• Dernier Requiem pour les Innocents ; Andrew Miller

    «  La vie du corps est-elle la vraie vie ? Et l'esprit rien d'autre qu'une lumière anormale, comme les feux de Saint-Elme que les marins voient entourer le sommet des mâts au milieu de l'Atlantique ? »

    Couverture Dernier requiem pour les innocents

     

     

           Publié en 2011 en Angleterre 

       En 2016 en France (pour la présente édition)

       Titre original : Pure

       Editions Pocket

       432 pages 

     

     

     

    Résumé :

    Paris, 1785. Une odeur pestilentielle s'est emparée du cœur de la capitale. Des caves avoisinantes aux étals des marchands, le cimetière des Saints-Innocents déborde, pourrit à ciel ouvert, contamine tout le quartier. A Versailles, on s'inquiète. 
    Chargé de résoudre le problème, le jeune ingénieur normand Jean-Baptiste Baratte plonge au cœur du Paris des petites gens et des commerçants qui vivent autour du cimetière, et se met à l'ouvrage. Mais pour transférer les fosses vers les catacombes de Denfert, il devra livrer au conservatisme et à la superstition une bataille féroce. Pour faire enfin briller quelques Lumières, au milieu des charniers...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    1785, Paris. Le quartier du cimetière des Innocents suffoque : le cimetière déborde, littéralement et empoisonne l’atmosphère. Le pouvoir décide alors de le supprimer, ni plus ni moins, d’assainir les lieux et de faire disparaître l’ancien cimetière, qui remonte à des temps immémoriaux (au moins depuis l'époque mérovingienne) et a accueilli des générations de Parisiens dans ses fosses et ses ossuaires.
    Pour ce faire, un jeune ingénieur des Ponts et Chaussées, Jean-Baptiste Baratte, arrive tout droit de sa Normandie natale pour prendre en charge le projet. Idéaliste, plein d’espoir et de projets, le jeune homme se heurte pourtant à une tâche colossale, dont il ne sortira pas indemne. Car rayer un cimetière de la carte, sur le papier, c’est facile. Le pouvoir à Versailles a décrété cela aussi facilement qu’il aurait signé une lettre de cachet envoyant un prisonnier à la Bastille. Mais voilà, sur le terrain, Jean-Baptiste va vite s’apercevoir qu’un cimetière, ce n’est pas qu’une affaire de mort, ni même une simple tâche administrative : aux Innocents vit un vieux prêtre, ancien missionnaire en Chine, un organiste, Armand, avec lequel Jean-Baptiste va se lier d’amitié et le sacristain avec sa petite-fille Jeanne, qui n’a jamais connu d’horizon plus étendu que le quartier et l’entendue herbeuse du cimetière et de ses charniers. Et pour certains habitants du quartier, le cimetière est le point de mire de toute une vie, un lieu familier que l'on s'apprête à détruire. Comme le lui dit si bien la fille de ses logeurs, c'est un peu son enfance qu'il est en train de détruire, pour autant que cela puisse nous paraître surprenant. Pour tous ces gens, les Innocents n’est pas qu’un lieu sordide, putride et nauséabond, c’est un lieu de vie, aussi peu agréable soit-il, où s’accrochent des souvenirs et une existence.
    Et puis, si ce projet s’inscrit parfaitement dans ce contexte hygiéniste et physiocrate qui caractérise la fin du XVIIIème siècle, si les tenants des Lumières sont évidemment pour la disparition de cette relique du passé qui, en plus, empoisonne les riverains, Jean-Baptiste va se rendre compte que, dans ce siècle écartelé entre croyances et raison, athéisme et superstitions, les vieilles légendes ne sont pas mortes. Ne parle-t-on d’une bête infernale mi-loup mi-chien qui hanterait les ossuaires ? Ne se souvient-on pas de l’aubépine des Innocents qui, complètement sèche, aurait soudainement refleuri à l’été 1572, donnant aux catholiques une justification pour le massacre qu’ils s’apprêtaient à perpétrer contre les protestants ? En un mot, le cimetière des Innocents fait partie de la vie des habitants du quartier et Jean-Baptiste l’apprendra à ses dépens…
    De plus, que l’on soit croyant ou non, la déférence envers la mort est humaine et instinctive. On ne plante pas une pelle dans de la terre ayant recueilli des corps, des cercueils, comme dans un carré de terre vierge. Ce que Jean-Baptiste et ses ouvriers vont déterrer n’est pas anodin : reliques de vies anciennes et parfois disparues depuis des siècles, os et parfois même, des corps remarquablement bien conservés, qui mettent brutalement les vivants en face de l’une des peurs les plus enfouies chez l’Homme… on ne détruit pas non plus une église vieille de plusieurs siècles comme on mettrait un coup de pied dans un tas de terre. C’est un travail digne des travaux d’Hercule qui leur est demandé, un travail éprouvant psychiquement et physiquement, choquant parfois. Aucun de ceux qui assisteront à la destruction des Innocents n’a ressortira vraiment indemne.

    Quand les morts débordaient du cimetière de Paris - Le Parisien

     

    Vue du cimetière des Innocents et de son quartier avant sa destruction


    Le récit d’Andrew Miller se base sur un fait avéré : au milieu des années 1780, suite à un printemps particulièrement pluvieux, les soubassements du cimetière des Innocents s’effondrent, déversant dans les caves des maisons voisines les contenus de fosses communes, ossements et cadavres en putréfaction. Complètement imprégnée par les corps, la terre exhale odeurs et miasmes qui finissent par contaminer le quartier entier, entre les rues Saint-Denis, de la Lingerie et de La Ferronnerie. Ce qui pouvait passer pour normal encore un siècle plus tôt, voire moins, est intolérable en cette époque de grand progrès : c’est l’époque des « Lumières », qui rime avec modernité, avec progrès. C’est à ce moment-là, à la fin du règne de Louis XVI, qu’est décrété la suppression du cimetière, qui devra être remplacé par un grand marché (le marché des Innocents, lui-même supprimé en 1858).
    Pour le reste, Dernier Requiem pour les Innocents est une œuvre de fiction, mais basée donc sur un fait historique authentique. Autour de cela, l’auteur brode une histoire humaine, plus petite que la grande Histoire, celle de multiples destins féminins ou masculins : on y croise des personnages tous représentatifs de leur époque, de Jean-Baptiste le jeune ingénieur, incarnant la modernité tout comme l’organiste Armand ou le médecin Guillotin, avec sa vision presque contemporaine de la médecine, aux Monnard, bourgeois parisiens parmi d’autres, en passant par Héloïse, la fille publique. Pendant une bonne centaine de pages, ce roman ne m’a pas mise à l’aise. L’ambiance est trouble, opaque, presque glauque parfois. Elle est épaisse aussi, presque palpable. C’est une atmosphère vraiment particulière et presque gênante. Pour autant, je n’en ai pas détesté ma lecture, bien au contraire : déjà, c’est vraiment bien écrit. Le style est lent, tout est écrit au présent mais une vraie force se dégage du style d’Andrew Miller. C’est précis, c’est très visuel aussi…on vit l’excavation des fosses, l’exhumation des cercueils, des ossements, comme si on y était. Oui, parfois cette évocation fait froid dans le dos. Mais il n’y a pas que ça, ce roman est bien plus riche qu’une simple relation d’événements. Il y’a aussi tout un univers qui se développe en parallèle, des personnages également, qu’on apprend à connaître au fil des pages et qui, comme je le disais plus haut, font partie intégrante de cette histoire car ils sont tous un peu symboliques, entre les représentants d’une certaine modernité et ceux qui continuent à avancer de manière immuable alors que la société française d’Ancien Régime toute entière ne le sait pas encore mais court vers l’abîme.
    Ce roman est particulier, vraiment, on ne peut le nier. Mais si vous aimez les romans historiques, je pense qu’il pourra vous plaire. Personnellement, j’ai eu un peu peur au début de ne pas aimer, je ne savais pas trop quoi en penser. Puis tout s’est dénoué progressivement et facilement, je me suis seulement laissée emporter par l’intrigue qui coule, fluide et cohérente, jusqu’à la fin. Un roman riche, intense et qui ne laisse pas indemne, on ressort de cette lecture quand même un peu secoué. Une bonne surprise et une lecture totalement adaptée à la période automnale ! 

    En Bref :

    Les + : un récit qui coule, cohérent et fluide, des personnages bien travaillés et représentatifs et un sujet qui, on ne peut le nier, n'est pas banal ! 
    Les - : une ambiance particulière qui pourra peut-être en déranger certains mais qui participe malgré tout à l'atmosphère globale du roman et qui ne m'a pas gênée plus que ça personnellement, même si j'ai mis un peu de temps pour m'y habituer. 

      


     

    Dernier Requiem pour les Innocents ; Andrew Miller

    Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 19 Novembre 2021 à 12:05

    Hey coucou. 
    J'espère que tu vas bien en ce vendredi ? Et que tu n'es pas trop débordée ? 

    Je prends enfin le temps de passer, de te lire au calme et de t'écrire. Les journées, les semaines et mois passent à une vitesse de folie, et je n'arrive que très peu souvent à m'accorder un temps pour venir sur les réseaux ou sur les quelques blogs que je suis. 

    Comme tu le sais, cet ouvrage me faisait de l'oeil depuis quelques temps. Et après la lecture de ta chronique, j'ai d'autant plus envie de m'y plonger et de voir ce qu'il en est. Un futur achat donc, mais sûrement courant janvier (je viens déjà de m'offrir le nouveau Lorànt Deutsch "Métrobreizh" et le "Laissez-vous guider dans le Paris de la révolution" de Bern et Deutsch - le seul qui me manquait ; sans compter que j'ai deux trois ouvrages à m'offrir en décembre)... 

    En tous cas, c'est toujours un plaisir de te lire et d'échanger avec toi. 
    Prends bien soin de toi. 
    Bises, 
    Malorie 

      • Vendredi 19 Novembre 2021 à 19:56

        Bonjour Malorie, 

         

        Effectivement, je te vois moins passer sur Instagram et j'ai supposé que tu étais peut-être très occupée en ce moment (professionnellement, avec ta petite fille etc...). Pour moi au contraire, c'est plus calme maintenant, l'hiver est une période bien plus tranquille, je suis de nouveau en weekend comme tout le monde depuis la semaine dernière et j'en profite vraiment (avec peut-être un tour en librairie demain, avant la cohue et la ruée des fêtes de fin d'année, que je n'aime pas du tout... la ruée, hein, pas les fêtes sarcastic). Bref ! J'ai plus de temps pour lire aussi, pour être active sur Instagram et sur le blog et c'est un grand plaisir parce que ça me manque quand je ne peux pas m'en occuper comme je veux. 

        Je suis contente que ma chronique ait conforté ton envie de lire ce roman : on ne le voit pas beaucoup sur les réseaux sociaux et c'est dommage (en même temps, on voit toujours les mêmes livres qui passent, sur les mêmes comptes, en ce moment... mais c'est un autre sujet). L'ambiance est assez particulière mais ce roman aborde plein de sujets, pas uniquement celui de la destruction d'un cimetière, ce qui peut paraître assez étrange : c'est toute la fin du XVIIIème siècle français qui est décrite ici et c'est passionnant. Moi qui suis fan de cette époque, j'ai vraiment pris plaisir à lire ce roman. 

        Je te souhaite de belles découvertes avec tes nouvelles acquisitions et te dis à très vite, 

        Bises à toi et bonnes lectures. wink2

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    2
    Histoires de mots
    Mercredi 1er Décembre 2021 à 00:56
    Quelle belle chronique! Tu m'as donné très envie de lire ce livre et de découvrir ce fait divers effrayant! Je n'imagine pas descendre à la cave et me retrouver face aux ossements des anciens! Je note cette référence, merci! Anne-Sophie
      • Mercredi 1er Décembre 2021 à 19:17

        Merci beaucoup ! 

        Oui, c'est assez hallucinant de se dire que des gens se sont retrouvés avec des cadavres et des squelettes dans leur cave ! J'avais entendu parler de ce fait divers en lisant un tome de Nicolas Le Floch et j'avais déjà trouvé ça bien sinistre... j'avais un peu peur de ça en lisant un roman qui ne tournait qu'autour de ça mais au final, non, ce n'est pas dégoûtant...c'est par contre très intéressant de découvrir l'époque à travers cet épisode de l'Histoire. Le XVIIIème siècle est décidément un siècle vraiment passionnant, je ne cesserai de le dire. sarcastic

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