• « Elles ont créé, quand d'autres auraient voulu mourir. Pour cela, elles ne sont pas des exemples à suivre mais des lueurs à guetter - des occasions de lumière. »

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

     

     

      Publié en 2019

     Editions 10/18 (collection Domaine Français)

     264 pages 

     

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Les sœurs Brontë sont un mystère. Isolées du monde, filles d’un pasteur de village, elles ont révolutionné l’histoire littéraire en publiant, sous pseudonymes masculins, des romans brûlants d’amour et de vie comme Jane Eyre et Les Hauts de Hurlevent

    Haworth, 1836. Dans les landes du Yorkshire, Charlotte (20 ans), Emily (18 ans) et Anne (16 ans) écrivent à la lumière de la bougie. Comment ces jeunes femmes de condition modeste, sans relations ni entregent, vont-elles devenir des auteurs qui comptent ? Quel rôle tient leur frère Branwell, artiste raté, dans cette fratrie à la fois soudée et rongée par les non-dits ? Partie sur les traces des sœurs Brontë, Laura El Makki nous plonge dans leur intimité, leurs alliances, leurs déchirements, et nous raconte le destin de trois femmes aux prises avec l’adversité, qui ont su trouver en elles la force d’exister.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand j'évoque les soeurs Brontë, je pense aussitôt aux landes désolées du nord de l'Angleterre, battues par les vents, le presbyère de Haworth, où les trois sœurs ont grandi et où toutes les fenêtres donnent sur le cimetière aménagé juste devant la maison, comme un entêtant et permanent memento mori. C'est une ambiance noire, gothique et romantique qui me vient immédiatement à l'esprit. Est-ce dû à ce cadre de vie si particulier, la campagne isolée du Yorkshire et l'austérité de la maison d'enfance ou bien au tragique qui semble consubstantiel à la fratrie Brontë ? Peut-être un peu des deux. Ce qui est sûr, c'est que les existences avortées de Charlotte et de ses sœurs Emily et Anne, dans leur fragilité, la brutalité de la fin, ont quelque chose de fascinant. Et que dire de ce talent littéraire, de cette détermination de trois jeunes femmes issues d'un milieu modeste et que rien ne prédestine à devenir des écrivains, de cette envie qui les pousse, irrésistiblement, vers la plume et leur fera écrire certains des plus beaux textes de la littérature anglaise du XIXème siècle ? Pendant que les femmes de leur génération, mariées et mères de famille, accouchent chaque année ou presque d'un nouvel enfant, un enfant qui, dans les milieux les plus modestes se retrouvera parfois tout jeune dans les usines que l'industrialisation galopante de l'Angleterre fait surgir du sol, les sœurs Brontë, elles, donnent naissance à des mondes, des personnages, qui deviendront inoubliables : qui aujourd'hui, n'a jamais entendu parler de Heathcliff, de Jane Eyre ou de Mr. Rochester ?
    Grâce au livre de Laura El Makki, qui est court mais idéal pour moi qui au final n'en savait pas beaucoup sur ces trois talentueuses sœurs, j'ai pu replacer chacune d'elles dans leur contexte, leur vie personnelle, en les individualisant. Les sœurs Brontë ne sont plus seulement une entité un peu étrange, un peu monstrueuse -un écrivain à trois têtes- mais trois femmes qui ont eu chacune une existence à elle, qu'elles mèneront en parallèle de celles de leurs sœurs, certes, mais qu'elles mèneront surtout comme elles l'entendent et selon leurs caractères. Chacune a son univers littéraire et sa manière d'écrire comme chacune aura sa vie.
    D'abord, l'auteure remonte aux sources, en Irlande, où naît le père, Patrick Brontë, à la fin du XVIIIème siècle. Pasteur, il exercera son ministère dans plusieurs paroisses anglaises avant de rencontrer celle qui deviendra son épouse et la mère de ses enfants, Maria Branwell et de s'installer à Haworth, après la naissance des premiers enfants. On l'oublie souvent parce que lorsqu'on prononce le nom de Brontë, c'est, évidemment, les prénoms de Charlotte, Emily et Anne qui nous viennent à l'esprit, mais au départ, c'est une fratrie de six enfants que mettent au monde Patrick et Maria. Cinq filles naissent, Maria, Elizabeth, Charlotte, Emily et Anne et un fils, Branwell. Maria meurt vingt mois seulement après la naissance de sa petite dernière, Anne, qui portera toute sa vie la culpabilité informulée d'avoir fait mourir sa mère. Quelques années plus tard, les plus jeunes enfants et leur père seront confrontés à deux deuils successifs et rapprochés, avec les disparitions des aînées, Maria et Elizabeth, âgées d'à peine une dizaine d'années. La fratrie se resserre autour du fils unique et des trois sœurs survivants qui vont, dans les couloirs et les grandes salles austères de Haworth, exercer leurs esprits et leur imaginaire, commencer à écrire, avec des mots d'enfants, de petits recueils qui seront regroupés en un ensemble appelé Juvenilia. L'enfance et la jeunesse des Brontë sera celles de beaucoup de jeunes gens nés à la charnière des époques géorgienne et victorienne : ni trop pauvres ni très riches, rejetons d'un pasteur de campagne modeste, les filles seront éduquées dans des écoles rigoristes avant de retrouver le calme et le confort de la maison familiale, qu'elles ne quitteront jamais. Branwell, le fils, l'unique, celui en qui le père fonde ses espoirs -ce qui sera très lourd à porter pour ce jeune homme qui ne cessera jamais de se chercher et mourra s'en s'être trouvé au début de la trentaine-, se targue d'être un artiste, peintre ou poète, il ne sait pas trop. Lui non plus n'aura pas la chance de s'extirper de cette sorte de malédiction familiale qui condamne chacun des enfants à mourir plus ou moins jeune. Il ne survivra pas à ses sœurs et ne deviendra jamais un artiste accompli. Aujourd'hui, même, la célébrité de ses trois sœurs l'éclipse entièrement.
    On découvre leurs premiers emplois de jeunesse, souvent de gouvernantes, qui inspireront notamment Anne pour son roman Agnes Grey. Des emplois qui ne satisfont pas vraiment les sœurs, toujours en quête d'une sorte d'idéal de vie. Cet idéal, elles le trouveront en prenant de nouveau la plume. Chaque soir, après le dîner, elles se mettent à écrire, mélangeant fiction et réalité et c'est ainsi qu'elles accèdent à la célébrité, sous pseudonyme toutefois, car en plein cœur du XIXème siècle, on fait mieux carrière sous un nom masculin : les trois sœurs Brontë deviennent les frères Bell, Currer, Ellis et Acton.

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    Charlotte, Emily et Anne représentée par leur frère Branwell sur le portrait dit au pilier (détail, 1833).


    Emily ne publiera jamais que Les Hauts de Hurlevent, qui sera un monumental succès. Anne, la benjamine, la moins connue des trois, la plus discrète, rédigera Agnes Grey, qui se nourrit de ses propres expériences puis La Dame du Manoir de Wildfell Hall. Charlotte sera la plus prolifique des trois sœurs, celle qui laissera le plus d’œuvres à la postérité : on peut citer entre autres Jane Eyre, son chef-d'oeuvre, Shirley, Le Professeur, Villette... Elle est aussi celle qui survivra aux autres, la dernière rescapée de la fratrie des six enfants Brontë. Elle verra disparaître son frère Branwell et, peu de temps après, Anne et Emily, ses compagnes d'écriture, emportées toutes les deux à quelques mois d'intervalle par la même maladie, cette tuberculose qui est le mal de siècle et décime le monde des lettres et des arts. Elle sera aussi la seule qui fera l'expérience -courte, toutefois- du mariage, en épousant le vicaire de son père. En lisant le livre de Laura el Makki, on a l'impression que Charlotte est celle par qui la chance arrive, par qui la roue pourrait inverser son cours immuable et puis, non. Elle meurt elle aussi, encore jeune, au mois de mars 1855, à l'âge de trente-huit ans. Elle n'était mariée que depuis quelques mois.
    Parce qu'on s'attache aux trois sœurs et aux Brontë en général, on aimerait que le destin ait été plus clément avec eux. On aurait aimé que les trois soeurs puissent jouir chacune de leur célébrité, de leur gloire littéraire chèrement acquise. Si elle avait vécu, peut-être Emily aurait-elle publié un autre roman...si elle avait vécu, peut-être qu'Anne ne serait pas l'éternelle dernière, l'éternelle troisième, délaissée encore aujourd'hui au profit de ses sœurs. Peut-être auraient-elles pu s'affirmer, alors que la mort, en les emportant, a laissé toute latitude à leur sœur survivante de manipuler la réalité et de l'arranger, aussi, comme elle le souhaitait. On aurait aimé que ces talents immenses et si prodigieux ne meurent pas. Et en même temps, ce qui fait aujourd'hui la légende des Brontë, ce qui, peut-être nous les fait lire encore, n'est-ce pas ce sentiment de tragédie, de noirceur, qui les entoure ? Si les sœurs Brontë avaient terminé leur vie en vieilles dames respectables au fin fond du Yorkshire, les lirions-nous encore avec le même sentiment ? Vous, peut-être...moi, pas. J'avoue que cette ambiance gothique qui flotte autour d'elles me passionne et me fascine et que c'est ça qui m'a donné envie de les lire en premier lieu.
    En nous autorisant à pénétrer dans leur intimité, Laura el Makki nous permet surtout de les voir toutes telles qu'elles sont, avec leurs qualités, leur défauts, leur part d'ombre et leurs failles. Les sœurs Brontë redeviennent trois femmes de chair et de sang et plus seulement des noms derrière des œuvres monumentales de notre littérature mondiale.
    Une chose est sûre, en tout cas, c'est que ce livre m'a donné envie de les relire et c'est bien le signe qu'il m'a convaincue. En effet, j'ai pris un grand plaisir à le lire, ne manquait plus qu'un paysage pluvieux derrière un bow-window et je m'y voyais. L'auteure a fait un bon travail de recherches pour suivre les sœurs du Yorkshire à Londres, en passant par Bruxelles. Elle a surtout su, avec beaucoup de douceur et de chaleur, ressusciter ces trois figures mystérieuses et leur environnement avec beaucoup de minutie.
    Si vous aimez les sœurs Brontë ou si vous les découvrez ou bien encore, si vous ne savez rien d'elle, ce livre est assurément fait pour vous

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    Charlie Murphy, Chloe Pirrie et Finn Atkins interprètent Anne, Emily et Charlotte dans le film La Vie des sœurs Brontë, daté de 2017. 

    En Bref :

    Les + : Un livre bien écrit mais accessible, qui décrit et reconstitue minutieusement le cadre de vie et de travail de ces trois talentueuses écrivaines.
    Les : Aucun. Pour moi, ce livre est une très bonne introduction. Sans nul doute, si vous êtes très calé sur les sœurs Brontë, vous n'apprendrez rien de nouveau mais si, comme moi, vous souhaitez les découvrir un peu mieux, ce livre est fait pour vous !

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki 

    Thème de janvier « Sous la couette », 1/12


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  • « Si tout récit de vie est une traversée, celle de Louise Elisabeth Vigée Le Brun l'est à plusieurs titres : périples à travers l'Europe, grand écart d'un siècle à l'autre dans un esprit de curiosité infinie. »

    Louise Elisabeth Vigée Le Brun : Histoire d'un regard ; Geneviève Haroche-Bouzinac

    Publié en 2011

    Editions Flammarion (collection Grandes Biographies)

    688 pages 

    Résumé :

    « Entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves » : ces mots de Chateaubriand semblent avoir été écrits pour elle. Née sous le règne de Louis XV, Louise Elisabeth Vigée Le Brun est témoin des prémices de la Révolution, connaît l'Empire et la Restauration, avant de s'éteindre sous la monarchie de Juillet, dans sa quatre-vingt-septième année. Une longévité exceptionnelle qui accompagne une destinée hors du commun. Artiste précoce et talentueuse, elle pénètre, malgré les obstacles, dans le cercle prestigieux de l'Académie royale de peinture ; ses cachets sont parmi les plus élevés de son temps. Les troubles de la Révolution font d'elle une voyageuse : de l'Italie à la Russie en passant par l'Autriche, dans une Europe dont le français est la langue, elle conquiert à la force du poignet une clientèle princière. Mais les succès ne compensent pas les peines privées : sa fille chérie, Julie, s'oppose à elle, son frère la déçoit, son époux endetté réclame son aide.

    La postérité a retenu l'image du peintre gracieux de Marie-Antoinette ; on sait moins qu'au XIXe siècle, mue par un esprit de curiosité infinie, Mme Vigée Le Brun ouvrit grand son salon à la jeune génération romantique. Exploitant archives, lettres et carnets inédits qui éclairent la vie privée et publique de l'artiste, accordant toute sa place à son oeuvre peint, cette biographie retrace le destin de l'un des plus grands peintres de son époque.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Appréhender Louise Elisabeth Vigée Le Brun à l'aune de sa carrière de portraitiste de la reine Marie-Antoinette serait réducteur et pourtant, ce sont ces œuvres-là qui nous viennent spontanément à l'esprit quand on évoque l'artiste : Marie-Antoinette en robe de gaulle immaculée jouant à la bergère, Marie-Antoinette portant une toilette bleue et tenant une rose dans la main ou encore, le majestueux tableau Marie-Antoinette et ses enfants où la reine de France, quelques années seulement avant la Révolution, pose en robe rouge près d'un berceau vide et accompagnée de ses enfants survivants. Ces années auprès de la reine et des grands de ce monde -elle portraiture la favorite de Marie-Antoinette, Yolande de Polignac, la sœur du roi, Madame Elisabeth, le comte de Provence, l'ancienne favorite de Louis XV, Madame du Barry- ne représentent finalement qu'une décennie et qu'est-ce que dix ans dans une vie, surtout celle de Madame Vigée Le Brun, qui prend fin à près de quatre-vingt-dix ans ? Dix ans, c'est une parenthèse. Mais une parenthèse qui va conditionner toute sa carrière future et modeler la réputation qu'elle se fera au cours des siècles suivants : Elisabeth Vigée-Lebrun est la portraitiste de la reine Marie-Antoinette et, rarement, on va voir plus loin. Ce qui est dommage, parce que quand on prend la peine de s'intéresser à elle, elle est n'est pas que cela, au contraire : elle est bien plus que cela.
    Louise Elisabeth Vigée voit le jour à Paris en 1755, la même année que la reine. Elle est la fille d'un peintre modeste, Louis Vigée et de Jeanne Maissin. Elle a un frère, Etienne, qui sera poète. Placée en nourrice avant de retrouver ses parents à cinq ans puis de suivre une petite scolarité au couvent avant de revenir dans sa famille, où elle va commencer à s'exercer à la peinture, Louise Elisabeth est une issue d'un milieu modeste, la bohème artiste comme le dit Geneviève Haroche-Bouzinac dans sa biographie. Mariée à dix-neuf ans à Jean-Baptiste Pierre Lebrun, marchands de tableaux, elle aura une fille, Julie, avec laquelle elle s'est souvent représentée, sur des tableaux à l'inspiration antique.
    Mais surtout, ce qu'elle aura, c'est une carrière. Et une carrière comme rarement on peut en rêver quand on est une femme et surtout, une femme du XVIIIème siècle. Car la société française est alors encore fortement patriarcale, les femmes sont des mineures, soumises au père, éventuellement au frère puis au mari. Souvent, une femme est considérée à l'aune de la profession de son époux et elle en est entièrement dépendante. Certes, il y'a des femmes instruites et cultivées, les salonnières, par exemple, comme Mmes de Genlis ou de Tencin. La fille du financier Necker, Germaine, connaître la célébrité au début du XIXème siècle avec son roman Corinne ou l'Italie. Mais, contrairement à elles, l'activité de Mme Lebrun est une activité professionnelle...elle est peintre de métier. Et va immanquablement se heurter à la misogynie instinctive qui place les femmes, même les plus talentueuses, au-dessous de leurs confrères masculins.

    Louise Elisabeth Vigée Le Brun : Histoire d'un regard ; Geneviève Haroche-Bouzinac  

    Détail du tableau dit Marie-Antoinette à la rose, peint en 1783


    Pourtant, on ne peut nier le talent d'Elisabeth Louise. On ne peut pas dire qu'elle est une mauvaise peintre, au contraire et, à l'instar de ses confrères masculins, elle a laissé à la postérité une oeuvre importante, de part la diversité et le nombre de tableaux et un regard, une manière de faire qui nous éclairent ce que c'était que d'être un peintre à la fin du XVIIIème siècle et dans les premières décennies du XIXème.
    De Louise Elisabeth Vigée Le Brun, jusqu'ici, je n'avais lu aucune biographie. Elle était un personnage certes important mais que je croisais surtout, au détour d'une biographie de Marie-Antoinette, entre les pages d'un livre plus général sur le XVIIIème siècle...Du coup, même si je savais déjà que son oeuvre ne se résumait effectivement pas qu'à ses portraits de la reine ou de la famille royale, je n'en savais pas grand chose non plus. Grâce à ce livre, j'ai découvert son milieu de naissance, un milieu somme toute assez modeste et qui ne la prédestine pas forcément à devenir un jour le peintre de prédilection de la reine de France. J'ai découvert aussi que son talent n'a pas suffi à faire d'elle ce qu'elle est devenue, parce que Louise Elisabeth Vigée Le Brun était une femme et qu'elle partait déjà avec un lourd handicap, celui de devoir prouver, sans arrêt, parce que la notoriété et la talent féminins ne vont jamais de soi. J'ai découvert une femme bien de son temps, attachée à des convictions dont elle ne variera jamais -certains diront que c'est de la raideur, de l'intransigeance, on peut aussi considérer cela comme de la constance-, une femme à la vie bien remplie, de bonheurs, comme de malheurs et de désillusions. Elisabeth Vigée Le Brun est un destin à part entière, une femme à part entière et non un faire-valoir ; elle méritait une biographie de cette dimension, plutôt de rester éternellement cachée derrière le prestige de ses commanditaires royaux.
    Cette biographie très dense et riche nous emmène en effet du début jusqu'à la fin, de 1755 à 1842. C'est une longue période, pas tout à fait un siècle mais presque. Et c'est justement pile l'époque où il va se passer tant de choses en France que cela en donnerait presque le tournis ! C'est la fin d'un pays aux institutions séculaires et le début d'un autre, en devenir, le nôtre. Elisabeth Vigée Le Brun, comme beaucoup d'autres, sera aux premières loges et cette place à cheval entre deux siècles, deux époques si différentes l'une de l'autre, presque comme deux univers, n'est pas facile et elle en est une bonne incarnation. Le seconde partie de sa vie sera d'ailleurs marquée par l'amertume et la nostalgie d'un monde disparu et sans cesse recherché par cette femme d'Ancien Régime, touchée désagréablement par sa disparition et le changement d'un pays qu'elle a quitté pendant une douzaine d'années, au moment de la Révolution. Dans le sillage de Louise Elisabeth, on découvre toute l'Europe du siècle finissant, de Rome en passant par Vienne, la Russie ou l'Angleterre. Cet exil forcé lui donnera le goût des voyages et lui fera découvrir avec intérêt de nouveaux pays et de nouvelles manières de vivre qui influenceront sa peinture. Même hors de France, Mme Vigée Le Brun restera le peintre des grands de ce monde, en portraiturant notamment le tsar Alexandre Ier et son épouse et les grands aristocrates russes.
    Ce serait mentir que de vous dire que vous lirez ce livre comme un roman si d'aventure vous vous lancez dans sa lecture. Mais, malgré tout, j'ai lu des biographies parfois plus difficiles d'accès. Geneviève Haroche-Bouzinac ne laisse pas de côté la qualité littéraire au profit de la rigueur historique, au contraire, elle allie les deux avec efficacités, ce qui fait qu'on ne s'ennuie pas en lisant un tel livre. Cela dit, certains passages sont peut-être plus ardus que d'autres et il faut alors accepter d'avancer moins vite, de lire moins vite pendant un moment...la vitesse de croisière revient rapidement, croyez-moi.
    Pour moi qui suis en admiration absolue devant le XVIIIème siècle, cette biographie a été un plaisir et j'ai été ravie de découvrir Louise Elisabeth Vigée Le Brun autrement qu'en premier peintre de la reine, dans l'ombre de cette figure écrasante et tragique qu'est celle de la reine exécutée. Geneviève Haroche-Bouzinac lui rend une vraie place, sa place, celle d'une artiste talentueuse et accomplie qui n'avait rien à envier à ses confrères masculins mais qui devra toute sa vie se battre pour justifier sa peinture, jugée trop ceci ou trop cela parce qu'elle sortait du pinceau d'une femme.
    Loin d'une quelconque analyse féministe ou orientée, cette biographie s'émancipe des témoignages à charge, de l'éclairage biaisé des souvenirs de Vigée Le Brun, qui furent pendant longtemps la source d'inspiration principale de ses biographes avant que ses Mémoires ne soient remis en question, de l'Histoire misogyne et faite par les hommes au XIXème siècle pour nous révéler une femme, épouse et mère qui fut aussi une professionnelle de la peinture, une artiste reconnue qui toute sa vie s’exerça pour rester à la hauteur de la réputation qu'elle se forgea au fil des ans et qui ne doit sa réussite qu'à elle-même et à sa constance. Les sentiments et sensations qui peuvent naître en nous, cent soixante-dix ans après sa mort lorsque l'on regarde ses toiles, qu'elles soient grandioses parce qu'elles reflètent la grandeur et la majesté royales ou plus authentiques parce qu'elles ne font que représenter le quotidien d'une société qui se pique de simplicité, de robe fleuries et de chapeau en paille, sont peut-être les meilleures gratifications de l'oeuvre d'une battante, une femme qu'on réduit trop souvent à son rôle de peintre de Cour en oubliant que Louise Elisabeth Vigée Le Brun n'était pas que cela, bien au contraire.
     

    Buste de Louise Elisabeth Vigée Le Brun par le sculpteur Augustin Pajou (1785). 

    En Bref :

    Les + : Il y'a tout dans ce livre, ni plus ni moins. Geneviève Haroche-Bouzinac, l'auteure, saisit bien les complexités de la personnalité de celle que l'on a trop souvent considérée uniquement comme la peintre de Marie-Antoinette, alors qu'elle est plus que cela.
    Les - :
    Aucun. Pour moi, cette biographie est parfaite.


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  • « Ainsi la guerre des rois sera-t-elle un incroyable règlement de comptes familial à l'échelle d'un continent ; elle s'exportera même très loin, au-delà des océans et des mers, dans la logique de la colonisation. »

    Le Sceptre et le Sang : Rois et Reines dans la tourmente des deux Guerres Mondiales ; Jean des Cars

     

    Publié en 2014

    Editions Perrin 

    475 pages 

    Résumé : 

    A l'été 1914, l'Europe est très majoritairement monarchique : sur vingt-deux Etats, dix-neuf sont des royaumes, des empires, des principautés ou des grands-duchés. Aujourd'hui, ils ne sont plus que dix sur vingt-huit. Les deux guerres mondiales provoquent l'écroulement de quatre empires pour la première (Allemagne, Russie, Autriche-Hongrie, Empire ottoman) et de quatre royaumes (Italie, Yougoslavie, Roumanie, Bulgarie) pour la seconde. 
    Ces souverains, qui étaient-ils ? Et les femmes qui partageaient leur existence, qui étaient-elles ? De l'ambition à l'aveuglement, du courage à la faiblesse, de la jalousie à l'abnégation, quels furent leurs triomphes et leurs échecs ? Comment vécurent-ils leur gloire, leurs épreuves et la montée des extrêmes de l'entre-deux-guerres marquée par l'avènement des totalitarismes ? Étaient-ils conscients des conséquences de leurs actes ? Ou furent-ils incapables d'arrêter l'engrenage des nationalismes ? Quelles furent leurs vies personnelles, leurs amours et leurs passions secrètes ? 
    Circonstance exceptionnelle : ces monarques, qui vont s'unir, se combattre et parfois se trahir, sont presque tous parents, liées par le sang et leurs mariages respectifs. Ainsi la guerre des rois sera-t-elle un incroyable règlement de comptes familial à l'échelle d'un continent puis du monde. 
    Avec le talent qui le caractérise, Jean des Cars raconte un demi-siècle de drames humains (l'errance des Habsbourg), de crimes (l'assassinat des Romanov), de guerres, de défaites, de créations et de disparitions d'Etats. Un demi-siècle où la peur côtoie la grandeur et la barbarie la geste héroïque. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Les deux conflits mondiaux furent de véritables déflagrations pour l'Europe entière et leur traumatisme est encore présent aujourd'hui dans les mémoires : il n'y a qu'à voir les commémorations, les monuments aux morts, la tombe du soldat inconnu, dont la flamme ne s'éteint jamais, les croix qui, en France, jalonnent les routes et nous rappellent qu'ici, des Résistants ont trouvé la mort. À mesure que l'on avance dans le temps, bien sûr les témoins directs disparaissent mais il est important de garder en mémoire ces événements tragiques et de transmettre leur souvenir aux générations suivantes.
    On a beaucoup écrit sur la première comme sur la deuxième guerre mondiale... Mais je n'ai pas souvenir d'avoir trouvé un livre essentiellement orienté sur ces guerres vues par les monarchies européennes... Du coup, cette approche inédite m'a séduite et intéressée immédiatement.
    On l'oublie souvent mais en 1914, à l'aube de la Grande Guerre, les républiques font office d'exception en Europe : il n'y en a que trois, le Portugal, la Suisse et la France. Tous les autres pays sont des royaumes et justement ces conflits rapprochés qui se profilent à l'horizon vont bouleverser l'ordre établi : celui des monarchies.
    Leur particularité est qu'elles sont toutes plus ou moins liées par le sang ou des alliances matrimoniales. La plupart des rois régnant au début du XXème siècle sont cousins et descendent de la reine Victoria (surnommée à juste titre « la grand-mère de l'Europe»), donc des familles allemandes de Hanovre et de Saxe-Cobourg-Gotha. Ainsi, le roi d'Angleterre George V est-il le cousin du tsar comme de son épouse Alexandra, née allemande, mais aussi du Kaiser Guillaume II, premier petit-fils de Victoria, né à Berlin en 1859. Ils sont parents avec la future reine de Roumanie, Mary, fille du duc d’Édimbourg. Le roi Ferdinand de Bulgarie descend des Orléans par sa mère, les princes de Grèce sont d'origine danoise, Charles de Habsbourg est marié à une Bourbon-Parme, descendante de Louis XIV et des rois d'Espagne.
    Un joyeux imbroglio familial qui va pourtant amener à la catastrophe car lorsqu'on pense au fameux jeu des alliances qui entraînera toute l'Europe dans la guerre, en 14, on oublie souvent que ces alliances sont avant tout familiales et vont, au-delà de la politique, impacter aussi l'humain : le roi d'Angleterre ressentira par exemple beaucoup de culpabilité, une fois la guerre terminée, parce qu'il se reproche d'avoir sacrifié Nicolas II et sa famille... Le même roi George V renoncera à son nom pour adopter celui de Windsor, toujours porté par l'actuelle famille royale... Et surtout, beaucoup de trônes seront balayés par cette tempête : l'Allemagne des Hohenzollern, l'Autriche des Habsbourg dont l'empire était vieux de 700 ans, la dynastie des Romanov, au pouvoir en Russie depuis 1613.

     

    Image illustrative de l’article Attentat de Sarajevo

    L'attentat de Sarajevo (28 juin 1814), où l'archiduc François-Ferdinand et son épouse Sophie, duchesse de Hohenberg, trouvèrent la mort. Quatrième couverture du Petit Journal, daté du 12 juillet 1914. 


    Les rois du début du XXème siècle étaient des chefs d'état, pour certains des chefs de guerre même s'il y'en eut peu... C'est leur histoire que se propose de nous raconter Jean des Cars, dans ce livre conséquent qui porte bien son nom...
    Le Sceptre et le Sang est un livre très dense et riche mais absolument passionnant : je l'ai lu comme un roman et je l'ai lâché difficilement. Certes il est parfois un peu technique et j'ai eu besoin de faire quelques pauses parfois, pour faire quelques recherches généalogiques et situer telle ou telle personne par rapport à une autre. Si certaines familles royales sont assez connues, d'autres le sont un peu moins, comme celles des Balkans...
    J'ai aimé découvrir les destins croisés de ces royaux pris dans la même tourmente que leurs sujets et des centaines de citoyens... Les reines deviennent des infirmières, les rois inspectent leurs troupes dans les tranchées. Certains connaîtront l'amertume de l'exil, d'autres ne verront pas la fin de la guerre et paieront de leur vie les velléités d'indépendance de leur peuple. On découvre cette histoire qui se déploie comme une vaste toile, qui se déroule comme un péplum. Souvent on dit que la réalité dépasse la fiction et c'est bien vrai ici : Game Of Thrones n'a qu'à bien se tenir !
    Si vous aimez Jean des Cars et l'Histoire en général, nul doute que vous vous passionnerez pour ce livre. C'est une autre manière de découvrir l'amorce de ces grands conflits qui ont marqué nos pays. C'est intéressant de voir comment ce sont les monarchies qui ont entraîné toute l'Europe dans la Grande Guerre...
    Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la donne a changé... Les royautés sont moins nombreuses mais s'impliquent toujours: la jeune princesse Elizabeth sera ambulancière tandis que ses parents apportent un soutien infaillible aux populations londoniennes pendant le Blitz. Pour des familles qui n'avaient pas été touchées par le cataclysme de 14, comme celle de Norvège, le conflit, son ampleur inédite et les appétits expansionnistes de l'Allemagne nazie les poussent à faire un choix... comme l'exode des peuples, un exode des rois et des familles royales commence. Certains s'illustreront, comme en Angleterre ou encore aux Pays-Bas, dont la reine Wilhelmine, réfugiée à Londres, encourage la Résistance. L'Italie et les royaumes des Balkans, eux, ne sortiront pas grandis de cette seconde guerre, pour eux elle sonne un glas définitif et l'avènement progressif de républiques.

     

    Résultat de recherche d'images pour "souverains anglais blitz"

    George VI et la reine Elizabeth posent dans les décombres de Buckingham Palace bombardé, lors du Blitz, en 1940. 


    Les quarante premières années du XXème siècle ont été bouleversantes. Elles ont causé des dommages irréparables à l'Europe mais aussi au Japon et à d'autres pays dans le monde. Des millions de gens sont morts mais ce furent des années déterminantes, qui firent indéniablement basculer le monde d'un XIXème siècle encore traditionaliste à une modernité galopante qui est encore la nôtre. Pour les monarchies, cela passe par une refonte complète de leur statut, voire leur disparition pure et simple. L'Europe sort changée de ces longues années de combat, elle en sort marquée, comme ces souverains qui se sont montrés courageux, timorés, collaborateurs, parfois défaillants, d'autres fois héroïques.
    Avec passion et méthode, Jean des Cars raconte quarante ans d'Histoire mondiale et quarante ans d'histoires familiales. Le livre est dense et particulièrement riche mais, comme je le disais plus haut, il est passionnant. On se prend de passion pour ces grands destins qui ne sont pas épargnés, on suit le déroulement de ce grand récit d'histoire comme un bon film. Jean des Cars a une passion communicative pour l'Histoire et plus particulièrement pour celle des têtes couronnées. Si vous aimez l'Histoire, alors vous ne serez sûrement pas déçus. En alliant rigueur historique à une plume chaleureuse, Jean des Cars ne nous lasse jamais. J'ai trouvé ce livre excellent et j'ai passé un très bon moment de lecture : certes ce qu'il nous raconte n'est pas toujours très drôle, ni forcément très joyeux mais à défaut, c'est édifiant et c'est le plus important. Découvrir les deux grands conflits mondiaux qui, aujourd'hui encore, nous concernent tous encore plus ou moins, parce que nous avons tous un ancêtre, au moins, qui a été impliqué, qui peut-être y a laissé sa vie, à travers ces monarchies qui n'ont pas été épargnées non plus, c'est leur rendre un aspect humain qu'elles perdent parfois un peu... n'oublions pas que les rois et les reines, quoi qu'on en pense, sont avant tout des hommes et des femmes. En l'occurrence des hommes et des femmes confrontés comme tout un chacun à l'horreur de conflits sans précédent mais qui ont dû, bien plus que tout autre, faire leurs preuves. Nul doute que Le Sceptre et le Sang saura trouver son public. Et si vous ne connaissez pas encore Jean des Cars, c'est la bonne occasion pour se lancer ! 

    Les quatre filles de Nicolas II et Alexandra Feodorovna, accompagnées de leur petit frère, le tsarévicth Alexis, assassinés avec leurs parents le 17 juillet 1918 à Iekaterinebourg. 

     

    En Bref :

    Les + : la passion de Jean des Cars pour ces familles royales qui semblent incarne l'immuabilité et se trouvent confrontées au pire, au point de parfois vaciller sur leurs trônes soudain bien fragiles est communicative. On lit ce livre comme un roman, on s'émeut devant des destins tragiques, on s'insurge devant des mauvais choix. Toujours est-il que l'humanité de ces hommes et femmes qui s'avèrent finalement comme les autres malgré les couronnes que le destin a posé sur leurs têtes, est flagrante et, si elle est héroïque, elle peut aussi s'avérer bien décevante. La plume chaleureuse de l'auteur joue beaucoup dans l'intérêt que l'on se découvre très rapidement pour ce récit, certes très dense mais jamais lassant. 
    Les - : Aucun. 

     


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  • «  Louis XV aime les femmes. Plus précisément, il a le besoin vital d'une présence féminine à ses côtés, qui lui soit entièrement dévouée et, surtout, fidèle. »

    Les Femmes de Louis XV ; Cécile Berly

     

    Publié en 2018

    Editions Perrin 

    232 pages 

    Résumé : 

    Louis XV aimait les femmes. Dans l'entourage du Bien Aimé, on trouve en premier lieu la reine de France, Marie Leszczynska, imposée par la politique et vite résignée à son sort d'épouse trompée. Puis les Filles de France, huit au total, dont la monarchie ne sait que faire. Des maîtresses et des favorites, enfin. Qu'ont-elles en commun ? D'occuper le lit du roi pour un temps, long ou éphémère. Avec Louis XV, ce qu'il y'a d'inédit et de ô combien sulfureux, c'est que ce privilège-là, après le règne de plus d'une décennie des sœurs de Nesle, n'est plus seulement aristocratique. Madame de Pompadour, bourgeoise mais femme de confiance du roi, reste à la Cour près de vingt ans. Elle ira, en accord avec son amant, jusqu'à contrôler sa sexualité en recrutant de jeunes vierges. Avec la dernière favorite, plus de petites maîtresses, mais une professionnelle du sexe, la comtesse du Barry : le scandale est total. La monarchie semble à bout de souffle. La jeune dauphine Marie-Antoinette, venue d'Autriche, pourrait-elle lui redonner tout son lustre ? 

    Ces femmes, miroirs d'un roi de France complexe, torturé et versatile, incarnent également les paradoxes de la condition féminine à la Cour, dans un XVIIIe siècle troublant et fascinant. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Aborder le thème des femmes dans la vie de Louis XV, c'est tout un programme : c'est d'ailleurs ce que m'a dit une lectrice en commentaire sur Instagram et je suis entièrement d'accord avec ça ! Comme Henri IV et Louis XIV, il eut beaucoup de liaisons, beaucoup de femmes marquèrent sa vie. Il n'est peut-être pas ce que l'on peut appeler un homme à femmes mais nul doute qu'elles ont compté pour lui et l'ont influencé, toutes à leur manière. Les a-t-il toutes réellement aimées ? Les a-t-ils consommées -le terme est peut-être un peu raide, mais pour certains rois, ce fut absolument le cas ? Était-il un amoureux de la Femme en général comme François Ier ? Ou plutôt un homme sensuel comme son aïeul le Roi-Soleil ? Ce livre de Cécile Berly permet de dégager plusieurs réponses et c'est vraiment intéressant. 
    Louis XV, qui est né en 1710 et devient roi en septembre 1715, à l'âge de cinq ans et demi, a eu un long règne mais on l'oublie souvent, coincé qu'il est entre celui, flamboyant, de son arrière-grand-père, le Roi-Soleil et celui, tragique et ô combien symbolique, de son petit-fils, Louis XVI. De Louis XV, on retient volontiers le négatif, le côté sombre et impénétrable, qui ont fait de lui, un homme timide et réservé de son vivant, un véritable mystère, un énigme de l'Histoire que l'on accuse parfois de tous les maux, à commencer par celui d'avoir entretenu des relations charnelles avec des jeunes filles à peine nubiles et d'avoir pioché, avec Mesdames de Pompadour et du Barry, dans la roture et même, pour la dernière, dans le ruisseau.
    Louis XV est effectivement un personnage assez mystérieux mais pour lequel j'ai, personnellement, beaucoup d'indulgence. Je ne dirais pas qu'il a été un grand roi même si son règne n'a pas été si désastreux qu'on a bien voulu le dire. Pour moi il est surtout un incompris et un homme qui a rejeté instinctivement une fonction pour laquelle il n'était pas fait. Ses yeux très noirs et les demi sourires qu'il arbore sur ses tableaux et ses portraits nous tiennent aussitôt à distance respectueuse mais ne dévoilent rien. On dirait que Louis, en attente de quelque chose, cherche cependant à se protéger au maximum de ce qui l'entoure, en restant silencieux, distant mais devenant ainsi fin observateur - comme beaucoup de gens timides. Pour moi, il est un homme complexe et intelligent, qui mérite d'être réhabilité sans que ses travers ne soient excusés pour autant.
    Alors justement, son amour des femmes et sa sensualité qui s'éveille dans les bras de son épouse plus âgée, la reine Marie Leszczynska, pour s'épanouir ensuite avec les sœurs de Nesle puis les deux grandes favorites de son règne, la marquise de Pompadour et la comtesse du Barry, fait-il partie de ses travers ? Si on se replace dans le contexte de l'époque, pas forcément. Louis XV n'est pas le premier à avoir des favorites installées, comblées de gratifications et dont les enfants -s'il y'en a- sont reconnus par leur royal paternel. La première favorite connue vivait au XVème siècle, c'était celle du roi Charles VII et il s'agissait d'Agnès Sorel. Autant dire que la fonction, si elle n'est pas vieille comme le monde, ne date pas d'hier non plus et même avant Agnès Sorel, les souverains entretinrent des liaisons plus ou moins connues du public et scandaleuses...

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Madame de Châteauroux, Marie-Anne de Nesle, favorite de Louis XV au début des années 1740 (tableau par Jean-Marc Nattier, 1740)


    Mais chez Louis XV apparaissent des nouveautés, des nouveautés condamnables et condamnées et qui marqueront durablement l'image d'un règne que l'on réduit souvent aux seules liaisons du roi. D'abord, Louis XV entretient des relations avec plusieurs des sœurs de Nesle, partageant successivement son lit avec quatre d'entre elles, voire peut-être en même temps. Si les deux premières sœurs, Louise-Julie de Mailly puis Pauline-Félicité de Vintimille sont avant tout des maîtresses -ou un tout petit peu plus-, comme Madame de Lauraguais qui n'a pas marqué les annales, leur cadette, Marie-Anne, titrée duchesse de Châteauroux, saura devenir plus qu'une maîtresse, la première favorite du règne, faisant siennes toutes les prérogatives de la fonction.
    Mais ce qui surprend et choque les contemporains de Louis XV, ce sont les choix qu'il fera ensuite, en choisissant successivement Madame de Pompadour, issue de la bourgeoisie financière parisienne puis Madame du Barry, probablement fille d'un prêtre, recrutée par le duc de Richelieu à la fin des années 1760 et ayant eu un passé plus que léger, pour ne pas dire qu'elle était une prostituée. Quant à la maison du Parc-aux-cerfs qui abritera certaines de ses « petites maîtresses » comme la très jolie Louise O'Murphy, immortalisée en odalisque dénudée par François Boucher, il deviendra très vite dans l'esprit des gens un lupanar où le roi se livre à toutes les débauches, un lieu diabolique et dangereux où peut-être des meurtres même seraient pratiqués, marquant durablement le règne d'une tâche indélébile et mortifère. On a tendance à juger Louis XV au travers des femmes qu'il a aimées et distinguées, en oubliant qu'il a aussi été un souverain, un chef d'Etat qui a régné cinquante-neuf ans sur la France et dont le bilan n'est ni meilleur ni pire que celui d'autres monarques, à commencer par son illustre aïeul, Louis XIV.
    On oublie aussi qu'il n'a pas été qu'un amant mais aussi un père et un mari, plus tard un grand-père également. Et surtout, un fils. Le fils de deux ans d'une duchesse de Bourgogne terrassée en quelques jours, au mois de février 1712, par la rougeole, entraînant dans la mort son mari puis son premier fils, laissant orphelin le petit duc d'Anjou, futur Louis XV. A-t-il eu un manque de cette mère trop tôt partie, un manque inconscient et non formulé qui le pousse alors à rechercher et cultiver la compagnie des femmes ? A-t-il recherché en elles une mère de substitution ? Aujourd'hui, à moins de se livrer à des conclusions psychanalytiques plus que hasardeuses, nous ne pouvons pas le savoir.
    Une chose est sûre, la torture dans laquelle le plonge son comportement, son éloignement de la religion comme s'il avait honte, peuvent nous permettre de penser qu'il était incapable de refréner ses penchants et de brider sa sensualité, comme s'il ne pouvait s'en empêcher tout en étant tiraillé entre ses maîtresses dont il ne peut se passer et l'idée que son comportement, notamment d'un point de vue religieux, est condamnable.
    Décidément, je ne le redirai jamais assez, mais Louis XV est vraiment une énigme qui mériterait qu'on se penche beaucoup plus sur son cas !
    Le livre de Cécile Berly est assez court mais somme toute, plutôt complet et si je n'ai rien appris de nouveau, j'ai pris plaisir à me replonger dans ce XVIIIème siècle français qui me passionne tant.
    Si le livre laisse évidemment la part belle aux diverses maîtresses et liaisons qui ont émaillé la longue vie de Louis XV, il n'oublie pas la reine, Marie Leszczynska, de sept ans son aînée, qui lui donna dix enfants et notamment huit filles. Louis XV fut donc à la tête d'une grande famille et le père de nombreuses filles dont il était plus ou moins proches mais qui, notamment parce qu'elles restèrent célibataires -une seule se maria, l'aînée, Elisabeth, qui devint duchesse de Parme- restèrent donc à Versailles, ont influencé et tenté d'orienter la vie de leur père.
    Cécile Berly conclut ce portrait de femmes avec celui de la jeune Dauphine Marie-Antoinette, arrivée à la Cour en mai 1770 et qui remplit les dernières années du roi vieillissant.
    J'ai été un peu surprise qu'un chapitre n'ait pas été octroyé à Madame de Ventadour, la gouvernante du petit Louis, qui fut la première figure féminine d'une vie qui, par la suite, n'en manqua pas. Elle est citée mais j'aurais aimé qu'elle ait une place à part entière dans ce livre.
    Autrement, j'ai apprécié de le lire, je m'y suis plongée avec intérêt, regrettant un peu qu'il soit court : j'en aurais bien lu un petit peu plus, j'avoue !
    Cela dit, c'est une bonne introduction et si vous ne connaissez pas bien l'époque tout en étant intéressé et sans savoir par quoi commencer, je pourrais vous conseiller de commencer avec le livre de Cecile Berly plutôt qu'avec le gros pavé de Simone Bertière, La Reine et la Favorite, qui est passionnant mais beaucoup plus conséquent.
    Cécile Berly nous livre ici une synthèse assez complète malgré tout et très captivante parce qu'elle saisit en peu de pages toutes les complexités et les paradoxes d'un règne trop souvent dénigré. Elle est historienne de formation et spécialiste du XVIIIème siècle, donc on peut y aller les yeux fermés en étant sûr de trouver un contenu de qualité !
    Sans surprise, j'ai grandement apprécié cette lecture. Ce que je lisais était loin de m'être inconnu mais c'était comme si je redécouvrais cette époque que j'aime tant et dont je ne me lasserai jamais.
    Je ressors de cette lecture avec une amitié renforcée pour Louis XV qui a fait des erreurs mais ne méritait pas d'être jugé aussi durement qu'il l'a été. Madame de Pompadour est décidément toujours aussi digne d'intérêt et d'admiration d'une certaine manière, même si on peut penser un peu cyniquement qu'elle a payé de sa santé et de sa vie une ambition démesurée. Madame du Barry était peut-être une prostituée de modeste extraction, elle n'était pas la créature vulgaire que certains se sont plu à décrire mais elle a adouci dans le particulier les dernières années d'un homme mélancolique et triste de nature.
    Quant à la reine Marie Leszczynska, difficile de la considérer autrement que comme l'une des plus vertueuses reines que la France a connues.
    Bref cette évocation du XVIIIème siècle sous la plume d'une spécialiste passionnée ne peut être qu' intéressante et on passe effectivement un agréable moment !

    Louise O'Murphy, dite « la petite Morphise », maîtresse du Parc-aux-Cerfs (tableau de François Boucher, qui la représente en odalisque, 1751)

    En Bref :

    Les + : une synthèse intéressante, des portraits travaillés, le propos est clair et précis. On en redemande. 
    Les - :
    que le livre ait été si court, donc, au final, ce n'est pas vraiment un bémol !


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  • « Elle eut le tort de n'être pas celle qu'il fallait, quand il fallait, où il fallait. Et son caractère entier acheva d'envenimer les choses, car elle n'était pas de celles qui se plient aux concessions. »

    Marie-Antoinette, l'Insoumise, Simone Bertière

    Publié en 2003

    Editions Le Livre de Poche

    927 pages 

    Quatrième tome de la saga Les Reines de France au Temps des Bourbons

     

    Résumé : 

    De son vivant et au-delà, la personnalité de Marie-Antoinette n'a cessé de susciter des légendes, suppositions et calomnies. S'appuyant sur une lecture nouvelle et rigoureuse des sources, Simone Bertière restitue ici sa vérité psychologique et historique à la dernière de ses Reines de France
    Ni douce ni soumise, Marie-Antoinette fut au contraire une femme rebelle aux servitudes écrasantes de sa fonction, aspirant à une vie indépendante et conforme à ses goûts. La volonté et l'énergie dont elle fit montre longtemps pour des objets frivoles -sources de son impopularité- lui valurent d'atteindre, dans les épreuves, à une authentique grandeur. 
    Sa mère, l'impératrice d'Autriche, Louis XV vieillissant et la comtesse du Barry, Axel de Fersen, Mirabeau, et bien d'autres figures capitales de l'époque paraissent dans ces pages où revit un quart de siècle d'histoire, abordé hors de tout esprit partisan. Sur le roi Louis XVI, les documents analysés par Simone Bertière apportent des révélations et, pour la première fois, l'histoire du couple apparaît sous son vrai jour. 
    Le prix des Maisons de la Presse 2002 a couronné ce livre, sixième et dernier volume d'une fresque historique au succès croissant, qui a déjà valu à son auteur le grand prix d'histoire Chateaubriand -La Vallée-aux-Loups, le grand prix de la Biographie de l'Académie française et le prix des Ambassadeurs. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Qui est Marie-Antoinette ? La question hante les historiens depuis toujours et risque de les hanter encore pendant longtemps. Rares sont les personnages qui, comme elle, font couler autant d'encre, en bien ou en mal et continuent de diviser, plus de deux cents ans après leur mort. Personnage ambivalent, ambigu, paradoxal, Marie-Antoinette a cristallisé, de son vivant, une haine pas toujours justifiée, comme elle concentre aujourd'hui sur sa personne un engouement qui n'est peut-être pas forcément plus mérité non plus. Et si, aimer Marie-Antoinette, se passionner pour elle, c'était finalement, plutôt que l'encenser, se situer prudemment entre les deux : évitons l'écueil de la damnatio memoriae comme de l'hagiographie, car elle ne mérite ni l'un ni l'autre. Ce qui, à mon sens, fait de Marie-Antoinette, un personnage aussi passionnant, c'est justement ses imperfections et ses erreurs qui la rendent humaine. Profondément humaine et, en cela, proche de nous. Aujourd'hui, plus de deux cents ans après la Révolution, nous bénéficions d'un recul suffisant pour enfin aborder ce grand destin comme il se doit : en scientifiques, en gardant la tête froide, sans se laisser aller ni à la haïr ni à l'aimer outre mesure, parce que, comme n'importe lequel d'entre nous, elle n'est ni toute noire ni toute blanche.
    Née en 1755, petite archiduchesse d'Autriche répondant au prénom d'Antoine dans son enfance, Maria Antonia Josepha Johanna est la quatorzième et dernière fille née du couple formé par François de Lorraine et Marie-Thérèse de Habsbourg. Élevée comme une petite princesse du temps, dans une Cour où l'étiquette est lâche et peu observée, au milieu d'une importante fratrie, influencée par des sœurs plus âgées et qu'elle verra petit à petit partir, pour ne jamais revenir, vers leur patrie d'adoption quand sonne l'heure du mariage, la future Marie-Antoinette reste malgré tout un pion politique, interchangeable, que sa mère utilisera pour conforter telle ou telle alliance, s'assurer telle ou telle fidélité. Pour elle, ce sera la France et son mariage sera le gage de l'alliance de 1756, inédite, puisqu'unissant deux puissances ennemies depuis des lustres -c'est ce que l'on appelle le renversement des alliances, l'Autriche se désolidarisant de son allié traditionnel, l'Angleterre, pour s'associer à la France, qu'elle a beaucoup combattue.
    En 1770, Marie-Antoinette, quatorze ans, épouse le Dauphin Louis-Auguste, qui en a quinze. A la mort de Louis XV, en 1774, ils montent sur le trône à respectivement dix-neuf et vingt ans. Ils en descendront brutalement moins de vingt ans plus tard, quand la Révolution aura achevé de faire basculer le trône pluriséculaire des Bourbons, mettant fin à plus de mille ans de monarchie héréditaire. Guillotinée en 1793, à la suite d'un procès sommaire où lui seront pêle-mêle reprochés ses dépenses et train de vie, son hypothétique trahison ou même de pratiquer l'inceste avec son jeune fils de huit ans, Marie-Antoinette meurt honnie par le peuple de France mais sa dignité et sa grandeur dans la mort inversent rapidement la tendance : si certains souffrent depuis toujours d'une tenace légende noire, Marie-Antoinette, très vite, se verra réhabilitée, d'abord timidement et plus franchement depuis plusieurs années. Il est vrai que l'historiographie a fait des progrès mais peut-être sont-ils le plus visibles et le plus évidents quand on étudie le cas Marie-Antoinette, qu'on pourrait presque, pour utiliser un terme très anachronique, qualifier de superstar. Popularisée par le cinéma, par les romans, par son image utilisée dans des publicités, Marie-Antoinette est un personnage très familier, évoluant dans un cocon de pastel et croquant des macarons - l'image, si elle n'est pas forcément très historique, a au moins le mérite de parler à tout le monde et d'évoquer quelque chose à chacun.

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     L'un des portraits les plus connus de Marie-Antoinette, par Elisabeth Vigée-Lebrun


    Et quand on prend le temps de gratter un peu et de regarder sous cette image d’Épinal, le personnage qui apparaît, loin d'être superficiel comme on pourrait le penser, est d'une teneur et d'une profondeur ahurissante. Marie-Antoinette n'aura pas eu, ou si peu, la possibilité de se révéler mais on peut supposer que si l'Histoire lui en avait laissé le temps, elle aurait pu faire de grandes choses, à son échelle. Non dépourvue d'intelligence, malgré une éducation enfantine bâclée, excellente mère, consciente malgré tout de son rang et de ce qu'elle était, la question est permise : si elle avait été plus sérieuse, qui aurait-elle été ? Quelle femme, quelle reine aurait-elle été ? Mais, sans partir dans des conjonctures improbables, on peut déjà se demander : qui est-elle vraiment ? Et à cette question, les historiens ont aujourd'hui toutes les clés ou presque, pour y répondre.
    Cette conséquente biographie n'est pas la première que je lis. Si vous me suivez depuis longtemps, vous avez pu le remarquer et, d'ailleurs, une blogueuse avec qui j'échange depuis de nombreuses années s'est étonnée, dernièrement, que je n'ai pas lu ce livre ! Eh non...je l'ai gardé toutes ces années en en redoutant un peu la lecture -c'est le point final d'une formidable anthologie sur les reines de France aux temps modernes que j'étais un peu triste de quitter pour toujours- mais dans laquelle je me suis glissée avec malgré tout beaucoup de plaisir.
    Vous connaissez peut-être cette fameuse devise en italien, « Tutto a te mi guida », que l'on peut traduire par « Tout me conduit vers toi » et qui aurait été imprimé sur le sceau secret de la correspondance entre la reine et Fersen et peut-être même sur des bagues...Elle est on ne peut plus vraie en ce qui me concerne parce que j'ai l'impression que tout, fatalement, me ramène à Marie-Antoinette et même, que ma passion pour le XVIIIème siècle découle, à la base, de mon intérêt pour cette reine, qui est arrivé un peu par hasard, il est vrai, puis s'est pérennisé. Elle m'accompagne depuis des années, surtout par le biais des travaux de l'historienne Evelyne Lever et, jusqu'ici, je n'ai ressenti aucune lassitude : sans tout connaître d'elle, je pense pouvoir dire que Marie-Antoinette n'est plus une inconnue mais, malgré tout, j'ai toujours l'impression d'en apprendre un peu plus à chaque livre lu.
    Et avec ce livre de Simone Bertière, cela s'est confirmé : l'auteure s'attache, avec une vision féminine et chaleureuse, à montrer derrière la reine, derrière la fonction et le statut, la femme que pouvait être Marie-Antoinette, trait d'union entre les anciens temps et les temps modernes. Fille et descendante de rois, élevée dans la dignité de son rang, Marie-Antoinette est malgré tout influencée par l'époque dans laquelle elle vit et le XVIIIème siècle et peut-être celui où les bouleversements intellectuels et sociétaux sont les plus significatifs et les plus marquants et tout, dans sa vie, s'en ressent : la quête folle de la liberté, l'envie de vivre sans entraves et sans être dirigée, l'engouement pour les œuvres de Beaumarchais, puis, plus tard, la manière même dont elle envisagera l'éducation à donner ses enfants, pur produit de l'influence rousseauiste du moment. Marie-Antoinette est ambivalente : peut-être pas un Janus aux deux visages, parce que j'ai l'impression que c'est une seule et même personne qui évolue au fil du temps, mais oui, il y'a des paradoxes et une certaine ambivalence chez elle et c'est assez révélateur. En essayant d'analyser sa personnalité, son psychisme, Simone Bertière apporte des réponses universelles à un comportement que l'on s'est autorisé à juger sévèrement parce qu'il ternissait la fonction royale que Marie-Antoinette personnifiait.
    Il n'est pas question de la dédouaner ou de lui refaire un procès, ici. Pas du tout et c'est ce que j'ai apprécié dans ce livre - ce que je m'attendais à trouver, aussi, connaissant Simone Bertière. Finalement, en sortant de cette lecture, on se pose cette question : et si Marie-Antoinette fascinait justement pour ce que l'on ne dit pas ou peu souvent, si elle intéressait justement parce qu'au fond, elle est plus particulièrement humaine dans toutes ses imperfections ? Elle s'est trompée, elle s'est même trompée sur toute la ligne et lourdement puisqu'elle le paiera de sa vie, ce qui est d'ailleurs peut-être un peu excessif, mais cela appartient à l'Histoire. Marie-Antoinette a commis des erreurs, comme nous tous. Elle a navigué à vue et elle n'a pas toujours pris les bonnes décisions, comme nous tous. Seulement, on ne lui a pas fait de cadeaux, parce qu'elle occupait une place où l'erreur n'est pas tolérable et que, par son comportement, somme toute justifiable, notamment par son âge à son arrivée en France puis à son accession au trône, elle a participé à l'effondrement de la dignité monarchique et a sûrement précipité le délitement d'un régime millénaire et qui avait fait ses preuves. Elle n'en est pas pour autant l'entière responsable ; si Louis XVI et son épouse ont eu la malchance et le malheur de voir s'effondrer l'édifice alors qu'ils régnaient, la Révolution n'en est pas pour autant un phénomène spontané et réagissant contre eux...pas entière, du moins, puisqu'elle trouve son origine bien plus tôt, dans les affrontements de la Fronde, notamment... Enfin, mais c'est pousser bien loin, la monarchie n'était-elle pas, en France, vouée à disparaître dès lors qu'elle devenait absolue ?

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    Marie-Antoinette conduite sur les lieux de son exécution le 16 octobre 1793


    Et si Marie-Antoinette n'avait finalement été qu'une femme comme les autres ? Accablée par le poids d'une vie dont elle n'a pas voulu, manipulée par des intérêts multiples et en premier ceux de l'Autriche, qui l'empêchèrent de devenir entièrement française dans sa jeunesse, commettant des erreurs et des faux pas, elle sut malgré tout se réveler dans l'adversité, soutenir sans faillir le roi, élever et aimer ses enfants d'un amour inconditionnel, se défendre avec grandeur lors d'un procès inique scellé d'avance. Marie-Antoinette n'est ni toute noire, ni toute blanche : elle a commis des erreurs et refusé parfois de changer d'attitude, en cela, elle est coupable. Mais ne cédons pas à la grande tentation de la dénigrer en bloc : l'image qui nous est parvenue d'elle est encore grandement marquée par la Révolution et les libelles qui ont émaillé le règne. Tâchons de l'entrapercevoir telle qu'elle a pu être, avec ses défauts et ses qualités, ses bons comme ses mauvais côtés. Tâchons aujourd'hui de la réhabiliter, pour ne pas oublier, humainement, les souffrances de la famille royale, en premier lieu des enfants. Aujourd'hui, plus de deux cents ans après la Révolution, Marie-Antoinette, comme tous les autres protagonistes de cette époque, d'ailleurs, appartient plus que jamais à l'Histoire et l'Histoire exige de l'objectivité : encenser et haïr n'y ont pas leur place mais juger avec raison est le devoir de l'historien. C'est ce que fait Simone Bertière dans ce livre, avec toutefois beaucoup de chaleur. Elle sait se montrer critique quand il le faut, pointer les travers de la reine mais reconnaître aussi ses points forts. Marie-Antoinette revit sous sa plume et acquiert une teneur, une profondeur peu communes. Elle redevient un être de chair et de sang, une fille, une épouse, une sœur, une mère, une reine. En un mot, une femme et on est toujours plus sévère avec les femmes. Oublions ce qu'on a pu lire, ce que l'Histoire instrumentalisée par la politique a pu nous faire penser...la Révolution est une période extrêmement compliquée à appréhender parce que, inconsciemment, elle fait partie de nous intrinsèquement. Mais étudier l'existence de ceux que la Révolution a combattus est tout aussi intéressant et édifiant parce que, dans leur humanité la plus intime et la plus innée, ils redeviennent un instant proches de nous, compréhensibles et justifiables. Je remercie les auteurs qui, comme Simone Bertière ici ou bien encore Evelyne Lever, ont, petit à petit, grâce à leurs travaux, amené ceux qui les ont lus à aiguiser leur esprit critique, à mieux comprendre et à mieux voir.
    Ce livre est à mettre entre les mains de tous les amoureux d'Histoire, à tous les passionnés. Nul doute que vous passerez un excellent moment et que vous serez, comme moi, ravis de voir Marie-Antoinette revivre sous la plume de Simone Bertière. Une chose est sûre, c'est qu'elles se sont bien trouvées toutes les deux.

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    Marie-Antoinette et Madame de Polignac, incarnées respectivement par Diane Kruger et Virginie Ledoyen dans le film Les Adieux à la Reine, de Benoît Jacquot 

    En Bref :

    Les + : biographie dense et riche, qui s'appuie sur les sources mais aussi sur des précédents travaux d'historiens, elle réhabilite Marie-Antoinette et nous fait entrevoir, derrière les ors de la fonction, la femme qu'elle a pu être et sa psychologie.
    Les - :
     mais aucun, bien sûr !

     

    Les Enquêtes de Quentin du Mesnil, Maître d'Hôtel à la Cour de François Ier, tome 1, Le Sang de l'Hermine ; Michèle Barrière 

    Thème de mai, « Mémoires », 5/12


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