• Des Grives aux Loups ; Claude Michelet

    « Vous deux, rien qu’à vous regarder, on sait que vous êtes comme les doigts d’une main ; mieux même, comme les yeux d’un visage, l’un ne tourne pas sans l’autre. »

    Des Grives aux Loups ; Claude Michelet

    Publié en 2009

    Editions Pocket

    377 pages

    Résumé :

    Saint-Libéral est un petit bourg de Corrèze, tout proche de la Dordogne, pays d'élevage et de polyculture. Avec dix hectares et dix vaches, on y est un homme respecté comme Jean-Edouard Vialhe, qui règne en maître sur son domaine et sa famille : sa femme et leurs trois enfants, Pierre-Edouard, Louise et Berthe. Dans cette France qui n'avait guère bougé au XIXe siècle, voici que, avec le siècle nouveau, des idées et des techniques « révolutionnaires » lentement apparaissent et s'imposent. Et le vieux monde craque...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Installée depuis plusieurs siècles, en Corrèze, la famille Vialhe cultive ses terres dans un petit village entre Yssandon, Brignac et Perpezac-le-Blanc, Saint-Libéral-sur-Diamond -fictif, issu très certainement des souvenirs de l'auteur des villages de son pays natal-. Dans ce pays pas vraiment riche sans être vraiment pauvre non plus, la famille Vialhe, avec sa belle ferme, ses champs et son bétail, fait partie des notables.
    Mais le roman s'ouvre avec le siècle, ce nouveau siècle, le XXème, qui va apporter tant de bouleversements dans le monde paysan, en Corrèze comme ailleurs. Déjà, la mécanisation fait son apparition, les machines remplacent les hommes pour certaines tâches et tendent d'ailleurs à les remplacer pour de plus en plus de choses, à la grande indignation des plus vieux, qui craignent que ces machines et cette industrialisation de l'agriculture ne viennent la tuer...mais les plus jeunes, eux, voient en cette modernité galopante un moyen d'augmenter les rendements, de cultiver plus vite et plus longtemps, pour un meilleur prix. Et, dans la société en général, les anciennes valeurs, les traditions, qui ont fait le monde rural, sont en passe, elles aussi, d'être modifiées, et radicalement. Ainsi, en 1905, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat fera l'effet d'une bombe, même dans les provinces les plus reculées, où le curé et l'église faisaient office de repères. Et même si l'on s'abstenait de les fréquenter régulièrement, du moins y allait-on pour Pâques, confiait-on ses enfants pour le catéchisme...mais tout change. Et maintenant, les villages se déchirent dans des querelles rhétoriques auxquelles beaucoup ne comprennent pas grand-chose, des querelles qui opposent d'un côté, les tenants des rouges -socialistes et autres gauchistes- et les partisans des culs-bénits -autrement dit, les curés et leur clique.
    A Saint-Libéral, l'arrivée de toutes ces innovations seront aussi source de querelles familiales, notamment chez les Vialhe où Pierre-Edouard, le fils aîné, destiné à reprendre un jour le flambeau à la suite de son père, secoue le joug de ses parents ; et tandis que ses deux jeunes sœurs aspirent à une émancipation dans l'ère du temps mais qui n'est pas du goût des parents et, si envisageable en ville, impensable en milieu rural, encore englués dans des préjugés désuets, Pierre-Edouard va violemment s'opposer à la tyrannie d'un père qu'il aime et respecte mais dont il ne supporte plus la rigidité ni le passéisme.
    Et puis éclate la Grande Guerre, en Quatorze, la grande saignée qui se terminera au bout de quatre longues années, en laissant la France exsangue mais encore plus avide de nouveautés, d'innovations, de changements. C'est définitivement, avec 14-18, le vieux monde, celui des anciens, qui craque et sombre, tandis que les jeunes, du moins ceux qui ont eu la chance de revenir du front, n'aspirent plus à vivre que comme ils le souhaitaient, avec les machines, les autos, le confort, que personnifient l'arrivée progressive de l'électricité et des adductions d'eau dans les campagnes.

    Littérature du terroir mais aussi roman naturaliste dans la veine de Maupassant ou encore Zola, qui aimaient aussi à décrire avec force précisions la société de leur temps, ce premier tome de la saga est particulièrement intéressant et très agréable à lire. Alors que, parfois, certains romans dits du terroir pèchent par trop de lourdeur ou une histoire poussive, ici ce n'est pas le cas. Le style de Claude Michelet est, au contraire, fluide, linéaire, très agréable à lire, percutant et incisif dans les parties dialoguées, plus calme et chaloupé dans les parties narratives. Le récit est également assis sur des bases historiques solides -que ce soit d'ailleurs pour l'histoire locale ou l'histoire nationale-, avec une relation fidèle des plus grands événements ayant émaillé ce début de siècle ainsi que sur une bonne connaissance du monde rural et agricole et des coutumes du pays. Claude Michelet est corrézien de naissance et cela se sent !                                                      
    Pendant la guerre, on navigue entre le front, où se trouve Pierre-Edouard et l'arrière et l'on a ainsi un tableau complet de ce que pouvait être la vie, à l'époque : celle dans les campagnes, qui continue tant bien que mal, avec moins de bras, moins de moyens...et celle, au front, qui se bat pour survivre et arracher un peu de terre à l'ennemi. La querelle entre Pierre-Edouard et son père, inflexible et violente est édifiante également, de part tout ce qu'elle recèle de plus profond qu'une simple dispute entre un père et son fils. Les deux héros personnifient en effet, à eux seuls, cette modernité qui heurte de plus en plus fort le passé afin de prendre sa place. Et le monde galope tellement vite que, ce qui était innovant et avant-gardiste une année, est déjà dépassé, démodé, cinq ou dix ans plus tard...et il est difficile, pour ceux qui, comme le père de Pierre-Edouard, ont, à leur niveau, essayé de changer les choses, de se rendre compte que, déjà, leurs idées ne valent plus rien. D'où, aussi, chez les plus vieux, ce raidissement hostile sur des valeurs qui, elles, n'ont pas été balayées. Et les inventeurs d'hier deviennent peu à peu les réactionnaires de demain. Et ces hommes, que l'on serait tenté de qualifier d'hommes du passé, tentent comme ils peuvent et parfois dans l'intransigeance, de se faire entendre encore un peu. Parce que le monde n'a presque pas changé pendant des siècles et se chamboule soudainement avec une telle rapidité, de tels bouleversements, les hommes peinent à suivre et, chez les Vialhe, cela se traduit donc par le violent affrontement qui oppose Pierre-Edouard à son père.                                            

    Et puis, parce que l'amour n'est pas non plus absent de ces pages, on assiste aussi à la naissance de la liaison entre Pierre-Edouard et Mathilde, à l'installation progressive, à Saint-Libéral, de nouvelles familles et donc, de nouvelles générations. Les vieux d'autrefois laissent leur place d'aïeux à leurs enfants, tandis que les plus jeunes, à leur tour, ceux qui étaient des enfants au début du siècle commencent justement à fonder leurs foyers...
    Vous l'aurez donc compris, ce premier tome m'a emballée, convaincue et donné envie de découvrir le second tome qui, lui, nous amènera jusque dans les années soixante, après que la Seconde Guerre Mondiale et celle d'Algérie aient encore plus profondément bouleversé le pays et ses habitants...

    En Bref :

    Les + : une histoire somme toute assez banale, mais avec des personnages attachants et une intrigue bien traitée ; le style de l'auteur, fluide et soigné.
    Les - : Aucun. 

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 23 Décembre 2015 à 16:40
    Nelcie

    Je lis très peu de littérature du terroir, à tort. Il faudrait que je m'y mette un peu plus. En plus, l'histoire de celui-ci est très tentante.

      • Mercredi 23 Décembre 2015 à 21:34

        Tout n'est pas bon dans la littérature du terroir, malheureusement et je crois que ce style est de plus en plus connoté "ringard" alors qu'il y'a parfois de très bons romans et c'est le cas de ceux de Claude Michelet...que je te conseille, donc ! smile

    2
    Mardi 29 Décembre 2015 à 17:33
    Scarlatiine

    Je découvre ton blog avec cette chronique, quelle belle surprise ! J'ai découvert ce livre en quatrième et comme à peu près tous les livres découverts au collège, je ne l'avais pas aimé sarcastic Décortiquer les chapitres un par un avait eu raison de moi à l'époque. Et puis, des années plus tard, en faisant le rangement dans ma bibliothèque, je l'ai retrouvé et je lui ai redonné une chance. Et heureusement, car j'ai tout simplement adoré cette fois-ci... Que j'ai aimé suivre le parcours de ces personnages à travers les décennies ! Depuis, j'ai lu les quatre tomes qui composent la saga et j'ai tout autant été charmée, même si je crois, je garde une affection particulière pour le premier... Petite anecdote pour finir : un ami corrézien m'a raconté qu'un touriste lui avait demandé un jour comment se rendre à Saint-Libéral-sur-Diamond. La déception et la surprise sur son visage quand mon ami lui a annoncé que le village n'existait pas valait son pesant de cacahuètes, paraît-il ! wink2

      • Mardi 29 Décembre 2015 à 19:38

        C'est souvent le cas avec les romans étudiés à l'école...on en garde un mauvais souvenir et c'est dommage ! ! Personnellement, j'ai le même ressenti avec Roméo et Juliette, une pièce lue et relue, passée et repassée pour le BAC et dont j'ai fini par me lasser tellement je l'ai étudiée ! ! Depuis, je fuis Shakespeare, certainement à tort ! yes

        Ah ah ah, eh oui, Saint-Libéral est bien un village fictif...il faudrait peut-être que cela soit mentionné, pour éviter ce genre de désillusions ! ! sarcastic C'est comme pour Jacquou le Croquant...certains touristes en Dordogne croient dur comme fer qu'il a existé ! ! Ca fait parfois mal au coeur de les détromper, mais bon... cool

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