• « Adieu donc à ces heures à faire revivre le passé. Il faut songer au présent. Quant à l'avenir, que Dieu le garde ! qu'il éloigne le mal et qu'il nous sauve ! Qu'il ait pitié de l'humanité et qu'il lui pardonne : c'est mon vœu le plus cher. »

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch

     

     

     

      Publié en 1989

     Editions Mercure de France (collection Le Temps     Retrouvé) 

     543 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    L'aspect le plus original des Mémoires de la baronne d'Oberkirch réside sans doute dans le tableau fidèle qu'elle nous donne d'abord de la vie au XVIIIe siècle dans une province française au statut très particulier : l'Alsace, son pays natal. Elle nous raconte avec fraîcheur et esprit ses séjours à Strasbourg -le Strasbourg de Goethe et du cardinal de Rohan-, et ses visites à la cour de Montbéliard où la princesse Dorothée de Wurtemberg était son « amie de cœur ». C'est pour retrouver celle-ci, devenue grande-duchesse de Russie et qui faisait en France un voyage semi-officiel avec son époux, que madame d'Oberkirch se rend pour la première fois à Paris, en 1782. Elle rédige alors son journal qui est la partie la plus célèbre des Mémoires. Tous les historiens des mœurs avant la Révolution connaissent cette chronique savoureuse où défilent rois et princes, gens de lettres et magiciens, coiffeurs et modistes. Les anecdotes alternent avec les récits et les mots historiques. Comme elle le dit elle-même : « L'histoire se compose aussi de ces détails ; ils peignent l'époque. »

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Lire les mémoires de la baronne d'Oberkirch, c'est se plonger aussitôt dans une époque révolue mais passionnante : le règne de Louis XVI et la fin de l'Ancien Régime.
    Quand la baronne prend la plume, nous sommes en 1789 et les premiers sursauts de la Révolution ont eu lieu. Elle, qui a fréquenté les grands de ce monde, de la grande-duchesse de Russie Marie Feodorovna en passant par la reine Marie-Antoinette ou encore les duchesses de Bourbon ou de Chartres, assiste à la fin d'un monde, son monde.
    Henriette Louise de Waldner de Freundstein naît le 5 juin 1754 en Alsace. Elle est donc une contemporaine de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de tous les princes marquants de la fin du XVIIIème siècle, qu'elle croise, ou dont elle parle dans ses Mémoires. Sa naissance alsacienne lui permet également de raconter la vie d'une province française au statut très particulier, enclavée entre le royaume de Bourbons et le Saint-Empire germanique, dont elle partage tout de même pas mal de coutumes : la communauté protestante y est fortement représentée, on y parle l'allemand aussi bien que le français...
    Elle croise Marie-Antoinette pour la première fois en 1770, lorsque la jeune archiduchesse arrive à Strasbourg pour épouser le Dauphin Louis-Auguste, futur Louis XVI : celle-ci a quatorze ans, Henriette de Waldner un de plus et s'en souviendra toute sa vie. Plus tard, elle aura l'occasion de la recroiser à maintes reprises à Versailles alors que des nuages menaçants s'amoncellent déjà à l'horizon de celle qui est devenue une reine de France trop frivole et rapidement détestée par son peuple.
    Durant ses deux séjours parisiens, qui nourrissent ces mémoires, Henriette de Waldner, devenue baronne d'Oberkirch en 1776 par son mariage avec Frédéric Siegfried d'Oberkirch, croise et fréquente le beau monde : la reine Marie-Antoinette lui fait l'honneur de son amitié, puis elle se lie avec la duchesse de Bourbon, princesse d'Orléans malheureuse en mariage et qui n'aura, de son mari volage et indifférent, qu'un fils : le duc d'Enghien, au destin tragique puisqu'il mourra fusillé dans les fossés de Vincennes en 1804. La baronne rencontre les enfants du couple royal, Madame Royale et ses deux frères, le petit Dauphin et le jeune duc de Normandie, dont elle nous régale d'une description dans ses mémoires. Elle croise les frères du roi et ses belle-sœurs. Elle arpente les couloirs de Versailles et les jardins de Trianon comme ceux du Palais-Royal... Dans son sillage, c'est à un vrai voyage dans le temps qu'est invité le lecteur. On y croise aussi, en plus d'illustres têtes couronnées, ces noms qui ont fait l'époque : Rose Bertin, modiste de Marie-Antoinette, le mage Cagliostro, Mesmer qui lance la vogue du magnétisme, dont se pique la noblesse, Madame de Genlis, alors en charge de l'éducation des jeunes princes d'Orléans, que la mémorialiste compare sans complaisance à un homme, l'appelant le gouverneur et déplorant son éducation qui n'en fait pas des princes...

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    Henriette de Waldner, baronne d'Oberkirch 


    Surtout, la baronne d'Oberkirch revient longuement sur l'amitié qui la lie depuis l'enfance avec la princesse Sophie-Dorothée de Wurtemberg, future impératrice de Russie, une amitié sincère et durable : les deux jeunes filles se rencontrent dans l'enfance et deviennent des amies inséparables jusqu'au mariage illustre de Sophie-Dorothée, fille du duc Frédéric-Eugène de Wurtemberg (qui devint duc de Wurtemberg en 1795), avec le tsarévitch Paul, futur Paul Ier. Par la suite, c'est une correspondance fournie et aussi abondante que peu le permettre le courrier à l'époque qui s'établit entre elles, avant une longue retrouvaille, au cours de l'année 1782, quand Sophie-Dorothée et Paul voyagent en France sous le nom de comtesse et comte du Nord. Pour Henriette d'Oberkirch, la venue de son amie d'enfance en France est le sésame, la porte d'entrée vers un monde bien éloigné de son Alsace natale : la cour de Versailles et ses fastes. Pendant plusieurs années, Henriette d'Oberkirch, parfois accompagnée de son mari, fera plusieurs séjours à Paris, alors véritable capitale de l'Europe...
    En 1789, c'est avec émoi que la mémorialiste assiste aux premiers sursauts d'une Révolution qui, elle le pressent, est en train d'emporter l'ancien monde, le sien. Alors, pour fixer à jamais ses souvenirs, pour transmettre à sa fille unique, un portrait de cette époque qui, bientôt, elle le sent, n'existera plus, elle couche sur papier, à l'aide d'un journal rédigé pendant plusieurs années, ces fameux mémoires sur la société française avant 1789. Si Henriette d'Oberkirch peut parfois nous paraître un peu réactionnaire, à nous lecteurs du XXIème siècle, il ne faut pas oublier qu'elle écrit alors que toute la société dans laquelle elle a été habituée à évoluer depuis son jeune âge est en train de sombrer et qu'elle s'en inquiète légitimement : on peut aisément imaginer le sentiment de cette femme qui voit couler dans la tempête ces familles qu'elle a côtoyées, ces têtes couronnées qui se trouvent directement prises pour cibles par la vindicte populaire mais qui, à elle, baronne d'Oberkirch, avaient témoigné amitié et considération. Enfin, elle fait part de ses craintes, bien légitimes et humaine, pour les princes aux possessions frontalières, à commencer par la famille de Montbéliard, qu'elle aime tendrement et fréquente depuis sa plus tendre enfance et dont elle craint de voir les Etats se soulever à leur tour...
    Henriette d'Oberkirch est aussi particulièrement clairvoyante et certainement bien plus que la plupart de ses contemporains, quand elle pressent ce qu'a pu avoir de dévastateur une pièce comme Le Mariage de Figaro pour laquelle la noblesse s'engoue dans le courant des années 1780, en ne voyant pas alors qu'elle applaudit son propre ridicule et, en quelque sorte, sa propre déchéance : « ils ont ri à leurs dépens et, ce qui est pis encore, ils ont fait rire les autres. Ils s'en repentiront plus tard. [...] Beaumarchais leur a présenté leur propre caricature, et ils ont répondu : C'est cela, nous sommes forts ressemblants ! Etrange aveuglement que celui-là ! »
    S'il est évident que des Mémoires sont des sources à prendre avec précaution, ce ne sont pas moins des textes de premier choix : se replonger dans une époque à travers le texte d'un contemporain est incomparable, si on tient compte bien évidemment de la subjectivité du contenu. 
    Je dois avouer que j'avais peur, au moment de commencer cette lecture, du style, de la plume : j'ai finalement été agréablement surprise par le dynamisme et la légèreté d'un récit qui papillonne d'un sujet à un autre, parfois dans des digressions un peu brutales mais qui ne dénaturent jamais le récit et apportent souvent des anecdotes très sympathiques à lire. Chronique historique, chronique du quotidien (passionnée d'Histoire et de généalogie, Henriette d'Oberkirch nous régale de subtiles notices biographiques tout au long de ses mémoires), journal intime...les Mémoires de la baronne d'Oberkirch sont un peu tout cela et restent encore très actuels et facilement abordables pour un lecteur d'aujourd'hui.

    En Bref :

    Les + : un contenu dynamique, écrit finement, entre chronique et journal, qui nous fait littéralement voyager à la fin du XVIIIème siècle. Passionnant. 
    Les - :
    quelques coquilles d'impression, c'est dommage.

     


     

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     


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  • « A la place considérable qu'elle occupait de son vivant s'est substitué le trou noir de l'oubli. Son activité surabondante a nui à sa visibilité, et l'a fait classer dans la catégorie des dilettantes. »

    Amazon.fr - La comtesse Greffulhe : L'ombre des Guermantes - Hillerin,  Laure - Livres

     

     

         Publié en 2014

      Editions Flammarion (collection Biographie)

      571 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « Je n'ai jamais vu de femme aussi belle », écrit à son propos le jeune Marcel Proust. Véritable légende vivante dans le Paris incandescent de la Belle Époque, la comtesse Greffulhe, née Elisabeth de Caraman-Chimay (1860-1952), ensorcela pendant plus d'un demi-siècle le Tout-Paris et le gotha européen avant de s'effacer des mémoires, dévorée par l'ombre des Guermantes qu'elle avait inspirés. Laure Hillerin la ressuscite ici dans sa véritable dimension à travers l'étincelant portrait d'une personnalité d'exception - originale, élégante, mais aussi généreuse, artiste et visionnaire- qui, transgressant nombre d'interdits, eut sur son époque une influence aussi réelle que méconnue. Car Elisabeth Greffulhe joua un rôle de premier plan dans le renouveau de la création musicale au tournant du siècle, lança les Ballets russes, et apporta un soutien décisif à Marie Curie ou Édouard Branly. Courageuse et sans préjugés, la comtesse prit le parti de Dreyfus, tint un salon politique et diplomatique influent, agit pour l'émancipation des femmes. Rien ne laissera jamais percevoir le mystère et la douloureuse solitude d'une épouse otage d'un mari volage et manipulateur, amoureuse écartelée entre la passion et la raison.
    Cette biographie remarquablement documentée se lit comme un roman, et culmine dans une dernière partie qui enchantera les proustiens: à travers la comtesse Greffulhe, l'auteur apporte un éclairage nouveau sur la genèse de la Recherche, et nous révèle un texte inédit de Proust que l'on croyait disparu.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Après s'être intéressée, dans une biographie très documentée, à la duchesse de Berry, l'intrépide belle-fille du roi Charles X, c'est à une figure nettement moins connue que Laure Hillerin consacre cette biographie dont le titre, certainement, risque d'attirer l'attention des amoureux de Proust. Et pour cause : c'est ici le destin d'une des muses, si ce n'est LA muse de Marcel Proust que l'historienne et journaliste Laure Hillerin se propose de retracer.
    Ironie du sort, c'est grâce à celui dont elle disait, dans sa vieillesse, qu'elle ne l'avait jamais aimé, qu'on se souvient encore un peu d'Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe, née sous les ors du Second Empire et morte au début des années 1950, à l'aube de la modernité grandissante qui est encore la nôtre aujourd'hui. Elle a été immortalisée dans la monumentale oeuvre de Marcel Proust, A la Recherche du Temps Perdu, sous les traits de plusieurs de ses personnages mais c'est surtout en Oriane de Guermantes que se concentre le plus le personnage d'Elisabeth Greffulhe.
    Très belle femme, Oriane épouse son cousin Basin, prince de Laumes, qui devient duc de Guermantes à la mort de son père. Trompée dès le début de leur union par un mari volage qui collectionne les conquêtes, elle fait bonne figure auprès de son entourage qui ne réalise peut-être pas les avanies qu’elle subit dans le privé. Une vie conjugale chaotique qu'elle partage avec son modèle, Elisabeth Greffulhe, mondaine riche et cultivée mais malheureuse en amour.
    Celle qui, plus tard, inspirera Proust, nait en juillet 1862, dans une éminente famille franco-belge, installée à Paris. Sa lignée paternelle, les Riquet de Caraman-Chimay, puissante famille dont les racines remonte à l'ancien Saint-Empire romain germanique, s'est distinguée depuis le Moyen Âge et possède le château de Chimay, en Belgique. Du côté de sa mère, Marie de Montesquiou-Fézensac, Elisabeth fait partie de la bonne noblesse française et plus particulièrement, gasconne. Elle descend, rien que ça, de Pierre-Paul Riquet, concepteur du canal du Midi mais aussi de Teresa Tallien et de Napoléon Ier ! Autant dire qu'Elisabeth naît racée, avec un éminent pedigree mais à une époque à la naissance ne fait plus tout et où la noblesse n'est pas une panacée.
    Mariée jeune au comte Henry Greffulhe, avec lequel elle ne s'entend pas, qui s'avère être volage et lui fait subir vexations sur vexations, la belle comtesse ne connaîtra jamais le bonheur dans sa vie privée mais s'étourdira de fêtes grandioses, de mécénat et s'investira tête baissée dans l'effort de guerre, quand les canons de la Grande Guerre mettent brutalement fin à cette époque bénie que l'on a appelée la Belle Epoque. 
    Morte au début des années 1950, nonagénaire, dans un monde qui n'est plus le sien, Elisabeth Greffulhe aurait pu disparaître de l'Histoire, engloutie dans l'oubli, comme bon nombre de ces mondains de la fin du XIXème et du début du XXème siècles dont on ne se souvient plus. Érudite et cultivée, elle a pourtant favorisé des artistes, danseurs, compositeurs ou musiciens (elle contribuera à populariser Wagner à Paris et à y faire donner des représentations des ballets russes, à la fin du XIXème siècle) mais ce n'est pas cela qui immortalisera cette femme au regard noir étrange et impénétrable, pas vraiment belle aujourd'hui lorsqu'on regarde les photographies en noir et blanc qui la figent dans une pose artificielle mais qui, selon ses contemporains, possédait un charme puissant et magnétique. Ce qui nous permet de nous souvenir encore d'Elisabeth aujourd'hui, soixante-dix ans après sa mort, c'est Proust. Mort en 1922, Marcel Proust a laissé une oeuvre conséquente, gigantesque, qui le fit entrer rapidement au panthéon des auteurs classiques, dont il n'est plus sorti. Son oeuvre, A la Recherche du Temps Perdu, fait partie de ses trésors de la littérature française et internationale, traduites en une multitude de langues et dans divers pays. 

    Parce qu'il n'était pas issu du monde qu'il décrivait, celui de la mondanité française de la fin du XIXème / début XXème, parce qu'il n'était pas issu de ce monde qui se croyait grand mais n'était pas exempt de ses petitesses, on l'accusa de snobisme. Aujourd'hui, son oeuvre colossale, qui l'occupa une grande partie de sa vie et consuma probablement le peu de santé qu'il avait, est un rare témoignage d'un monde disparu dont les bouleversements et les progrès du XXème siècle ont précipité la chute. Proust s'est surtout avéré un très bon observateur, qui a immortalisé sur papier, comme l'ont fait les photographes sur pellicule, les portraits de ces femmes aux chapeaux à plumes qui peuplaient les rues du vieux Paris, les baignoires de l'Opéra et les grandes réceptions de cette époque-charnière qui oscille entre Histoire et modernité. 
    Elisabeth Greffulhe m'a rappelé une autre mondaine, la Casati, l'excentricité en moins. Mais elles évoluent dans un monde semblable, tourbillonnant et étourdissant, qui vous broie ou vous distingue, c'est selon. Cette Elisabeth à l'ascendance plus qu'illustre, qui n'a jamais connu le besoin et fréquente les plus grands de son temps, des présidents de la République française au tsar de Russie en passant par le roi d'Angleterre, s'avère être une philantrope, une mécène, une amoureuse des arts et des lettres (même si elle n'a jamais lu Proust, au grand désespoir de ce dernier) qui s'intéresse aussi aux sciences en finançant par exemple les travaux de Pierre ou Marie Curie qui, au début du XXème siècle fonderont l'Institut du Radium. On retrouve Elisabeth Greffulhe, papillonnante, là où l'attend mais aussi où l'on ne l'attend pas. Elle m'a parfois évoqué un peu l'impératrice Sissi, également, qui avait la bougeotte pour échapper à un quotidien qui ne la satisfaisait pas. 

    Épinglé sur Proust Composites

    Plusieurs clichés immortalisent la jeune Elisabeth Greffulhe dont cette fameuse photo d'Otto Wegener (1899) qui, grâce à un travail sur négatif, nous présente deux Elisabeth, l'une en noire, l'autre en blanc, comme deux versions d'une même femme. 


    Mal mariée, Elisabeth dut supporter, jusqu'à sa mort au début des années 1930, un mari volage et violent, qui lui imposait ses maîtresses et la manipulait selon son bon plaisir : le comte Henry Greffulhe, dont le nom est tout aussi brutal que son comportement. Contraste criant entre la flamboyance de la vie mondaine, la position de premier plan, l'adulation d'amis que l'on pourrait presque considérer comme des sujets et la noirceur d'une vie privée plus qu'insatisfaisante, auprès d'un homme qu'elle s'est efforcée d'aimer mais dont elle était si différente et qui, par sa perversité narcissique, lui a fait vivre un véritable enfer conjugal, Elisabeth est un personnage mixte, hybride, une sorte de Janus qui présente deux visages différents, selon qu'on la voit comme le point de mire d'une société privilégiée et nantie ou bien comme une épouse déçue et amère, enterrée dans l'austère et triste propriété de Bois-Boudran, en Seine-et-Marne, où la très parisienne petite Caraman-Chimay aura le sentiment d'être enterrée vivant auprès d'une belle-famille qui ne la comprend pas, au début de son mariage, alors qu'elle n'a pas vingt ans. Si Proust ne s'est pas inspiré que d'elle pour élaborer l'un de ses personnages les plus emblématiques, la jolie duchesse de Guermantes, nul doute qu'elle partage avec Oriane bien des points communs et bien des secrets
    J'ai été un peu moins emballée par cette biographie que par celle de la duchesse de Berry, je l'ai trouvée plus longue, pas toujours captivante, je dois bien l'avouer. Peut-être parce que je connaissais moins le personnage, parce que je ne fais pas partie des lecteurs avertis de Marcel Proust : j'ai pour le moment lu uniquement Du côté de chez Swann, le premier tome d'A la Recherche du Temps Perdu et je dois bien avouer que, si ne pas louer les talents littéraires de Proust serait hypocrite, je me suis quand même souvent ennuyée. 
    Cela dit, l'idée de combiner une biographie chronologique (assez rapide) à une autre, plus thématique, réunies en un seul volume, est assez intéressante ! Laure Hillerin nous brosse d'abord à grands traits le portrait de cette femme dont on se rend compte que la figure est encore entourée de bien des zones d'ombre. L'Histoire n'a finalement pas retenu grand chose d'Elisabeth Greffulhe, la reléguant dans des limbes dont Laure Hillerin la sort patiemment. Puis elle rentre un peu plus dans le vif du sujet, présentant une Elisabeth mélomane, mécène, mondaine, avide de fêtes et de représentation, une femme de son temps, qui s'éveille aussi au sentiment féministe quand la France de la IIIème République se trouve confrontée à l'horreur du Bazar de la Charité (1897). Elle nous présente aussi les phases de la création littéraire, qui ont progressivement amené Proust à élaborer cette oeuvre romanesque qu'on pourrait presque aujourd'hui considérer comme un témoignage : et la saga, A la Recherche du Temps Perdu, n'a jamais aussi bien porté son nom. On assiste au processus de cristallisation, qui transforme Elisabeth Greffulhe, de femme de chair et de sang, en une muse figée à jamais dans les pages d'un roman mais qui revit par procuration à chaque fois qu'un lecteur curieux en entrouvre les pages. Curieux destin que celui de cette femme qui fit tant de son vivant mais dont on ne se souvient pas, ou si peu et qui ne vit aujourd'hui que par une oeuvre qu'elle s'est toujours refusée de lire.
    Bien documentée, cette biographie est précise, mêle avec habileté Histoire et littérature. On croise dans ces pages toutes les sommités de la Belle Epoque française mais pas que...le destin d'Elisabeth Greffulhe est, en soi, un véritable condensé d'Histoire. Rien que pour cela, il mérite sans nul doute d'être redécouvert comme il se doit : c'est-à-dire pour ce qu'il est et pas qu'au travers du prisme littéraire, toutefois ô combien éclairant. Oriane et Elisabeth se confondent aujourd'hui en un personnage unique et qui s'émancipe tant de son modèle que de son auteur. Redécouvrir la muse de Proust et la replacer dans son contexte était, somme toute, plutôt intéressant pour la passionnée d'Histoire que je suis. J'avoue, les derniers chapitres très proustiens m'ont un peu ennuyée mais globalement j'ai aimé en apprendre plus sur cette mystérieuse Elisabeth Greffulhe. Immortalisé par Philip Alexius de Laszlo sur une huile sur toile de 1907, son regard pénétrant et fuyant à la fois, qui semble passer comme un coup de vent, orne la couverture de ce livre conséquent et nous donne aussitôt envie d'aller voir ce qui se cache en-dessous, dans les tréfonds d'une époque disparue et dont on est parfois encore un peu nostalgique sans se l'avouer.

    En Bref :

    Les + : biographie qui redonne un peu de consistance à une femme très active de son vivant, mondaine mais aussi mécène et artiste, qui inspira les peintres, les romanciers et les photographes mais n'a finalement laissé d'elle que peu de souvenirs.
    Les - :
    les derniers chapitres un peu longs, pour moi qui ne suis pas une fan de Proust.


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  • « L'époque de la Nouvelle-France est devenue aux yeux des nationalistes canadiens-français " le symbole d'une pureté originelle", avec ses gestes fondateurs, ses pionniers héroïques, ses femmes courageuses et ses saints martyrs. »

     

    Histoire de l'Amérique française ; Gilles Havard et Cécile Vidal

     

     

      Publié en 2008

     Editions Flammarion (collection Champs Histoire)

     863 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Au début du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France s'étendait sur près des deux tiers du continent nord-américain, de Québec à la Nouvelle-Orléans, des forêts glacées du Canada aux bayous de Louisiane, en passant par les prairies du Midwest.
    Un Empire dont la clé de voûte fut l'alliance avec les Indiens, qui permit aux Français de s'implanter et de se maintenir au nez et à la barbe des Anglais, plus nombreux, mais confinés sur le littoral atlantique. Colons, Indiens, esclaves africains composaient, surtout en Louisiane, une Amérique française au visage cosmopolite. Cette Amérique, que notre mémoire a occultée, n'a pas entièrement disparu. Les toponymes en témoignent : New Orleans, Baton Rouge, Saint-Louis, Montréal, etc., de nombreuses villes nord-américaines ont eu pour fondateurs des Français. Des millions d'Américains, aux États-Unis comme au Canada, ont des noms d'origine française. Archambault, Bissonnette, Boucher, Colombe, Dion, Pineaux, Roubideaux : imagine-t-on aujourd'hui que ces patronymes sont portés notamment par des Indiens du Dakota ? Parmi les descendants des colons français, certains parlent toujours la langue de Molière.
    Ce legs, on ne saurait le comprendre sans se glisser, au fil de la lecture, dans une pirogue ou dans un canoë à la recherche d'une histoire ignorée.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand on pense aujourd'hui à l'Amérique française, on pense au Québec...peut-être, un peu après, aux Cajuns de Louisiane : on s'émerveille ou on s'étonne de ces populations francophones minoritaires dans un monde nord-américain tentaculaire et largement anglophone. Mais on oublie qu'à partir du XVIème siècle, une véritable page française s'est écrite au Nouveau Monde, peut-être parce qu'elle est marquée de nombreux échecs qui mènent finalement sa disparition finale, en comparaison avec les colonisations espagnole ou britannique, qui vont prospérer et s'installer. Ce que l'on a appelé la Nouvelle-France, que Voltaire surnommera avec mépris « ces quelques arpents de neige », disparaît dans le courant du XVIIIème, happée par la guerre de Sept Ans et rattachée au giron britannique, entraînant des traumatismes durables pour certaines populations, comme les Acadiens victimes du Grand Dérangement, qui est ni plus ni moins qu'une vaste campagne de déportation des populations d'origine française.
    Et pourtant, il y'a à dire sur cette Nouvelle-France. La preuve, les deux auteurs, Gilles Havard et Cécile Vidal, tous deux auteurs spécialisés de l'histoire de cette partie du monde à l'époque moderne, ont produit un livre particulièrement riche et ardu à lire, il faut bien le dire, mais passionnant. Ce n'est pas parce que la colonisation française en Amérique s'est soldée par un échec qu'elle n'a pas laissé de traces, ce n'est pas parce qu'elle s'est soldée par un échec qu'il n'est pas intéressant de l'étudier, au contraire. Ne serait-ce que pour comprendre pourquoi cette colonie n'a pu se pérenniser, il faut l'étudier, il faut s'intéresser à ses mécanismes, à sa manière de fonctionner, parfois, il faut remonter dans l'Histoire de France pour comprendre pourquoi à ce moment-là les souverains espagnols ont lancé de grandes campagnes de conquêtes alors que les Français, non -on serait tenté de dire avec pessimisme qu'ils ont raté le coche alors que c'est bien plus compliqué que ça au final. Il faut comparer les institutions et la religion des différentes métropoles, la culture des pays d'origine pour comprendre ce qui va se passer par la suite en Nouvelle-France et en Amérique en général, parce que si on regroupe les mouvements européens qui démarrent à la fin du XVème siècle sous la dénomination globale de colonisation, on se rend bien compte qu'un Britannique, un Espagnol, un Hollandais ou un Français ne s'y prendra pas de la même manière, compte tenu de la culture et de l'héritage nationaux dont chacun est dépositaire.
    En ce qui concerne la Nouvelle-France, il faut l'étudier comme un tout, sans nier pour autant les spécificités du Canada, de l'Acadie et de la Louisiane qui forment, au tournant de l'époque moderne une vaste entité géographique, englobant une grande partie de l'Amérique, depuis le Canada jusqu'au golfe du Mexique, en passant par la région des Grands Lacs, des Rocheuses aux Apalaches. Non, la présence française en Amérique ne fut pas anecdotique et c'était particulièrement passionnant de découvrir la destinée de cette colonie qui disparaît encore jeune, absorbée par une autre plus puissante mais qui, mine de rien, a laissé un héritage linguistique, culturel et toponymique significatif, dans une Amérique du Nord que l'on considère volontiers comme entièrement anglophone voire anglo-hispanophone, à la rigueur.

     

    La Nouvelle-France (le Canada y est marqué en rose ; au sud la Louisiane) sur une carte datant de 1719


    Que ce soit clair, ce livre n'est ni une apologie de la colonisation française en Amérique ni un réquisitoire. C'est un travail d'historien, neutre et nuancé, qui aborde chaque aspect, positif ou négatif de cette colonisation. Si vous n'avez pas peur de l'Histoire scientifique, des chiffres et des pourcentages, alors vous pouvez vous lancer dans cette lecture. Mais il faut que le sujet vous intéresse tout particulièrement, sinon vous allez vous ennuyer. Vous vous en doutez sûrement, ce livre ne se lit pas comme un roman et si certains passages sont relativement faciles à lire et fluides, ce n'est pas le cas de tous. D'où mon sentiment d'avoir eu un rythme de lecture un peu perturbé avec ce livre : d'une centaine de pages avalées par jour je pouvais passer le lendemain à une quarantaine, voire moins, parce que j'abordais un chapitre plus difficile à comprendre ou qui nécessitait plus de concentration pour tout assimiler.
    Mais globalement, ce fut une lecture qui m'a passionnée et qui m'a rappelé un cours de fac que j'avais beaucoup aimé (dans l'ensemble) et pour lequel j'avais d'ailleurs acheté ce livre, qui me servait alors de manuel. Je n'avais pas prévu à ce moment-là de le lire un jour d'un bout à l'autre, l'envie est venue bien après l'arrêt de mes études mais je serais bien incapable de dire pourquoi. Peut-être parce que la lecture de romans se passant aux Amériques à l'époque moderne m'a donné envie d'en savoir plus, je ne sais pas. Toujours est-il que je ne pouvais pas faire de meilleur choix : l'écueil avec des livres traitant de la colonisation, c'est de tomber dans la diabolisation ou dans l'apologie et je ne souhaitais ni l'un ni l'autre. Je voulais une approche juste et cohérente, celle d'historiens neutres et objectifs. Quand je dis cela, n'allez pas vous imaginer que les auteurs cautionnent la violence dont ont pu se rendre coupables certains colons, ou encore l'esclavage. Non. Il ne s'agit pas de cela. Il ne s'agit pas non plus de présenter la présence française en Amérique comme irrémédiablement mauvaise. Il s'agit d'en montrer tous les aspects, des contacts amicaux qui se créent entre Français et Amérindiens jusqu'à la phase plus sombre de l'esclavage en Louisiane. Il s'agit d'en montrer les modes de vie, les institutions, les administrations qui se mettent en place pendant les deux siècles environ de développement de la colonie, du milieu du XVIème jusqu'à la perte définitive au milieu du XVIIIème siècle. Il s'agit de montrer ausis ce que cet héritage a encore de prégnant aujourd'hui, en 2020, au sein de populations américaines assimilées mais qui gardent un fort attachement à leurs racines françaises, que ce soit au Québec mais aussi en Louisiane.
    En conclusion, je dirai que ce livre est intéressant mais peu facile d'accès. Il faudra vous accrocher mais vous en ressortirez avec des connaissances actualisées et riches, qui transcendent la vision traditionnelle que l'on a du colon canadien coureur des bois et chassant le castor dans la vallée du Saint-Laurent. La présence française en Amérique, c'est bien plus que cela et vous pouvez faire confiance à Gilles Havard (chargé de recherches au CNRS) et Cécile Vidal (spécialiste de la Louisiane) : ce sont des spécialistes de cette époque et de cette aire géographique !

    Histoire de l'Amérique française ; Gilles Havard et Cécile Vidal

    Trois personnages qui ont marqué l'histoire de la Nouvelle-France : de gauche à droite, Jean Talon, premier intendant de la Nouvelle-France, Pierre Lemoyne d'Iberville, premier gouverneur de la Louisiane et René-Robert Cavelier de La Salle, explorateur qui prit possession de la Louisiane à la fin du XVIIème siècle.

     

    En Bref :

    Les + : ardu, mais riche et intéressant, ce livre vaut le détour si l'Histoire scientifique ne vous fait pas peur et si l'histoire de la présence française en Amérique vous intéresse. Pour en finir avec les idées reçues et les préjugés, lisez ce livre écrit par deux historiens spécialisés de la période et de cet aire géographique. On en ressort sans nul doute avec des connaissances actualisées.
    Les  - : pour moi aucun, mais il est clair que ce roman n'est pas pas d'un abord forcément simple.

     


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  • « Quand le hasard lui fait rencontrer cette moitié de lui-même, son complément, l'amoureux est saisi d'un sentiment d'amitié, de familiarité, d'amour, et ne veut plus le quitter. »

     

    Un An Après ; Anne Wiazemsky

     

     

     

     Publié en 2016

     Editions Folio 

     232 pages 

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    « La traque des étudiants se poursuivait boulevard Saint-Germain et rue Saint-Jacques. Des groupes de jeunes, garçons et filles mélangés, se battaient à mains nues contre les matraques des policiers, d’autres lançaient différents objets ramassés sur les trottoirs. Parfois, des fumées m’empêchaient de distinguer qui attaquait qui. Nous apprendrions plus tard qu’il s’agissait de gaz lacrymogènes.
    Le téléphone sonna.
    C’était Jean-Luc, très inquiet, qui craignait que je n’aie pas eu le temps de regagner notre appartement. "Écoute Europe numéro 1, ça barde au Quartier latin!" Nous étions le 3 mai 1968. »


    Anne Wiazemsky. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Un An Après se passe chronologiquement juste après Une Année Studieuse, dans lequel Anne Wiazemsky nous racontait sa rencontre avec Godard, de dix-sept ans son aîné, leur idylle puis leur mariage.
    Dans Un An après, nous sommes en 1968, Anne a vingt-et-un ans, c'est une jeune mariée qui découvre la vie de couple et la vie en général. Ancienne étudiante en philosophie à la Sorbonne, elle a laissé tomber ses études juste avant l'examen final pour se consacrer au cinéma et a déjà joué dans quelques films, notamment La Chinoise, de Godard justement. Par son mariage, elle fréquente le beau monde du cinéma français, acteurs, réalisateurs, producteurs et découvre un univers particulier tandis qu'elle-même est issue d'une famille où l'émulation créatrice et les convictions se transmettent de génération en génération : pour moi, les Wiazemsky-Mauriac, c'est une famille bourgeoise mais pas que, elle est un peu artiste, un peu bohème aussi -ou disons qu'elle le devient. Il y'a le grand-père, François Mauriac, écrivain bourgeois et quelque peu conservateur installé dans sa propriété du Bordelais ; il y'a la mère, Claire, qui s'est engagée comme ambulancière en 1945 et a rencontré son futur époux dans les décombres de Berlin ; il y'a Pierre, le frère qui, en 1968 passe son bac et se mariera, onze ans plus tard, avec une romancière à la bibliographie plutôt sulfureuse, Régine Deforges, avec qui il aura une fille, Léa. Pierre qui, aujourd'hui, est connu sous le surnom de Wiaz est un dessinateur de presse reconnu. Il y'a Jean-Luc, le mari, déjà un cinéaste de renom, ami de Truffaut et de la star montante française, Jean-Pierre Léaud, artiste et créateur, on pourrait même dire, inventeur d'un nouveau genre. C'est surtout une famille terriblement attachante, dont Anne est un représentant pudique et tendre et je crois que c'est pour cela qu'elle a su capter mon intérêt tout de suite avec ses livres autobiographiques dans lesquels elle se dévoile sans trop en dire, racontant plus une époque à travers son expérience que le contraire.
    Quelques mois seulement après son mariage, Anne demande à Jean-Luc de déménager et de quitter la proximité de la place Beauvau pour le Quartier Latin. Sa raison est simple, la proximité du ministère de l'Intérieur et de l'Elysée pèse à la jeune femme qui en a marre de voir tous ces flics partout. Direction la rue Saint-Jacques, dans le quartier des étudiants, non loin de la Sorbonne. Elle ne sait pas que quelques semaines plus tard, le quartier sera cerné par des cordons de CRS et en proie à une véritable guérilla urbaine, menée par les étudiants du Quartier Latin, en révolte ouverte contre le pouvoir du général de Gaulle et qui vont bientôt entraîner tout un pays dans leur colère : on retiendra par exemple les ouvriers des usines Renault de Boulogne-Billancourt et de Flins, très présents dans les manifestations, ainsi que les nombreux syndicats, qui s'emparent à leur tour de la cause.

    Décès d'Anne Wiazemsky, romancière et actrice, ex-épouse de Jean ...

    Anne Wiazemsky et Jean-Luc Godard


    Mai-68 est un événement fondateur de notre Histoire contemporaine, c'est un événement important, qu'on le cautionne ou pas. Ces manifestations qui ont jalonné le mois de mai et paralysé la France (Anne Wiazemsky décrit bien le pays à l'arrêt, faute de carburant, de transports, de ravitaillement dans les supermarchés) ont marqué toute une époque...elles ont donné le coup d'envoi des mouvements hippies et libertaires des années 70, elles ont entériné et donné de l'élan aux revendications des femmes. Encore aujourd'hui, et ce n'est sûrement pas un hasard, on associe souvent les revendications populaires à celles de mai-68, c'est une référence familière et qui parle à tout le monde, qu'on l'ait vécue ou non.
    Découvrir ce qu'une jeune femme de vingt ans en 1968, menant déjà une vie bien remplie et pas forcément conventionnelle est intéressant. Anne Wiazemsky a été un témoin de premier plan de l'époque, déjà parce que les fenêtres de son appartement ouvrait sur ce Quartier Latin qui va s'embraser le premier, avec en point de mire la faculté de la Sorbonne. Pendant ses études à Nanterre, autre foyer de la contestation, elle avait croisé un futur leader de mai-68, Daniel Cohn-Bendit, avec lequel elle avait sympathisé, d'ailleurs. De part son mariage avec Godard, qui profite de l'agitation pour tenter de révolutionner le monde du cinéma, elle découvre une autre lutte, celles des artistes, des cinéastes, des acteurs tandis que son jeune frère Pierre, avec l'exaltation de ses dix-huit ans, se jette à corps perdu dans les manifestations avec ses amis lycéens.
    Plusieurs fois, la femme qu'elle est devenue et qui écrit à la fin de sa vie, se souvient de la peur qui a été celle de la jeune femme qu'elle était alors, devant une situation sans précédent. Comment imaginer de véritables scènes de violence guerrière dans un Paris de la fin des années 1960, les rues dépavées, les voitures incendiées, les vitrines cassées...? Anne, à vingt ans, découvre l'envers pas toujours très beau, d'une vie qu'elle a menée jusqu'ici de manière relativement protégée.
    En parallèle, ses premiers pas dans le monde du cinéma continuent et elle accompagne souvent son mari sur certains de ses projets : ainsi, au printemps 1968, elle rencontre les Beatles dans leurs fameux studio d'Abbey Road, à Londres puis assiste au tournage de Godard avec les Rolling Stones, rencontre Marianne Faithfull et Anita Pallenberg, leurs muses...en Italie, la petite Française se fait un nom, en tournant notamment avec Bertolucci. Doucement aussi, les liens amoureux avec Godard évoluent, se détendent : les accrochages dans le couple se font plus nombreux, l'incompréhension aussi. Avec une lucidité criante et les aspirations libertaires qui sont bien de son temps, Anne, à l'ombre d'un mari d'une autre génération se rend bien compte qu'aimer et se marier, c'est perdre un peu de son indépendance...Récit d'une vie et d'une carrière, récit historique aussi parce que l'auteure fixe sur papier son témoignage sur un événement exceptionnel et qui bouleversa la fin des années 60 français, Un An Après est un livre complet et de qualité.
    Parce qu'Anne Wiazemsky sait se raconter sans trop en dire, sans se dévoiler impudiquement, parce qu'elle nous fait partager, au-delà de sa vie sociale et professionnelle bien remplie et bien différente de celle des jeunes femmes de son temps et de son âge, les préoccupations qui sont celles d'une jeune femme de vingt ans, qu'elle soit mariée ou pas, en couple ou pas, les questions qu'une jeune femme de vingt ans se posera de toute façon, qu'elle les ait en 1968 ou en 2020. Cette proximité la rend attachante et petit à petit, au cours de notre lecture, un étrange transfert se crée et ses mots deviennent les nôtres.
    Je ne saurais pas dire d'où vient ma tendresse pour l'oeuvre littéraire d'Anne Wiazemsky, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'elle est là, elle est bien présente et qu'Un An Après n'aura pas déçu mes attentes. Après avoir découvert Mon Enfant de Berlin puis son histoire avec Godard, je pense que je lirais le récit de son adolescence, Jeune Fille

    Ja, Godard” [RECENZJA]: pstryczek w nos. Hazanavicius wszedł z ...

    Dans le film Le Redoutable, de Michel Hazanavicius, Louis Garrel et Stacy Martin interprètent Godard et Anne

    En Bref :

    Les + : Malgré son aspect autobiographique, l'auteure a su préserver son intimité et sa vie privée, nous la livrant presque comme un roman. J'ai préféré Mon enfant de Berlin mais Une année studieuse et cette suite auront su me séduire. 
    Les - :
    Aucun. Ma tendresse pour l'oeuvre d'Anne Wiazemsky est intacte.


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  • « Ce livre retrace l'histoire de sept aristocrates dont la jeunesse coïncida avec le dernier moment de grâce de la monarchie française. »

     

    Couverture Les derniers libertins

     

     

     

     Publié en 2016

     Editions Flammarion(collection Au fil de l'histoire)

     636 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Ceci n'est pas un livre d'histoire, et pourtant tout y est avéré. C'est le roman vrai des derniers feux de la monarchie, la chronique d'une civilisation au raffinement inégalé, et que 1789 emportera à jamais. Le roman vrai de sept destins, chacun emblématique et unique à la fois. Des aristocrates de haut lignage, dotés des vertus dont tout noble doit s'enorgueillir : fierté, courage, raffinement, culture, esprit, art de plaire. Ils se connaissent, sont cousins ou rivaux, libertins dans une société où l'on veut aimer à sa guise, puisque le mariage y est de convenance. Maîtresses officielles ou secrètes, liaisons épistolaires et enflammées, dépit, faveur, puis disgrâce... Jamais l'art de conquérir ne fut porté à cette incandescence. Chacun d'eux, en même temps, veut se forger un destin. Prétendant aux plus hautes fonctions au service du Roi, ils devront composer avec la cour où les alliances se font et se défont au gré d'intrigues savantes et souvent cruelles. On croisera Talleyrand, Laclos, Marie-Antoinette dans la légèreté de ses vingt ans, les chroniques savoureuses du prince de Ligne ou de la comtesse de Boigne, les billets, les poèmes que cette élite lettrée et cosmopolite s'échange à chaque heure du jour. Ils sont aussi les enfants des Lumières, et accueillent avec d'autant plus d'intérêt les idées nouvelles qu'ils croient possible de les concilier avec leurs propres privilèges. Mais la Révolution balayera cet espoir. Certains prendront les armes, d'autres le chemin de l'exil ; ce sera la ruine, la guillotine pour deux d'entre eux. Pour tous, la fin d'un monde. Avec une plume enjouée et complice qui rappelle les meilleurs mémorialistes, Benedetta Craveri a composé ici un magnifique hommage à cette génération perdue qui incarna, plus qu'aucune autre, une certaine douceur de vivre. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Les Derniers Libertins raconte la fin d'un monde et le début d'un nouveau, à travers les portraits de plusieurs hommes qui symbolisent cette fin du XVIIIème siècle français : la fin de la monarchie, ses derniers feux puis les débuts de la fureur révolutionnaire.
    Connus ou moins connus, ils sont tous des fers de lance de cette fin de siècle, de ce XVIIIème siècle des Lumières qui va donner naissance à une révolution à laquelle, contrairement à ce que l'on pourrait penser, la plupart ne seront pas hostiles.
    Lauzun, Narbonne, Boufflers, Ségur...des noms qui peut-être vous évoquent quelque chose, ou pas. En ce qui me concerne, je connaissais bien le duc de Lauzun, parce que je l'ai souvent croisé dans des biographies de Marie-Antoinette et parce que le titre qu'il portera à la fin de sa vie, duc de Biron, est originaire de ma région et que son superbe château y est très connu. Je connaissais aussi le duc de Vaudreuil, amant de la duchesse de Polignac, favorite de la reine, pour l'avoir aussi régulièrement croisé dans les livres et biographies consacrés à Marie-Antoinette et le duc de Brissac parce que sa liaison avec Madame du Barry et les livres que j'aie pu lire sur elle me l'avaient fait connaître. Pour les autres, ce fut une véritable découverte.
    Pour autant que leurs destins soient différents, ils sont cependant tous liés par un (ou des) dénominateur (s) commun (s) : la naissance illégitime pour certains d'entre eux -Lauzun, Ségur, Narbonne- qui portent le nom d'un père qui ne l'est pas, l'appartenance à l'aristocratie, les idées, le mode de vie, la carrière militaire...Ces derniers libertins, ce sont de purs produits de la fin du XVIIIème siècle, amoureux du plaisir et des femmes, élevés dans des familles pas forcément très conventionnelles, où les maris ont des maîtresses et les épouses des amants sans que cela ne choque personne. Ce sont aussi des idéalistes, aux idées libérales, biberonnés aux philosophes des Lumières et qui appellent de leurs vœux une Révolution qui, faisant l'effet d'un tsunami, paradoxalement, les balaiera tous. Lauzun se battit ainsi en Amérique aux côtés de La Fayette et Rochambeau, aidant un peuple à se libérer de son roi, n'imaginant pas que dix ans plus tard, l'agitation révolutionnaire gagnerait la France et le sacrifierait. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les nobles ne furent pas tous des émigrés ni même des monarchistes comme le peuple n'a pas été entièrement sans-culottes. La mauvaise image de la monarchie, véhiculée dans l'opinion, vient avant tout de Versailles et des courtisans ou de nobles critiques, comme la marquise de Coigny, bonne amie de Lauzun et qui détestait la Cour.

    Armand-Louis de Gontaut, duc de Biron, général en chef de l'armée du Rhin 1747-1793  (Georges Rouget, 1834).

    Certains choisiront toutefois la monarchie mais seront partisans d'un changement et d'une monarchie constitutionnelle à l'anglaise, témoin de cet intérêt croissant que l'on avait eu dans la seconde moitié du siècle pour tout ce qui venait d'Outre-Manche, malgré les relations diplomatiques calamiteuses entre les deux pays : l'équitation à l'anglaise, les jardins à l'anglaise, les courses hippiques, la redingote... et surtout les idées politiques qui font leur chemin petit à petit. Par faiblesse ou peut-être par indécision, la monarchie française ne sut pas se réinventer et sombra dans l'abyme, sacrifiant son roi et sa reine mais aussi son aristocratie. Toujours est-il que c'est dans les rangs de ceux qui étaient nés pour la défendre et leurs ancêtres avant eux, que la monarchie absolue trouva en premier lieu le plus de détracteurs.
    Cela n'empêchait pas ces hommes bien nés, souvent riches -même si certains connurent des revers financiers relativement importants- de mener grand train, consommant les femmes et le champagne dans un joyeux tourbillon. Ces derniers libertins ont aimé la vie et l'ont brûlée par les deux bouts tandis que l'échéance s'approche de plus en plus dangereusement.
    Ce livre de Benedetta Craveri avait tout pour me plaire et, d'ailleurs, je ne serais pas honnête si je vous disais que ce n'était pas le cas : je l'ai trouvé intéressant et j'ai apprécié de découvrir une époque qui me passionne autrement qu'au travers des figures traditionnellement analysées (Marie-Antoinette la première). Ces destins m'ont tous plu, parce que si chacun va son chemin, leurs vies parallèles se télescopent par moments et surtout présentent d'étranges similitudes. La fin de l'Ancien Régime et la Révolution française sont décidément des époques bien plus compliquées que l'on ne pourrait le croire et qui sont malheureusement ramenées au rang d'un manichéisme réducteur et trop facile dans les livres scolaires, nous donnant une vision biaisée de cette époque fondatrice. Si j'avais eu besoin d'en être convaincue, nul doute que ce livre y serait parfaitement parvenu, nous montrant de grands nobles embrassant à bras-le-corps un changement bienvenu et qui, pourtant, les touchaient en premier lieu.

    Louis Marie de Narbonne-Lara

    Louis Marie de Narbonne-Lara, militaire et amant de la célèbre Mme de Staël dont il eut deux enfants et considéré comme un enfant naturel de Louis XV 


    Pour autant, je l'ai trouvé extrêmement compliqué à lire, d'où un sentiment assez partagé en fin de lecture. Je ne sais pas si c'est le style de l'auteure ou la traduction mais je ne l'ai pas trouvé facile d'accès. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé mais j'avais la désagréable impression d'oublier à mesure que je lisais, étant obligée de revenir en arrière parce que j'avais oublié le paragraphe précédent ! ! Il y'a énormément de choses dedans, beaucoup d'informations, beaucoup de noms, beaucoup de dates. Parce que le prisme utilisé par l'auteure est différent de celui dont j'ai l'habitude, peut-être aussi ai-je eu besoin de plus de temps pour bien me resituer...toujours est-il que ce sentiment qui m'est apparu quasiment dès les premières pages m'a poursuivie jusqu'à la fin. Globalement, j'ai évidemment retenu ce que j'ai lu sinon je ne serais pas en train de vous parler de ce livre, mais...j'avoue que cette impression de manque de concentration, de difficulté n'est pas agréable.
    Mais le XVIIIème siècle me passionne toujours autant et ce n'est pas ce petit bémol qui va m'empêcher de lire les autres livres de Benedetta Craveri, notamment celui qu'elle consacre à Madame du Deffand, célèbre salonnière de l'époque et épistolière, qui correspondit notamment avec Voltaire, d'Alembert ou encore Horace Walpole.
    Pour en revenir aux Derniers Libertins si, comme moi, vous aimez le XVIIIème siècle, nul doute que vous y trouverez votre content, même si vous ressentez peut-être la même impression de difficultés à sa lecture. Le propos n'en est pas moins passionnant et ces derniers libertins sont décidément assez attachants, tous à leur manière. Libertins de mœurs, libertins d'esprit, ils personnifient parfaitement cette époque moribonde mais qui ne le sait pas encore et continue de s'étourdir dans les ors jusqu'à plus soif. Plus dure sera la chute : pour certains sur la paille des prisons de la République et pour d'autres, ce sera l'assurance de l'amertume de la perte et la désillusion jusqu'à la fin. Avec Louis XVI qui cesse de régner, c'est aussi toute la noblesse française, ciment de la monarchie qui, faute d'avoir su ou d'avoir pu tirer son épingle du jeu, sera engloutie pour toujours dans les limbes d'un monde nouveau qui n'est pas écrit par elle ni pour elle.

    Fastes. "Serenade au Petit Trianon", gravure d'adrien Moreau en hommage a la reine Marie-Antoinette, avant 1789.

    Sérénade au Petit Trianon (gravure d'Adrien Moreau en hommage à Marie-Antoinette, avant 1789)

    En Bref :

    Les + : une analyse du XVIIIème siècle intéressante et innovante parce que centrée sur des figures que l'on ne fait en général que croiser. 
    Les - : le livre est extrêmement riche et je l'ai, de fait, trouver assez compliqué à lire, je l'ai trouvé relativement laborieux.


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