• « On ne construit rien de durable si on méconnaît les leçons du passé. Puisse la figure de la dernière impératrice éclairer ce débat. »

    Zita, Impératrice Courage ; Jean Sévillia

    Publié en 2016

    Editions Perrin (collection Tempus)

    398 pages

    Résumé :

    Zita de Bourbon-Parme (1892 - 1989), dernière impératrice d'Autriche et reine de Hongrie, a tout connu du XXe siècle : les fastes de l'empire des Habsbourg, l'accession au trône en pleine guerre de 1914, la fin de l'empire, l'exil, la ruine de l'Europe, avant le retour triomphal dans une Autriche enfin apaisée. La biographie magistrale d'une femme d'exception.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Lire une biographie de Zita, c'est aussitôt s'attacher au personnage. On peut penser ce qu'on veut de la monarchie, quand on a sous les yeux une figure comme celle-ci, si grande humainement et historiquement, on ne peut que s'attacher et être admiratif. La fascination exercée par la dernière impératrice n'est pas la même que celle que l'on peut éprouver pour Sissi...Mais elle est présente quand même. Par sa simplicité, son humanité, Zita est un personnage grandiose.
    Zita, c'est cette silhouette noire tenant un petit garçon par la main, lors des funérailles de François-Joseph en 1916. C'est cette ombre discrète mais toujours présente, soutenant et conseillant son époux aux pires heures de la guerre puis de la chute de l'empire. C'est cette vieille dame au beau sourire, de solides lunettes sur le nez, dans les années 1980, quand elle fut autorisée à rentrer en Autriche, plus de soixante ans après l'avoir quittée... Mais entre ces deux images, entre ces deux stades d'une existence longue et bien remplie, qui est-elle ?
    Née en 1892, elle a connu le vieux monde. Par son père, elle descend du duc de Berry et de Marie-Caroline de Naples. Par sa mère, des Bragance, la famille royale portugaise. Les Bourbon-Parme, italiens, sont, comme leur nom l'indique, issus de Louis XIV et descendent notamment de la fille de Louis XV, par sa fille Élisabeth. Elle est donc apparentée à tout ce que l'Europe compte ou a compté de grandes familles.
    Elle a connu François-Joseph, qui lui-même a côtoyé, enfant, le duc de Reichstadt, le fils de Napoléon Ier. Et elle est morte en 1989, à l'aube d'une ère nouvelle, la nôtre, alors que le mur de Berlin se fissure et que l'empire soviétique craque de toutes parts. Elle a traversé un siècle immensément riche en événements de toute sorte, joyeux, tragiques, horrifiants à l'image de son propre destin.


    Zita est une figure historique mais en même temps très proche de nous. Décédée il y'a moins de trente ans, elle a laissé un souvenir vivace, en Autriche mais aussi dans tous les pays où elle vécut exilée (en Espagne, Belgique, à Madère, aux États-Unis) et même en France, où elle eut des attaches profondes : non seulement elle descendait de la dernière dynastie régnante mais deux de ses frères, Xavier et Sixte, y vécurent aussi et y participèrent à la Première guerre mondiale, contre l'Allemagne. On possède d'elle des photos, des films puisqu'elle accorda des entretiens, notamment pour la télévision autrichienne. Des historiens comme Jean des Cars eurent le privilège, au début des années 1980, de s'entretenir avec elle. Les souvenirs sont bien présents, comme ceux d'une attachante grand-mère. Zita n'est pas un personnage historique figé dans une époque révolue. Ou plutôt, elle n'est pas que cela. Elle est un trait d'union entre l'Histoire, la grande et notre époque, qui est en train de l'écrire.
    Jean Sévillia a su prendre la mesure de cette femme au destin surprenant et hors du commun. Sans bons sentiments ou admiration naïve, il a su brosser de Zita de Bourbon-Parme un portrait objectif et documenté, en l'inscrivant complètement dans son contexte. L'impératrice ne fut pas que la douce jeune femme que les photographies peuvent laisser croire. Épouse et mère certes dévouée et aimante, elle fut aussi une femme politique clairvoyante et combative, qui traversa des époques troublées : les conflit mondiaux, la guerre froide, la montée du nazisme puis l'éclatement est-ouest, sur tous ces événements, Zita eut un avis, une opinion. C'est elle qui apprit à son fils aîné Otto (mort en 2011) son métier d'empereur, après la mort prématurée de Charles. C'est elle qui supporta ses huit enfants jusqu'à ce qu'ils soient indépendants. Forte, combattive, courageuse, portée par une foi sincère, cultivée, polyglotte, voyageuse -même si c'est par la force des choses- , libre et engagée Zita est une femme moderne dans un monde qui ne l'est pas encore tout à fait. Je crois qu'elle aurait très bien pu comprendre notre monde et le faire sien...
    Avec ce livre, l'image que l'on a de Zita se nuance et se renforce. On oublie les portraits brossés à la va-vite, ne consacrant à Zita qu'un encart dans la grande histoire des Habsbourg. Elle n'a pas été que l'épouse de l'empereur Charles et la mère de ses enfants, un simple trait d'union qui permet d'assurer la continuité de la lignée. La jeune femme aux ascendances multiples est devenue, viscéralement, sincèrement, autrichienne. Elle a vécu avec douleur la chute de l'empire puis l'invasion de l'Autriche par le Reich. Le combat monarchiste est devenu le sien et elle n'a jamais lâché. Sa constance et sa détermination ne peuvent que faire naître chez le lecteur un sentiment sincère d'admiration. Zita, par sa proximité avec nous, est un personnage que l'on visualise, que l'on connaîtrait presque ou que l'on croit connaître.
    Je suis ressortie de cette lecture avec une connaissance meilleure de l'Histoire autrichienne, de la chute de son empire et de cette femme admirable qui se battit toute sa vie pour sa souveraineté : car finalement, plus qu'à l'idée d'une Autriche monarchiste et impériale, c'est surtout à une Autriche souveraine, une Autriche en tant que nation et non pas en tant que région allemande que Zita croyait et elle n'en varia jamais.
    On termine cette lecture avec le sentiment que Zita fait partie de ces femmes que l'on peut prendre comme modèle. Une femme qui ne fut jamais terrassée par l'adversité et qui illustre à merveille l'adage : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » et à laquelle on peut volontiers penser quand ça ne va pas : elle aussi a traversé des heures sombres et si elle a flanché, elle a toujours relevé la tête, pour ses enfants, pour sa patrie, pour ses convictions. Une femme amoureuse aussi et qui forma avec l'empereur Charles un couple romantique et touchant.
    Peut-être moins fascinante que Sissi parce que moins insaisissable, elle est surtout plus chaleureuse et moins figée par le papier glacé de l'Histoire. En lisant cette biographie j'ai eu l'impression de lire l'histoire de la grand-mère de l'Europe et qui est un peu la nôtre un peu, aussi.

     

    Zita et Charles avec leurs enfants, en exil en Suisse (1921)

    En Bref :

    Les + : une biographie riche et bien écrite, qui aborde le personnage de Zita sous plein de facettes différentes.
    Les - : Aucun point négatif à soulever.


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  • « Il est des couples où la reine ne s'est pas contentée des coulisses du pouvoir, mais a investi l'avant-scène et refusé de la quitter, abandonnant la quenouille pour le sceptre qu'elle partage avec son mari. Le pouvoir est alors exercé à quatre mains. »

    Les Couples Royaux dans l'Histoire ; Jean-François Solnon

     

    Publié en 2016

    Editions Perrin (collection Tempus)

    463 pages

    Résumé :

    La royauté se conjugue rarement au pluriel. L'art de gouverner serait-il exclusivement un privilège masculin ? Les épouses de monarques qui ont accédé au pouvoir politique démontrent le contraire. Pour la première fois, Jean-François Solnon a cherché la femme à côté de l'homme, et réciproquement, pour nous raconter l'histoire à quatre mains des couples royaux durant quatorze siècles : de Justien et Théodora de Byzance à Nicolas II et Alexandra de Russie, en passant par Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, Louis XIII et Anne d'Autriche, Louis XVI et Marie-Antoinette, Victoria et Albert, Napoléon III et Eugénie, François-Joseph et Sissi...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Tout, dans la vie d'un souverain, est significatif et révélateur. Si toute la vie d'une tête couronnée est instrumentalisée, de la naissance jusqu'à la mort, il reste aussi une grande étape dans sa vie : le mariage. Alliance diplomatique, alliances dynastique, le mariage royal est un événement tout sauf privé.
    En se focalisant sur des couples aux union représentatives, l'auteur, historien réputé, apporte une analyse fine des relations humaines et de la conception du pouvoir de ces souverains, dont le caractère se révèle dans ces unions parfois heureuses, souvent malheureuses, qui finissent bien ou pas. Et ce livre est bien l'illustration que les mariages d'amour ne sont pas ceux qui finissent le mieux, en général. Comme le disait un fameux groupe français un peu déjanté : « les histoires d'amour finissent mal, en général. »
    Ainsi, de l'Antiquité jusqu'au XXème siècle, nous suivons la destinée de deux êtres dont les destins sont unis, par la politique, par pragmatisme ou, au contraire, par les élans du cœur plus forts que tout. Ces mariages sont tous différents et pourtant, ils sont tous le reflet de la limite du pouvoir des souverains, même les plus absolus, car ceux qui ont épousé l’élu de leur cœur se le verront peut-être reprocher et les autres, malgré l'absolutisme de leur pouvoir se verront imposer un conjoint, par les circonstances ou par leur famille. C'est ainsi de Justinien au Vème siècle, à qui ont reprocha d'avoir épousé une fille du peuple et probablement de petite vertu : Théodora. C'est le cas, plus proche de nous, de François-Joseph, qui s'unit par amour à Sissi, ne cessa jamais de l'aimer mais qui ne parvint pas à faire adopter son épouse par sa mère ni par les Viennois.
    Quant à Louis XIII ou Louis XVI, considérés comme des rois absolus, on les a obligés à épouser des femmes qu'ils ne connaissaient pas, pour consolider ou anticiper des alliances. Louis XIII et Anne d'Autriche se rendront mutuellement malheureux et la reine, jusqu'à la mort de son mari, ne se sentira jamais pleinement française. Quant à Louis XVI et Marie-Antoinette, ils ne se trouveront finalement qu'aux heures les plus noires de la Révolution.
    Enfin l'auteur apporte aussi quelques nuances à des couples que l'Histoire a rendus indissociables et pour qui, pourtant, le mariage ne fut pas qu'un long fleuve tranquille : c'est le cas des Rois Catholiques, Isabelle et Ferdinand, dont les deux noms finissent par se confondre dans cette appellation unique, dont l'union fut basée certes sur une grande complicité mais non exempte de divergences de point de vue. C'est le cas aussi de Victoria d'Angleterre et le prince Albert, souffrant toute sa vie de n'avoir pas de statut et de l'hostilité du peuple anglais, exaspéré parfois par la reine conservant jalousement son pouvoir.
    Ils s'aimèrent ou pas. Parfois, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, passant au dessus de leurs divergences ou dissemblances, ils parviendront à s'unir, pour le meilleur ou pour le pire. Parfois au contraire, des mariages contractés par amour se termineront mal : c'est le cas du mariage de l'empereur et de l'impératrice d'Autriche. Toujours très amoureux de son épouse, François-Joseph sera condamné à la regarder s'enfuir, toujours plus loin et surtout, loin de lui. D'autres unions au contraire seront heureuses jusque au bout, déjouant tous les pronostics sceptiques : ainsi de Justinien et Theodora, qui s'aimeront toute leur vie ; malgré le tragique de leur destinée, Nicolas II de Russie et Alexandra Feodorovna, allemande de naissance et qui ne parvint jamais à se faire aimer du peuple russe, resteront amoureux comme au premier jour, unis dans le malheur et surtout dans la souffrance commune de devoir assister chaque jour aux souffrances de leur fils hémophile.

    Image associée

    Les fameuses mosaïques de la basilique San Vitale de Ravenne représentant Justinien, empereur de Byzance et son épouse Théodora


    Enfin il y'a ceux que l'adversité éloignera définitivement comme Isabeau de Bavière, aimante mais condamnée à rester loin d'un mari fou et qui ne la reconnaît plus.
    Et il y'en a bien d'autres encore traités dans ce livre : Marie-Caroline de Naples et Ferdinand IV, Napoléon III et Eugénie de Montijo... Il y'en aurait sûrement eu d'autres qui auraient pu mériter de figurer dans ce livre mais l'auteur a été forcé, évidemment, de faire un choix. Il a opté pour, finalement, les plus représentatifs d'une époque, d'une manière de concevoir le mariage et ses devoirs. Certains sont très connus, d'autres le sont moins. A chaque chapitre cependant, on rencontre deux personnes dont les vies ont été irrévocablement unies, qui ont eu des enfants ou pas, que la vie s'est chargée de rapprocher ou d'éloigner. Violents ou tendres, ces couples sont attachants ou parfois, pathétiques.
    Historien français réputé que j'avais découvert avec une biographie de Catherine de Médicis, il y'a quelques années, Jean-François Solnon écrit bien, même si on ne peut pas vraiment qualifier sa plume de chaleureuse : elle est précise, directe, elle va droit au but. Fiable historiquement, le livre n'est pas qu'un livre d'Histoire domestique, bien au contraire : parce que ces couples, de part leur éminente position, sont intimement liés à la destinée de leur pays, c'est aussi un livre politique, économique, géopolitique que nous offre l'auteur. Les souverains s'unirent-ils aussi dans le gouvernement du pays ? Les consorts furent-ils jaloux du pouvoir de leur conjoint ? Furent-ils ou non présents sur la scène politique ?
    Et, à l'heure où, en Grande-Bretagne, le prince Harry vient d'épouser l'actrice américaine Meghan Markle, mariage moderne et dans l'air du temps, signe d'une volonté profonde de bouleversements d'une monarchie peut-être un peu trop corsetée, ces unions historiques nous apparaissent justement comme le pendant de ce mariage princier si symbolique : on se dit que, aux époques traitées par l'auteur dans son livre, un tel mariage aurait été un pur scandale et que finalement toutes ces unions sont aussi des indicateurs sociologiques intéressants. Les sociétés antique, médiévale et même d'Ancien Régime, si elles n'étaient pas contre les contes de fées, ne considéraient pas le mariage comme nous le faisons aujourd'hui, à plus forte raison le mariage de celui ou celle qui les gouvernait ou les gouvernerait un jour. Le mariage et la conception que l'on s'en fait est alors un bon indicateur social, un réflecteur d'une société.
    Tout cela transparaît dans le livre de Jean-François Solnon. J'ai évidemment apprécié découvrir des couples que je connaissais peu comme Frédéric-Guillaume de Prusse et son épouse, la fameuse reine Louise.
    Ce livre est complet et vraiment intéressant et je ne doute pas qu'il saura séduire tout lecteur un tant soit peu intéressé par l'Histoire et par son aspect domestique, peut-être moins spectaculaire que l'étude militaire ou diplomatique, mais tout aussi révélateur. Découvrir l'Histoire au travers des mariages royaux est captivant. 

    Résultat de recherche d'images pour "victoria et albert"

     La reine Victoria, son époux le prince Albert et leurs enfants 

    En Bref :

    Les + : voilà une manière originale et intéressante d'aborder l'Histoire et celle des têtes couronnées, entre politique et histoire plus intime, celle du couple. 
    Les - : aucun, c'est un livre très complet. Il n'y manque rien. 


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  • « Caroline est un oiseau rebelle. Toute sa vie, elle a cherché à forcer le destin, à s'échapper des cages où l'on voulait l'enfermer. »

    La Duchesse de Berry : l'Oiseau Rebelle des Bourbons ; Laure Hillerin

     

    Publié en 2016

    Editions Flammarion (collection Biographie)

    540 pages 

    Résumé : 

    Tempêtes, révolutions, assassinat, enfant posthume, exil, conspirations, chevauchées nocturnes, trahison, geôle, amours interdites, mariage secret, fêtes vénitiennes... L'existence de Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry (1798-1870) réunit tous les ingrédients d'un drame romantique digne d'Alexandre Dumas - dont elle fut à deux reprises l'inspiratrice. Cette Bourbon pas comme les autres fut l'une des figures les plus célèbres du siècle, par son audace et l'espoir dynastique qu'elle incarnait : son fils, le comte de Chambord, aurait régné sous le nom de Henri V, si Louis-Philippe n'avait pris le pouvoir en 1830 et contraint les Bourbons à l'exil. En s'appuyant sur un rigoureux travail de recherche et sur des sources jamais explorées à ce jour, Laure Hillerin (dont la trisaïeule fut l'amie d'enfance de la duchesse de Berry) brosse un portrait grandeur nature de cette femme qui fit rêver Balzac et Chateaubriand. Du château de Rosny au palais Vendramin à Venise, en passant par le Bocage vendéen ; de la sauvageonne élevée sans contraintes dans le cadre pittoresque de la cour des Deux-Siciles jusqu'à l'aïeule qui s'éteint en Autriche au milieu de sa nombreuse progéniture ; de la rebelle traquée par la police de Louis-Philippe jusqu'à la mère de Henri V, éloignée de son fils par sa propre famille, l'auteur nous fait pénétrer dans l'intimité d'une femme hors du commun, en avance sur son époque à bien des égards. Une femme généreuse, mécène, bâtisseuse et amie des arts. Une femme libre, naturelle et sans préjugés dans une époque corsetée. Un tempérament passionné et subversif qui, toute sa vie, n'a cessé de provoquer le destin, braver les interdits et bousculer les convenances.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Elle est née en 1798. Elle est morte en 1870 et a ainsi traversé une époque très riche. Elle est née à Naples, a vécu son enfance en Sicile, dans une famille grandiloquente et truculente, a parcouru la France pour défendre les intérêts de son unique fils, Henri, elle est morte en quasi-exil, en Autriche, comme bon nombre de membres de la famille Bourbon. Elle a été une personnalité exaltée et exaltante. Elle, c'est Marie-Caroline de Bourbon-Siciles, la petite-fille du roi Ferdinand IV. Par lui, elle descend des rois d'Espagne, donc de Louis XIV. Par sa grand-mère, Caroline, elle est une descendante de la grande Marie-Thérèse, une petite-nièce de Marie-Antoinette... Elle est donc aussi une Habsbourg dont elle héritera la bouche en cerise caractéristique de la lignée et la ressemblance avec sa cousine Marie-Louise, l'épouse de Napoléon, de sept ans son aînée. Elle est aussi la nièce de Marie-Amélie, l'épouse de Louis-Philippe. Si Marie-Caroline est née avec un sang particulièrement bleu, comme beaucoup de monarques à l'époque, elle a connu des moments difficiles : l'exil, le manque d'argent, les révoltes populaires, des fastes surannés sous les ors fanés de palais inhabités, la perte de ses repères. Comme sa cousine archiduchesse puis impératrice des Français, comme sa tante reine des Français, elle connaîtra des revers de fortune, elle montera haut et descendra très bas. Elle reste pourtant un personnage assez unique, familier et en même temps, qu'on ne connaît pas vraiment, comme souvent les femmes dans l'Histoire. Laure Hillerin, l'auteure de cette biographie, est journaliste et historienne. Elle a surtout une trisaïeule, Suzette, qui fut l'amie d'enfance de Marie-Caroline, avant qu'elle ne soit duchesse de Berry. On peut comprendre alors la tendresse de l'auteure pour son objet d'études, qui dépasse assurément celui du pur intérêt historique. Laure Hillerin écrit sur une figure familière et qui a jalonné sa vie, par des souvenirs et des récits. La duchesse nous apparaît étonnamment proche sous la plume de sa biographe, comme si les années qui nous séparent d'elle fondaient soudainement : Marie-Caroline n'est plus perdue dans les limbes d'une Histoire parfois instrumentalisée, nous donnant ainsi une image faussée d'une femme qui a pâti d'en être une et de s'être battue pour ses convictions. L'auteure a choisi de ne pas se concentrer uniquement sur l'existence française de Marie-Caroline, car elle ne fut pas que duchesse de Berry. Enfant, elle fut une princesse des Deux-Siciles, ses dernières années, elle les vécut en tant que comtesse de Lucchesi-Palli. Entre les terrestre brûlées de son enfance, en passant par les ors parisiens, le bocage vendéen, les brouillards d'Angleterre et l'obscurité de l'exil loin de la France, Marie-Caroline a eu une vie bien remplie. Du beau, du moins beau, du courage, de la détermination, des erreurs et des coups d'éclat : s'il y'a bien d'une chose qu'on ne peut taxer Marie-Caroline, c'est bien de fadeur. Piquante, la jolie petite princesse blonde force l'admiration du lecteur.

    La Duchesse de Berry : l'Oiseau Rebelle des Bourbons ; Laure Hillerin

     Portrait de la duchesse Marie-Caroline de Berry

    Laure Hillerin brosse un portrait très chaleureux de la duchesse, un portrait qui nous la rend très proche, bien plus que les vagues idées reçues que l'on a d'elle. Finalement Marie-Caroline de Berry me fait penser à toutes ces princesses du XIXème, dont le destin ne peut être ni heureux ni flamboyant : avec sa cousine Marie-Louise, avec Hortense de Beauharnais, on dirait qu'elles sont enfermées dans des carcans trop grands pour elle mais trop petits pour une époque qui avance à toute vitesse et les fait craquer de toute part. C'est tout le contraste des cours du XIXème, agrippées à des privilèges et des protocoles obsolètes mais en même temps tournées vers l'avenir et qui finissent par broyer ceux qui en font partie. Exils, revers de fortune...Rien ne sera épargné à ces femmes qui, de princesses vont rétrograder rapidement et brutalement. Mais, pour Marie-Caroline comme pour Marie-Louise avec Neipperg, ce sera l'occasion de connaître une vie plus paisible, loin de la représentation et de son insincérité. Laure Hillerin m'a agréablement surprise : un peu comme Jean des Cars, elle allie à la rigueur de l'historien la plume chaleureuse du romancier, qui n'instaure pas de distance avec son objet d'études. Marie-Caroline, l'oiseau rebelle des Bourbons, telle qu'elle est surnommée très justement par sa biographe, est très vive, avec un vrai relief. La jolie Sicilienne, qui n'a pas hésité à prendre les armes pour défendre son fils et ses droits, courageuse, exaltée, revit, à cent-cinquante ans de distance. Née à la fin de la Révolution, morte au même moment que l'Empire, en 1870, après avoir connu l'amour avec Lucchesi-Palli et goûté à la tranquillité domestique, celle qui fut si brièvement duchesse de Berry mais en garda à jamais le nom, Marie-Caroline traverse tambour battant sa vie mais aussi une époque riche en bouleversements, qui a participé à forger la nôtre. Marie-Caroline, descendante de Louis XIV et ancêtres des souverains actuels d'Europe, est un trait d'union entre l'Ancien Régime et le XXIème siècle. Un trait d'union qui mériterait d'être plus connu, dans toutes ses nuances et à qui Laure Hillerin rend toute sa complexité immensément humaine. Car, finalement, si ce qui faisait de Marie-Caroline une héroïne n'était pas tout simplement son aspect étonnamment humain et imparfait ?

    En Bref :

    Les + : une belle biographie, chaleureuse mais aussi rigoureuse, ni trop courte ni trop longue, qui embrasse le personnage de Caroline dans toute sa complexité. 
    Les - : je n'en ai pas trouvé. 


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  • « A l'époque féodale, on avait compris que les contraires sont indispensables l'un à l'autre, qu'une voûte ne tient que par la mutuelle pression que deux forces exercent l'une sur l'autre, que son équilibre est fonction de leur égale poussée. »

    La Femme au Temps des Cathédrales ; Régine Pernoud

    Publié en 2016

    Editions Le Livre de Poche

    374 pages 

    Résumé : 

    La femme a-t-elle toujours été cette perpétuelle mineure qu'elle fut au XIXème siècle ? A-t-elle toujours été écartée de la vie politique comme elle le fut notamment dans la France de Louis XIV ? S'appuyant sur son expérience de médiéviste et d'archiviste, Régine Pernoud s'est attachée à l'étude de ces questions. Dans La Femme au temps des cathédrales, le lecteur découvre que le plus ancien traité d'éducation a été rédigé en France par une femme, que, au XIIIème siècle, la médecine était couramment exercée par des femmes et qu'aux temps féodaux, les filles étaient majeures à douze ans, deux ans avant les garçons...
    Une étude approfondie et captivante, menée à travers une multitude d'exemples concrets qui ne laissent échapper aucun aspect des activités féminines au cours de la période féodale et médiévale. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Voilà un vaste et passionnant sujet, que celui de la place des femmes dans la société, quelle que soit cette dernière.
    Et le sujet promet d'être encore plus captivant si c'est à la société médiévale que l'on s'intéresse et ce que fait Régine Pernoud, l'une de nos meilleures médiévistes du XXème siècle. Décédée il y'a vingt ans, elle continue d'être considérée comme une éminente historienne et est reconnue notamment pour ses travaux sur Aliénor d'Aquitaine et sur la bourgeoise à travers les siècles. C'est d'ailleurs de ces derniers travaux que va naître l'idée de se pencher sur le cas de la femme médiévale, mais attention, pas de toute la femme médiévale non plus. Il est vrai que, traiter dix siècles en moins de quatre cents pages serait un travail de synthèse extrêmement difficile voire impossible.
    Si vous lisez attentivement le titre, vous verrez qu'il contient des bornes chronologiques bien précises. Ce n'est pas tout le Moyen Âge que Régine Pernoud va parcourir, mais seulement une période relativement courte d'environ deux siècles, entre les XIème et XIIIème siècles, ce Moyen Âge central considéré souvent comme une période de renaissance, au même titre que la renaissance carolingienne ou celle qui s’amorce à partir de la seconde moitié du XVème siècle et s'épanouit au XVIème, la seule à qui on accorde un R majuscule, d'ailleurs. Ce Moyen Âge central, ce temps des cathédrales, donc, cette époque de bâtisseurs et d'érudits, c'est aussi une époque bénie pour les femmes parce que se développent les fameuses cour d'amour, la fin'amor des troubadours occitans, la courtoisie qui met les femmes au premier rang, avant les hommes qui deviennent donc les serviteurs de leur mie.
    Dans notre esprit contemporain et peut-être parce que depuis quelques centaines d'années, l'Histoire est synonyme de progrès dans bien des domaines -technologie, médecine, hygiène, automobile etc-, on a du mal à croire que, parfois, l'avancée dans le temps n'ait plus été consubstantielle à ce progrès qui nous paraît totalement logique. Pour nous, l'Histoire est synonyme d'évolution positive et pas de déclin : or on se rend compte que, pour ce qui est de l'émancipation des femmes, on est malheureusement dans une pente descendante plutôt qu'ascendante à mesure que l'on se rapproche de l'époque contemporaine.
    Alors si je vous dis qu'au Moyen Âge central la femme était l'égale de l'homme et qu'elle ne posait même pas la question de son rang dans la société parce qu'il était évident...surprenant non ? D'autant plus si on compare ce statut à celui d'éternelle mineure consignée dans le code Napoléon au début du XIXème siècle, il y'a deux cents ans. Si je vous dis que les intellectuelles étaient aussi bien considérées, écoutées, consultées par leurs homologues masculins...étonnant non ? Quand Régine Pernoud écrit, à la fin des années 1970, la société française est justement marquée par un mouvement féministe important, mais pourtant, la contraception orale n'existe que depuis une dizaine d'années et la dépénalisation de l'avortement est une mesure toute récente et qui n'a pas été acceptée sans mal. Alors sans aller jusqu'à dire que c'était mieux au Moyen Âge parce que évidemment, ce n'était pas le cas -surtout en ces domaines, il était bien sûr hors de question de contrôler quoi que ce soit et la femme, malgré la grande liberté dont elle jouit entre les XI et XIIIème siècles est avant tout une épouse et une mère- on s'aperçoit que la vision globale qu'on avait d'elle, débarrassée de la misogynie du droit romain, est très positive : visiblement, la possible infériorité de la femme ne traverse l'esprit de personne. Ce droit romain qui va être redécouvert à la fin du Moyen Âge et conditionnera ensuite, jusqu'à une époque très récente, l'image que l'on aura de la femme.
    Au Moyen Âge central, de grandes figures féminines, souveraines, intellectuelles, religieuses, émergent. Elles sont l'aboutissement finalement de ces femmes, qui, aux premiers siècles du Moyen Âge, sans avoir l'influence de celles qui leur succèdent, vont faire de l'Histoire une Histoire mixte et non plus exclusivement masculine.
    Au cours de cette lecture, beaucoup de questions sous soulevées, car on se rend compte qu'on est en train de lire là quelque chose d'extrêmement étonnant mais aussi, de très cohérent, comme si la fleurissement d'un nouveau genre de société, d'un nouveau genre de vie au Moyen Âge central impliquait aussi une place plus importante pour la femme, que ce soit la femme noble aussi bien que la femme du peuple. Ainsi, on peut se demander quelles sont les conclusions à tirer de la concomitance de l'expansion chrétienne en Occident au début du Moyen Âge et de celle de l'influence de femmes comme Clotilde, l'épouse de Clovis ? Comment la culture de l'époque a-t-elle été tour à tour pro puis anti-féministe et surtout, comment a-t-elle influé la société ? Comment les femmes se percevaient-elles dans une société qui leur était très favorable et où, au final, la lutte n'allait pas de soi dans la mesure où leur place était tout à fait claire et définie ?

    Image associéeChristine de Pisan présentant son livre à Isabeau de Bavière, reine de France (XVème siècle)


    Régine Pernoud s'est livrée là à un travail de synthèse très intéressant, qui permet d'avoir une idée assez complète de la société de l'époque et la place que les femmes, dès leur naissance, y occupaient, sans pour autant partir dans quelque chose de très érudit. Ce livre est destiné au grand public et elle allège au maximum son propos sans céder pour autant à la facilité où la coupe sanitaire, qui pourrait créer des raccourcis malheureux ou des contre-sens chez le lecteur. Avec ce livre court mais bien documenté, on apprend exactement ce qu'il y'a à apprendre sur la femme médiévale, ni plus ni moins. Ainsi, on croise, parfois avec surprise, des femmes doctoresses au XIIIème siècle -Marguerite de Provence et Louis IX ne partirent-ils pas en croisade accompagnés d'une miresse du nom de Hersent ?-, alors qu'elles seront poursuivies dans les siècles qui viennent ? D'autres exercent des métiers qui nous apparaissent comme typiquement masculins alors qu'ils n'étaient pas vus comme tels à l'époque et des commerçants, par exemple, se partageaient également les tâches, l'épouse n'étant pas réléguée dans des tâches subalternes loin du commerce, bien au contraire.
    A cette époque-là, bien plus qu'aux siècles suivants, beaucoup de femmes se distinguèrent aussi comme souveraines ou administratrices de grands domaines et tirèrent leur épingle du jeu. On ne peut, bien sûr, ne pas citer la figure tutélaire qui plane sur ces deux siècles, Aliénor d'Aquitaine, née vers 1120, décédée en 1204. Aliénor, reine consort de deux grands pays de la Chrétienté, la France puis l'Angleterre et qui gouverna habilement ses propres Etats continentaux. On peut penser aussi à toutes ces femmes à qui la régence échut tout naturellement, sans que cela ne pose nul problème : Anne de Kiev fut la régente de son fils Philippe Ier, Blanche de Castille celle du futur saint Louis, avec l'habileté que l'on sait. Quant aux intellectuelles, comme Hildegarde de Bingen ou certaines moniales, dans l'Empire, en France, en Angleterre, elles ont marqué leur temps de part leur érudition, leur intelligence complètement reconnue et absolument pas remise en question. Même les prélats de l'époque n'ont aucune prévention contre la femme, pourtant la fille d'Eve, comme on le serinera sans cesse dans les siècles à venir.
    Assez effarant de se dire que, finalement, la période que l'on porte aux nues, la fameuse Renaissance avec un grand R, a peut-être été une période d'émulation des arts et des lettres ainsi que de l'architecture, mais que ce fut aussi une époque de régression intense en ce qui concerne la condition féminine, régression amorcée dès le XIVème siècle, finalement. Le Moyen Âge florissant s'achève, on entre alors dans une période troublée et dans laquelle l'influence féminine décroît, pour plusieurs siècles.
    Nous sommes conditionnés par certains préjugés et idées reçues, à plus forte raison sur le Moyen Âge, une époque qui a la côte mais est souvent présentée, notamment aux enfants, sous un jour très unilatéral et avec des images passe-partout et un peu éculées. L'essai de Régine Pernoud date un petit peu, maintenant... Loin de moi l'idée de dire que le début des années 80, c'est la préhistoire mais, force est de constater qu'en Histoire, les connaissances s'actualisent vite et qu'on se rend compte que, trente ans en arrière, on n'aborde peut-être pas forcément les événements comme on le ferait actuellement. Le livre reste cependant une base importante et certainement un très bon ouvrage d'Histoire sociale permettant d'aborder une société par l'un de ses aspects originaux : la place des femmes qu'elle soit, comme ici, relativement bien mise en valeur ou au contraire, quand elle ne l'est pas du tout, est un reflet de la société. Cela permet d'en apprendre beaucoup et, en l'occurrence, de changer d'avis sur une période que l'on voit souvent comme sombre et affligée de superstitions et de barbarisme, parce que ce n'est finalement pas le cas.
    Après avoir longuement parlé du fond, il n'y a finalement pas grand chose à dire sur la forme... Nous sommes là dans un livre d'Histoire, pas dans un roman... Il est vrai que certains auteurs écrivent mieux que d'autres mais là n'est pas la question. Il est difficile de juger du style d'un auteur dans un livre qui n'est pas un roman. Rien à dire en ce qui concerne celui de Régine Pernoud, clair et concis, qui sert complètement son propos. J'ai parfois eu un sentiment de confusion, je l'avoue, ne sachant pas vraiment où l'auteure voulait nous emmener, un peu comme si elle sautait du coq à l'âne, en quelque sorte. Mais j'ai toujours réussi à raccrocher les wagons et c'est le principal.
    Ce livre m'a plu et je ne regrette pas de l'avoir lu. Je le conseille à tous ceux qui cherchent de l'Histoire facile d'accès mais accréditée par le sérieux d'un nom comme celui de Régine Pernoud dont la réputation n'est assurément plus à faire

    Des religieuses du Moyen Âge vue par John Everett Millais au XIXème siècle (1858)

    En Bref : 

    Les + : un essai intéressant, un style assez remarquable, un sujet des plus captivants permettant d'aborder l'Histoire par son aspect social. 
    Les - : des passages parfois un peu confus au départ, qui me faisaient alors me demander où l'auteure voulait en venir. Cela n'enlève rien bien sûr à son érudition et à la connaissance parfaite de son sujet.  


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  • « Pour Louis XIII, l'historiographie française ou étrangère reste en retrait. Il est le mal aimé, l'inconsolé, le ténébreux chevalier dont le luth constellé, comme dirait le poète, porte " le soleil noir de la mélancolie." »

    Louis XIII ; Jean-Christian Petitfils

    Publié en 2008

    Editions Perrin 

    970 pages 

    Résumé :

    Au regard de l'Histoire, Louis XIII est un roi oublié. Éclipsé par le panache de son père Henri IV, occulté par l'éblouissante renommée de son fils Louis XIV, il laisse l'impression d'un monarque mélancolique, sans personnalité, fuyant son mal être dans la chasse, dominé par son Premier ministre, le tout-puissant cardinal de Richelieu. Erreur ! Ce n'est pas parce qu'il choisit un ministre d'une envergure exceptionnelle qu'il renonce pour autant à gouverner et à être pleinement roi. 

    Renversant les idées reçues, Jean-Christian Petitfils redonne ici toute sa place à ce souverain méconnu, à la personnalité déroutante, à la fois artiste, musicien, guerrier impétueux, extrêmement jaloux de son autorité, animé par la passion de la gloire et de la grandeur de la France. Sous son impulsion et celle du cardinal, le royaume se modernise. La monarchie dite absolue s'édifie. Son règne, traversé par une suite invraisemblable d'épreuves -lutte contre le parti protestant, conspirations des Grands, révoltes populaires, guerre contre la Maison d'Autriche-, prépare et annonce plus qu'on ne le croit celui de Louis XIV. 
    Sans négliger les faiblesses de l'homme, ses défauts, trop souvent exagérés, cet ouvrage se veut une réhabilitation. Celle d'un roi, d'un grand, d'un très grand roi. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    On ne peut pas dire que le deuxième roi de la dynastie des Bourbons jouisse d'une image très positive, même encore aujourd'hui. Il n'est pas affligé d'une légende noire comme peuvent l'être Louis XI ou Charles IX, par exemple. Mais lorsqu'on pense à lui, c'est immanquablement avec un peu de pitié en se disant, comme Marie-Antoinette à propos de Louis XVI : le pauvre homme.
    Impuissant à honorer sa femme, incapable de gérer les affaires de l'Etat qu'il laisse aux mains d'un ministre omnipotent, à tel point que certains historiens, même des plus réputés ont opéré un lent glissement jusqu'à qualifier l'époque du règne de Louis XIII à travers uniquement le ministériat de Richelieu, comme si ce dernier avait finalement été le vrai monarque. L'image que nous avons aujourd'hui de Louis XIII a été figée par les auteurs du XIXème siècle, historiens et romanciers qui en ont fait un homme faible et inapte à l'exercice du pouvoir, terne et dominé par un ministre perfide.
    Il est vrai que, dans la triade royale du Grand Siècle, Louis XIII n'a pas la place la plus simple. Son règne est coincé entre celui de son père, Henri IV, qui fut un très bon roi, un très bon administrateur et celui, flamboyant de son fils, le Roi-Soleil. D'un tempérament plus timide, plus secret, Louis XIII ne se distingue pas. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'a pas été un bon roi. En lisant cette biographie, je n'ai pu m'empêcher d'établir des parallèles entre lui et son descendant, Louis XVI... Tous deux sont accablés par les mêmes critiques : des rois faibles, incapables de gouverner, préférant à l'exercice du pouvoir des tâches peu ou pas du tout nobles -ils étaient tous deux passionnés par les travaux manuels, la serrurerie ou la menuiserie. Ils régnèrent aussi à des périodes pas faciles faites de troubles populaires et de conjonctures difficiles, notamment économiquement. Louis XIII put cependant s'appuyer sur un homme fort, Richelieu, qui n'en est pas pour autant tout puissant et qui n'était pas le roi effectif de la France. Louis XIII fut un bon roi et c'est ce que Jean-Christian Petitfils va s'employer à nous démontrer dans cette biographie.
    Conception du pouvoir, personnalité, sexualité, goûts personnels, mode de vie, tout y passe et l'historien nous remet les pendules à l'heure. Considéré aujourd'hui comme le biographe officiel de Louis XIII, Louis XVI ou encore Madame de Montespan, Jean-Christian Petitfils, historien spécialisé du Grand Siècle est une sommité ! On ne le présente plus et je sais que chacun de ses livres est une valeur sûre. Sa biographie du père du Roi-Soleil allait forcément en être une et, effectivement, elle ne déroge pas à la règle.
    Très dense et très documentée, cette biographie est foisonnante et brosse un portrait très large de l'époque. Chronique du règne, ce livre est aussi un portrait précis du personnage et de sa Cour. Il apparaît que le règne de Louis XIII est une vraie charnière entre la fin de la Renaissance et le siècle d'or du règne de Louis XIV. Transition et mutations en sont les maîtres mots. Le pays entre doucement dans une ère plus moderne, continuant les évolutions amorcées sous le règne d'Henri IV et préfigurant celles du grand règne de Louis XIV. Louis XIII fut le souverain d'un pays essentiellement rural mais très peuplé, épuisé par les Guerres de Religions encore proches et qui ne connaîtront d'ailleurs un point final que sous son règne grâce à la paix d'Alès.

    Louis XIII ; Jean-Christian Petitfils

     

    Détail d'un tableau de Philippe de Champaigne (XVIIème siècle)


    Pour sa défense, on peut dire que le fils d'Henri IV accéda au pouvoir à une période vraiment difficile, tant sur le plan intérieur que sur le plan extérieur : les conflits seront récurrents notamment du fait de la Guerre de Trente Ans qui prendra fin en 1648, les tensions franco-espagnoles sont récurrentes, malgré le mariage de Louis avec Anne d'Autriche...
    Louis XIII n'en fut pas pour autant un mauvais roi ni un mauvais homme. Voilà de quoi veut nous convaincre Jean-Christian Petitfils et il y arrive très bien. En abordant le règne dans sa globalité, sans ignorer ses défauts mais sans minimiser pour autant le positif, l'historien signe là plus qu'une biographie. C'est le portrait élargi de toute une époque et de tout un pays.
    Cette lecture est très dense et assez érudite : je ne dis pas ça pour me jeter des fleurs en pensant que je suis trop forte d'y être arrivée ! C'est la vérité, ce livre est extrêmement scientifique dans sa conception, sur lequel on peut s'appuyer sans problème pour une dissertation ou une thèse : une énorme bibliographie, des notes nombreuses et précises. Oui, on est là dans un vrai livre d'Histoire et on comprend pourquoi l'auteur est aujourd'hui considéré comme un chercheur de référence et est recommandé par les enseignants en fac.
    Si j'ai été moins intéressée par les chapitres traitant de guerres, de diplomatie et de géopolitique -mais ils sont des maux nécessaires si je puis dire-, j'ai été captivée par ceux plus sociétaux ou domestiques, traitant de l'état du royaume, du mode de vie des Français sous Louis XIII, des sciences, des arts qui, justement, connaissent une forte émulation à l'époque : description de l'héliocentrisme par exemple, développement des mathématiques et du classicisme dans les arts et les lettres. J'aime aussi les portraits intimes des souverains qui nous permettent d'entrer dans leur particulier. Ici on rencontre un homme secret mais infiniment intelligent et ayant une grande conscience de son rang et des responsabilités qui en découlent. Traumatisé par la mort brutale de son père bien-aimé, quand il avait neuf ans, Louis XIII cherchera toujours à être à la hauteur de sa charge, tout en gardant, un peu comme son descendant Louis XV, une blessure de cette perte enfantine.
    Très inhibé par son bégaiement, il s'appuya sur un ministre puissant et loyal, toujours conscient d'être l'affidé du roi. En réhabilitant Louis XIII, c'est aussi Richelieu que Petitfils défend pour la postérité.
    Bref vous l'aurez compris, on est là dans un excellent livre d'Histoire. Il est difficile voire impossible de dire si on aime ou pas. On n'est pas là dans un roman, où les sentiments du lecteur entrent en ligne de compte. Lorsqu'on s'attelle à une lecture comme celle-ci, on sait qu'elle va nous prendre du temps mais qu'on va en retirer énormément de connaissances, malgré quelques chapitres peut-être moins captivants ou très techniques.
    Le Louis XIII de Jean-Christian Petitfils est d'ores et déjà une biographie de référence

    En Bref :

    Les + : une plume chaleureuse alliée aux connaissances solides de l'historien, un sujet d'étude intéressant. En un mot, une biographie très complète et assez passionnante. 
    Les - : quelques passages un peu techniques, mais nécessaires malgré tout, comme dans toute biographie.

     

     


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