• Des Grives aux Loups, tome 2, Les Palombes ne passeront plus ; Claude Michelet

    « Vous, les Vialhe, vous ne voulez pas avoir à lever les yeux pour parler à Dieu. Je suis sûr que vous discutez avec lui en vous mettant à sa hauteur. »

    Des Grives aux Loups, tome 2, Les Palombes ne passeront plus ; Claude Michelet

    Publié en 2009

    Editions Pocket

    434 pages

    Deuxième tome de la saga Des Grives aux Loups

    Résumé :

    Si l'orage de la Grande Guerre est passé loin de Saint-Libéral, le sillon qu'elle a laissé n'en est pas moins profond. Le vieux monde a disparu. Les paysans n'en sont plus. Jean-Edouard Vialhe lui-même, le têtu patriarche, en convient. C'est à son fils, et à ses petits-enfants, de composer avec la modernité. Une modernité faite de nouvelles saignées, de nouveaux défis, de nouvelles misères. Car ce que prend la terre, la terre ne le rend pas toujours. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Ce deuxième tome des Grives aux Loups commence juste après la Première Guerre Mondiale. A l'instar de bien d'autres villages, Saint-Libéral n'a pas été épargné mais la famille Vialhe s'en sort bien. Pierre-Edouard est revenu du front, décoré, avec ça. Il a épousé la jeune Mathilde, la sœur de son ami d'enfance Léon et en 1920, est né leur premier enfant, Jacques. Enfin, Pierre-Edouard n'est plus brouillé avec son père et travaille de nouveau, en concert avec lui, sur l'exploitation. Mais tout est bouleversé...non seulement la guerre a pris des bras qui ne pourront pas être remplacés avant longtemps, mais surtout, une soif de modernité anime le monde, et pas forcément que celui des villes. Les schémas ruraux, qui n'avaient pas changé depuis des siècles, tendent à se bouleverser radicalement en très peu d'années. Et, tandis que les jeunes générations se montrent enclines à ce changement, les plus âgés, eux, renâclent et pleurent la mort irrémédiable de leur passé et de leur ancienne vie. Et Pierre-Edouard qui, dans le premier tome, était l'avant-gardiste, celui qui personnifiait, face à Jean-Edouard, le siècle nouveau, la technologie et l'industrialisation bénéfique de l'agriculture, le voilà soudain catapulté dans le camp des réactionnaires. Car, en effet, à mesure qu'il prend de l'âge et devient, à son tour, le patriarche des Vialhe et que les nouvelles générations -celle de ses enfants, de ses neveux- se développent, une nouvelle façon de pensée, un nouveau mode de vie apparaissent. Les dynasties agricoles ont fait long feu ; alors que, trente ans encore auparavant il coulait de source que le fils aîné et après lui ses propres enfants et ainsi de suite reprennent et fassent fructifier les exploitations familiales, cela n'est plus aussi évident dans les années 1930. Et, alors que l'atmosphère des Années Folles laisse place petit à petit à des tensions politiques de plus en plus électriques et que le fascisme et le nazisme deviennent les uniques partis d'Allemagne et d'Italie, menaçant l'équilibre précaire de l'Europe, façonné à l'issue de la Grande Guerre, les enfants de Pierre-Edouard et Mathilde, qui grandissent, aspirent à une autre vie que celle de leurs parents. Ainsi, Jacques, l'aîné, pour qui se profile le Bac et, bientôt, un choix de vie, celui-ci est tout tracé. Ce fils aîné qui devait reprendre les terres travaillées avant lui par ses père, grand-père et autres ancêtres, depuis près de deux cent ans, s'apprête à devenir vétérinaire. L'unique fille de la fratrie,
    Mauricette, s'acheminera pour sa part vers un parcours plus traditionnel en devenant institutrice et Paul, le cadet, qui découvre la résistance à Londres après la débâcle de 1940 et rejette comme son aîné le travail de la terre, voit naître en lui une passion pour l'armée dans laquelle il s'enrôlera et qui le verra prendre part à tous les grands conflits qui suivront 39-45, notamment ceux d'Indochine et d'Algérie. Quant au dernier fils de Pierre-Edouard et Mathilde, Guy, né au début des années 30, c'est vers une carrière administrative et dans l'ère du temps qu'il va se diriger, après avoir épousé une petite Parisienne.


    Et justement, ce dernier enfant des Vialhe symbolise bien ce monde rural qui agonise et va embrasser complètement le monde urbain qui, lui, se développe à une vitesse folle. La période est au dépeuplement significatif des campagnes qui, en quelques décennies, se vident de leurs habitants. Certaines régions seront plus touchées que d'autres et le Limousin ne sera pas la plus épargnée. Et si les villages se vident de leurs habitants, ils se vident aussi de ceux qui avaient, autrefois, été leurs socles et leurs piliers. Dans certains bourgs, les instituteurs s'en vont et, avec eux, le savoir...dans d'autres, comme à Saint-Libéral, c'est, tour à tour, le vieux médecin qui prend sa retraite et ne sera pas remplacé ; il faudra désormais aller courir dans les villages voisins ou même à la ville pour se faire soigner. Le notaire, notable qui fait la vie du village, comme le maire, disparaît à son tour ainsi que le curé...doucement, les villages de la France profonde se renferment sur eux-mêmes pour un long sommeil, s'engourdissant dans une léthargie dont le monde rural ne se relèvera pas. La modernité est de plus en plus galopante et ne s'arrête plus ; et ceux qui ne peuvent plus vivre de leurs terres quittent à leur tour les terres qui les ont vus naître
    pour aller tenter leur chance ailleurs, dans les villes du coins, chef-lieux et sous-préfectures ou bien, pour les plus audacieux, à la capitale. Car, le grand malheur pour ceux qui, comme Pierre-Edouard ou avant lui son père, ont pu vivre et faire vivre leur famille et souvent, des employés, sur les seuls revenus de leur ferme -les terres, le bétail-, voient soudain leurs descendants peiner pour joindre les deux bouts. Ce malheur de la paysannerie française d'après-guerre est symbolisé par un autre des fils Vialhe ; car si Guy personnifie ce nouveau mode de vie des années 50-60, Jacques, l'aîné, montre lui plutôt la déchéance progressive des paysans, qui s'usent et s'échinent, pour rien. Foudroyé par la brutalité de mai 1940, fait prisonnier, devenu ouvrier agricole pendant cinq ans en Prusse Orientale, Jacques a dû renoncer à ses études de vétérinaire. N'ayant pas la vocation de la terre mais l'aimant tout de même, il aidera par la suite son père sur l'exploitation. Et si ces nouveaux agriculteurs bénéficient de la technologie, des progrès, notamment des tracteurs qui apparaissent et permettent de moins se fatiguer et d'obtenir un plus gros rendement, le paradoxe veut que ces gros rendements ne rapportent pas autant, la faute aux diverses dévaluations de l'argent qui ont émaillé le XXème siècle et qui entraînent une inflation et un coût de la vie bien plus important. Et si les nouvelles classes bénéficient, elles, de la florissante économie des Trente Glorieuses, ce n'est pas forcément le cas pour ceux qui travaillent la terre...
    Ce deuxième tome des Grives aux Loups est plus nostalgique que le premier ; déjà parce que les héros que nous avons rencontrés enfants dans le premier volume s'acheminent doucement vers la vieillesse...Commencé au milieu des années 20, Les Palombes ne passeront plus s'achève à la fin des années 60, alors que Mathilde et Pierre-Edouard fêtent leur cinquante ans de mariage. Ce sont maintenant les nouvelles générations qui sont sur le devant de la scène. Avec la vieillesse qui apparaît, il est temps aussi pour le principal personnage, Pierre-Edouard, de faire un retour sur sa vie et sur son oeuvre, d'où également cette nostalgie inhérente à l'âge mûr. Hormis cela, le roman est une belle peinture de cette période troublée que sont les années 30, la Seconde Guerre Mondiale puis les guerres coloniales d'indépendance, entre 1946 et 1962. Le monde mute dans des convulsions violentes et qui ne se font pas sans souffrance...on s'éloigne légèrement d'ailleurs de la littérature du terroir pure et dure pour partir sur un roman nettement plus historique, bien documenté d'ailleurs. Certains passages, concernant la déportation et les camps de concentration, un peu inattendus, sont d'ailleurs assez brutaux et violents, mais bien maîtrisés et traités avec beaucoup de dignité par l'auteur, qui évite aussi l'écueil, quand il s'agit de traiter la Résistance -très active en Limousin dès 1943-, de le faire de façon manichéenne. Non, la France de l'époque ne fut pas déchirée entre collabos et résistants de l'autre, c'est bien plus compliqué. Certains ne furent ni blancs, ni noirs, certains furent gris, essayant tant bien que mal de faire traverser aux leurs cette période compliquée, sans être forcément ni partisans de Pétain et de la collaboration ni admirateurs de de Gaulle...et Claude Michelet ne manque pas, par certains chapitres de son roman, de nous montrer que, dès 1944, l'opportunisme joua aussi un grand rôle dans l'enrôlement des jeunes dans le maquis. Il y'eut ceux qui prirent les armes pour défendre un idéal ou, plus prosaïquement pour échapper au S.T.O en Allemagne et il y'eut ceux qui, sur la fin de la guerre, profitèrent du vent qui tournait pour se mettre du bon côté...Hormis cela, c'est toujours avec un style clair, linéaire, fluide, très plaisant à lire que l'auteur nous fait voyager, en Limousin, mais aussi jusqu'à Paris, en Prusse et au Portugal...Un deuxième tome que j'ai vraiment pris plaisir à découvrir et qui m'a beaucoup plu, de part son sujet -ou ses sujets devrais-je dire- mais aussi pour ses personnages attachants et ciselés.

     

    En Bref :

    Les + : un deuxième tome à la hauteur du premier, intéressant, bien écrit et avec des personnages toujours aussi attachants.
    Les - : Aucun ! ! 


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