa famille. Ce mystère entourant la fin des derniers Romanov aura pour conséquence l’apparition dans les années qui suivent d’une fausse Anastasia, qui se révèlera en fait être un imposteur. Aujourd’hui, grâce à des tests ADN, nous savons de manière certaine qu’aucun Romanov n’est sorti vivant de la maison Ipatiev – aujourd’hui rasée, cette dernière a laissé place à une église orthodoxe commémorative.
    La mort de la famille impériale et l’exil des survivants, met fin à un régime autocratique séculaire : hasard macabre, le premier tsar Romanov, Michel, avait tiré de son couvent pour être placé sur le trône en 1613, couvent qui portait le nom…d’Ipatiev. Héritier de figures aussi célèbres que Catherine II ou Pierre le Grand, le futur Nicolas II est né en 1868 : il est le fils d’Alexandre III et de son épouse danoise, la princesse Dagmar de Danemark, devenue la tsarine Maria Feodorovna. Le jeune garçon a treize ans quand, à la fin de l’hiver 1881, son grand-père Alexandre II succombe à une énième attaque à la bombe. Le futur tsar sera profondément choqué devant le corps sanglant et désarticulé de son grand-père, si grièvement blessé aux jambes qu’il ne survivra pas. Alors que son père accède au trône de Russie, Nicolas devient le tsarévitch, l’héritier du trône : on pourrait penser logiquement que toute sa future éducation sera conditionnée par ce statut particulier or, il n’en est rien. Le futur Nicolas II est mal préparé, tenu à l’écart par son père Alexandre III, maintenu dans une sorte d’insouciance enfantine loin des affaires. Nicolas noue une relation avec une jeune danseuse, voyage en Europe et jusqu’au Japon mais n’est pas associé au pouvoir par un père tout-puissant, bienveillant mais qui ne saura pas préparer son fils à la tâche qui l’attend. Alexandre III meurt prématurément à l’âge de 49 ans d’une maladie rénale, laissant l’empire russe à un jeune homme de vingt-quatre ans, épouvanté devant le colosse qu’il s’apprête à porter à bout de bras. Comme Louis XVI qui dira à l’annonce de la mort de son grand-père Louis XV « Mon dieu, protégez-nous, nous régnons trop jeunes. », le cri du cœur spontané qui échappe à Nicolas II est éloquent : « Je n’ai jamais voulu être tsar. » La suite des événements lui prouvera qu’il n’était effectivement pas taillé pour l’être.

     

    La famille impériale est unie et mène une vie relativement simple, quasi bourgeoise : le couple formé par Nicolas et Alexandra est très lié autour de sa progéniture et surtout du petit Alexis. Mais cette entente et cette harmonie familiale ne suffisent pas à les rendre populaires


    Quelques semaines après la mort de son père, le jeune tsar se marie : mauvais présage ? Pour le peuple russe, chez qui grande religiosité et superstitions se mêlent intrinsèquement, cela ne fait pas de doutes, d’autant plus que le choix du jeune tsar s’est porté sur une fille de la famille de Hesse-Darmstadt, la jeune princesse Alix. Il n’est pas le premier empereur russe à choisir une épouse dans cette éminente famille allemande or, à chaque fois, le souverain marié à une princesse de Hesse connaîtra un destin tragique : ainsi, Paul Ier et Alexandre II, tous deux unis à une princesse issue de cette famille seront assassinés. Les parents de Nicolas se montreront réservés à l’annonce de l’intérêt que le jeune homme porte à Alix, petite-fille de la reine Victoria et ne donneront finalement leur accord que lorsque l’état de santé d’Alexandre III deviendra réellement préoccupant. Les Russes se montrent réservés face à cette princesse peu souriante, qui semble hautaine et surtout, souveraine faute, arrive « derrière le cercueil » de son beau-père.
    Heureux et uni, le couple aura cinq enfants : tout d’abord quatre filles, Olga, Tatiana, Maria et Anastasia, entre 1895 et 1901 puis le fils tant désiré, Alexis, en 1904. Dans l’intimité, tout semble aller pour le mieux pour ce couple qui, dans les somptueux palais des tsars, vit de manière relativement simple et bourgeoise, avec leurs enfants auxquels ils portent un sincère intérêt. Le drame de la vie de Nicolas II et d’Alix, devenue l’impératrice Alexandra Feodorovna sera la maladie du petit tsarévitch, découverte quelques semaines après sa naissance, en septembre 1904 : l’enfant est alors victime d’une hémorragie du nombril qui conduit à la pose d’un diagnostic irrévocable. Comme beaucoup de descendants de la reine Victoria, grand-mère de l’Europe, Alexis souffre d’hémophilie, une maladie du sang qui l’empêche de coaguler correctement. De là, on comprend donc aisément ce que risquent les malades : une blessure, des hémorragies soudaines peuvent les emporter en quelques heures. Dès lors, l’enfant va être constamment surveillé, élevé dans une bulle protectrice mais aussi frustrante pour un enfant qui ne peut jouer et se dépenser comme il veut : la moindre entorse, la moindre contusion peut occasionner des hémorragies internes, des hématomes ou des douleurs articulaires terribles, qui laissent l’enfant épuisé et ses parents désemparés. Pour l’impératrice, la peine est double : non seulement elle est condamnée à voir souffrir son fils unique, impuissante à le soulager mais elle doit vivre aussi avec le poids de la culpabilité car c’est elle qui a transmis le mal à Alexis. L’hémophilie a en effet la particularité de se transmettre par les femmes mais uniquement à leurs fils.

     

     

    Les quatre grandes-duchesses (de gauche à droite Maria, Tatiana, Anastasia et Olga) entourant leur petit frère Alexis, né en 1904 : il est atteint d'un mal génétique et incurable, l'hémophilie


    La maladie de l’héritier, incurable et si douloureuse, qui les fait vivre dans une angoisse permanente de l’accident fatal et l’impuissance de la médecine de l’époque, qui soulage l’enfant avec de l’aspirine – on découvrira plus tard que le médicament est complètement contre-indiqué en cas de troubles de la coagulation, ayant pour propriété de fluidifier le sang -, conduisent la tsarine à se réfugier dans une religiosité qui tend rapidement au mysticisme et la rend particulièrement faible face à des gourous et autres thaumaturges prétendant pouvoir soulager le tsarévitch. Le plus célèbre sera le fameux Raspoutine, sous la coupe duquel tombera non seulement l’impératrice mais aussi ses filles et, probablement, l’empereur. Mais peut-on reprocher à des parents désespérés de chercher à soulager les souffrances de leur enfant, d’autant plus que Raspoutine, bien plus que les médecins de la Cour, est le seul à parvenir à endiguer les crises qui engendrent de terribles souffrances chez le petit malade.
    La mauvaise préparation de Nicolas II à la charge qu’il devait occuper, une tsarine mal acceptée par l’opinion qui, à l’instar des Français du XVIIIème siècle qui appelaient Marie-Antoinette « l’Autrichienne », finira par ne plus la qualifier autrement que comme « l’Allemande » puis un contexte social et politique complexe, une guerre mondiale sans précédent, auront finalement raison du régime tsariste et l’émergence d’un autre pouvoir, personnifié notamment par la figure de Lénine.
    On a beaucoup écrit sur les Romanov : de leur fin tragique jusqu’à la spectaculaire contrition du pouvoir soviétique entre les années 1900 et 2000, tout a contribué à faire d’eux un mythe. Ici, Jean des Cars ne s’attache pas à décortiquer la politique malheureuse du dernier tsar : c’est plutôt une biographie domestique que l’auteur nous propose, nous faisant pénétrer dans l’intimité du couple puis de la famille. On découvre ainsi une famille unie, profondément liée par la maladie du tsarévitch et les inquiétudes permanentes induites par sa santé. Les sœurs aînées entourent leur petit frère très aimé de beaucoup d’attentions et de tendresse, elles se montrent protectrices les unes envers les autres mais surtout, toutes les quatre ensemble pour Alexis, tellement fragile. Elles suppléent ainsi leur mère, la tsarine Alexandra, dont la propre santé est rapidement chancelante : celle-ci souffre d’angoisses profondes mais aussi de problèmes circulatoires qui l’empêchent souvent de marcher et de participer aux activités que la famille aime…ainsi, le tsar et ses filles qui sont passionnés de photographie, adorent les activités de pleine nature, les longues marches et même la natation. Leur pratique assidue de la photographie permet aujourd’hui aux historiens d’avoir un accès à des documents inestimables, témoins de la vie quasi-bourgeoise et loin des fastes de la représentation que menaient le couple impérial et ses enfants.
    Et pourtant, la beauté des grandes-duchesses, la maladie d’Alexis, longtemps cachée à l’opinion puis éclipsée par le scandale de l’influence de Raspoutine auprès de la tsarine, ne sauveront pas l’empire. Comme l’empire du Kaiser Guillaume II en Allemagne, l’empire austro-hongrois de Charles Ier et l’empire ottoman, le géant qu’est l’empire russe des tsars sera balayé par le contexte politique puis la Première guerre mondiale : la déconnexion de Nicolas II, le paradoxe entre son éducation et les bouleversements d’une époque qu’il ne comprend pas, la maladie de son fils qui le pousse à se replier sur sa vie domestique au détriment de la politique et du peuple russe qui attend des décisions concrètes de ses dirigeants concourent à faire disparaître un régime séculaire mais dépassé. Nicolas II ne fut pas un bon tsar : de cela aujourd’hui, nous ne pouvons douter. Le couple impérial ne parvint pas ou ne voulut pas comprendre les aspirations d’un peuple fatigué, d’abord par l’inflation et la pauvreté puis par une guerre internationale sans précédent, il laissa pourrir la situation et, par manque de volonté, par faiblesse, se conduisit lui-même au supplice, y entraînant aussi ses enfants. Il ne nous appartient pas aujourd’hui de juger ce qui fut fait hier, nous ne pouvons que l’étudier au mieux, loin des contre-sens que peuvent induire notre manière de pensée appliquée à une époque plus ancienne. Pour autant, humainement, il est difficile de ne pas considérer aujourd’hui la mort de la famille impériale comme une incroyable tragédie, de part probablement le nombre conséquent de sources photographiques qui nous permet de mettre des visages sur des noms et par la proximité de ce drame – à peine une centaine d’années nous séparent des derniers Romanov. Il y a aussi quelque chose d’assez fascinant dans cette tragédie familiale et de suffisamment horrible pour l’entendement pour conduire à de nombreuses rumeurs de survivance (notamment de la grande-duchesse Anastasia, aujourd'hui infirmées par la plupart des historiens), toutes battues en brèche par les analyses génétiques et scientifiques qui ont pu être menées entre la fin des années 1990 et les années 2000. Exhumés du puits de mine de Ganina Yama non loin d’Ekaterinebourg pour être officiellement ré-inhumés avec tous les honneurs à Saint-Pétersbourg, les Romanov sont tous réunis dans la mort depuis quelques années et peuvent enfin reposer en paix. Des lieux de commémoration, des sanctuaires ont été élevés à l’emplacement de la maison Ipatiev, dans la forêt où les corps ont été hâtivement dispersés au matin du 17 juillet 1918…la Russie moderne, au-delà de ses troubles politiques, semble s’être réconciliée avec son passé et l’historiographie actuelle peut étudier les derniers Romanov de manière apaisée, sans se détacher pour autant de la pitié qui nous envahit face aux visages si beaux des grandes-duchesses et de leur petit frère, que l’on voit grandir et s’épanouir sur les clichés de famille tout en sachant que la course à l’abîme est commencée et que le tourbillon les emportera tous, dans la fleur de l’âge : la plus âgée, Olga, allait avoir 23 ans. Son petit frère aurait eu 14 ans moins de quinze jours après la tragédie de la maison Ipatiev.
    Avec beaucoup de chaleur, Jean des Cars fait revivre la dernière famille impériale russe, entre grandes joies et profonds chagrins, jusqu’au drame final. Une lecture passionnante et aussi fascinante que ses sujets d’étude.

     

     Nicolas II et son épouse allemande, Alix de Hesse-Darmstadt : l'impératrice, intransigeante, conservatrice et psychologiquement gouvernée par Raspoutine cristallisera la haine et l'hostilité du peuple russe

    En Bref :

    Les + : un très bon livre qui aborde l'histoire des derniers Romanov du point de vue intime et familial...c'était passionnant et j'ai passé un très bon moment de lecture. Jean des Cars a le don pour rendre l'Histoire accessible et on prend plaisir à lire ce livre, comme un roman, même si l'on connaît déjà l'issue tragique.
    Les - : quelques petites coquilles, probablement dues à des erreurs de frappe, dommage mais pas catastrophique non plus.


    Nicolas II et Alexandra de Russie : une tragédie impériale ; Jean des Cars

     

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 

     

     


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  • « Dans sa vie de femme et dans ses relations avec les hommes, Marie-Antoinette a rêvé, espéré, imaginé, convoité, un lien idéalisé par la lecture des romans, l'empêchant toujours davantage de rejoindre la réalité d'une relation d'amour. »

     

     

     

         Publié en 2019

      Éditions Tallandier  

      384 pages

     

     

     

     

     

    Résumé :

    16 mai 1770. Marie-Antoinette épouse à Versailles celui qui deviendra Louis XVI. D'abord émerveillée par les fastes de la cour, la jeune dauphine se lasse rapidement des devoirs de sa charge. Pour fuir les contraintes imposées par l'étiquette, elle se retire dès qu'elle le peut en compagnie de quelques privilégiés, le cercle des favoris de la reine.

    Alors que nul n'ignore ses déboires conjugaux, la reine est vue à Paris au bal de l'Opéra avec le comte d'Artois, à Versailles avec le beau Lauzun, volage et inconstant, avec le médisant baron de Besenval, le capricieux comte de Vaudreuil, le docile comte Esterhazy, ou encore le ténébreux comte de Fersen.

    Loin de garder la réserve habituelle des reines de France, Marie-Antoinette entend vivre comme  bon lui semble, malgré les fréquentes remontrances de l'impératrice Marie-Thérèse. Elle goûte par-dessus tout la joie de retrouver ses amis en des lieux fermés au reste de la cour, voués à l'intimité et au déclassement : « Ici, je ne suis pas la reine, je suis moi. »

    A la cour comme à la ville, les rapports de Marie-Antoinette aux hommes font beaucoup jaser  - ce qui n'empêche pas nombre de courtisans de briguer la place de favori dans son cœur. De Versailles à Trianon, les intrigues se nouent et se défont entre les candidats et leur soutiens, au gré des caprices de la reine.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand l’archiduchesse Marie-Antoinette épouse le Dauphin de France Louis-Auguste en mai 1770, à l’âge de quinze ans, pour consolider la nouvelle alliance entre leurs deux pays, elle ne sait pas encore qu’elle va enterrer la monarchie avec elle, vingt-trois ans plus tard. Elle ne sait pas encore que la liesse populaire se transformera peu à peu en haine inextinguible, qui ne s’arrêtera pas même au pied de l’échafaud. Marie-Antoinette est probablement la reine de France la plus connue, celle sur laquelle on a le plus écrit, le plus extrapolé.
    On pourrait donc considérer que tout a été dit, écrit sur elle. Comment passer, par exemple, après une somme comme celle de Simone Bertière (Marie-Antoinette l’insoumise) ou les travaux d’Evelyne Lever ?
    Pourtant ici, Emmanuel de Valicourt analyse le règne de Marie-Antoinette à travers le prisme de sa vie privée et de son cercle, que certains ont appelé sa « coterie », dominée notamment par l'omniprésence d'une seule et même famille : les Polignac.
    Jeune et instinctivement légère et immature, de surcroit mariée trop jeune et confrontée à un âge trop tendre à des exigences qui la dépassent, se heurtant à un époux peu démonstratif et à un impératif de maternité qu’elle ne peut satisfaire – sans être la seule responsable, bien sûr –, Marie-Antoinette s’étourdit dans les plaisirs faciles que lui offrent la cour de France, qu’elle découvre à quinze ans. Quatre ans plus tard, devenue reine, elle laisse libre court à ses caprices, ses fantaisies. Mais surtout, Marie-Antoinette est avide de liberté, que l’on refuse généralement aux reines, qui se doivent à leur pays. La conscience politique d’Anne d’Autriche, l’effacement terne de Marie-Thérèse d’Autriche ou de Marie Leszczynska, lui sont étrangers. Marie-Antoinette se sent oppressée en représentation, boude le « Grand Couvert » où elle doit manger devant les courtisans, s’effare du protocole raide qu’elle doit observer et qui est personnifié par sa dame d’honneur, Madame de Noailles, qu’elle surnomme d’ailleurs avec espièglerie « Madame l’Étiquette ».
    Marie-Antoinette n’est pas foncièrement mauvaise. Est-elle le monstre de perversion, entretenant des relations adultères avec les hommes comme avec les femmes, se livrant à la pire des licences que les libelles de la fin des années 1780 puis de la Révolution vont mettre en scène ? Ni Messaline, ni sainte, il convient de situer Marie-Antoinette dans un prudent entre-deux, sans tomber dans les écueils inverses qui veulent où la réhabiliter au risque de brosser une hagiographie qui aurait tout autant de non-sens que le portrait le plus négatif.
    C’est ce que fait ici Emmanuel de Valicourt en analysant la vie de la reine à travers ses favoris et notamment, ses favoris masculins. Car Marie-Antoinette ne se contente pas d’une cour exclusivement féminine et compassée, entourée de dames d’honneur nommées arbitrairement. Marie-Antoinette souhaite avoir un cercle choisi, d’amis proches d’elle selon son cœur. Lorsque Louis XVI lui offre en cadeau le Petit Trianon, la jeune reine nostalgique y recrée un lieu sécurisant loin de la pompe de Versailles, qu’elle appelle son « petit Vienne » et où elle ne souhaite recevoir que ceux qui seront expressément admis par elle. Petit à petit, celle que l’on n’a pas cessé d’appeler « l’Autrichienne » (car il ne faut pas oublier que le surnom péjoratif que l’on donnera à la reine pendant la Révolution n’est pas une nouveauté : il lui est donné dès avant son arrivée en France, dans le cercle des filles de Louis XV opposées à l’alliance avec Vienne), cristallise les haines et les rancœurs de ceux qui ne sont pas acceptés dans son cercle, ceux qui sont tenus à l’écart, ceux qui se sentent moqués injustement. La haine qui accompagnera les dernières années de la reine naît dans ces années fastes où la monarchie ne semble rien craindre encore, où la contestation n’est pas encore suffisamment forte ni assez violente pour mettre à bas le trône de France, plusieurs fois centenaire. En 1775, lorsqu’ils montent sur le trône, Marie-Antoinette et Louis XVI pensent-ils qu’ils vont creuser la tombe de la royauté française ? Probablement, non. Par leur comportement pourtant, ils y participent tous les deux. Louis XVI par effacement et manque de volonté, Marie-Antoinette par folie dispendieuse et parce qu’elle est avide de liberté.

     

    Le petit Trianon à Versailles, domaine offert à Marie-Antoinette par Louis XVI et qu'elle appelle son Petit Vienne


    Dans ce livre, l’auteur brosse d’abord le portrait de la reine et de sa « société », ce cercle de Trianon où Marie-Antoinette baisse le masque et peut se montrer telle qu’elle est vraiment. Ne dit-elle pas d’ailleurs qu’à Trianon elle n’est plus la reine mais juste elle-même ? S’offrant un luxe qu’on ne lui pardonne pas, elle devient une simple particulière évoluant dans son cercle d’amis, des personnes qu’elle aime selon son cœur, tout particulièrement distingués par elle. De ce cercle, on retient notamment la figure de Madame de Polignac, qui sera l’objet des faveurs les plus dispendieuses ainsi que sa famille et qui en profitera sans vergogne. Par le biais de cette jeune femme, Marie-Antoinette rencontre le comte de Vaudreuil, qui fera partie de son cercle mais ne sera pas à proprement parler un favori. Elle fera aussi la connaissance du baron de Besenval, d’origine suisse, beaucoup plus âgé et qui décide de s’instaurer guide de la jeune reine, en profitant pour la manipuler mine de rien. Il y aura aussi le duc de Lauzun, de grande noblesse mais qui se comportera avec maladresse avec la reine et se verra disgracié. On peut retenir aussi la figure du discret Esterhazy, avec lequel Marie-Antoinette partage des origines communes et surtout, la figure tutélaire d’Axel de Fersen, le beau Suédois pour lequel Marie-Antoinette éprouvera probablement un sentiment le plus proche d’un amour véritable – amour qui, contrairement à ce que les âmes romantiques ont parfois voulu voir comme un amour charnel, restera probablement au stade d’une amitié profonde qui prendra fin avec l’exécution du roi et de la reine en 1793.
    Avoir des « favoris » quand on est reine ne veut pas dire avoir des amants. Mais, comme les célèbres favorites de Louis XIV ou de Louis XV, les favoris de Marie-Antoinette profitent d’avantages et de privilèges qu’ils n’auraient sûrement pas eus s’ils n’avaient pas été proches d’elle. Trop généreuse quand il s’agit de l’avancement de ses amis, Marie-Antoinette jette volontiers l’argent du royaume par les fenêtres ou se pique de faire et défaire les ministres, selon les conseils parfois fallacieux de sa coterie.
    Peut-on réellement avoir des amis lorsqu’on est reine de France ? La sincérité de la relation n’est-elle pas fatalement gangrénée, à un moment donné, par l’avidité et l’ambition ? Il est clair que, loin de la servir, les amitiés nouées par Marie-Antoinette tout au long de son règne, la desserviront plus qu’autre chose. Lorsque la monarchie connaîtra ses premières difficultés, on sera tout disposé à le lui reprocher.
    Si la forme du livre m’a donné le sentiment d’une inégalité générale – des chapitres sont plus intéressants que d’autres et se lisent avec plus de facilités –, dans l’ensemble, j’ai passé un bon moment avec cette lecture. Oui, je peux le dire, il est encore possible d’en apprendre sur un personnage historique sur lequel on a déjà beaucoup lu. Ici, on découvre Marie-Antoinette autrement, la reine s’efface au profit de ses favoris, dont l’auteur brosse une biographie rapide. Parfois, Marie-Antoinette apparaît même en second plan. Je crois que j’aurais préféré un propos plus thématique, plutôt qu’un livre découpé en chapitres, chacun de ces chapitres étant centré sur un personnage en particulier (le duc de Lauzun, le comte de Fersen, le comte Esterhazy etc) j’ai eu parfois l’impression de redites, ce qui est dommage. Pour autant, le propos est intéressant et nous offre l’image nuancée d’une reine de France avide de plaisirs certes mais aussi très seule, à la psychologie peut-être plus compliquée que ce qu’on a bien voulu en dire, compensant probablement un manque, celui d’un père perdu trop tôt et d’un mari selon son cœur.

           Axel de Fersen | Château de Versailles   Pierre-Victor de Besenval de Brünstatt — Wikipédia    Valentin Esterházy

    Trois des favoris de la reine : le comte Axel de Fersen, le baron Pierre-Victor de Besenval et le comte Esterhazy

    En Bref :

    Les + : un point de vue intéressant, qui prend le parti de raconter Marie-Antoinette à travers ses favoris et notamment, ses favoris masculins. Dans l'ensemble c'est un essai historique réussi et intéressant, qui permet d'entrevoir la reine de France la plus célèbre autrement.
    Les - :
     une lecture un peu inégale. 


    Les favoris de Marie-Antoinette ; Emmanuel de Valicourt

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