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Par ALittleBit le 30 Juillet 2023 à 16:12
« Le XVIIIe est un réservoir quasi inépuisable d'images. Siècle si riche, et en premier lieu de ses contradictions, il mobilise des images élégantes, d'hommes et de femmes badinant, évoluant dans des paysages agrestes, où la nature est bienveillante et même idéale. »
Publié en 2021
Éditions Passés Composés
186 pages
Résumé :
Le XVIIIe siècle s'ouvre avec Le Pèlerinage à l'île de Cythère d'Antoine Watteau et s'achève avec La Mort de Marat de Jacques-Louis David : la naissance de la fête galante versus l'agonie d'un tribun révolutionnaire. Deux chefs-d’œuvre qui illustrent la légèreté et la gravité d'un siècle, deux facettes antagonistes mais complémentaires d'une même époque. Les dix œuvres ici racontées sont ainsi autant de jalons pour saisir ce siècle passionnant dans ses innombrables contradictions : elles correspondent toutes à un moment du XVIIIe et disent son histoire artistique, culturelle, philosophique, sociale, économique et, bien évidemment, politique. Autant de chefs-d’œuvre qui ont forgé une société nouvelle, éprise de liberté, d'indépendance et de transgressions, au fil d'un siècle qui, sous la plume sensible de Cécile Berly, oscille sans cesse entre une légèreté savamment entretenue et une gravité qui confine au drame.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Étudier une époque à travers le prisme de son art, essentiellement pictural, voilà un parti-pris original, me suis-je dit en découvrant ce roman.
Parti-pris surprenant et pourtant, quand on y pense, pas tant que ça. C’est même assez logique…il y a maintes façons d’étudier une époque : par l’histoire militaire, l’histoire sociale, économique, géopolitique…les sources nous sont aussi d’une grande aide. Et si l’art nous en apprenait aussi beaucoup ? C’est évident.
C’est donc ce que fait ici la jeune historienne Cécile Berly, spécialiste du XVIIIème siècle, qui s’est notamment intéressée aux figures féminines du siècle, de Marie-Antoinette en passant par les maîtresses de Louis XV ou encore certaines célèbres salonnières et femmes de lettres, comme Madame du Deffand…
Le XVIIIème siècle est une période ô combien passionnante par ses ambivalences, ses paradoxes et ses contradictions. Siècle-charnière s’il en est, le XVIIIème voit mourir le Grand Siècle avec Louis XIV en 1715 et naître l’époque contemporaine avec la Révolution…c’est une époque hybride qui verra, en France, la société se modifier du tout au tout.
Qu’en est-il dans l’art ? On s’en doute, l’art du XVIIIème siècle va évoluer en même temps que la société et connaître les mêmes ambivalences…souvent, quand on pense au XVIIIème siècle, on pense aux œuvres grivoises voire presque pornographiques d’artistes comme Watteau, Boucher ou encore Fragonard, qui peignent l’amour et des corps dénudés qui ne sont pas ceux de dieux païens. On peut ainsi largement comparer la fameuse Odalisque de Boucher à des photos de nu un peu coquin du XXIème siècle…chez Fragonard, le contact homme/femme se fait dangereux, lascif, on ne sait jamais si le baiser est volé, forcé ou consenti…puis il y a Watteau, un peintre à la carrière aussi fugace que la vie (il meurt à trente-sept ans sans s’être marié, sans enfant) dont la lecture grivoise est plus allusive, plus subtile…Pour la première fois, des artistes osent s’interroger sur l’amour, au sens charnel du terme, le plaisir, la sexualité, qu’ils déguisent à peine. Au même moment, des peintres plus « sages » continuent d’explorer la scène de genre comme Greuze ou Chardin, préférant aux personnages coquins et quasi-nus, les gens du quotidien, bourgeois ou paysans.
Au contraire, la fin du XVIIIème siècle est marquée par l’omniprésence d’un artiste, Jacques-Louis David, inspiration de nombreux peintres d’histoire du siècle suivant. La fin de l’Ancien Régime et la Révolution s’accompagnent d’un retour à l’antique. Terminées, les petites odalisques fantasmées de Boucher qui osaient montrer leurs jambes et leurs fesses, dans une mise en scène à peine figurée de l’acte sexuel, le néoclassicisme renoue avec les scènes colossales, marquantes. David et ses pairs peignent pour édifier, que ce soit dans Le Serment des Horaces ou bien dans La Mort de Marat, tableau immense montrant la mort du tribun, dans lequel on ressent tout le choc du peintre après la mort brutale de son ami, assassiné en juillet 1793 par Charlotte Corday.
Le XVIIIème siècle est aussi le siècle des femmes, peintres, pastellistes, portraitistes. Est-ce surprenant, si Marie-Antoinette préfère entre tous se faire portraiturer par une femme, Elisabeth Vigée-Le Brun, qui n’est pas peintre officielle mais, du moins, peintre préférée ? Est-ce surprenant aussi si le XVIIIème siècle est le siècle où une femme, pour la première fois, est acceptée à l’Académie, en la personne de la célèbre portraitiste vénitienne Rosalba Carriera ?
Ce livre de Cécile Berly est intéressant dans tout ce qu’il dit et tout ce qu’il ne dit pas. On le comprend, l’autrice ne peut pas développer outre-mesure et les chapitres sont relativement courts. Cela peut être frustrant mais c’est le jeu : on comprend aisément que l’historienne ne peut développer son texte, au risque de se retrouver avec une somme immense et peut-être moins facile d’accès qu’un petit livre de moins de 200 pages…mais ce peut être une bonne introduction pour se documenter plus amplement et la bibliographie fouillée à retrouver en fin d’ouvrage peut nous y aider.Le pèlerinage à l'île de Cythère, d'Antoine Watteau, date de 1717 et marque pour les historiens le début de l'art du XVIIIème siècle et de ce que l'on appellera « les fêtes galantes »
J’avoue avoir mis un peu de temps à entrer dans le texte car je n’ai pas trouvé le style d’écriture très chaleureux de prime abord. Pour moi qui ai l’habitude des textes de Simone Bertière ou Evelyne Lever, qui parviennent à allier sans difficulté chaleur de la plume et rigueur historique, j’ai trouvé le style un peu conventionnel, un peu plat au départ : les phrases sont courtes et se succèdent rapidement…puis cela passe petit à petit.
J’ai vraiment aimé ce voyage au XVIIIème siècle. En même temps, quand il s’agit du XVIIIème, je suis bon public. Depuis quelques années, je nourris un amour absolu, passionnel pour cette époque et notamment pour le XVIIIème français. Ne me demandez pas pourquoi, mais j’y aime tout, de l’art en passant par la musique et bien évidemment, les personnages (en particulier féminins mais pas que), dont je me plais à découvrir progressivement les biographies, de Marie-Antoinette en passant par les sœurs de Nesle, Louis XV, Madame du Barry, Madame de Pompadour, le Régent, la duchesse de Bourgogne ou encore, la duchesse du Maine, les sœurs de Louis XV…pour moi, c’est un réservoir passionnant et inépuisable, une mine d’informations, un siècle qui nous en apprend beaucoup sur l’humain, sur la société, un siècle fondateur à bien des égards.
Parce que je nourris aussi un intérêt tout particulier pour l’histoire de l’art et en particulier pour la peinture (figurative, ne me demandez pas d’analyser de l’art contemporain, beaucoup trop abstrait et subjectif pour moi), j’ai été à la fête avec cette lecture. Quel bonheur de retrouver ces œuvres emblématiques que j’avais pu étudier il y a quelques années à l’université, que ce soit les Fragonard ou les œuvres de David. Gros coup de cœur aussi pour le tableau de Marie-Guillemine Benoist, peint en 1800 et qui clôture le livre, Portrait de Madeleine, représentant une femme vêtue de cotonnade blanche, le bras, l’épaule et le sein dévêtu. Cette femme, qui braque franchement son regard vers le spectateur est d’une grande beauté, d’un grand charisme…pour ceux qui ont lu Maryse Condé, vous aurez certainement déjà croisé le regard de cette femme sur la couverture de Moi, Tituba, sorcière…cette Madeleine, non seulement, est une femme mais en plus, elle a la peau noire. Encore aujourd’hui, les historiens de l’art s’interrogent sur la motivation de l’artiste, qui n’était pas réputée pour ses idées en faveur de la cause noire. Ce tableau, peint au tournant du siècle, alors que le XVIIIème finissant regarde déjà franchement vers le XIXème, politiquement, socialement, est peut-être celui qui symbolise au mieux les deux visages de cette époque passionnante, qui s’ouvre pour la première fois à la connaissance rationnelle alors que l’Église reste toute-puissante, où la pornographie la plus franche et la plus salace côtoie une pudibonderie extraordinaire, où des auteurs se lancent dans la tâche immense de rédiger une Encyclopédie alors qu’une large frange de la population est encore illettrée et que ceux qui pourraient y avoir accès la censurent sans hésitation…Quel paradoxe, pour le tableau de Benoist, de mettre en scène une femme, noire qui plus est, comme l’étendard d’une conviction alors que l’artiste, elle-même femme, ne semble rien vouloir revendiquer et sûrement pas la libération des esclaves…
Bref, vous l’aurez compris, malgré un début légèrement compliqué pour moi, je me suis vite jetée dans ce livre, je mentirai si je disais que je l’ai lu comme un roman mais j’ai passé un excellent moment de lecture et je n’ai désormais plus qu’une envie : creuser, aller plus loin et me replonger dans les œuvres de mes peintres préférés.Le Serment des Horaces, de David, peint en 1784 renoue avec les grands tableaux d'histoire et met en scène l'Antiquité romaine
En Bref :
Les + : une lecture passionnante d'une époque à travers ses œuvres emblématiques et ses artistes incontournables. Un livre court mais qui donnera au lecteur curieux les clés pour aller chercher un peu plus d'informations.
Les - : le style d'écriture un peu saccadé qui, au début, ne m'a pas transportée.
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Par ALittleBit le 24 Juin 2023 à 11:16
« Si Colette est une femme libre, elle l'est d'abord parce qu'elle a su conquérir sa liberté, non sans difficultés parfois, tout au long de son itinéraire de femme, à travers ses amours, ses mariages, ses divorces, ses audaces, ses provocations même, et aussi ses activités de mime et d'actrice, son travail de journaliste, de reporter ou de critique théâtral. »
Publié en 2018
Éditions Dunod
176 pages
Résumé :
Comment Colette est-elle devenue la figure majeure de la littérature féminine de la première moitié du XXe siècle ?
Lorsque Colette, poussée par Willy, commence la série des Claudine, elle ne s'imagine pas qu'elle deviendra, au fil des décennies, l'une des icônes de la littérature féminine de son siècle. Emblématique de l'itinéraire d'une femme écrivain qui a su s'émanciper grâce à l'écriture, son oeuvre est plus que jamais vivante : elle s'impose à nous par sa richesse, sa diversité, sa profonde cohérence mais aussi par une originalité et une modernité que le recul du temps permet de mieux mesurer.
Installez-vous confortablement dans un transat et laissez-vous entraîner par Marie-Odile André sur les chemins de Colette - de Saint-Sauveur-en-Puisaye jusqu'à Paris, des bois de Montigny au jardin du Palais-Royal, du music-hall à l'Académie Goncourt - pour une promenade voluptueuse et vagabonde.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Qu'on la lise, qu'on l'ait lue ou bien qu'on ne connaisse pas son œuvre, Colette (dont on fête d'ailleurs cette année les 150 ans) reste un personnage familier du paysage littéraire français du siècle dernier.
Née en Bourgogne en janvier 1873, morte en 1954, Colette a traversé la fin du XIXème siècle et tout le premier XXème siècle, de la Grande Guerre, en passant par les Années Folles et jusqu'au début des Trente Glorieuses après le traumatisme de la Seconde guerre mondiale, qu'elle traverse aux côtés de son troisième mari, Maurice Goudeket, qui était juif.
Colette a marqué son temps par sa plume et ses écrits. Paradoxalement, celle qui n'est pas arrivée à l'écriture par vocation et presque par hasard, lui doit sa célébrité. Mais elle n'est pas que ça non plus : mime, journaliste, esthéticienne aussi (oui oui), artiste, Colette est un personnage protéiforme et bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord.
Célébrant comme personne le vivant, les animaux, la nature, les saisons, d'une écriture incisive et sensuelle, elle est encore lue aujourd'hui et célébrée pour sa grande modernité de ton et de style et pour la liberté aussi qu'elle ne cessera de hisser haut. Et si, aujourd'hui en 2023, on serait tentés d'analyser Colette à l'aune d'idées contemporaines (homosexualité, féminisme, trans-identité), il ne faut pas oublier qu'elle ne fut pas féministe, qu'elle jugea très durement en son temps les suffragettes défenseures du droit de vote pour les femmes et qu'elle ne revendiqua jamais sa bisexualité comme militante. Et peut-être est-ce pour cela que Colette est un étendard et peut encore aujourd'hui être vue comme un chef de file.
Le Colette à la plage de Marie-Odile André pourrait presque être considéré comme une analyse voire une psychanalyse de l'autrice. En quelques grands chapitres, Marie-Odile André brosse un portrait à grands traits de Colette, de l'enfance bourguignonne jusqu'à la vieillesse immobile, marquée par les douleurs de l'arthrose qui clouent la vieille dame aux yeux charbonneux dans son appartement parisien, d'où elle écrira ses derniers livres, en compagnie de ses derniers animaux, notamment une belle chatte chartreux dont les grands yeux ont été immortalisés sur quelques clichés au début des années 1950.
Mais Colette a vécu 81 ans : c'est encore une belle vie aujourd'hui et c'était une fameuse longévité en son temps. Entre 1873 et 1954, il s'est passé beaucoup de choses. En moins de deux-cents pages, vous vous doutez bien que Colette à la plage ne pourra pas parler de tout ni même entrer dans les détails - ou du moins, pas dans tous les détails. Il faudra choisir et sélectionner mais le point de vue de Marie-Odile André est malgré tout intéressant. Ici, c'est surtout l'oeuvre et la carrière qui sont décortiquées. Certes, elles sont souvent intrinsèquement liées, chez Colette, à la vie privée : comment aborder la naissance des Claudine, ses premiers livres qui furent un grand succès éditorial, sans parler de la figure de mentor de son premier mari, Henry Gauthier-Villars, dit Willy ? Comment ne pas parler de sa relation homosexuelle avec Missy (Mathilde de Morny), dont elle partagera la scène dans plusieurs mimodrames, notamment le scandaleux Rêve d'Egypte en 1907 ? Mais Marie-Odile André s'attarde plus sur l'apport du privé à l'oeuvre, à la nourriture que la vie de Colette, ses mariages, ses idylles, sa maternité, sa relation filiale également avec Sido, figure tutélaire de la maternité, son rapport au corps apporteront à ses romans et autres nouvelles et articles.
Ne vous fiez pas à la couverture estivale et au titre, qui peut apparaître léger : ce petit livre qui compte à peine deux-cent pas cache bien son jeu et j'ai été assez surprise en le commençant de le trouver si ardu. Je pense que je ne m'attendais pas à un propos aussi ambitieux et surtout, assez versé dans une certaine analyse philosophique voire psychologique qui m'a perdue par moments. Certes, c'est particulièrement intéressant mais le style riche et dense m'a demandé beaucoup de concentration, peut-être à un moment où je n'en avais pas tant que ça à revendre et que c'est pour ça que j'ai trouvé cette lecture finalement très intéressante mais, en même temps, assez fastidieuse. Il m'a parfois fallu revenir en arrière, relire des passages entiers car je me rendais compte que je ne comprenais pas ce que je lisais et ce n'est pas une sensation que j'apprécie. En parallèle, certains chapitres m'accrochaient bien et je les lisais sans trop de mal.
Je ressors donc de cette lecture avec un certain sentiment d'inégalité. C'était intéressant et j'ai été assez agréablement surprise de voir qu'en si peu de pages, l'autrice parvient malgré tout à saisir l'essence même d'une oeuvre que j'ai toujours ressentie, personnellement, comme assez insaisissable, difficilement explicable. Il est difficile de placer Colette et ses écrits dans des cases et si Marie-Odile André évite habilement cet écueil, elle nous livre une analyse fine d'une femme, qui fut autrice en son temps mais pas que.
Clairement, ce n'est pas un livre de plage, malgré ce que pourrait en laisser penser le titre. Ce n'est pas une lecture facile, ni une lecture estivale vite lue et vite oubliée. Riche, le propos ne manquera certainement pas de vous capter si, comme moi, vous aimez Colette...et peut-être même si vous l'aimez moins, ce livre vous la rendra un peu plus accessible.Sidonie Landoy, mère de Colette, devenue la figure littéraire Sido, mère tutélaire et presque mythique comme la maison natale de Saint-Sauveur qui devient un motif récurrent de l'oeuvre
En Bref :
Les + : un petit livre original mais qui cache bien son jeu...derrière sa couverture et son titre estivaux, il cache une analyse assez fine de l'oeuvre de Colette mais aussi de la femme.
Les - : un sentiment d'inégalité et des passages un peu trop philosophiques que j'ai trouvés parfois assez ardus à lire. Le style de Marie-Odile André est ambitieux et rigoureux, c'est celui d'une chercheuse et il faut s'y habituer.
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Par ALittleBit le 21 Mai 2023 à 10:05
« Tous ces couples ont en commun une histoire mouvementée et souvent romanesque. Aux amateurs de romans, on ne saurait trop conseiller de lire l'Histoire. Elle ne déçoit jamais. »
Publié en 2020
Éditions Perrin
365 pages
Résumé :
Dans toutes les dynasties impériales, royales ou princières se distinguent des couples régnants ou proches de l'exercice du pouvoir sur lesquels le destin semble s'être acharné. Parfois, c'est un mariage non conforme aux usages qui peut déclencher la tragédie : Inès de Castro et dom Pedro du Portugal, le roi des Belges Léopold III et la princesse Lilian de Réthy, l'archiduc François-Ferdinand de Habsbourg et son épouse Sophie.
Parfois, c'est la mort brutale d'un des deux époux qui fait du survivant ou de la survivante un héros ou une héroïne de tragédie. Marie Stuart, jeune veuve d'un roi de France, tentera de reconquérir son royaume d'Ecosse. Catherine II, veuve de Pierre III Romanov (un veuvage dont elle ne passe pas pour innocente), deviendra impératrice de Russie. Egalement veuve, la duchesse de Berry tentera de reconquérir le trône des Bourbons pour son fils.
Parfois, enfin, la tragédie s'abat sur le couple. Louis XVI et Marie-Antoinette sont victimes de de la Révolution. En Autriche-Hongrie, l'empereur Charles et l'impératrice Zita sont broyés par la Première guerre mondiale. Le shah d'Iran et son épouse l'impératrice Farah sont condamnés à une terrible errance à cause de la révolution islamique.
Tous ces couples ont en commun une histoire mouvementée et souvent romanesque. Aux amateurs de romans, on ne saurait trop conseiller de lire l'Histoire. Elle ne déçoit jamais.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
L’Histoire du monde est émaillée de destinées grandioses et tragiques, parfois les deux en même temps. Certains de ces destins se joueront à deux et des hommes et des femmes se trouveront soudainement réunis dans une même funeste destinée.
C’est ce que se propose de nous raconter ici l’historien Jean des Cars, qui m’avait déjà précédemment régalée avec ses biographies de Sissi ou encore de l’impératrice Eugénie de Montijo, qui m’avait aussi captivée avec ses sagas des grandes lignées européennes : La saga des Habsbourg, La saga des Windsor et La saga des Romanov.
Du Moyen Âge à l’époque contemporaine, de l’Allemagne en passant par l’Italie, l’Albanie, le Portugal ou encore l’Écosse et la Belgique, l’auteur nous fait découvrir ou redécouvrir les destins conjoints et dramatiques de couples nés manifestement sous une mauvaise étoile.
On ne s’étonnera pas de trouver dans ce livre un chapitre consacré à Louis XVI et Marie-Antoinette, peut-être le couple le plus tragique de l’Histoire de France. On ne sera pas non plus surpris de retrouver ici Charles Ier d’Autriche et son épouse Zita ou encore, plus proche de nous, le shah d’Iran et son épouse Farah, dont l’exil hors d’Iran se transformera en une longue errance à travers le monde…en revanche, on découvrira avec peut-être plus de curiosité le terrible destin d’Inès de Castro, couronnée de manière…posthume par son grand amour le roi Pierre le Cruel qui n’avait pu l’épouser de son vivant et lui rendra justice presque 15 ans après sa mort ou encore l’histoire passionnée mais vouée à l’échec de Napoléon Ier de la jolie Polonaise Marie Walevska, dont il tomba éperdument amoureux, qui lui donnera un fils, mais dont les revers militaires le sépareront irrémédiablement. On s’affligera de l’horrible issue du bref rêve mexicain des souverains européens du XIXème siècle, qui coûtera la vie à Maximilien d’Autriche, malheureux frère de François-Joseph et l’équilibre psychique de son épouse, la pauvre princesse Charlotte de Belgique. On frissonnera en parvenant au chapitre traitant du mariage du duc d’Alençon et de Sophie de Bavière, dont on connaît la mort affreuse le 4 mai 1897 au cœur de l’incendie du Bazar de la Charité et qui disparaît de manière particulièrement brutale, comme sa sœur Sissi, un an et demi plus tard…La séparation de la famille royale au Temple, en janvier 1793
Cela dit, j’ai été surprise de voir que Nicolas II et son épouse Alexandra Fedorovna étaient absents de ce livre alors qu’ils incarnent selon moi la quintessence (si l’on peut dire) du couple tragique. Mais l’auteur a pris le parti de mettre en avant d’autres personnages peut-être moins connus comme le roi d’Albanie Zog Ier et son épouse Géraldine et c’est aussi une approche cohérente et compréhensible.
Bref, Des couples tragiques de l’histoire est un pur de livre de non-fiction et qui, pourtant, se lit aussi bien qu’un roman.
J’ai déploré que l’époque contemporaine soit sur-représentée, au détriment d’époques plus lointaines (ainsi, deux chapitres seulement sont consacrés au Moyen Âge et à la Renaissance, avec la relation des destins d’Inès de Castro et le roi Pierre du Portugal et de François II et Marie Stuart alors que j’aurais pu trouver intéressant d’y voir Isabeau de Bavière et Charles VI par exemple) mais, pour autant, je ne me suis pas ennuyée. Bien évidemment, dans un livre comme celui-ci, l’auteur ne s’attarde pas et devra obligatoirement synthétiser et opérer des coupes car il ne pourra pas tout dire, ni restituer entièrement le contexte. Mais cela peut être une bonne introduction ou un bon rappel et ce n’est jamais déplaisant de se rafraîchir la mémoire, surtout en Histoire.
Chaleureuse et fluide, la plume de Jean des Cars offre un récit agréable à lire et les presque 400 pages passent à une vitesse folle. Si ce n’est pas le meilleur de l’auteur que j’aie pu lire, malgré tout, j’ai passé un bon moment car naviguer ainsi dans l’Histoire reste l’un de mes plus grands plaisirs.Maximilien du Mexique et son épouse Charlotte : lui finira exécuté après quelques années de règne catastrophique, elle rentrera en Europe où elle finira ses jours entièrement folle et paranoïaque, persuadée qu'on veut la tuer
En Bref :
Les + : ce livre-catalogue, récit de nombreux destins, du Moyen Âge à nos jours, de ces couples tragiques qui ont émaillé l'Histoire du monde, est une lecture plaisante, servie par le style chaleureux de Jean des Cars, dont les ouvrages se lisent comme des romans, la fiabilité historique en plus.
Les - : je déplore que l'époque contemporaine ait été sur-représentée, aux dépens d'époques plus anciennes et que les chapitres aient (parfois) été un peu légers.
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Par ALittleBit le 3 Décembre 2022 à 19:13
« Le duel est parfois inutile, imbécile, futile, inepte, désastreux mais, n'en déplaise au grand Cardinal, les mousquetaires avaient raison : le duel dans l'Histoire et la politique, est le dernier refuge de la liberté. »
Publié en 2014
Editions Perrin (en partenariat avec Le Figaro Magazine)
380 pages
Résumé :
La France s'est construite par le conflit, qu'il soit extérieur (la guerre) ou intérieur. Notre histoire regorge de rivalités, célèbres ou oubliées, opposant jusqu'à la haine des individualités d'envergure souvent proches par leurs idées, mais antinomiques par leurs ambitions et leurs caractères. Ces grands duels sont non seulement passionnants - ils conjuguent complots, crises, affaires, coups bas et même assassinats -, mais aussi décisifs par leurs conséquences politiques.
Aucun ouvrage collectif ne leur a jamais été consacré. Cette lacune est enfin comblée grâce à ce livre-chapitres ambitieux qui réunit les meilleurs historiens actuels et les plus belles plumes du Figaro.
De Louis XI contre Charles le Téméraire au combat entre Nicolas Sarkozy et François Fillon, en passant par les affrontements d'anthologie - Louis XIV-Fouquet, Danton-Robespierre, Talleyrand-Fouché, Clemenceau-Poincaré, Pétain-de Gaulle -, voici le récit des vingt plus célèbres d'entre eux ; vingt histoires qui ont fait et font la France.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
La politique est vieille comme le monde, ou presque. Et les duels qui l'accompagnent fatalement ont fini par lui devenir consubstantiels.
Parce que la politique induit le pouvoir et que ce dernier fascine irrémédiablement et attire de même, forcément des rivalités naissent, entraînant le choc de titans d'envergure égale ou bien de personnalités à l'opposé l'une de l'autre. Que ces duels soient ceux d'ennemis de même force et combattant pour les mêmes idéaux ou d'adversaires d'influences et de caractères différents, ils sont pourtant amenés à marquer durablement l'Histoire et, d'une certaine manière, à la faire : que ce serait-il passé si Charles le Téméraire, au XVème siècle, n'était pas mort sous les murs de Nancy en janvier 1477 et était parvenu à imposer sa loi à l'« Universelle Araigne », le roi de France Louis XI ? La Bourgogne serait-elle un royaume indépendant aujourd'hui et un pays à part entière ? Que serait-il arrivé si Fouquet avait été victorieux de Colbert ? La société française du XVIIème siècle aurait-elle pris le tour amorcé par celui que l'on associe à l'expansion du commerce et du mercantilisme ? La Révolution aurait-elle vu sa face changée si Robespierre avait été le perdant contre le tribun Danton ? Probablement pas. Parce que ces événements, à l'instar d'une guerre extérieure, peuvent modifier l'Histoire d'un pays et la marquer durablement, il est important d'en parler et de les étudier.
Ce livre, produit à l'instigation de deux auteurs, Jean-Christophe Buisson (1917 : l'année qui a changé le monde) et Alexis Brézet, historien spécialiste des Balkans et du monde slave pour le premier et directeur des rédactions du Figaro pour le second, réunit les meilleurs historiens actuels, de George Minois à Thierry Lentz en passant par Simone Bertière, Jean-Christian Petitfils ou encore, Patrice Gueniffey.
Livre-catalogue ou livre-chapitres, comme cela est dit dans le résumé, ce livre est chronologique et thématique à la fois : déroulant l'histoire de ces duels majeurs du XVème siècle à nos jours, chacun des chapitres est écrit par un historien de référence pour la période. Ainsi, le duel de Louis XI et du duc de Bourgogne est-il traité par George Minois, médiéviste de référence, tandis que l'on retrouve Simone Bertière aux commandes de l'article traitant du duel entre Marie Médicis et Richelieu (ce qui paraît assez logique quand on sait qu'on lui doit l'essai Louis XIII et Richelieu : la malentente, mettant en avant une relation bien plus nuancée et conflictuelle qu'on n'a bien voulu le dire entre le père de Louis XIV et son grand ministre).
C'est passionnant mais exigeant et ce livre nécessite d'avoir une bonne connaissance des contextes traités, ou bien de faire des recherches en parallèle - si cela ne vous fait pas peur, alors vous pouvez vous lancer. Si vous aimez avoir toutes les clés en main sans avoir forcément à quitter votre lecture pour la compléter, mieux vaut passer votre chemin. Si vous aimez l'Histoire mais sans plus, assurément ce livre risquera de vous ennuyer. Il nécessite aussi une bonne concentration tout au long de sa lecture et j'avoue être parfois revenue en arrière parce qu'un événement ou le déroulement d'un événement m'avaient échappé et je ne comprenais plus tout. Mais dans l'ensemble, j'ai beaucoup aimé cette lecture qui m'aura accompagnée près de quinze jours : je ne regrette pas de lui avoir consacré ce temps, car la lire moins vite aurait été la bâcler ou du moins, prendre le risque de ne pas tout comprendre et de passer à côté.L'assassinat du duc Henri de Guise par les gardes du corps d'Henri III, les célèbres Quarante-Cinq (tableau de Paul Delaroche, XIXème siècle)
Un peu déçue au départ que le Moyen Âge soit sous représenté au profit de l'Histoire contemporaine voire de l'Histoire immédiate, j'ai finalement, contre toute attente, été captivée par les chapitres consacrés aux duels Giscard-Chirac ou encore, Sarkozy-Villepin, car ils font écho à des événements bien plus proches de nous dans le temps et qui nous parlent forcément, qu'on soit amateur d'Histoire ou pas. L'avènement de la télévision et son immixtion dans le monde politique ont ainsi permis à chaque Français, grâce à des images fortes ou diffusées et rediffusées, de se créer une propre galerie d'images et de moments forts gravés sur pellicule, alors que des époques plus anciennes peuvent paraître, de fait, plus nébuleuses et floues.
Pour autant, chacun de ces chapitres est intéressant et démontre que dans tout duel souvent, survient le deuil d'une possible entente ou d'attentes déçues : alors que la Seconde guerre mondiale et l'image que nous en avons renvoient dos à dos Pétain et de Gaulle, synonymes respectivement de la collaboration et de la Résistance, on oublie que les deux hommes furent proches avant de s'éloigner, le plus âgé (Pétain) concernant le plus jeune (de Gaulle), militaire intelligent et prometteur, comme un fils spirituel. On pourra s'étonner de la rivalité de Giscard d'Estaing et de Chirac, pourtant du même bord politique et défendant donc, théoriquement, les mêmes idéaux et les mêmes valeurs.
En revanche, on comprendra mieux le désir d'un jeune roi qui n'est pas encore l'incarnation du Soleil (Louis XIV) de se débarrasser d'un ministre trop ambitieux et qui pourrait concurrencer celui qui, à l'instar de l'astre diurne, ne tolérera jamais que l'on s'élève à sa hauteur. Dans le contexte de centralisation et d'unification du royaume de France, fragilisé par cent-seize ans de guerre avec son ennemie héréditaire, l'Angleterre, à la fin du XVème siècle, on ne pourra s'étonner du duel à mort entamé par Louis XI, souverain souffrant d'une légende noire tenace mais pourtant gouvernant sans pareil, contre le dangereux duc de Bourgogne, réunissant sous sa bannière trop de territoires et une ambition concurrente qu'il doit faire taire car dans ce contexte de la course au pouvoir, le sien et celui du duc Charles, par ailleurs, son parent, ne pouvaient cohabiter. Parfois, certains duels auraient pu être évités...d'autres sont inévitables et font s'entrechoquer les boucliers de titans qui font trembler et vaciller la France. Quant à Clemenceau et Poincaré, si on peut déplorer que les qualités de ce dernier aient été largement éclipsées par l'aura du Tigre, on ne sera pas surpris que le grand Georges, figure tutélaire de la politique française de la IIIème République, sorte vainqueur du combat subtil, fait de discours, de petites phrases et d'articles de journaux, remporte le bataille haut à la main, laissant son rival KO sur le ring sans concessions de la politique nationale : pouvait-on en attendre moins de celui qui osa, à la mort du président Félix Faure, en 1899, une oraison funèbre aussi savoureuse et truculente qu'osée voire carrément vulgaire ?
Duels guerriers, duels d'intelligence, duels de tribuns : l'Histoire de France regorge de ces affrontements parfois sanglants et qui, pour certains, allèrent effectivement jusqu'à la mort de l'un des adversaires (Robespierre fera condamner Danton à être guillotiné, Henri III fera assassiner traîtreusement le trop puissant et populaire duc de Guise). Si certains sont savoureux, d'autres sont tragiques mais marquèrent leur époque et, quelque part, en furent le reflet.La « Journée des Dupes » met, en 1630, un terme au violent affrontement opposant Marie de Médicis, ancienne régente et le cardinal de Richelieu : on oublie que ce dernier fut d'abord un protégé de la reine-mère avant de devenir principal ministre de Louis XIII
En Bref :
Les + : technique mais passionnant, ce livre nécessite pas mal de concentration mais c'est une lecture qui saura séduire tous les amateurs d'histoire.
Les -: pas forcément de points négatifs à soulever. Certains chapitres sont plus captivants que d'autres mais ceci est totalement subjectif évidemment.
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Par ALittleBit le 28 Août 2022 à 11:08
« Je crois à l'éducation du manteau de la cheminée. Lorsqu'on a passé son enfance à entendre les principes d'une saine morale, simplement professés, et à les voir sans cesse mettre en pratique, il se forme autour d'une jeune personne un réseau d'adamant dont elle ne sent ni le poids ni la force mais qui devient comme une seconde nature. »
Publié en 1999
Date de parution originale : entre 1921 et 1923 en texte intégral
Éditions du Mercure du France (collection Le temps retrouvé)
764 pages
Premier tome des Mémoires de la comtesse de Boigne
Résumé :
Couvrant près de soixante-dix ans, les Mémoires de la comtesse de Boigne occupent une place à part dans la littérature de souvenirs, ne serait-ce que par la richesse de leur information et la qualité exceptionnelle de leur style. Document irremplaçable sur toute la période qui va des dernières années de l'Ancien Régime à la révolution de 1848, ces Mémoires ont fait de la comtesse de Boigne, depuis leur première publication en 1907, un personnage quasi mythique. Elle passe pour le caustique avocat du diable de tous les procès en canonisation de ses contemporains, la plus célèbre de ses victimes étant Chateaubriand. Ces Mémoires sont également l’œuvre d'une extraordinaire psychologue, impitoyablement lucide, qui démonte les rouages d'une société qu'elle a si bien observée et dénonce sans relâche la bêtise de sa classe sociale. Proust, qui en fut l'un des premiers lecteurs, s'enthousiasma pour les Mémoires de la comtesse de Boigne dont il salua la publication et dont il s'inspira directement pour son œuvre personnelle.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Si vous aimez le XVIIIème siècle, vous avez déjà sûrement croisé le nom d’Adèle d’Osmond, comtesse de Boigne, qui se vante dans ses mémoires, d’avoir été « élevée sur les genoux de la reine Marie-Antoinette ». A l’instar de Saint-Simon qu’il est difficile de ne pas citer lorsqu’on parle du règne de Louis XIV, le souvenir de la comtesse de Boigne est souvent convoqué par les historiens lorsqu’il s’agit d’évoquer le règne de Louis XVI, mais aussi la Révolution, l’Empire et la Restauration, jusqu’à la monarchie de Juillet.
Adèle d’Osmond, qui devient comtesse de Boigne par son mariage en 1798, est aussi connue pour avoir la dent dure et égratigner plus souvent qu’à son tour ses contemporains d’une plume acérée et efficace et notamment son contemporain Chateaubriand, autre célèbre mémorialiste.
Publiés entre 1921 et 1923 à la suite d’une longue bataille judiciaire (en effet, les ancêtres de certains personnages peu ménagés par la comtesse de Boigne dans ses Mémoires, demandaient le retrait de la vente des volumes), ses célèbres Mémoires, rassemblés ici en deux volumes par Le Mercure de France, n’auraient normalement pas dû dépasser le cercle familial : en effet, la comtesse de Boigne, sous la monarchie de Juillet, entreprend de les rédiger pour ses neveux, sous le titre très simple de Récits d’une tante. Au départ, ses mémoires ne devaient pas être lus par le grand public et n’étaient pas destinés à être publiés.
Découverts avec enthousiasme au début du XXème siècle, les Récits d’une tante d’Adèle d’Osmond ont été lus avec délices par Marcel Proust (dans une version expurgée publiée en 1907-1908), qui s’en inspira pour A la recherche du temps perdu et prit la comtesse de Boigne pour modèle de son personnage de Mme de Villeparisis.
Née en 1781, Adèle d’Osmond est la fille de René Eustache, quatrième marquis d’Osmond et d’Eléonore Dillon, d’origine irlandaise. Par son père, elle est issue de la bonne noblesse française, installée dans les colonies : en effet, son père est né en 1751 à Saint-Domingue, l’une des plus florissantes colonies antillaises françaises au XVIIIème siècle. Il fut ensuite envoyé en France par son propre père pour y parfaire son éducation de gentilhomme et fera une carrière dans la diplomatie, en occupant notamment le poste d’ambassadeur de Londres sous Louis XVIII, à la fin des années 1810.
Lorsque Adèle naît, au début des années 1780, on ne sait pas encore que la monarchie est moribonde et n’a plus qu’une dizaine d’années à vivre. Ses parents sont proches du cercle des tantes du roi, Mesdames Adélaïde et Victoire : élevée près d’eux, ce qui est plutôt rare à l’époque et dans ce milieu, la petite fille va être amenée à fréquenter la famille royale et notamment les enfants du couple royal. Contemporaine du premier Dauphin, le petit prince Louis-Joseph, mort à Meudon en juin 1789, elle sera sa compagne de jeu et connaîtra aussi dans leur prime enfance Madame Royale et le petit prince Louis-Charles, le malheureux Louis XVII. Prise très au sérieux par son père, l’éducation d’Adèle est soignée et relativement poussée pour l’époque, la jeune fille étant notamment initiée par son père aux subtilités de la politique et de l’économie.
Mais l’insouciance sera de courte durée : la petite Adèle a huit ans quand éclate la Révolution. La proximité de ses parents avec la famille royale et notamment le cercle des tantes du roi, décide René Eustache et Eléonore d’Osmond à quitter le pays et à émigrer. Adèle expérimente donc ainsi avec ses parents la vie itinérante pendant quelques mois avant que les Osmond ne se fixent à Londres, où la jeune fille va passer la fin de l’enfance et les primes années de son adolescence. Elle n’a pas encore vingt ans lorsque, en 1798, elle épouse Benoît de Boigne, aventurier d’origine savoyarde et de trente ans son aîné, avec lequel elle entretient dès les noces des liens si distendus que le couple ne tarde pas, d’un commun accord, à se séparer. Proche de ses parents et tout particulièrement de son père (la comtesse de Boigne dira d’ailleurs dans ses Mémoires que son époux concevait une véritable jalousie de la relation privilégiée qu’elle entretenait avec son père), laissée libre par son époux revenu s’établir en Savoie dès 1802, Adèle suivra les d’Osmond à Turin puis Londres lorsque son père sera nommé ambassadeur et partagera longuement leur existence. Revenue en France sous l’Empire, malgré son royalisme (mâtiné toutefois de libéralisme anglais, du fait des longues années passées outre-Manche), elle se lie notamment avec Mme de Staël et Mme Récamier.
Témoin de premier choix d’une époque riche et pleine de bouleversements, il aurait été dommage que les Mémoires de la comtesse de Boigne ne restent qu’une « affaire de famille » et ne soient pas diffusés au grand public.
Dans ce premier tome, la comtesse se consacre à la fin du XVIIIème siècle et aux vingt premières années du XIXème. Par sa naissance illustre, sa proximité avec la famille royale puis avec la famille d’Orléans, ses activités de salonnière, Adèle de Boigne touche du doigt les cercles du pouvoir et y côtoie les grands de ce monde. Loin de s’étendre sur sa propre vie, même si évidemment, il est difficile de ne pas partager ses souvenirs, essayant le plus possible de faire preuve d’objectivité, la comtesse s’attelle à la rédaction d’un récit dense, riche d’événements et de personnages (on y croise ainsi Louis XVI, Marie-Antoinette, des révolutionnaires, des généraux d'Empire, l'Empereur Napoléon lui-même, le vieux roi George III et ses enfants, Louis XVIII, ses neveux et nièces, les diplomates, les hommes politiques, les salonnières...). Sa plume est-elle si acérée comme on le dit souvent ? Dans ce premier volume, je ne l’ai pas trouvée aussi tranchante qu’on n’a bien voulu le dire même si, forte de son éducation « à l’anglaise », Adèle ne s’embarrasse pas de circonlocutions et appelle un chat, un chat.
Ce qu’on retient surtout, c’est le récit : s’il est difficile, quand on a lu Chateaubriand précédemment, de ne pas comparer les célèbres Mémoires d’Outre-tombe et ceux d’Adèle de Boigne, on se rend compte assez vite qu’ils sont très différents. Évidemment, en tant que femme, la comtesse ne peut accéder à la carrière politique et diplomatique qui sera celle de Chateaubriand…ce n’est donc pas à travers le même prisme que les deux mémorialistes voient et analysent les mêmes événements. Enfin, s’ils partagent une même sensibilité royaliste, la comtesse sera bien moins légitimiste forcenée que son illustre homologue breton.Portrait de la comtesse de Boigne par Jean-Baptiste Isabey (XIXème siècle)
Cette lecture est exigeante et demande une véritable concentration. On ne lit pas des Mémoires, à plus forte raison vieux de plus de cent-cinquante ans et écrits dans un langage très soutenu qui n’est plus le nôtre, aussi vite qu’un roman. Mais je me suis souvent fait la réflexion, au cours de cette lecture, que j’aime de plus en plus les Mémoires, notamment parce qu’ils sont un bon complément aux biographies historiques, que j’apprécie aussi de lire régulièrement.
Alors je ne vous dirais pas que j’ai toujours été captivée et que ce fut une lecture fluide de bout en bout. Il y a certains passages qui m’ont paru plus flous, plus obscurs que d’autres. Pour autant, j’ai pris plaisir à lire ce premier volume, même si j’y ai passé près de trois semaines (oui, oui : si vous aimez lire vite, passez votre chemin). La comtesse de Boigne écrit très bien et j’ai apprécié qu’elle se mette volontairement de côté pour ne se concentrer que sur les événements, les personnages, la description du quotidien dans les Cours de France ou d’Angleterre ou, de façon plus large, la société à Londres ou Paris. Il n’est pas évident de se laisser ainsi volontairement au bord du chemin, alors qu’il est tentant (et assez humain, il faut bien le dire) de raconter sa vie et de céder à l’égocentrisme. J’ai été aussi sensible au fait que la comtesse de Boigne rappelle bien souvent qu’elle essaiera, dans la mesure du possible, d’être objective, ce qui aujourd’hui est l’un des principes de l’historien, qui doit toujours manipuler les sources avec recul et circonspection. Évidemment que la comtesse n’est pas toujours objective et ne peut pas l’être ! En tant que royaliste, elle ne sera évidemment pas une admiratrice fanatique de Napoléon et de l’Empire…et pourtant, bien souvent, la comtesse a une subtilité et une finesse politique suffisamment fortes pour analyser les choses avec justesse, au-delà des luttes de partis et des sensibilités personnelles et rendre à César ce qui est à César : on peut être royaliste et condamner les agissements du parti (notamment les ultras menés par Monsieur), tout en relevant et louant le comportement honorable des Impériaux, quand cela est le cas et doit être souligné, sans se draper dans une fausse loyauté qui pourrait passer pour de la mauvaise foi. J’ai ainsi retrouvé ce récit nuancé que j’avais déjà pu trouver chez Mme d’Oberkirch, par exemple, proche de Marie-Antoinette et qui analysa sans indulgence les excès de la fin de la monarchie et les faux-pas qui finirent par mener à la détestation et ce, malgré son amitié pour la reine de France.
Adèle de Boigne nous offre ainsi un récit plein de rigueur, qui peut être sans nul doute considéré comme une source de premier plan, à l’instar de Châteaubriand. Même si je vais attendre un peu, je sais d’ores et déjà que c’est avec plaisir et intérêt que je lirai le deuxième volume, consacré au règne de Charles X (marqué par la toute-puissance du parti ultra, qui mènera à la Révolution de 1830) et à la Monarchie de Juillet.En Bref :
Les + : une lecture dense mais exigeante...J'y ai passé du temps mais je ne regrette pas. La comtesse de Boigne mérite d'être considérée au rang des meilleurs mémorialistes français, offrant un récit nuancé et agréable à lire.
Les - : pas vraiment de points négatifs à soulever. J'ai vraiment eu l'impression de lire une source historique de premier plan.
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Envie de découvrir d'autres célèbres mémorialistes ?
Découvrez mon billet sur les Mémoires de la baronne d'Oberkirch juste ici.
Et mes billets sur les monumentaux Mémoires de Chateaubriand :
- Mémoires d'outre-tombe, livres I à XII
- Mémoires d'outre-tombe, livres XIII à XXIV
- Mémoires d'outre-tombe, livres XXV à XXXIII
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