• « Si Colette est une femme libre, elle l'est d'abord parce qu'elle a su conquérir sa liberté, non sans difficultés parfois, tout au long de son itinéraire de femme, à travers ses amours, ses mariages, ses divorces, ses audaces, ses provocations même, et aussi ses activités de mime et d'actrice, son travail de journaliste, de reporter ou de critique théâtral. »

    Couverture Colette à la plage

     

     

     

         Publié en 2018

      Éditions Dunod 

      176 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Comment Colette est-elle devenue la figure majeure de la littérature féminine de la première moitié du XXe siècle ? 

    Lorsque Colette, poussée par Willy, commence la série des Claudine, elle ne s'imagine pas qu'elle deviendra, au fil des décennies, l'une des icônes de la littérature féminine de son siècle. Emblématique de l'itinéraire d'une femme écrivain qui a su s'émanciper grâce à l'écriture, son oeuvre est plus que jamais vivante : elle s'impose à nous par sa richesse, sa diversité, sa profonde cohérence mais aussi par une originalité et une modernité que le recul du temps permet de mieux mesurer. 

    Installez-vous confortablement dans un transat et laissez-vous entraîner par Marie-Odile André sur les chemins de Colette - de Saint-Sauveur-en-Puisaye jusqu'à Paris, des bois de Montigny au jardin du Palais-Royal, du music-hall à l'Académie Goncourt - pour une promenade voluptueuse et vagabonde. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Qu'on la lise, qu'on l'ait lue ou bien qu'on ne connaisse pas son œuvre, Colette (dont on fête d'ailleurs cette année les 150 ans) reste un personnage familier du paysage littéraire français du siècle dernier. 
    Née en Bourgogne en janvier 1873, morte en 1954, Colette a traversé la fin du XIXème siècle et tout le premier XXème siècle, de la Grande Guerre, en passant par les Années Folles et jusqu'au début des Trente Glorieuses après le traumatisme de la Seconde guerre mondiale, qu'elle traverse aux côtés de son troisième mari, Maurice Goudeket, qui était juif. 
    Colette a marqué son temps par sa plume et ses écrits. Paradoxalement, celle qui n'est pas arrivée à l'écriture par vocation et presque par hasard, lui doit sa célébrité. Mais elle n'est pas que ça non plus : mime, journaliste, esthéticienne aussi (oui oui), artiste, Colette est un personnage protéiforme et bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. 
    Célébrant comme personne le vivant, les animaux, la nature, les saisons, d'une écriture incisive et sensuelle, elle est encore lue aujourd'hui et célébrée pour sa grande modernité de ton et de style et pour la liberté aussi qu'elle ne cessera de hisser haut. Et si, aujourd'hui en 2023, on serait tentés d'analyser Colette à l'aune d'idées contemporaines (homosexualité, féminisme, trans-identité), il ne faut pas oublier qu'elle ne fut pas féministe, qu'elle jugea très durement en son temps les suffragettes défenseures du droit de vote pour les femmes et qu'elle ne revendiqua jamais sa bisexualité comme militante. Et peut-être est-ce pour cela que Colette est un étendard et peut encore aujourd'hui être vue comme un chef de file. 
    Le Colette à la plage de Marie-Odile André pourrait presque être considéré comme une analyse voire une psychanalyse de l'autrice. En quelques grands chapitres, Marie-Odile André brosse un portrait à grands traits de Colette, de l'enfance bourguignonne jusqu'à la vieillesse immobile, marquée par les douleurs de l'arthrose qui clouent la vieille dame aux yeux charbonneux dans son appartement parisien, d'où elle écrira ses derniers livres, en compagnie de ses derniers animaux, notamment une belle chatte chartreux dont les grands yeux ont été immortalisés sur quelques clichés au début des années 1950. 

    Frédéric Maget : « Colette : à la fois provocatrice et classique »


    Mais Colette a vécu 81 ans : c'est encore une belle vie aujourd'hui et c'était une fameuse longévité en son temps. Entre 1873 et 1954, il s'est passé beaucoup de choses. En moins de deux-cents pages, vous vous doutez bien que Colette à la plage ne pourra pas parler de tout ni même entrer dans les détails - ou du moins, pas dans tous les détails. Il faudra choisir et sélectionner mais le point de vue de Marie-Odile André est malgré tout intéressant. Ici, c'est surtout l'oeuvre et la carrière qui sont décortiquées. Certes, elles sont souvent intrinsèquement liées, chez Colette, à la vie privée : comment aborder la naissance des Claudine, ses premiers livres qui furent un grand succès éditorial, sans parler de la figure de mentor de son premier mari, Henry Gauthier-Villars, dit Willy ? Comment ne pas parler de sa relation homosexuelle avec Missy (Mathilde de Morny), dont elle partagera la scène dans plusieurs mimodrames, notamment le scandaleux Rêve d'Egypte en 1907 ? Mais Marie-Odile André s'attarde plus sur l'apport du privé à l'oeuvre, à la nourriture que la vie de Colette, ses mariages, ses idylles, sa maternité, sa relation filiale également avec Sido, figure tutélaire de la maternité, son rapport au corps apporteront à ses romans et autres nouvelles et articles
    Ne vous fiez pas à la couverture estivale et au titre, qui peut apparaître léger : ce petit livre qui compte à peine deux-cent pas cache bien son jeu et j'ai été assez surprise en le commençant de le trouver si ardu. Je pense que je ne m'attendais pas à un propos aussi ambitieux et surtout, assez versé dans une certaine analyse philosophique voire psychologique qui m'a perdue par moments. Certes, c'est particulièrement intéressant mais le style riche et dense m'a demandé beaucoup de concentration, peut-être à un moment où je n'en avais pas tant que ça à revendre et que c'est pour ça que j'ai trouvé cette lecture finalement très intéressante mais, en même temps, assez fastidieuse. Il m'a parfois fallu revenir en arrière, relire des passages entiers car je me rendais compte que je ne comprenais pas ce que je lisais et ce n'est pas une sensation que j'apprécie. En parallèle, certains chapitres m'accrochaient bien et je les lisais sans trop de mal
    Je ressors donc de cette lecture avec un certain sentiment d'inégalité. C'était intéressant et j'ai été assez agréablement surprise de voir qu'en si peu de pages, l'autrice parvient malgré tout à saisir l'essence même d'une oeuvre que j'ai toujours ressentie, personnellement, comme assez insaisissable, difficilement explicable. Il est difficile de placer Colette et ses écrits dans des cases et si Marie-Odile André évite habilement cet écueil, elle nous livre une analyse fine d'une femme, qui fut autrice en son temps mais pas que. 
    Clairement, ce n'est pas un livre de plage, malgré ce que pourrait en laisser penser le titre. Ce n'est pas une lecture facile, ni une lecture estivale vite lue et vite oubliée. Riche, le propos ne manquera certainement pas de vous capter si, comme moi, vous aimez Colette...et peut-être même si vous l'aimez moins, ce livre vous la rendra un peu plus accessible. 

    Sido, Colette, le portrait de Sido : analyse linéaire [BAC]

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    Sidonie Landoy, mère de Colette, devenue la figure littéraire Sido, mère tutélaire et presque mythique comme la maison natale de Saint-Sauveur qui devient un motif récurrent de l'oeuvre 

     

    En Bref :

    Les + : un petit livre original mais qui cache bien son jeu...derrière sa couverture et son titre estivaux, il cache une analyse assez fine de l'oeuvre de Colette mais aussi de la femme.
    Les - : un sentiment d'inégalité et des passages un peu trop philosophiques que j'ai trouvés parfois assez ardus à lire. Le style de Marie-Odile André est ambitieux et rigoureux, c'est celui d'une chercheuse et il faut s'y habituer.


    Colette à la plage ; Marie-Odile André

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     

     


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  • «  Tous ces couples ont en commun une histoire mouvementée et souvent romanesque. Aux amateurs de romans, on ne saurait trop conseiller de lire l'Histoire. Elle ne déçoit jamais. »

    Couverture Des couples tragiques de l'Histoire

     

     

     

          Publié en 2020

      Éditions Perrin

      365 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Dans toutes les dynasties impériales, royales ou princières se distinguent des couples régnants ou proches de l'exercice du pouvoir sur lesquels le destin semble s'être acharné. Parfois, c'est un mariage non conforme aux usages qui peut déclencher la tragédie : Inès de Castro et dom Pedro du Portugal, le roi des Belges Léopold III et la princesse Lilian de Réthy, l'archiduc François-Ferdinand de Habsbourg et son épouse Sophie. 

    Parfois, c'est la mort brutale d'un des deux époux qui fait du survivant ou de la survivante un héros ou une héroïne de tragédie. Marie Stuart, jeune veuve d'un roi de France, tentera de reconquérir son royaume d'Ecosse. Catherine II, veuve de Pierre III Romanov (un veuvage dont elle ne passe pas pour innocente), deviendra impératrice de Russie. Egalement veuve, la duchesse de Berry tentera de reconquérir le trône des Bourbons pour son fils. 

    Parfois, enfin, la tragédie s'abat sur le couple. Louis XVI et Marie-Antoinette sont victimes de de la Révolution. En Autriche-Hongrie, l'empereur Charles et l'impératrice Zita sont broyés par la Première guerre mondiale. Le shah d'Iran et son épouse l'impératrice Farah sont condamnés à une terrible errance à cause de la révolution islamique. 

    Tous ces couples ont en commun une histoire mouvementée et souvent romanesque. Aux amateurs de romans, on ne saurait trop conseiller de lire l'Histoire. Elle ne déçoit jamais.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    L’Histoire du monde est émaillée de destinées grandioses et tragiques, parfois les deux en même temps. Certains de ces destins se joueront à deux et des hommes et des femmes se trouveront soudainement réunis dans une même funeste destinée.
    C’est ce que se propose de nous raconter ici l’historien Jean des Cars, qui m’avait déjà précédemment régalée avec ses biographies de Sissi ou encore de l’impératrice Eugénie de Montijo, qui m’avait aussi captivée avec ses sagas des grandes lignées européennes : La saga des Habsbourg, La saga des Windsor et La saga des Romanov.
    Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, de l’Allemagne en passant par l’Italie, l’Albanie, le Portugal ou encore l’Écosse et la Belgique, l’auteur nous fait découvrir ou redécouvrir les destins conjoints et dramatiques de couples nés manifestement sous une mauvaise étoile.
    On ne s’étonnera pas de trouver dans ce livre un chapitre consacré à Louis XVI et Marie-Antoinette, peut-être le couple le plus tragique de l’Histoire de France. On ne sera pas non plus surpris de retrouver ici Charles Ier d’Autriche et son épouse Zita ou encore, plus proche de nous, le shah d’Iran et son épouse Farah, dont l’exil hors d’Iran se transformera en une longue errance à travers le monde…en revanche, on découvrira avec peut-être plus de curiosité le terrible destin d’Inès de Castro, couronnée de manière…posthume par son grand amour le roi Pierre le Cruel qui n’avait pu l’épouser de son vivant et lui rendra justice presque 15 ans après sa mort ou encore l’histoire passionnée mais vouée à l’échec de Napoléon Ier de la jolie Polonaise Marie Walevska, dont il tomba éperdument amoureux, qui lui donnera un fils, mais dont les revers militaires le sépareront irrémédiablement. On s’affligera de l’horrible issue du bref rêve mexicain des souverains européens du XIXème siècle, qui coûtera la vie à Maximilien d’Autriche, malheureux frère de François-Joseph et l’équilibre psychique de son épouse, la pauvre princesse Charlotte de Belgique. On frissonnera en parvenant au chapitre traitant du mariage du duc d’Alençon et de Sophie de Bavière, dont on connaît la mort affreuse le 4 mai 1897 au cœur de l’incendie du Bazar de la Charité et qui disparaît de manière particulièrement brutale, comme sa sœur Sissi, un an et demi plus tard…

    Épinglé sur MARIE ANTOINETTE _ LOUIS XVI et la Révolution

    La séparation de la famille royale au Temple, en janvier 1793


    Cela dit, j’ai été surprise de voir que Nicolas II et son épouse Alexandra Fedorovna étaient absents de ce livre alors qu’ils incarnent selon moi la quintessence (si l’on peut dire) du couple tragique. Mais l’auteur a pris le parti de mettre en avant d’autres personnages peut-être moins connus comme le roi d’Albanie Zog Ier et son épouse Géraldine et c’est aussi une approche cohérente et compréhensible.
    Bref, Des couples tragiques de l’histoire est un pur de livre de non-fiction et qui, pourtant, se lit aussi bien qu’un roman.
    J’ai déploré que l’époque contemporaine soit sur-représentée, au détriment d’époques plus lointaines (ainsi, deux chapitres seulement sont consacrés au Moyen Âge et à la Renaissance, avec la relation des destins d’Inès de Castro et le roi Pierre du Portugal et de François II et Marie Stuart alors que j’aurais pu trouver intéressant d’y voir Isabeau de Bavière et Charles VI par exemple) mais, pour autant, je ne me suis pas ennuyée. Bien évidemment, dans un livre comme celui-ci, l’auteur ne s’attarde pas et devra obligatoirement synthétiser et opérer des coupes car il ne pourra pas tout dire, ni restituer entièrement le contexte. Mais cela peut être une bonne introduction ou un bon rappel et ce n’est jamais déplaisant de se rafraîchir la mémoire, surtout en Histoire.
    Chaleureuse et fluide, la plume de Jean des Cars offre un récit agréable à lire et les presque 400 pages passent à une vitesse folle. Si ce n’est pas le meilleur de l’auteur que j’aie pu lire, malgré tout, j’ai passé un bon moment car naviguer ainsi dans l’Histoire reste l’un de mes plus grands plaisirs.

    Maximilien Ier du Mexique - Vikidia, l'encyclopédie des 8-13 ans

    Maximilien du Mexique et son épouse Charlotte : lui finira exécuté après quelques années de règne catastrophique, elle rentrera en Europe où elle finira ses jours entièrement folle et paranoïaque, persuadée qu'on veut la tuer

    En Bref :

    Les + : ce livre-catalogue, récit de nombreux destins, du Moyen Âge à nos jours, de ces couples tragiques qui ont émaillé l'Histoire du monde, est une lecture plaisante, servie par le style chaleureux de Jean des Cars, dont les ouvrages se lisent comme des romans, la fiabilité historique en plus.
    Les - : je déplore que l'époque contemporaine ait été sur-représentée, aux dépens d'époques plus anciennes et que les chapitres aient (parfois) été un peu légers.


    Des couples tragiques de l'Histoire ; Jean des Cars

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle 


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  • « Le duel est parfois inutile, imbécile, futile, inepte, désastreux mais, n'en déplaise au grand Cardinal, les mousquetaires avaient raison : le duel dans l'Histoire et la politique, est le dernier refuge de la liberté. »

    Couverture Les grands duels qui ont fait la France

     

     

     

         Publié en 2014

      Editions Perrin (en partenariat avec Le Figaro        Magazine)

      380 pages 

     

     

     

     

    Résumé :

    La France s'est construite par le conflit, qu'il soit extérieur (la guerre) ou intérieur. Notre histoire regorge de rivalités, célèbres ou oubliées, opposant jusqu'à la haine des individualités d'envergure souvent proches par leurs idées, mais antinomiques par leurs ambitions et leurs caractères. Ces grands duels sont non seulement passionnants - ils conjuguent complots, crises, affaires, coups bas et même assassinats -, mais aussi décisifs par leurs conséquences politiques. 
    Aucun ouvrage collectif ne leur a jamais été consacré. Cette lacune est enfin comblée grâce à ce livre-chapitres ambitieux qui réunit les meilleurs historiens actuels et les plus belles plumes du Figaro. 
    De Louis XI contre Charles le Téméraire au combat entre Nicolas Sarkozy et François Fillon, en passant par les affrontements d'anthologie - Louis XIV-Fouquet, Danton-Robespierre, Talleyrand-Fouché, Clemenceau-Poincaré, Pétain-de Gaulle -, voici le récit des vingt plus célèbres d'entre eux ; vingt histoires qui ont fait et font la France. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    La politique est vieille comme le monde, ou presque. Et les duels qui l'accompagnent fatalement ont fini par lui devenir consubstantiels. 
    Parce que la politique induit le pouvoir et que ce dernier fascine irrémédiablement et attire de même, forcément des rivalités naissent, entraînant le choc de titans d'envergure égale ou bien de personnalités à l'opposé l'une de l'autre. Que ces duels soient ceux d'ennemis de même force et combattant pour les mêmes idéaux ou d'adversaires d'influences et de caractères différents, ils sont pourtant amenés à marquer durablement l'Histoire et, d'une certaine manière, à la faire : que ce serait-il passé si Charles le Téméraire, au XVème siècle, n'était pas mort sous les murs de Nancy en janvier 1477 et était parvenu à imposer sa loi à l'« Universelle Araigne », le roi de France Louis XI ? La Bourgogne serait-elle un royaume indépendant aujourd'hui et un pays à part entière ? Que serait-il arrivé si Fouquet avait été victorieux de Colbert ? La société française du XVIIème siècle aurait-elle pris le tour amorcé par celui que l'on associe à l'expansion du commerce et du mercantilisme ? La Révolution aurait-elle vu sa face changée si Robespierre avait été le perdant contre le tribun Danton ? Probablement pas. Parce que ces événements, à l'instar d'une guerre extérieure, peuvent modifier l'Histoire d'un pays et la marquer durablement, il est important d'en parler et de les étudier.
    Ce livre, produit à l'instigation de deux auteurs, Jean-Christophe Buisson (1917 : l'année qui a changé le monde) et Alexis Brézet, historien spécialiste des Balkans et du monde slave pour le premier et directeur des rédactions du Figaro pour le second, réunit les meilleurs historiens actuels, de George Minois à Thierry Lentz en passant par Simone Bertière, Jean-Christian Petitfils ou encore, Patrice Gueniffey.
    Livre-catalogue ou livre-chapitres, comme cela est dit dans le résumé, ce livre est chronologique et thématique à la fois : déroulant l'histoire de ces duels majeurs du XVème siècle à nos jours, chacun des chapitres est écrit par un historien de référence pour la période. Ainsi, le duel de Louis XI et du duc de Bourgogne est-il traité par George Minois, médiéviste de référence, tandis que l'on retrouve Simone Bertière aux commandes de l'article traitant du duel entre Marie Médicis et Richelieu (ce qui paraît assez logique quand on sait qu'on lui doit l'essai Louis XIII et Richelieu : la malentente, mettant en avant une relation bien plus nuancée et conflictuelle qu'on n'a bien voulu le dire entre le père de Louis XIV et son grand ministre). 
    C'est passionnant mais exigeant et ce livre nécessite d'avoir une bonne connaissance des contextes traités, ou bien de faire des recherches en parallèle - si cela ne vous fait pas peur, alors vous pouvez vous lancer. Si vous aimez avoir toutes les clés en main sans avoir forcément à quitter votre lecture pour la compléter, mieux vaut passer votre chemin. Si vous aimez l'Histoire mais sans plus, assurément ce livre risquera de vous ennuyer. Il nécessite aussi une bonne concentration tout au long de sa lecture et j'avoue être parfois revenue en arrière parce qu'un événement ou le déroulement d'un événement m'avaient échappé et je ne comprenais plus tout. Mais dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé cette lecture qui m'aura accompagnée près de quinze jours : je ne regrette pas de lui avoir consacré ce temps, car la lire moins vite aurait été la bâcler ou du moins, prendre le risque de ne pas tout comprendre et de passer à côté. 

    Image illustrative de l’article Assassinat d'Henri de Guise

    L'assassinat du duc Henri de Guise par les gardes du corps d'Henri III, les célèbres Quarante-Cinq (tableau de Paul Delaroche, XIXème siècle)


    Un peu déçue au départ que le Moyen Âge soit sous représenté au profit de l'Histoire contemporaine voire de l'Histoire immédiate, j'ai finalement, contre toute attente, été captivée par les chapitres consacrés aux duels Giscard-Chirac ou encore, Sarkozy-Villepin, car ils font écho à des événements bien plus proches de nous dans le temps et qui nous parlent forcément, qu'on soit amateur d'Histoire ou pas. L'avènement de la télévision et son immixtion dans le monde politique ont ainsi permis à chaque Français, grâce à des images fortes ou diffusées et rediffusées, de se créer une propre galerie d'images et de moments forts gravés sur pellicule, alors que des époques plus anciennes peuvent paraître, de fait, plus nébuleuses et floues
    Pour autant, chacun de ces chapitres est intéressant et démontre que dans tout duel souvent, survient le deuil d'une possible entente ou d'attentes déçues : alors que la Seconde guerre mondiale et l'image que nous en avons renvoient dos à dos Pétain et de Gaulle, synonymes respectivement de la collaboration et de la Résistance, on oublie que les deux hommes furent proches avant de s'éloigner, le plus âgé (Pétain) concernant le plus jeune (de Gaulle), militaire intelligent et prometteur, comme un fils spirituel. On pourra s'étonner de la rivalité de Giscard d'Estaing et de Chirac, pourtant du même bord politique et défendant donc, théoriquement, les mêmes idéaux et les mêmes valeurs. 
    En revanche, on comprendra mieux le désir d'un jeune roi qui n'est pas encore l'incarnation du Soleil (Louis XIV) de se débarrasser d'un ministre trop ambitieux et qui pourrait concurrencer celui qui, à l'instar de l'astre diurne, ne tolérera jamais que l'on s'élève à sa hauteur. Dans le contexte de centralisation et d'unification du royaume de France, fragilisé par cent-seize ans de guerre avec son ennemie héréditaire, l'Angleterre, à la fin du XVème siècle, on ne pourra s'étonner du duel à mort entamé par Louis XI, souverain souffrant d'une légende noire tenace mais pourtant gouvernant sans pareil, contre le dangereux duc de Bourgogne, réunissant sous sa bannière trop de territoires et une ambition concurrente qu'il doit faire taire car dans ce contexte de la course au pouvoir, le sien et celui du duc Charles, par ailleurs, son parent, ne pouvaient cohabiter. Parfois, certains duels auraient pu être évités...d'autres sont inévitables et font s'entrechoquer les boucliers de titans qui font trembler et vaciller la France. Quant à Clemenceau et Poincaré, si on peut déplorer que les qualités de ce dernier aient été largement éclipsées par l'aura du Tigre, on ne sera pas surpris que le grand Georges, figure tutélaire de la politique française de la IIIème République, sorte vainqueur du combat subtil, fait de discours, de petites phrases et d'articles de journaux, remporte le bataille haut à la main, laissant son rival KO sur le ring sans concessions de la politique nationale : pouvait-on en attendre moins de celui qui osa, à la mort du président Félix Faure, en 1899, une oraison funèbre aussi savoureuse et truculente qu'osée voire carrément vulgaire ? 
    Duels guerriers, duels d'intelligence, duels de tribuns : l'Histoire de France regorge de ces affrontements parfois sanglants et qui, pour certains, allèrent effectivement jusqu'à la mort de l'un des adversaires (Robespierre fera condamner Danton à être guillotiné, Henri III fera assassiner traîtreusement le trop puissant et populaire duc de Guise). Si certains sont savoureux, d'autres sont tragiques mais marquèrent leur époque et, quelque part, en furent le reflet

    10 novembre 1630 : Richelieu et la Journée des Dupes - Revue Des Deux Mondes

     

    La « Journée des Dupes » met, en 1630, un terme au violent affrontement opposant Marie de Médicis, ancienne régente et le cardinal de Richelieu : on oublie que ce dernier fut d'abord un protégé de la reine-mère avant de devenir principal ministre de Louis XIII 

    En Bref :

    Les + : technique mais passionnant, ce livre nécessite pas mal de concentration mais c'est une lecture qui saura séduire tous les amateurs d'histoire.
    Les -:
    pas forcément de points négatifs à soulever. Certains chapitres sont plus captivants que d'autres mais ceci est totalement subjectif évidemment. 


     Les grands duels qui ont fait la France ; Alexis Brézet et Jean-Christophe Buisson (dir.)

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     


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  • « Les douze Césars s'inscrivent dans une histoire de famille particulièrement complexe. Ils ne peuvent être réduits à une succession de biographies se chevauchant plus ou moins. Ils forment ensemble la fresque humaine la plus cynique du Haut-Empire et sans doute l'une des plus captivantes de l'histoire de l'Occident. »

    Couverture La véritable histoire des douze Césars

     

     

     

      Publié en 2019

      Éditions Pocket (collection Documents et Essais)

      480 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Sous le principat d'Hadrien, l'historiographe Suétone écrit les biographies des premiers Césars, de Jules César à Domitien, retraçant ainsi près de cent-cinquante ans d'histoire. Virginie Girod, forte de sa connaissance intime de la période, met avec talent ses pas dans ceux de Suétone et raconte la véritable saga des douze Césars faite de trahisons, de manipulations et d'amours déçues.
    Comment Auguste et Vespasien ont-ils pris Rome en passant pour des modèles de vertu ? Pourquoi Tibère, Caligula et Néron ont-ils sombré dans la tyrannie ? Claude était-il un idiot ou un administrateur génial ? De chapitre en chapitre, les mythes sur les Césars volent en éclats, laissant place à leur humanité dans toute sa complexité.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Au début du IIème siècle de notre ère, l’historiographe Suétone, sous le principat d’Hadrien, rédige une vie des Douze Césars (De vita duodecim Caesarum), racontant ainsi les destinées de douze dirigeants romains, de Jules César à Domitien. Scindé en huit livres et publié entre 119 et 122, La vie des Douze Césars de Suétone inaugure un nouveau genre littéraire historique qui inspirera d’autres historiens (Hérodien, Aurelius Victor) et d’autres travaux comme L’histoire Auguste.
    C’est sur ce texte devenu une référence pour l’étude de l’Antiquité romaine, que la jeune historienne Virginie Girod, spécialiste de l’histoire des femmes et notamment de la sexualité sous la Rome antique, s’appuie pour rédiger à son tour ses Vies des douze Césars, forte d’une méthodologie différente et actualisé. Car si Suétone a le mérite d’être le premier à dresser les portraits de ces dirigeants de Rome qui, un jour, deviendront mythiques, il cède malgré tout assez souvent à l’anecdote, sans forcément vérifier ni étayer son propos.
    De la Rome Antique, on retient souvent des images issues de la bande dessinée, de la fiction, des films… Les gladiateurs, les courses de char, les grands banquets et les orgies, les heures interminables aux thermes, la décadence… Tout n’y est pas vrai mais tout n’est pas faux non plus, loin de là et on s’en rend compte en lisant le texte de Virginie Girod. Quels dirigeants incarnent mieux l’ivresse du pouvoir et la décadence qu’il peut entraîner que les Césars ? De Jules César, qui n'est pas empereur mais dans les pas duquel se placera par la suite Auguste, son petit-neveu, jusqu’à Domitien, second fils de Vespasien, c’est plus de cent ans d’histoire romaine brossée dans ce volume. Les premiers empereurs ont imprimé durablement leur marque, créant ou développant un nouveau mode de gouvernement. Chacun s’appropriera le pouvoir à sa manière et le modèlera. Il y a ceux dont l’Histoire conserve un souvenir positif, pour leur justesse, leur intelligence politique, leur exercice nuancé du pouvoir : c’est le cas d’Auguste ou encore, de Vespasien, le premier des Flaviens. D’autres incarnent bien ce mythe de la Rome antique ivre de sang, de violence, de sexe et d’exagération : Tibère, Caligula, Néron, Vitellius, Domitien…
    De la seconde moitié du Ier siècle av. J-C jusqu’au début du IIème siècle de notre ère, Virginie Girod nous amène à la rencontre de chacun d’entre eux. Loin de relater uniquement leur principat, que leur bilan soit positif ou négatif, l’auteure remonte à l’enfance de tous ces empereurs, apportant aussi une dimension psychologique à son récit : et si les événements traversés dans le jeune âge avaient eu une influence sur la conception et l’exercice du pouvoir pour tous ces hommes devenus adultes et dirigeants ? La concurrence entre Domitien et son aîné Titus a-t-elle conditionné le second, le plaçant sans cesse dans une infériorité douloureuse, comme l’absence d’intérêt connue par Tibère dans ses jeunes années a pu générer le manque de confiance ressenti par l’empereur, le poussant à se retirer sans cesse loin du pouvoir ? Le malheur brutal enduré par la famille de Caligula après des années florissantes a-t-il aussi induit la violence du jeune empereur, dont les excès semblent sans limites ? En « analysant » ses Césars, essayant de les comprendre sans les excuser pour autant, ni les juger, Virginie Girod les rend plus humains, malgré leurs côtés les plus déplaisants : oui, il est quand même difficile de trouver Néron, matricide avoué, sympathique… pour autant, les empereurs de Rome ne sont pas plus monstrueux ni plus dégénérés que d’autres. L’époque contemporaine n’a-t-elle pas elle aussi son lot de dirigeants violents, cyniques et sinistres, à l’instar des dictateurs du XXème siècle ?

    La mort de Néron par Vasiliy Smirnov (1888)


    Malgré des redites et des répétitions (forcément, les destins des Césars se fondent les uns dans les autres et un même événement se retrouve forcément dans plusieurs biographies : la mort d’Auguste, par exemple, conditionne l’accès au pouvoir de Tibère et on retrouve donc cet événement dans la biographie d’Auguste comme dans celle de Tibère), on se prend vite au jeu ! Même si je ne suis pas passionnée par l’Histoire antique en général, j’avoue avoir pris grand plaisir à lire ce livre en forme de catalogue biographique qui nous promène avec aisance dans l’Histoire : la passion de l'auteure est communicative. Le style de l’auteure est dynamique, très actuel et Virginie Girod déconstruit habilement les mythes qui continuent d’entourer, souvent d’une aura assez négative, la figure des Césars : certes, Néron était mégalomane mais il n'a pas mis le feu à Rome en 64, comme il n’a pas battu à mort son épouse enceinte, non Claude n’était pas l’abruti manipulable à l’envi, jouet de son ambitieuse femme Agrippine…
    Et pourtant, il y a un côté assez cinématographique et grandiloquent qu’on ne peut pas nier… quand on dit que la réalité prend souvent le pas sur la fiction, c’est vrai. Même le romancier à l’imagination la plus prolifique n’aurait peut-être pas pu imaginer des personnages aussi intéressants et complexes que les Césars.
    En bonne spécialiste des femmes, Virginie Girod laisse aussi dans son livre une grande place aux figures féminines qui ont jalonné l’histoire des premiers Césars et notamment des Julio-Claudiens : Livie, figure hiératique, première Augusta, Agrippine l’Ancienne et sa fille, Agrippine la Jeune, qui paiera son ambition et son amour du pouvoir par une mort ordonnée par son propre fils, Julie, l’unique fille d’Auguste et épouse de Tibère, Acté et Poppée, respectivement maîtresse et épouse de Néron, à la beauté débridée et sensuelle…
    Bref, La véritable histoire des Douze Césars est un livre de vulgarisation historique mais qui s’appuie sur la rigueur de l’historien et une méthodologie contemporaine fiable et cohérente. Il n’en reste pas moins que l’œuvre de Suétone a été un terreau fertile pour l’auteure, qui prend visiblement un grand plaisir à sortir des limbes de l’Histoire ces grandes figures que la légende noire a fini par marquer d’un halo monstrueux et bien sombre que Virginie Girod se plaît à nuancer sans pour autant réhabiliter. Une lecture agréable, riche et en même temps plaisante et divertissante.

    Livre ancien ouvert

    Une Vie des Douze Césars de Suétone, imprimée à Lyon en 1569

    En Bref :

    Les + : bien écrit, avec un style jeune et dynamique, qui dépoussière un peu l'Histoire, ce livre est riche et apporte beaucoup d'informations, tout en étant plaisant et divertissant.
    Les - :
    des répétitions, des redites, malgré tout nécessaires au vu du découpage du livre.


     La véritable histoire des Douze Césars ; Virginie Girod

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     

     

     

     


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  • « Marie-Thérèse d'Autriche est l'une des rares femmes de l'histoire qui aient gouverné et incarné leur pays durant quarante ans. Dotée d'un pouvoir absolu comme Élisabeth Ière d'Angleterre ou Catherine II de Russie, elle dut, contrairement à celles-ci, négocier durant tout son règne avec sa féminité. Alors qu'Élisabeth et Catherine ont vécu et régné comme des hommes, Marie-Thérèse d'Autriche fit une large place à l'épouse amoureuse ainsi qu'à la mère aimante et soucieuse de ses enfants. »

    Couverture Le pouvoir au féminin

     

     

     

       Publié en 2018

         Éditions Le Livre de Poche 

      400 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Les Français connaissent mal celle qui fut la mère de Marie-Antoinette. Pourtant, Marie-Thérèse d'Autriche est l'une des plus grandes figures tutélaires de son pays. Je l'ai découverte par sa correspondance privée, dans laquelle elle se révèle guerrière, politique avisée, mère tendre et sévère. C'est une femme au pouvoir absolu, hérité des Habsbourg, qui régna pendant quarante ans sur le plus grand empire d'Europe. Et, ce faisant, elle eut à gérer trois vies : épouse d'un mari adoré et volage, mère de seize enfants, souveraine d'un immense territoire. Cette gageure qu'aucun souverain masculin n'eut à connaître, j'ai voulu tenter de la comprendre. Cette femme incomparable en son temps, qui inaugure une nouvelle image de la souveraineté et de la maternité, ressemble, sous certains aspects, aux femmes du XXIe siècle.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand on pense à Marie-Thérèse d’Autriche, c’est d’abord sa fille Marie-Antoinette, reine de France, qui nous vient à l’esprit. Ou peut-être le nom va-t-il nous évoquer une autre reine, l’épouse de Louis XIV, qui s’appelait Marie-Thérèse d’Autriche, elle aussi.
    Ici, il s’agit bien de la mère de Marie-Antoinette, la reine de Bohême et impératrice, Marie-Thérèse, qui traverse un siècle passionnant : le XVIIIème siècle. Née en 1717, héritant des possessions paternelles en 1740, elle meurt en 1780, détentrice d’un pouvoir et d’une aura inégalés. Plus encore que son mari, François-Etienne de Lorraine, elle est l’incarnation du Saint-Empire, pourtant foncièrement masculin mais qu’elle incarnera mieux que tout autre. Se passionner pour le XVIIIème siècle, c’est forcément un jour s’intéresser à cette ère des femmes, dans une époque encore profondément misogyne et patriarcale.
    Le destin de Marie-Thérèse d’Autriche est accidenté et rien moins que facile : il semble même qu’elle soit le fruit d’une sorte de malédiction des Habsbourg d’Autriche qui, en ce début du XVIIIème siècle, ne parviennent pas à avoir de fils. Sa tante comme sa mère seront affligées d’une sorte de « stérilité royale » puisqu’aucune des deux ne donneront de fils à leurs époux. Une obsession et un échec terribles pour ces femmes dont le destin était tout tracé : être mères et surtout, de garçons. On s’imagine mal aujourd’hui que l’absence d’enfants mâles pouvait aller jusqu’à menacer la vie des impératrices, la répudiation étant le moindre mal ! Marie-Thérèse aura une sœur, des cousines, mais pas de frères. D’où la décision de son père Charles VI de promulguer la Pragmatique Sanction, destinée à donner à son aînée, Marie-Thérèse, la possibilité d’hériter des possessions familiales (Hongrie, Bohême) à son décès. C’est ce qui advient au décès brutal de Charles VI en 1740. Pourtant, la succession ne se fera pas en douceur, au contraire, puisqu’elle engendrera une guerre violente, la Guerre de Succession d’Autriche, qui menacera directement les territoires des Habsbourg. Et pourtant, de ce conflit et même des suivants, Marie-Thérèse saura toujours s’en tirer grandie, plus forte. Les difficultés du début du règne affermiront à jamais l’impératrice, qui ne l’est que par mariage mais, que par association, on n’appellera jamais plus autrement même si elle ne détint jamais la réalité du pouvoir impérial, exclusivement masculin par essence.
    Elle traversa aussi des orages et la fin de sa vie fut triste, marquée par des affections physiques et une mélancolie qu’on qualifierait aujourd’hui de dépression chronique, par une opposition violente aussi avec son fils Joseph II avide de pouvoir et d’indépendance par rapport à son omnipotente mère, mais elle a cependant marqué d’un sceau indélébile l’Histoire de l’Europe : elle est celle qui tint tête malgré l’adversité à un souverain misogyne et ambitieux, Frédéric II, elle est l’artisane d’un renversement des alliances qui brisa les lignes diplomatiques en Europe depuis le début de l’époque moderne… elle est un véritable chef d’État.

    Illustration.

    L'un des portraits les plus connus de Marie-Thérèse par Martin Van Meytens en 1759, où elle est représentée avec le sceptre et la couronne de saint Etienne, symbolisant son pouvoir sur la Hongrie


    Dans ce livre, qui n’est ni tout à fait un essai, ni tout à fait une biographie mais un peu des deux à la fois, Elisabeth Badinter, essayiste féministe et connue notamment pour ses travaux sur la maternité, s’interroge sur le pouvoir au féminin et ce qu’il implique, surtout à une époque où il n’allait pas de soi – de toute façon, le pouvoir féminin va-t-il du choix aujourd’hui ? On peut en douter et le patriarcat a encore de beaux jours devant lui, malgré la lutte féministe plus mobilisée que jamais. Pour faire une comparaison un peu anachronique, Marie-Thérèse comme ses paires les impératrices de Russie ou encore Madame de Pompadour (favorite du roi Louis XV et diplomate de l’ombre), est « la femme qui travaille » et qui doit concilier une vie privée (épouse et mère la concernant) à une vie publique et professionnelle en quelque sorte. Or, ce qui est compliqué aujourd’hui, l’est encore plus à l’époque. Comment tirer son épingle du jeu sur une scène géopolitique largement dominée par les hommes ? Comment faire de ses désavantages apparents des atouts ? Marie-Thérèse se révèlera un formidable animal politique, d’autant plus admirable qu’elle ne fut pas formée à l’être, comme souvent l’étaient ses homologues masculins, préparés à leur « métier de roi ».
    Marie-Thérèse joue dans la même catégorie que le roi de Prusse, le roi de France ou encore le roi d’Angleterre… jalouse de son pouvoir, elle n’accorde à son époux, qu’elle aime pourtant tendrement et auquel elle sera fidèle jusqu’à la mort de François-Etienne en 1765 (ce qui ne sera pas son cas à lui, puisque l'empereur aimait les femmes et ne s'en cachait pas), qu’un pouvoir symbolique et dont il s’accommode, n’ayant pas la même fibre politique que son épouse. C’est elle qui tient effectivement les rênes du pouvoir et si son mari l’incarne, c’est elle qui l’exerce en sous-main, avec efficacité. Et pourtant, Marie-Thérèse est confrontée à un autre aspect de la vie d’une femme qu’un souverain masculin ne connaîtra jamais : la maternité. Mère prolifique, conjurant la malédiction qui avait touché sa tante, l’impératrice Wilhelmine de Brunswick-Lünebourg puis sa mère, Élisabeth-Christine de Brunswick-Wolfenbüttel, qui n’avaient pas eu de fils, elle sera surtout attentive à sa progéniture, menant dans le privé une vie presque bourgeoise auprès de son époux et de leurs enfants, personnifiée par ce fameux tableau où l’on voit la famille royale installée dans un salon, l’impératrice vêtue de bleue installée dans un fauteuil à l’image de son mari et entouré des enfants, jusqu’aux plus jeunes, encore dans les langes. Marie-Thérèse sut concilier, pas toujours de manière aisée mais certainement d’une main de maître, les deux aspects de sa vie : souveraine exerçant le pouvoir et mère d’une famille nombreuse puisqu’elle mit au monde seize enfants dont dix atteindront l’âge adulte.
    Si vous ne connaissez pas le destin de Marie-Thérèse ou dans les grandes lignes, cette biographie peut être intéressante pour démarrer. Elle n’est ni trop historique, ni bâclée pour autant et apporte l’essentiel des informations chronologiques, biographiques, diplomatiques. Elle nous permet de cerner le personnage sous toutes ses facettes et Marie-Thérèse en sort encore grandie parce que, comme toutes les femmes, elle eut toujours plus à prouver qu’un homme détenteur du même pouvoir. Mais, contrairement à d’autres femmes qui firent des choix radicaux, mettant parfois leur féminité de côté au profit d’un pouvoir « viril » et d’une incarnation plus masculine, Marie-Thérèse sut toujours jouer de sa féminité et ne délaissa pas pour autant son rôle d’épouse et de mère, qu’elle exerça avec autant de zèle que le pouvoir sur ses états et même sur l’Empire en général.
    La plume d’Élisabeth Badinter est fluide, agréable à lire et cette biographie bien documentée, appuyée notamment sur des correspondances privées. Une belle découverte, que l’amoureuse du XVIIIème siècle que je suis a pris grand plaisir à lire.

    La famille impériale par Martin Van Meytens : l'idée originale de Marie-Thérèse est d'adapter ce tableau au gré des nouvelles naissances, faisant représenter les nouveaux-nés au fur et à mesure.

    En Bref :

    Les + : une biographie bien documentée et intéressante, qui entreprend de raconter Marie-Thérèse d'Autriche par tous les aspects de son règne et son essence même, celle de femme et de mère. On retrouve là un sujet cher à Élisabeth Badinter et qui donne un autre éclairage aux règnes des femmes dans l'Histoire, souvent bien ignorées
    Les - : pas vraiment de point négatif à soulever pour moi. C'était une lecture agréable, riche et documentée.


    Le pouvoir au féminin : Marie-Thérèse d'Autriche 1717-1780 L'impératrice-reine ; Elisabeth Badinter

      Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     


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