• INTERMÈDE XXI

     

    Gilles de Laval, sire de Rais, compagnon de Jeanne d'Arc, Maréchal de France (1404-1440). Ce tableau exposé à Versailles, dans la Galerie des Batailles, est une vision imaginaire de Gilles de Rais, par Eloi Firmin Féron (1835)

    I. Enfance et jeunesse

    Gilles de Rais, dont le nom de baptême est Gilles de Montmorency-Laval, a vu le jour à Champtocé-sur-Loire, dans une chambre au sombre nom : «l a Tour Noire ». La date précise est inconnue, on suppose que sa naissance aurait eu lieu vers la fin de l'année 1404 ou bien encore, le 1er septembre 1405 : cette dernière apparaît comme la plus vraisemblable. Son père est Guy de Montmorency-Laval, dit Guy II de Laval-Rais. Seigneur de ,nombreux lieux, entre autres baron de Retz, seigneur de Machecoul, Chémillé, Froidfond et bien d'autres, il meurt en 1415. Sa mère est Marie de Craon, dame de Chamtocé et d'Ingrandes. Elle meurt un peu avant 1415 ce qui fait Gilles orphelin très jeune, à dix ou onze ans. Il aura un frère cadet, René de Montmorency-Laval, né vers 1407 et qui succédera à son frère comme baron de Retz, sous le nom de René de Rais. Ce nom de Rais vient de Jeanne Chabot, dernière héritière de la baronnie de Rais. N'ayant pas d'enfants, elle décida de léguer sa baronnie à son arrière-petit-cousin, Guy II, le père de Gilles, à condition qu'il abandonne son npm pour prendre les armes et le nom de Rais. Gilles est aparenté, par son père comme par sa mère, aux meilleures familles de la noblesse bretonne. Il est même un arrière-petit-neveu de du Guesclin, le fameux connétable qui s'illustra aux côtés du roi de France dans la lutte contre les Anglais.
    Après la mort de leurs parents, les deux garçons, Gilles et René -l'aînée à dix ou onze ans, le cadet, huit ans- sont confiés à Jean de Craon, seigneur de La Suze et de Champtocé, leur grand-père maternel, bien que leur père, dans son testament, ait désigné comme tuteur son beau-frère Jean II de Tournemine de la Hunadaye.
    Rapidement, Jean de Craon échaufaude des projets matrimoniaux pour son petit-fils aîné. Ainsi, le 14 janvier 1417, Gilles est officiellement fiançé à Jeanne Paynel, riche héritière normande, fille de Foulques IV Paynel, seigneur de Bricquebec et de Hambye. Gilles à douze ans. Cependant, le Parlement de Paris interdit le mariage tant que la jeune fiancée n'a pas atteint sa majorité. Le projet n'aboutira finalement jamais.
    Deux ans plus tard, Gilles est de nouveau engagé par son grand-père auprès de Béatrix de Rohan, fille d'Alain IX de Rohan et de Marguerite de Bretagne. C'est encore un très bon parti puisque la jeune fille est la nièce du duc Jean V de Bretagne. Le contrat est signé à Vannes mais, pour une raison inconnue, il va échouer comme le premier.
    Finalement, le jeune homme sera fiançé à sa cousine, Catherine de Thouars, qui était la fille de Miles II de Thours et Béatrix de Montjean. Pourtant, les projets matrimoniaux sont mis à mal, déjà par le lien consanguin unissant les deux jeunes gens mais aussi par les litiges opposant la maison de Craon à celle de Thouars.
    Lassé par ces contraintes et par l'attente de la dispense ecclésiastique, indispensable à un mariage entre cousins, Gilles décide d'enlever la jeune Catherine et l'épouse dans une petite chapelle, en dehors de l'église paroissiale, sans publier les bans. Malgré l'établissement d'un contrat de mariage le 30 novembre 1420, l'Eglise décide d'annuler le mariage, déclaré incestueux.
    La mort du père de Catherine, Miles II, rapproche doucement les maisons de Craon et de Thouars et tend donc à régulariser la situation délicate de Gilles et de son épouse. Le 24 avril 1422, le légat pontifical enjoint l'évêque d'Angers, Hardouin de Bueil à prononcer une sentence de séparation à l'encontre de Gilles et Catherine, à les obliger à une pénitence qui visera à les absoudre du crime d'inceste et leur permettra ensuite de se marier en bonne et due forme, conformément aux préceptes de l'Eglise. Finalement, Hardouin de Bueil mariera, en grande pompe, Catherine de Thouars et Gilles de Rais, le 26 juin 1422, au château de Chalonnes-sur-Loire.
    Le mariage ne sera couronné d'une naissance que sept ans plus tard. Il faut dire aussi que Gilles ne s'occupe que guère de cette épouse qu'il a pourtant enlevée. Catherine représentait à ses yeux essentiellement un héritage conséquent. Elle donne une fille à Gilles, Marie, qui succédera à son père en tant que baronne de Retz. Leur mariage n'est pas de tout repos puisque de violents conflits familiaux vont venir l'émailler, pendant de nombreuses années. Revendiquant par exemple des fiefs appartenant à sa belle-mère, Béatrix de Montjean, Gilles ira jusqu'à l'enlever, avec l'aide son beau-père, pour s'approprier ses terres...ils seront poursuivis pour cela par le parlement de Paris.

    II. Gilles de Rais, militaire et compagnon de Jeanne d'Arc

    Gilles est né dans le contexte troublé de la Guerre de Cent Ans, au milieu du règne du roi Charles VI. Il va d'abord s'investir dans la guerre de succession de Bretagne, qui déchire les Montfort et les Penthièvre, les deux maisons revendiquant leurs droits sur le duché. En tant que vassaux des ducs d'Anjou, il se peut que Gilles de Rais et son grand-père Jean de Craon aient pris part aux batailles de la Gravelle, le 26 septembre 1423 puis à celle de Verneuil, qui eut lieu le 17 août 1424. Ils seront également récompensés par le duc Jean V de Bretagne, du parti des Montfort.
    Jean de Craon était conseiller de l'influente Yolande d'Aragon, époux de Louis d'Anjou et mère du fameux roi René. Dès 1423, la duchesse et son conseiller tentent un rapprochement entre la fragile couronne de France et le duché de Bretagne. Cette politique amènera le frère de Jean V de Bretagne, Arthur de Richemont, à servir la France en tant que connétable -il sera, avec du Guesclin, le connétable de France le plus célèbre de la Guerre de Cent Ans.
    La France et la Bretagne poursuivent leur oeuvre d'alliance et le roi Charles VII -qui n'est pas encore sacré mais se bat pour conserver la couronne qui lui est disputée par les Anglais- rencontre à Saumur, le 7 octobre 1425, le duc de Bretagne. Il est possible que Gilles de Rais rencontre le roi Charles pour la première fois à cette occasion.
    Les années qui suivent vont permettre à Gilles de Rais de s'illustrer dans la lutte contre les Anglais. Ainsi, il sera nommé capitaine de la place de Sablé au nom du duc d'Anjou et mènera plusieurs incursions, notamment avec Jacques de Dinan, seigneur de Beaumanoir, pour déloger les Anglais installés en Bretagne et en Anjou. Gilles va participer à l'assaut du château du Lude où Blackburn, capitaine anglais, est fait prisonnier.
    Puis, toujours avec Beaumanoir, il attaque la forteresse de Rennefort ainsi que le château de Malicorne-sur-Sarthe. Epargnant les soldats anglais qu'ils trouvent dans les places qui tombent, Beaumanoir et Gilles de Rais se montrent par contre tout à fait intransigeants avec les « de la langue française » qu'ils y trouvent.
    Fréquentant la cour de Charles VII, Gilles de Rais est présent au château de Chinon, où le roi loge avec ses fidèles, quand Jeanne d'Arc se présente à lui, arrivant de Vaucouleurs, le 6 mars 1429. A ce moment-là, le jeune seigneur breton fait partie de la clientèle de son cousin La Trémoille, grand chambellan qui domine le conseil royal et a accéléré la disgrâce de Richemont.
    Gilles de Rais, comme d'autres, va s'associer à la charismatique Jeanne d'Arc et l'aide notamment à faire entrer des vivres dans Orléans assiégée. Il contribuera aussi à la levée du siège de la ville et participera auprès de la jeune fille à la « campagne de la Loire », qui vise la reconquête des villes occupées par les Anglais dans la région. Il participe ainsi à la prise de Jargeau le 12 juin 1429 puis à la bataille de Patay, éclatante victoire, le 18 juin 1429.
    Par la suite, il fait également partie des gens d'arme qui escortent Charles VII jusqu'à Reims, où il va être sacré. Il réduit la ville de Troyes à l'obéissance durant le trajet et assiste à l'onction du fils de Charles VI et Isabeau de Bavière dans la célèbre cathédrale. Avec trois autres jeunes seigneurs, Gilles de Rais est chargé d'apporter la Sainte-Ampoule de la basilique Saint-Rémi jusqu'à l'église métropolitaine. Ce même jour, Gilles de Rais est élevé à la dignité de maréchal de France : il a vingt-cinq ans.
    Le 15 août 1429, jour de l'Assomption, les troupes royales et anglo-bourguignonnes se rencontrent à Montépilloy. Le roi Charles VII fraîchement sacré confie les ailes de son armée à ses deux maréchaux, Gilles et Jean de Boussac. Gilles participera ensuite au siège de Paris, où Jeanne d'Arc sera blessée et sera même récompensé par le roi Charles VII, reconnaissant de tous les bons et loyaux services que le seigneur de Retz lui a rendus.
    Après l'arrestation de Jeanne d'Arc et son exécution en place publique à Rouen, en 1431, Gilles de Rais continuera à s'illustrer dans le monde des armes. Ainsi, en 1436, il commande l'avant-garde de l'armée française avec Pierre de Rieux, maréchal de France comme lui.

     

    L'Exécution de Gilles de Rais, maréchal de France (manuscrit à peinture conservé à la Bnf, probablement daté du XVIème siècle)

    III. La légende noire en marche

    Bien que vaillant militaire et fidèle à la couronne de France, à qui il a permis de flamboyants succès, Gilles de Rais est aussi un seigneur de son temps, violent et autoritaire, peut-être plus que la moyenne. Nanti de nombreux fiefs dans l'ouest du royaume, particulièrement riches, il n'est pas rare qu'il s'y illustre avec violence et intransigeance. Il n'hésite pas non plus à aliéner sans vergogne des biens de l'Eglise et à menacer et molester des clercs tonsurés. En 1434, il s'illustre tristement dans un coup de force à Saint-Etienne-sur-Mer contre Jean de Ferron, clerc tonsuré administrateur du fief, qu'il n'hésite pas à venir menacer d'une guisarme en plein office religieux : Rais pénètre tout armé et l'épée à la main dans l'église sans aucune gêne.
    Des rumeurs courent bientôt, dans lesquelles le seigneur de Retz est accusé de s'adonner à l'alchimie pour rechercher la pierre philosophale. Il envoie partout en Europe quérir des maîtres en la matière. C'est comme cela qu'est recruté en 1438 Francesco Prelati, originaire de Montecatini Terme, une bourgade proche de Florence. Outre le fait qu'il aide le seigneur de Retz dans ses activités alchimiques, Prelati invoquerait également les démons dans le sombre château de Tiffauges, en Vendée, fief que Gilles avait hérité de son épouse Catherine de Thouars.
    Depuis l'attentat de Saint-Etienne-sur-Mer, durant lequel Gilles de Rais n'a pas hésité à se montrer plus que violent avec un clerc, une enquête est diligentée secrètement. Il faut dire aussi que les rumeurs qui courent sur sa personne sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus graves. Le 29 juillet 1440, les conclusions de cette enquête sont publiées sous forme de lettres patentes dans lesquelles Gilles de Rais est accusé, outre d'actes diaboliques et alchimiques, de viols et de meurtres commis dans les murs de ses châteaux sur de nombreux enfants. Un pacte avec le Diable est également évoqué.
    Finalement, le 15 septembre de cette même année, à peine deux mois après la publication des lettres, Gilles de Rais est arrêté en son château de Machecoul, hérité de son père. C'est Jean Labbé, capitaine d'armes du duc de Bretagne qui est chargé de cette arrestation. Certaines personnes de l'entourage du seigneur, comme Etienne Corillaut sont arrêtées en même temps que lui, d'autres ont réussi à prendre la fuite.
    Le procès de Gilles de Rais est inédit, dans le sens où c'est l'un des tous premiers procès perpétrés contre un baron du royaume. Jusqu'ici, ils étaient maîtres en leurs terres et ne relevaient, judiciairement parlant, de personne. Le procès s'ouvre à Nantes en octobre 1440, quelques semaines seulement après l'arrestation. Gilles de Rais a la possibilité de récuser ses juges, mais l'acte d'accusation ne faisant état que de la recherche de la pierre philosophale, qui est un péché véniel et non pas un péché mortel, le rassure et il reconnaît la compétence de ses juges.
    Ce n'est finalement que le 13 octobre, cinq jours après l'ouverture du procès, que les véritables chefs d'accusation sont dévoilés. Il est alors trop tard pour l'accusé de récuser les juges et il est pris au piège. De plus, depuis son arrestation, les langues se délient et les témoignages affluent. Ses valets et ses complices, du moins ceux qui ont été pris, sont soumis à la question et ne se font pas prier pour parler : ils accablent leur maître.
    Excédé, l'accusé s'emporte et se révolte contre ses juges, ce qui lui vaut seulement d'être excommunié par l'évêque qui préside son procès. Effrayé par cette excommunication, le seigneur de Retz se décide alors à parler, en échange de la levée de cette sanction. Ceci lui est accordé et il passe aux aveux. Sa première confession est prononcée le 21 octobre 1440, dans une chambre du château de Nantes où il est emprisonné depuis septembre. Le lendemain, il répète cette même confession à l'audience, assortie de nouveaux faits. A tous les premiers chefs d'accusation, celui de félonie est ajouté. En effet, à Saint-Etienne-sur-Mer, il avait repris possession, dans la violence, d'un fief vendu par lui à son suzerain Jean V de Bretagne.
    Le 25 octobre, le jugement final est prononcé. Gilles de Rais est excommunié, en tant qu'apostat, hérétique, évocateur des démons mais aussi pour vice et crime contre nature sur des enfants et sodomie. Plus de 140 meurtres lui sont reprochés par ses juges ! A l'heure actuelle, nous ne savons pas exactement combien de crimes peuvent lui être véritablement imputés. Il est condamné, ainsi que ses deux valets, Corillaut et Henriet, à être pendu puis brûlé. Il se permet de demander trois choses à la cour de justice, qui va les lui accorder : le jour de l'exécution, les familles des victimes auront la possibilité d'organiser une procession en leur mémoire, il aura le droit d'être exécuté avant ses complices et enfin, il demande à ce que son corps ne soit pas entièrement brûlé pour être ensuite inhumé.
    Le supplice est accompli le lendemain, dans la prairie de Biesse, après une messe dite en la cathédrale Saint-Pierre de Nantes. Tandis que les corps des deux valet sont laissés en proie aux flammes, celui du seigneur de Retz est retiré du bûcher et son corps, conformément à ce qu'il avait demandé, est inhumé au couvent des Carmes de Nantes. A la Révolution, le monument à sa mémoire sera détruit et ses restes probablement jetés à la Loire.

    IV. Tentatives de réhabilitation

    A l'heure actuelle, il est difficile d'établir un chiffre exact des victimes de Gilles de Rais, les sources historiques que l'on possède ne mentionnant pas explicitement le nombre de découvertes funestes faites dans les différents châteaux du seigneur de Retz. Les historiens du XIXème, avides de faits macabres et de scandale -on sait combient ils ont participé à l'établissement de la légende noire des Borgia ou encore, de Catherine de Médicis- ont souvent évoqué l'exhumation de restes humains, mais par erreur.
    Dès le XVIIIème siècle, et surtout avec l'essor des Lumières, on commence à se poser des questions quant aux forfaits de Gilles de Rais. Ainsi, en 1756, dans son Essai sur les mœurs, Voltaire évoque le maréchal comme un homme supplicié, « accusé de magie, et d'avoir égorgé des enfants pour faire avec leur sang de prétendus enchantements ». Pour cette phrase, Voltaire fut considéré comme l'un des premiers partisans de l'innocence de Gilles de Rais. Bien qu'il émette des doutes, le philosophe se garde bien de se prononcer complètement sur la question. Il avait surtout pris pour prétexte le procès de Gilles de Rais, avec d'autres, pour dénoncer les procès en sorcellerie du Moyen Âge, conséquences du fanatisme, de la superstition et de l'ignorance, typique d'un Moyen Âge obscur, en opposition au siècle des Lumières.
    Des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur suivront également l'opinion de Voltaire en affirmant que Gilles de Rais fut la victime de la superstition, particulièrement vivace au XIVème siècle -il n'y a qu'à se se rappeler le procès de Jeanne d'Arc, neuf ans avant celui de Gilles de Rais. Toutefois, ils avaient d'abord cru Gilles de Rais coupable des actes ignominieux dont il avait été accusé, assurant qu'il « se déshonorait en Bretagne par des actions infâmes qui excitaient le cri du public contre lui ». Il se pourrait que ces actions infâmes invoquées par les bénédictins ne soient pas les crimes en eux-mêmes mais les pratiques sodomites imputées également à Gilles de Rais. Eux non plus ne concluront pas à l’innocence ou à la culpabilité, laissant donc planer un doute.
    Au début du XXème siècle, Salomon Reinach va utiliser la presse pour faire connaître son opinion au public. Ainsi, dans le journal Le Signal, daté du 2 octobre 1902, il fait publier une lettre intitulée « Lettre sur Gilles de Rais, innocent » et signée « Un amateur d'histoire vraie », ce qui est on ne peut plus que clair. Reinach se pose clairement en opposant des historiens du XIXème siècle, qui, s'engouffrant dans la brèche ouverte par Michel, parlèrent d'ossements retrouvés en nombre important dans les demeures bretonnes du maréchal, faisant de lui un véritable serial killer et un homme infâme puisque ces ossements appartenaient à des enfants.
    Finalement, aujourd'hui, entre les partisans de l'innocence et les partisans de la culpabilité, un véritable doute est né et il est bien difficile de se prononcer pour l'un ou pour l'autre, chaque parti apportant des informations qui peuvent parfois se révéler exagérées ou erronnées. Cependant, la révision du procès du seigneur de Tiffauges a tout de même permis de l'acquitter de façon posthume.

    Vestiges du château de Tiffauges, en Vendée, qui fut la demeure de Gilles de Rais

     

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.


    Pour en savoir plus :

    -Procès de Gilles de Rais, Trésor des chartes, Procédures civiles et criminelles, site des Archives départementales de la Loire-Atlantique.


    2 commentaires
  • INTERMEDE XXII

     

    La mort de Charles IV le Bel, en 1238, sans héritier mâle, mit fin à plusieurs siècles de succession sans anicroches : tous les rois Capétiens, jusqu'aux trois fils de Philippe le Bel, eurent un fils pour leur succéder. Retour sur les trois derniers règnes de la dynastie, dans lesquels Maurice Druon trouvera matière à sa formidable saga historique, Les Rois Maudits

     

    I. Louis X (1289-1316)

    Louis est le fils aîné du roi Philippe IV et de son épouse, Jeanne de Champagne, par ailleurs reine de Navarre. Il voit le jour le 4 octobre 1289 à Paris. Par son père, il est arrière-petit-fils de saint Louis et, par sa mère, il devint héritier du trône de Navarre et hérita de cette couronne en 1305, à la mort de la reine. A sa naissance, ses parents sont unis depuis cinq ans et, même si le couple ne se manifeste pas d'amour conjugal passionné, il s'estime. Philippe et sa reine forment un couple solide. Par la suite, ils auront plusieurs autres enfants, dont deux fils, qui régneront à la suite de Louis et une fille, la célèbre -et très belle- Isabelle, qui deviendra reine d'Angleterre.
    Mais revenons-en à Louis. Il devint donc roi de Navarre avant même d'hériter de la couronne de France, puisque sa mère mourut bien avant son père. Le royaume était alors administré par un gouverneur nommé directement par la couronne de France et Philippe le Bel, qui maintenant ses fils sous sa férule, n'autorisa Louis à se rendre dans son royaume qu'en 1307, deux ans après la mort de la reine, pour se faire reconnaître et couronner par les Cortes, l'assemblée des nobles navarrais. Il s'y rendit avec sa jeune épouse, la séduisante Marguerite de Bourgogne, d'un an sa cadette, fille de Robert II, duc de Bourgogne et petite-fille de saint Louis par sa mère, Agnès de France. Il l'avait épousée l'année même de la mort de sa mère, Jeanne de Navarre, en 1305, le 23 septembre précisément. L'union fut couronnée par une seule naissance, celle d'une fille, Marguerite, née en 1311.
    A partir de 1307, le règne de son père Philippe le Bel fut terni par le procès inique mené contre les Templiers. En 1314, après être revenus sur leurs aveux, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, respectivement Grand Maître et précepteur de l'Ordre du Temple, furent déclarés relaps. Le 18 mars 1318, sur l'île aux Juifs, non loin de la Cité, les deux hommes sont brûlés vifs en présence du roi et de ses fils ainsi que de nombreux courtisans. C'est à cette occasion que Jacques de Molay aurait lancé sa célèbre malédiction envers le pape et les Capétiens. Légende ou pas, il s'avère que Clément V mourut un mois seulement après le bûcher de l'île aux Juifs et, en novembre de cette même année, le roi Philippe le Bel, connu pour sa bonne santé, fut emporté par une congestion cérébrale, survenue après une partie de chasse. Il meurt le 29 novembre 1314 au château de Fontainebleu, lieu de sa naissance. Il avait quarante-six ans et c'est son fils, Louis, déjà roi de Navarre, qui monte sur le trône. Il a alors vingt-cinq ans et ne présente absolument pas les mêmes capacités que son père, roi inflexible mais infiniment doué pour la politique. Louis sera surnommé le Hutin, ce qui signifie querelleur et souligne bien son caractère emporté.
    Lorsqu'il monte sur le trône, il y monte seul, sans reine à ses côtés. Pourtant, neuf ans plus tôt, il avait épousé la sensuelle Marguerite de Bourgogne. Que s'est-il passé ? Entre temps, a eu lieu ce qui est resté dans l'Histoire sous le nom d'affaire des brus du roi ou encore, affaire de la Tour de Nesle. Les trois fils du roi avaient épousé des princesses de Bourgogne : Louis avait donc reçu comme épouse l'une des filles du duc Robert II, tandis que ses frères, Philippe et Charles épousaient deux sœurs, Jeanne et Blanche, filles d'Othon IV de Bourgogne et de la célèbre Mahaut d'Artois. Tout d'abord, les brus du roi, par leur jeunesse et leur gaieté, firent les bonheurs du roi Philippe IV le Bel, qui leur vouait à toutes trois une véritable tendresse. Mal aimées de leurs époux, Marguerite et Blanche prirent des amants : il s'agissait de deux frères, Philippe et Gautier d'Aunay.
    Il semble que leur aventure ait peu duré avant qu'elle ne soit éventée, début 1314. La belle et froide Isabelle, fille de Philippe le Bel -au demeurant celle de ses enfants qui lui ressemblait le plus-, vint en visite en France accompagnée de son époux, le roi d'Angleterre Edouard II. Très observatrice, la reine d'Angleterre se rend bien vite compte, lors des réjouissances données par son père, que deux chevaliers portent ostensiblement à leur ceinture des aumônières en tous points semblables à celles qu'elle-même, Isabelle, avait offert à ses belles-sœurs quelques temps plus tôt. Elle s'en ouvre aussitôt à son père, qui décide de sévir, sans aucune pitié. Après avoir été torturés, les deux frères avouent avoir eu des relations adultères avec Marguerite et Blanche. Les deux princesses, jugées, sont tondues, vêtues de bure et jetées dans un cachot froid et humide de Château-Gaillard. La dernière bru, Jeanne de Bourgogne, épouse du fils cadet Philippe, comte de Poitiers, reçoit un traitement plus clément car elle n'a pas été convaincue d'adultère : elle a seulement aidé sa sœur et sa cousine à rencontrer leurs amants. Elle sera enfermée au château de Dourdan, non loin de Paris et, quelques temps plus tard, Philippe la reprendra auprès de lui. Malgré un exercice de la justice sans pitié, les fils du roi se trouvèrent humiliés et exposés à la honte d'avoir été cocus.
    Lorsque Louis devient roi, quelques mois plus tard, Marguerite est toujours vivante au fond de sa prison normande et elle devient en quelque sorte la nouvelle reine de France. Son unique fille, Jeanne, ayant été décrété bâtarde après la découverte de l'infidélité de sa mère, le roi se trouve dans une position précaire, sans héritier mâle direct. S'il venait à mourir, la couronne passerait à son frère et ce serait la première fois depuis bien longtemps que la couronne des Capétiens ne serait pas transmise en ligne directe, d'un père à un fils. Mais la présence de Marguerite, bien vivante, empêche Louis X de convoler, sous peine de devenir bigame et, de plus, le pape Clément V étant mort en avril, les cardinaux n'avaient pas encore trouvé de terrain d'attente et la vacance du trône de Saint-Pierre empêchait une annulation du mariage de Louis et Marguerite. De plus, cette dernière, malgré son emprisonnement, ne semblait pas vouloir céder et s'accrochait à son titre bien dérisoire de reine de France.
    Finalement, on n'eut pas besoin d'attendre l'avènement d'un nouveau pontife -Jean XXII ne serait élu qu'en 1316-, car Marguerite de Bourgogne eut la bonne idée de mourir dans sa cellule de Château-Gaillard. Il semble qu'elle soit morte de mort naturelle malgré son âge relativement jeune -25 ans- mais on parla bien vite d'assassinat, thèse reprise par Maurice Druon dans sa magistrale saga Les Rois Maudits : ainsi, on aurait assassiné Marguerite afin que Louis X puisse convoler de nouveau.
    Le 19 août 1315, Louis X se remarie avec la douce Clémence de Hongrie, reine éphémère qui laissa peu de souvenirs. La jeune femme était âgée, cette année-là, de vingt-deux ans, elle avait quatre ans de moins que le roi. C'est Hugues de Bouville, grand chambellan de Philippe IV et resté au service de Louis X, qui se chargea d'aller à Naples, où vivait la princesse, auprès de sa grand-mère Marie de Hongrie, pour négocier le mariage. Par son père, Charles-Martel de Hongrie, né d'Anjou, Clémence était une cousine de Louis X, puisque son arrière-grand-père était le fils du roi Louis VIII et un frère du roi saint Louis, propre arrière-grand-père de Louis. Ce mariage aussi sera peu fécond puisque Clémence ne tombera enceinte qu'une fois, en 1316 et donnera naissance à un fils posthume en novembre de cette même année, le célèbre Jean Ier qui ne vécut que cinq jours. On ne connaît qu'un bâtard à Louis X, une fille, Eudeline, née d'une relation du roi avec une lingère du palais. L'enfant devint religieuse à Paris.
    En ce qui concerne le règne de Louis X, il fut relativement court, ne durant que deux ans à peine. Il dut faire face à des révoltes, provoquées par la politique inflexible de Philippe IV et dut affronter les grands barons du royaume, à commencer par son propre oncle, Charles de Valois, qu'il réussit finalement à calmer en faisant des concessions et en tergiversant. Le roi était isolé au milieu de son conseil, ce qui le poussa à rechercher l'appui de ses deux frères, Philippe de Poitiers et Charles de la Marche. Fin politique, Philippe de Poitiers ne s'allia pas pour rien avec son frère et lui arracha la possession de la Franche-Comté, région dont Philippe IV avait racheté les droits à Othon IV de Bourgogne, père de Jeanne et Blanche. Philippe de Poitiers monnaya son appui à son frère en exigeant que son épouse Jeanne puisse transmettre la Franche-Comté à leur fille aînée, en plus de l'Artois, qu'elle hériterait de sa propre mère, Mahaut. Ainsi, cette région-charnière sortait du giron de la France.
    Louis X passa son règne à négocier et à calmer le jeu avec les grands barons et les nobles mécontents, qui étaient, une fois n'est pas coutume, soutenus par le peuple révolté contre les impôts trop lourds à supporter. Plusieurs anciens conseillers du roi Philippe IV furent les malheureuses victimes de cette ligue menée contre le pouvoir : Enguerrand de Marigny fut pendu au gibet de Monfaucon tandis que Raoul de Presles et Pierre de Latilly furent mis à la torture. Pendant ses deux années de règne, la monarchie connut un net recul, le roi se montra totalement incapable de faire preuve de fermeté et d'autorité. Il n'avait absolument rien de commun avec son père et se laissa submerger par les revendications de sa noblesse mécontente, qui alla jusqu'à revendiquer de battre sa propre monnaie. Les quelques offensives militaires qu'il mena se terminèrent en fiasco : il perdit contre les Flamands et l'expédition se termina piteusement en s'enlisant dans la Lys en crue.
    A l'été 1316, Louis X se trouvait à Vincennes, où il disputa une partie de paume, alors qu'il faisait très chaud. Le jeu terminé, il but du vin glacé alors qu'il était en sueur. Se sentant mal peu après, pris de fièvre, il mourut quelques temps plus tard, laissant un pays sans descendance et une reine enceinte. Il meurt le 5 juin 1316 et son corps sera enterré à Saint-Denis, la nécropole royale. Sa femme accoucha d'un fils posthume, le 14 novembre 1316 et il fut prénommé Jean. Dans la foulée, il devint le roi Jean Ier de France mais mourut cinq jours plus tard. Philippe, frère cadet de Louis X, devint roi sous le nom de Philippe V le Long.

    II. Philippe V (1293-1322)

    Né en 1292 ou 1293 -la date n'est pas sûre-, Philippe est le second fils né de l'union du roi de France Philippe IV et de son épouse, Jeanne de Navarre. A priori, il n'était pas destiné à régner, ayant un frère aîné héritier du trône, en la personne de Louis, né trois ou quatre ans avant de lui. C'est pourquoi Philippe reçut de son père, en apanage, le comté de Poitiers.
    On ne connaît que peu de choses sur l'enfance du futur roi. Il fut marié très jeune, à l'âge de quatorze ans, à la jeune Jeanne de Bourgogne, qui avait, elle, en avait seize. Jeanne était la fille de la célèbre comtesse d'Artois Mathilde, plus connue sous le nom de Mahaut et de son époux, Othon IV. En 1315, elle devint comtesse de Bourgogne, sous le nom de Jeanne II et, après la mort de sa mère, Mahaut, comtesse d'Artois, de 1329 à sa propre mort, en 1330. Grâce à ce mariage, politique, elle apportait au fils cadet du roi de France, un contrôle non négligeable sur les terres dont elle était l'héritière. Leur mariage fut fécond, malheureusement, il ne leur naquit que quatre filles qui vécurent, tandis que leur unique fils, Philippe, qui vit le jour en 1316, mourut un an plus tard. Après le scandale de la Tour de Nesle, Marguerite et Blanche, les épouses de ses frères, furent convaincues d'adultère et enfermées toutes deux, après avoir été jugées et tondues, au Château-Gaillard, ancienne forteresse normande édifiée au XIIème siècle par Richard Cœur-de-Lion. Il s'avéra que l'épouse de Philippe, complice car elle avait fermé les yeux sur les relations de ses sœur et cousine, n'avait pas elle-même commis l'adultère, elle fut seulement enfermée dans le château de Dourdan, non loin de Paris. Tandis que Marguerite mourait et que Blanche était répudiée, Philippe, lui, choisit de reprendre son épouse auprès de lui.
    Relativement rusé et possédant une intelligence politique certaine, à la différence de son aîné, Philippe va tout mettre en oeuvre, après la mort de son père et l'accession de son frère Louis au trône, pour assurer l'avenir de ses enfants. Alors que les grands du royaume, menés notamment par leur oncle, Charles de Valois, se sont révoltés contre Louis X, le comte de Poitiers lui promet son soutien contre eux en échange de la révocation du testament de leur père, le roi Philippe, qui stipulait le rattachement de la Franche-Comté au domaine royal. Or, cette région des marches de l'est avait pour usufruitière...Jeanne de Bourgogne, la propre épouse de Philippe. Dans son testament, le roi de fer avait bien affirmé que, en l'absence d'héritiers mâles dans le couple formé par le comte de Poitiers et son épouse, la Franche-Comté reviendrait au royaume, comme c'était l'usage depuis Philippe-Auguste. Et Philippe et Jeanne n'avaient pas de fils. Mais le comte considérait comme une urgence de doter correctement ses quatre filles, s'il voulait les marier avantageusement. Finalement, le Parlement contourna les dernières volontés de Philippe le Bel et le rusé comte de Poitiers obtint que son épouse recouvre l'héritage de la Franche-Comté.
    En juin 1316, Louis X meurt subitement, à Vincennes, à la suite d'une partie de paume. Il n'a pas de fils. De son premier mariage, avec la scandaleuse Marguerite de Bourgogne, il ne lui est né qu'une fille, Jeanne, sur laquelle pèsent des soupçons de bâtardise depuis sa mère a été convaincue d'adultère. Mais la seconde épouse du roi défunt, Clémence de Hongrie, est enceinte de quelques mois, lorsqu'elle se retrouve veuve et la naissance est prévue pour le mois de novembre. Si la reine accouche d'un fils, alors il sera proclamé roi. En conséquence de quoi, l'ambitieux comte de Poitiers n'accède pas à la couronne, mais seulement à la régence, en attendant que la reine veuve ne soit délivrée. Finalement, la naissance se passe bien et c'est un petit garçon bien vivant qui vient au monde. Baptisé aussitôt, l'enfant est nommé Jean et accède immédiatement à la royauté sous le nom de Jean Ier. Mais ne pouvant, on s'en doute bien, assurer le pouvoir, l'enfant va avoir besoin d'un régent pour exercer le pouvoir durant sa majorité. Mais, coup de théâtre, après seulement cinq jours de vie, le petit garçon meurt. Philippe, qui se préparait à devenir régent, se retrouve soudainement le plus proche candidat au trône, le feu roi n'ayant plus de descendant. C'est donc son frère cadet qui va ceindre la couronne, sous le nom de Philippe V. Désormais, il est le nouveau roi de France et il est sacré et couronné comme tel au début de l'année suivante, au mois de janvier 1317, à Reims, par l'archevêque Robert de Courtenay. Peu après, les Etats Généraux sont convoqués, destinés à affirmer et à approuver fermement son avènement, en dépit de l'opposition affichée de Charles de la Marche, son propre frère, appuyé en cela par les grands barons du royaume mais aussi par la duchesse Agnès de Bourgogne, petite-fille de saint Louis mais surtout, grand-mère de la petite Jeanne, fille de Louis X et de Marguerite et qui protège les droits de l'enfant. Par une prouesse juridique assez exceptionnelle, le roi Philippe réussit à détourner en sa faveur une ancienne coutume remontant à l'époque des Francs et dont il isole un seul article, l'extirpant complètement de son contexte, pour écarter sa nièce du trône et, par voie de conséquence, toutes les filles. Il estimait que sa nièce, dont la filiation n'était pas assurée, ne pouvait accéder au trône -les historiens se sont rendus compte, par la suite, que la future reine de Navarre était finalement bien la fille de Louis X, la liaison de sa mère avec le chevalier d'Aunay n'ayant commencé qu'après sa naissance- il argua également que, au vu des générations, il était plus proche qu'elle de saint Louis et il en profita également pour écarter tous les prétendants au trône descendant des femmes. Philippe ne sait alors pas qu'il se condamne lui-même, en quelque sorte, car l'unique fils né de son union avec la reine Jeanne, ne vivra qu'un an et, à sa mort, après six ans de règne, il n'avait, lui non plus, aucun héritier mâle pour lui succéder.
    Dès son avènement, le roi Philippe sait qu'il va devoir défendre sa couronne et s'opposer, pour cela, aux grands féodaux révoltés, dont son oncle, Charles de Valois, frère du feu roi Philippe IV, est l'un des plus virulents. Par un habile jeu politique, le roi Philippe parvient à se rallier Eudes IV de Bourgogne, frère mécontent de feue la reine Marguerite, par conséquent, oncle de la petite Jeanne, écartée du trône, en lui promettant la main de sa fille aînée, Jeanne, né en 1308, qui serait dotée de l'héritage de la Franche-Comté mais aussi de l'Artois.
    Philippe V ne savait pas alors que, l'application méthodique qu'il avait mise à amputer le domaine royal de régions importantes, dans le seul souci de doter convenablement ses filles, allait amener, faute de descendants mâles, la Bourgogne, mais aussi l'Artois et la Franche-Comté à sortir complètement du royaume de France pour intégrer, par le jeu des mariages, un empire qui n'en était alors qu'au stade embryonnaire mais connaîtrait une expansion fulgurante dans les siècles suivante : l'Empire des Habsbourgs, qui donnerait bien du fil à retordre aux successeurs de Philippe, notamment à François Ier, au XVIème siècle.
    En 1318, Philippe V réaffirme l'alliance avec le royaume d'Ecosse et, en 1320, il mène une campagne en Flandre, contre le comte Robert III, qui s'était révolté. Défait, celui-ci lui rendra finalement hommage en mai 1320. Bon stratège et fin politique, le roi Philippe, que l'on surnomma bien vite le Long, en raison de sa grande taille, parvint à vaincre les oppositions qui ne manquaient pas de naître et de faire vaciller sa position. Il parvint aussi, ce que ses deux précédesseurs n'avaient pas réussi, à résoudre les problèmes posés par la Flandre par la diplomatie : c'est la paix du 2 juin 1320, signée avec le comte Robert III.
    En ce qui concerne la politique intérieure, Philippe V s'attache à confirmer les chartes provinciales et centralise les différentes institutions du royaume afin de les rendre plus efficaces. Il va également imposer l'utilisation d'une monnaie unique, sur l'ensemble du territoire royal et ce, malgré l'opposition des seigneurs du Sud, indépendants par nature. Il va également tenter de normaliser les poids et les mesures car, à l'époque, toutes les villes avaient leur propre système de mesures. En 1320, la ville flamande de Tournai est rattachée à la couronne de France. Perdue en 1713 par Louis XIV, la ville sera ensuite de nouveau rattachée à la France sous Napoléon Ier.
    Le Trésor est réorganisé sous son règne et le roi Philippe en confie la direction à Henri de Sully, par ailleurs grand bouteiller de France. En janvier 1320, par l'ordonnance de Vivier-en-Brie, il crée la Chambre des Comptes, qui sera appelée par la suite Cour des Comptes et les deux administrations sont placées, durant toute la durée de son règne, sous l'égide d'Henri de Sully. L'un des trésoriers, particulièrement impopulaire, Giraud Gayte, sera une victime privilégiée dans les purges qui éclatèrent après la mort du roi, en 1322. En 1320, toujours, il reçoit à Amiens, l'hommage de son beau-frère, le roi Edouard II d'Angleterre, époux de sa soeur cadette Isabelle, pour le duché de Guyenne, plus importante possession anglaise sur le continent, mais aussi pour le comté de Ponthieu et la ville de Montreuil.
    Philippe V dut également faire face aux révolte des Pastoureaux, des jeunes gens, qui après un pèlerinage au Mont-Saint-Michel furent convaincus, par un bénédictin apostat et un prêtre interdit, de prendre les armes et de se rendre en Terre Sainte, pour aller combattre les Infidèles. Ils entrent dans Paris en mai 1320 et sont excommuniés dans la foulée par le pape Jean XXII. Bandes de plus en plus incontrôlables, les Pastoureaux se mettent à piller et à saccager les régions qu'ils traversent. L'armée royale, qui les attend à Carcassonne, dans le Languedoc, les défait au mois de juin.
    Philippe V se rendit également coupable, peut-être par ignorance et superstition, d'une répression particulièrement cruelle envers les lépreux, dans le but, pensait-il, d'éradiquer cette maladie qui était un véritable fléau en son temps. En 1321, le roi tombe malade. Il vivra encore cinq mois avant de mourir, dans la nuit du 2 au 3 janvier 1322. Il rend son âme à Dieu à l'abbaye de Longchamp, à Paris, dans sa vingt-neuvième année. N'ayant pas d'hériter mâle et, ayant lui-même -certainement sans y penser- écarté ses propres filles de la succession, en promulguant la loi salique, Philippe V abandonne, en mourant, sa couronne à son frère puîné, le jeune Charles de la Marche, devenu Charles IV. Il est inhumé à Saint-Denis, comme tous ses prédécesseurs.

    III. Charles IV le Bel (1294-1328)

    Charles, souvent surnommé le Bel, à l'instar de son père, Philippe IV, voit le jour le 15 juin1294 au château de Creil, dans le département actuel de l'Oise. Il est le troisième fils de Philippe le Bel et de son épouse, Jeanne Ière de Navarre. Il voit le jour après deux frères, Louis, né en 1289, destiné au trône, Philippe, né en 1293. Une soeur, Isabelle, la future reine d'Angleterre, viendra au monde un an plus tard, en 1295.
    On ne sait que peu de choses de l'enfance du puîné des fils de Philippe le Bel, hormis le fait, bien sûr, qu'il n'était pas destiné à monter sur le trône. Il semble qu'il ait passé la majorité de ses jeunes années au palais royal de la Cité, à Paris. Bel enfant mais peu intelligent, il aurait été surnommé ironiquement « l'oison » par sa mère, Jeanne de Navarre.
    En 1307 -il est âgé de treize ans- Charles reçoit en apanage le comté de Bigorre, racheté peu avant par son père. Cette même année ou l'année suivante, le jeune adolescent est marié à la petite Blanche de Bourgogne, soeur de Jeanne, épouse de Philippe, son frère aîné et fille d'Othon IV de Bourgogne et de la fameuse Mathilde, comtesse d'Artois, plus connue sous le nom de Mahaut. Blanche a à peine douze ans au moment de son mariage avec le jeune Charles. Le mariage ne sera pas consommé tout de suite. Déclarés nubiles en 1310, Blanche et Charles sont autorisés à vivre conjointement dans un appartement de la Tour de Nesle.
    Sept ans plus tard, la jeune Blanche est reconnue, ainsi que sa cousine, la flamboyante Marguerite de Bourgogne, coupable d'adultère. Les deux jeunes femmes, vraisemblablement peu heureuses en mariage -c'était le lot de bien des épouses à l'époque- se sont distraites avec des écuyers normands de la suite du comte de Poitiers, les frères d'Aunay, Philippe et Gautier et leur ont offert leurs faveurs. Démasquées par leur belle-soeur, Isabelle de France, mariée au roi Edouard II et qui avait offert aux jeunes femmes des aumônières qui se retrouvèrent subitement suspendues à la ceinture des deux écuyers, les brus du rois sont sommées de s'expliquer tandis que les deux frères sont soumis à la question avant d'être exécutés. Cette affaire scandaleuse restera dans les annales sous le nom d'« affaire de la tour de Nesle ». Si la femme de Philippe de Poitiers n'est reconnue que complice, Marguerite et Blanche, elles, sont convaincues d'adultère. Jeanne ne sera qu'enfermée à Dourdan, non loin de Paris, tandis que les deux cousines, tondues et vêtues de grossières hardes après avoir été jugées comme il se doit, sont enfermées en Normandie, dans la sinistre forteresse de Château-Gaillard, construite au XIIème siècle par Richard Coeur-de-Lion. Cependant, les deux frères, Louis et Charles, ne sont pas déliés de leurs engagements envers leurs épouses captives et ne peuvent, en conséquences, pas se remarier.
    Pendant le règne de son père, Charles ne suit que de loin la conduite des affaires du royaume, étant donné qu'il n'est pas destiné à monter sur le trône. Ce ne sera que dans les dernières années du règne paternel qu'il apparaîtra finalement au Conseil royal avec ses deux autres frères. En août 1314, le jeune homme, âgé de vingt ans, connaît son baptême du feu en participant à la campagne de Flandre et, le 20 de ce même mois il parvient, avec ses troupes, à libérer la cité de Tournai, assiégée par les troupe du comte de Flandre.
    Au mois de novembre 1314, coup de théâtre. Le roi Philippe le Bel, jusqu'ici bien portant, fait une chute lors d'une partie de chasse et décède, au château de Fontainebleau, où il était né, quarante-six ans plus tôt. Dans ses derniers jours, il accorde à son puîné le comté de La Marche, bien plus prestigieux que le médiocre apanage de Bigorre qui, sans doute, n'a pas laissé de décevoir son destinataire. Pour autant, Charles ne reçoit pas, avec La Marche, le comté d'Angoulême, qui faisait partie, également de l'héritage d'Hugues XIII de Lusignan, récupéré au profit de la couronne en 1308.
    Pendant l'éphémère règne de son frère Louis -deux ans-, Charles ne joue pas un rôle important. Mais, après la mort du roi, le 5 juin 1316, une crise de succession, jamais connue depuis l'avènement des Capétiens, s'annonce. Le roi n'a en effet pas d'héritier en âge de lui succéder et l'espoir de la France se fonde sur une reine veuve et enceinte de quelques mois, Clémence de Hongrie. Dans le cas où la seconde épouse de Louis X donnerait naissance à une fille, de nombreux grands barons du royaume aimeraient voir monter sur le trône l'enfant née de l'union de Louis avec Marguerite de Bourgogne : la petite Jeanne, sur laquelle pèse un soupçon de bâtardise après la découverte de l'adultère de sa mère.
    Mais, à l'été 1316, après la mort de Louis X, la question la plus urgente concerne la régence qu'il va falloir mettre en place afin que le royaume ne connaisse aucune vacance de pouvoir. Philippe, le comte de Poitiers, frère de Charles et Charles de Valois, leur oncle, s'affrontent, s'estimant chacun le plus légitime pour assurer la régence du royaume pendant la grossesse de la reine et la minorité du petit roi si toutefois la reine Clémence donne naissance à un enfant mâle. Charles de Valois, en plus d'être l'aîné de la famille royale, revendique son exercice réel du pouvoir sous le règne de Louis X. Il semble que Charles de La Marche penche nettement pour lui et non pour son frère aîné. Selon une chronique, les deux Charles se seraient alliés pour bloquer l'accès au palais de la Cité à Philippe de Poitiers. Le connétable, Gaucher de Châtillon, aurait dû employer la manière forte afin de lui permettre d'y entrer et de prendre le pouvoir. Finalement, Charles, fils de France mais sans véritables titre ou responsabilités, se rallie, de très mauvaise grâce, au gouvernement de son frère.
    Le 15 novembre 1316, la reine Clémence met au monde un fils, prénommé Jean et qui devient tout de suite le petit roi Jean Ier de France. Baptisé aussitôt, l'enfant, malheureusement, meurt au bout de cinq jours de vie, ce qui lui vaudra le surnom de « roi des cinq jours ». Rejetant les prétentions de sa nièce Jeanne, notamment soutenue par Eudes IV de Bourgogne, son oncle, le comte de Poitiers se proclame roi de France sous le nom de Philippe V. Charles de La Marche s'oppose à son frère et se pose en soutien de sa nièce. Avec sa belle-mère, Mahaut, le prince n'hésite d'ailleurs pas à faire courir des bruits médisants sur son frère, l'accusant notamment d'avoir donné la mort au fils posthume de Louis X afin de lui ravir la couronne. En 1317, Charles fait même un scandale à Reims, où son frère va être couronné roi et quitte la ville pour ne pas avoir à assister au sacre. Allié à Eudes de Bourgogne, oncle maternel de la petite Jeanne, il est désormais de toutes les oppositions envers Philippe V et soutient plus que jamais les prétentions de la malheureuse petite Jeanne. Afin de se rallier son frère, sur les conseils du pape Jean XXII, le roi Philippe V décide de le confirmer dans ses droits sur La Marche, devenu un duché-pairie en 1317. La Marche est un comté relativement étendu du centre-ouest de la France, englobant une partie de la région Limousin -Haute-Vienne et Creuse- et une partie de la région Centre -Indre- ainsi qu'une petite partie de la Charente actuelles. A partir de ce moment-là, Charles de La Marche se montre bien plus conciliant et il abandonne alors sa nièce, affirmant son soutien au fils de son frère Philipe V. Finalement, après une dernière brouille en juin 1317, Charles de La Marche cesse de mettre des bâtons dans les roues de son frère. Cependant, avec son oncle Charles de Valois, dont il est resté proche malgré tout, il est tenu relativement écarté des affaires, sans pour autant être disgracié. Cette même année 1317, le petit prince héritier, fils de Philippe V et de la reine Jeanne de Bourgogne meurt, après seulement un an à peine de vie -il était né en 1316. La mort de son jeune neveu propulse Charles à la place d'héritier présomptif de la couronne de France, en tant que plus proche parent du roi. Ce nouveau rôle le pousse donc encore plus à la modération. Fin 1321, Philippe V est malade, il semble que la maladie qui le ronge va l'emporter et fait donc espérer à Charles un avènement proche.
    Le 3 janvier 1322, à Longchamp, le roi Philippe V expire, sans avoir donné de fils à la France. Cette fois, Charles de La Marche se moque bien des hypothétiques droits de ses nièces, la petite Jeanne mais aussi les filles vivantes de son frère défunt, nées de Jeanne de Bourgogne. Charles devient Charles IV de France et, contrairement à la prise pouvoir mouvementée de son frère, en 1316, son accession au trône ne soulève aucune contestation. Le 21 février 1322, Charles est couronné roi à Reims par l'archevêque Robert de Courtenay. En tant qu'héritier de sa mère, Jeanne de Navarre, il accole à son titre de roi de France celui de roi de Navarre.
    Dès sa prise de fonction, le roi Charles s'attelle à remettre de l'ordre dans les finances royales, mises à mal par le règne précédent et punit d'ailleurs sévèrement les banquiers lombards qui s'étaient rendus coupables de toutes sortes d'exactions. Il traite avec la même rigueur les juges et seigneurs peu honnêtes qui avait accaparé les biens des particuliers. Le surintendant des finances du roi Philippe, Girard de la Guette est disgrâcié et arrêté. Accusé d'avoir détourné plus d'un million de livres, il est remplacé par Pierre Rémi, trésorier, qui sera lui-même pendu sous le règne suivant. A la chancellerie, le roi Charles nomme son ancien chancelier pour le comté de La Marche, Pierre Rodier.
    Son accession au trône permet également à son oncle et parrain, Charles de Valois, de retrouver une place importante ainsi qu'un pouvoir certain, alors qu'il avait dû s'effacer sous le règne de Philippe, avec qui il était en opposition ouverte. Le comte de Valois fait ainsi entrer dans le gouvernement des hommes à lui, comme le trésorier Jean Billouart, par exemple ou bien encore, Jean de Cherchemont, qui remplacera Pierre Rodier en 1323. Parmi les autres conseillers du roi Charles, on peut citer Guillaume de la Brosse ou encore, Raoul de Presles qui avaient également servi, en son temps, le père du roi, Philippe IV le Bel.
    En 1324, le roi effectue un long voyage en Languedoc ce qui lui permet d'acquérir une certaine popularité dans le peuple. Cependant, les pratiques financières douteuses finiront par éroder cette popularité importante..
    Au début de son règne, Charles n'est plus marié à Blanche de Bourgogne. En effet, sur les instances de Philippe V, le pape Jean XXII annule son union, pour cause de consanguinité : en effet, Mahaut d'Artois, mère de son épouse, était aussi sa propre marraine. Le 21 septembre 1322, le roi Charles, fraîchement couronné prend pour épouse, à Provins, la jeune Marie de Luxembourg, qui lui donnera une fille, qui ne vivra pas. En 1324, le 21 mars, lors d'un voyage en Berry, la voiture de la reine verse provoquant sa mort et celle de l'enfant qu'elle attendait. La situation devient critique pour Charles, qui n'a pas d'héritier. Le 13 juillet 1325, il se remarie donc, pour la troisième fois et épouse cette fois sa cousine, Jeanne d'Evreux. Jeanne était la fille de Louis d'Evreux, frère de Philippe IV. En 1326, la reine donne naissance à une fille, Jeanne puis à une autre fille, Marie, en 1327. Elle est de nouveau enceinte lorsque le roi Charles décède, en février 1328. A nouveau, comme au moment de la mort de Louis X, on attend avec angoisse la délivrance de la reine pour savoir si la lignée des Capétiens directs conservera ou non la couronne de France. Le 1er avril 1328, c'est une fille, Blanche, qui naît. Elle vivra et épousera notamment, en 1345, le duc d'Orléans, Philippe, fils du roi Philippe VI.
    En 1327, le roi tombe malade et, à la Noël de cette même année, il doit s'aliter. Selon le chroniqueur Jean Lebel, le roi mourant aurait souhaité que son cousin, Philippe de Valois devienne le régent de France, si la reine donnait naissance à un garçon. Toutefois, il est le seul à rapporter ce fait. Si c'est une fille qui naît, alors son cousin germain, fils de Charles de Valois, accéderait au trône -c'est ce qui va se passer. Mais il semble cependant que la question de la succession du roi Charles ne sera véritablement tranchée qu'après sa mort. Le roi s'éteint finalement le 1er février 1328, alors que la reine est enceinte de sept mois, laissant le pays dans l'expectative, raccroché à la perspective de la naissance d'un futur roi. En Angleterre, le jeune roi Edouard III, fils d'Isabelle, soeur de Charles, revendique la couronne de France. Peu de temps après, éclatera le conflit le plus sanglant en cette fin de Moyen Âge, conflit franco-anglais qui durera 116 ans et restera dans les annales sous le nom de Guerre de Cent Ans.

    Les trois fils de Philippe le Bel (de gauche à droite, Charles, Philippe et Louis) dans le téléfilm Les Rois Maudits, de Josée Dayan (2005)

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - Louis X, fils de Philippe IV le Bel, Ivan Gobry. Biographie. 
    - Philippe V, frère de Louis X, Ivan Gobry. Biographie. 
    - Les Capétiens, 987-1328, François Menant. Essai. 
    - Les Rois Maudits, Maurice Druon. Saga romanesque. 


    votre commentaire
  •  

    INTERMEDE XXIII

     

    L'un des portraits les plus célèbres de Victoria, daté de 1882. La photographie a été prise par Alexander Bassano. 

     

     

    I. Une petite fille qui n'était pas destinée au trône

     

    Victoria à l'âge de quatre ans, peinte par Stephen Poyntz Denning (1823)

    A l'aube du 24 mai 1819, à quatre heures et quart du matin, une petite fille pousse son premier cri à Kensington. Elle est l'enfant d'Edouard Auguste de Kent et de Strathearn et de Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Par sa mère, la nouvelle-née a donc du sang allemand qui coule dans ses veines, par contre, par son père, elle est apparentée directement à la plus grande monarchie d'Europe, puisqu'Edouard de Kent n'est autre que le quatrième fils du roi Georges III du Royaume-Uni, qui règnera encore un an avant de s'éteindre, atteint d'une forme de folie.
    Normalement, l'enfant qui vient de naître et à qui l'on donne le prénom d'Alexandrina Victoria, n'est pas destinée à devenir la grande souveraine que l'on connaît. C'est une crise de succession qui va amener la descendance du duc de Kent sur le trône d'Angleterre...en effet, deux ans plus tôt, en 1817, l'unique petite-fille du roi Georges III, qui avait pour nom Charlotte Auguste de Galles, est morte, sans descendance. Cette mort entraîne une véritable crise dynastique au sein de la famille royale britannique et l'on encourage alors le duc de Kent, futur père de la petite Victoria ainsi que ses autres frères célibataires à convoler au plus vite, afin d'avoir des enfants. En 1818, Edouard de Kent épouse Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld, qui n'est autre que la soeur de Léopold, veuf de la princesse Charlotte Augusta.
    Victoria sera l'unique enfant du couple. Par contre, d'un premier mariage, la duchesse de Kent, sa mère, avait eu deux enfants, dont le père est Emile Charles de Linange, second prince de Leiningen : Charles, né en 1804 et Feodora, en 1807. Plus tard, la jeune Victoria gardera des contacts assez soutenus avec sa demi-soeur.
    Dès sa naissance, la petite Victoria est baptisée, en privé, par l'archevêque de Canterbury, Charles Manners-Sutton, dans la Cupola Room du palais de Kensington, où elle vient de voir le jour. Le prénom d'Alexandrina lui est donné en hommage à l'un de ses parrains, Alexandre Ier de Russie. Quant au prénom de Victoria, c'est aussi celui de sa mère.
    A sa naissance, Victoria est cinquième dans l'ordre de succession au trône, après son père, le duc de Kent et ses trois oncles, le prince régent, le duc d'York et le duc de Clarence. Le prince régent et le duc d'York étaient alors séparés de leurs épouses, sans descendance et, qui plus est, d'un âge avancé, ce qui excluait donc presque à coup sûr l'éventualité d'une descendance. Quant aux ducs de Kent et de Clarence, ils se marièrent le même jour, en 1818. On l'a vu, l'union du duc de Kent sera rapidement couronnée par une naissance. Quand à celle du duc de Clarence, futur Guillaume IV d'Angleterre avec Charlotte de Brunswick, elle fut endeuillée par la mort en bas-âge des deux filles qui en était nées.
    En 1820, à une semaine d'écart, la petite Victoria perd, et son grand-père Georges III et son père, Edouard de Kent. Quant au duc d'York, il mourut en 1827 et le roi Georges IV en 1830. Ces décès successifs rapprochent la petite Victoria de la couronne britannique. En 1830, c'est Guillaume IV qui monte sur le trône et sa nièce, âgée de onze ans, devient son héritière présomptive. Le Regency Act, ratifié en 1830, stipule d'ailleurs que la duchesse de Kent devra assurer la régence au nom de sa fille dans l'éventualité où Guillaume IV mourrait avant que sa nièce n'ait atteint sa majorité, c'est-à-dire, l'âge de dix-huit ans. Cependant, le roi avait peu confiance en sa belle-soeur pour assurer la régence et, en 1836, il déclara qu'il souhaitait vivre jusqu'à la majorité de sa nièce, pour éviter au pays de subir une période de régence.
    Si l'on en croit, la reine, qui évoque ses souvenirs, elle passa une enfance « plutôt triste ». Sa mère était très protectrice avec elle et fit en sorte de l'élever à l'écart des autres enfants. Son éducation était étayée par des règles et des protocoles très stricts, rédigés par la duchesse elle-même et par son ambitieux contrôleur de gestion, John Conroy qui, le bruit courrait, aurait été son amant. Cette série de règle et protocoles porte un nom : c'est le « système de Kensington ». Il était par exemple interdit à la jeune princesse Victoria de rencontrer toute personne jugée indisérable par sa mère et par Conroy -par exemple, la plus grande partie de sa famille paternelle-, et ce système avait pour but simple de rendre la petite faible et dépendante. Choquée par la présence à la Cour des bâtards du roi, la duchesse de Kent évite au maximum d'y emmener sa fille, cherchant ainsi à ne pas l'exposer à l'inconvenance sexuelle. Victoria partage la chambre de sa mère la nuit, étudie en journée avec des maîtres privés selon un emploi du temps très précis et ses quelques heures de loisir se partageait entre ses poupées et son petit chien, un king charles prénommé Dash. On lui apprit le français, l'allemand, l'italien et le latin mais elle ne parlait que l'anglais dans l'intimité.
    Dans les années 1830, la duchesse de Kent et Conroy décidèrent d'emmener Victoria visiter l'Angleterre. Partout où elle se rendit, la jeune fille fut accueillie avec les honneurs et elle put se rendre compte qu'elle était populaire dans le peuple, au grand agacement de son oncle, le roi Guillaume IV qui considérait ces voyages comme des Joyeuses Entrées où Victoria n'était plus son héritière présomptive mais réellement, sa rivale. Cela dit, ces voyages n'étaient pas non plus du goût de la jeune Victoria car ils la fatiguaient. Mais, malgré ses plaintes et la désapprobation du roi, sa mère refusa de ramener sa fille à Londres.
    Et ce qui devait arriver, arriva. En octobre 1835, à Ramsgate, la jeune Victoria, âgée de seize ans, développe soudain une forte fièvre. Le contrôleur Conroy se moqua de cette maladie qu'il qualifia de caprice enfantin. Pendant cette maladie, sa mère tenta, sans succès, de la pousser à nommer Conroy comme son secrétaire général mais la jeune fille ne flancha pas et, une fois, couronnée, elle le bannira de sa Cour.
    En 1836, l'oncle maternel de Victoria, Léopold, qui avait été un temps l'époux de sa défunte cousine, Charlotte Augusta, devient roi des Belges et espère marier sa jeune nièce britannique avec Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, un autre de ses neveux, fils de son frère Ernest Ier de Saxe-Cobourg et Gotha. Victoria et Albert sont cousins germains, puisque la mère de l'une et le père de l'autre sont frère et soeur.
    En mai 1836, alors que Victoria s'apprête à fêter ses dix-sept ans, le roi Léopold de Belgique décide d'organiser une grande réunion de famille dans le but de présenter Victoria à Albert. Cependant, le roi d'Angleterre se montrait peu favorable à une union de sa nièce avec un Saxe-Cobourg et Gotha et privilégiait le parti d'Alexandre des Pays-Bas, second fils du prince d'Orange.
    Victoria est tout sauf une jeune fille naïve et elle est tout à fait consciente des nombreux projets matrimoniaux qui la concerne. Il faut dire que l'héritière présomptive d'un roi d'Angleterre est un bon parti. C'est avec un oeil critique qu'elle juge tous les candidats qui lui sont proposés. Finalement, malgré la désapprobation du roi Guillaume IV, Victoria va rencontrer Albert, son cousin, qui a deux mois de moins qu'elle seulement -il est né le 26 août 1819. A l'en croire -Victoria rédige un journal- cette première rencontre a été loin d'être désagréable et c'est plutôt bien passée. Il semble que le physique du jeune prince ait fait grande impression sur cette jeune fille de dix-sept ans, puisque voici ce qu'elle écrit à propos de son cousin : « [Albert] est extrêmement beau ; ses cheveux sont de même couleur que les miens ; ses yeux sont grands et bleus et il a un beau nez et une bouche très douce avec de belles dents ; mais le charme de sa contenance est son atout le plus délicieux ». A l'inverse, le prince Alexandre, soutenu par son oncle, est jugé quelconque par la jeune fille.
    Par la suite, la jeune Victoria écrit à son oncle Léopold afin de le remercier de l'avoir fait rencontrer Albert. « Il possède toutes les qualités qui pourraient être désirées pour me rendre parfaitement heureuse. Il est si raisonnable, si gentil et si bon et si aimable aussi. Il a en plus l'apparence et l'extérieur les plus plaisants et les plus délicieux qu'il vous est possible de voir. », dit-elle dans sa lettre. Il semblerait donc que le dessein de Léopold de Belgique et de la duchesse de Kent soit en passe de de se réaliser : Victoria a, semble-t-il, était tout à fait impressionnée par son cousin et parait disposée à envisager une union avec lui. Cela dit, ce ne serait pas pour tout de suite, Victoria se jugeant un peu jeune pour convoler, à dix-sept ans seulement. Ainsi, on ne s'accorda pas sur un engagement formel mais on estima que le mariage se ferait en temps et en heure.

    II. Reine d'Angleterre !

    Le couronnement de la reine Victoria, par George Hayter

    Le 24 mai 1837, Victoria fête ses dix-huit ans. Victoire de son oncle, qui avait déclaré vouloir vivre jusqu'à la majorité de sa nièce afin d'éviter une régence au royaume. Lorsque Victoria accède à la majorité son oncle est à bout de souffle mais il est encore vivant. Il s'éteint à peine un mois plus tard, le 20 juin, à l'âge de 71 ans, abandonnant le royaume à une reine majeure, capable d'assurer ses affaires. A 2 heures 12 du matin, Guillaume IV n'est plus ; à 6 heures, la duchesse de Kent vient éveiller sa fille, qui s'était couchée héritière et s'éveille ainsi reine du Royaume-Uni : « J'ai été réveillée à 6 h pile par Mamma qui me dit que l'archevêque de Cantorbéry et Lord Conyngham étaient là et qu'ils voulaient me voir. Je suis sortie du lit et me suis rendue dans mon salon (en ne portant que ma robe de chambre) et seule, je les ai vus. Lord Conyngham m'informa alors que mon pauvre oncle, le roi, n'était plus et avait expiré à 2 h 12 ce matin et que par conséquent Je suis Reine. », écrit la fraîche souveraine dans son journal. Les documents officiels sont préparés au nom de la reine Alexandrina Victoria mais, à sa demande, le premier prénom est supprimé : la reine Victoria vient de naître...
    Depuis 1714 et la mort, sans descendance, de la reine Anne, le royaume d'Angleterre était passé sous la tutelle des rois hanovriens. Comme la loi salique est en vigueur au Hanovre, Victoria n'héritera pas de ce titre-là, puisque les femmes ne peuvent prétendre à la succession. Si elle se voit investie de la tutelle de toutes les colonies britanniques, le pouvoir au Hanovre sera, lui, dévolu au frère de son propre père, le duc de Cumberland et Teviotdale, qui devient Ernest-Auguste Ier de Hanovre. Il est également l'héritier de sa nièce, tant que cette dernière reste sans enfant.
    A son accession au trône, Victoria, qui est encore toute jeune, est politiquement inexpérimentée et c'est le premier ministre whig Lord Melbourne qui va la seconder et exercer une influence importante sur elle. L'écrivain Charles Greville disait même que Lord Melbourne, veuf et sans enfant considérait la jeune reine comme sa propre fille et Victoria, qui n'avait pas connu son père, mort alors qu'elle avait à peine un an, le voyait certainement comme une figure tutélaire et maternelle.
    La reine est couronnée solenellement le 28 juin 1838, un an après son accession au trône. Elle réside au palais de Buckingham et devient en cela le premier souverain à y séjourner durablement. Elle hérite des revenus des duchés de Lancastre, de Cornouailles et se voit dotée d'une liste civile annuelle de 385 000 £. Relativement prudente financièrement, elle en profita pour rembourser les dettes de son père.
    Au début de son règne, la jeune Victoria est populaire et estimée. Mais, en 1840, sa réputation est ternie par l'affaire Hastings : l'une de ses dames d'honneur, lady Flora Hastings présente un ventre arrondi qui pourrait très bien signifier une grossesse. Victoria, qui ne peut supporter « cette odieuse Flora » la fait examiner, après que des rumeurs aient sous-entendu que la dame d'honneur aurait été enceinte des oeuvres de John Conroy, l'exécré contrôleur de gestion de la duchesse de Kent, la mère de la reine. Or, il s'avère que Flora Hastings est...vierge. Elle souffrait d'une importante tumeur hépatique qui l'emporte d'ailleurs au mois de juillet 1840. Victoria est alors conspuée et huée lors de ses apparitions publiques et appelée ironiquement « Mme Melbourne ». Ce dernier avait démissionné après que les radicaux et les tories, parti opposé aux whigs qu'il représentait, aient voté contre une loi suspendant la constitution de Jamaïque. La législation prévoyait en effet de supprimer les pouvoirs politiques des planteurs qui s'opposaient aux mesures associées à l'abolition de l'esclavage. Malgré la détestation qu'elle vouait aux torries, la reine Victoria chargea Robert Peel de former un nouveau gouvernement. A l'époque, il était d'usage que le premier ministre nomme les « dames de la chambre à coucher », qui sont au service de la famille royale dans ses diverses résidences et, la coutume voulait que ces dames soient souvent des épouses des membres du parti au pouvoir. Or, les « dames de la chambre à coucher » étaient alors des épouses de whigs et Peel, tout logiquement, souhaitait les remplacer par des épouses de torries, ce que Victoria refusa. Cela donna lieu à la « crise de la chambre à coucher » et au retour de Melbourne au pouvoir puisque Peel, refusant de gouverner selon les conditions de la souveraine, donna sa démission.
    Maintenant que Victoria est une souveraine couronnée, sa position de célibataire devient délicate et elle doit se marier. De plus, les conventions sociales lui imposaient de vivre sous le même toit que sa mère, avec qui elle ne s'entendait absolument pas, notamment à cause de John Conroy. La duchesse de Kent vit donc à Buckingham auprès de sa fille mais la reine refuse souvent de la rencontrer. Un jour, Victoria se plaignit à Melbourne de cette promiscuité avec sa mère qui ne promettait que des « souffrances pendant de nombreuses années ». Alors, le ministre conseilla à la reine de se marier car c'était le seul moyen pour elle d'échapper à la tutelle de sa mère. Mais la reine rétorqua que c'était là une « alternative choquante ». Même si elle se met à songer sérieusement à son cousin, rencontré quelques années plus tôt, Victoria refuse de céder aux pressions qui la poussent à se marier rapidement.
    Finalement, Victoria saute le pas en octobre 1839, alors que son cousin est venu en séjour en Angleterre. Le 15, elle le demande officiellement en mariage et le couple se marie le 10 février 1840 dans la Chapel Royal du palais de St-James de Londres. Victoria se montre très éprise de son époux et ils formeront, jusqu'à la mort d'Albert un couple aimant et uni. Grâce à la médiation du prince consort, les relations entre la duchesse de Kent et sa royale fille s'amélioreront également progressivement.
    En cette année 1840, la jeune reine, âgée de vingt-et-un ans, s'aperçoit qu'elle est déjà enceinte. Alors qu'elle se promène dans une calèche avec son époux, lors d'un déplacement pour rendre visite à sa mère, un jeune homme de dix-huit ans, Edward Oxford, tire deux fois sur la reine mais manque sa cible. Jugé pour haute trahison, il fut condamné mais finalement acquitté pour raisons mentales et il fut interné pendant une trentaine d'années. Après cette agression, la popularité de Victoria augmenta significativement et calma le mécontentement résiduel après l'affaire Hastings et la crise de la chambre à coucher. Au cours des années suivantes, la reine Victoria échappa à plusieurs autres tentatives d'attentat : en 1842, alors qu'elle descendait le Mall en calèche, John Francis, armé d'un pistolet, tira en direction de la reine, mais l'arme ne fonctionna pas ; en 1849 et 1850, William Hamilton et Robert Pate tentèrent également de s'en prendre à la personne royale...
    Le 21 novembre 1840, la reine Victoria donne naissance à son premier enfant, une fille, qui recevra également le prénom de Victoria. Victoria n'aimait pas beaucoup les enfants -elle considérait les nourrissons comme des êtres laids-, elle se montrait dégoûtée par l'allaitement et détestait être enceinte mais elle eut néanmoins huit enfants. A ce moment-là, la maison de la reine est alors gérée par son ancienne gouvernante, la baronne Louise Lehzen, hanovrienne d'origine. Jugée incompétente par le prince Albert, elle sera limogée à la suite d'une violente dispute opposant les deux époux. Quoi qu'il en soit, le couple resta très amoureux, très uni et Victoria et Albert devinrent les parents de neuf enfants. En 1853 et 1857, Victoria donna naissance à ses deux derniers enfants. En 1853, pour la première fois, elle usa pendant son accouchement d'un nouvel anesthésiant, le chloroforme, à la grande fureur des prélats, qui estimaient que ceci était contraire aux enseignements de la Genèse et à l'inquiétude des médecins qui considéraient cette substance comme dangereuse.

    III. La politique victorienne

    Si le parti whig est majoritaire au début du règne de la jeune Victoria, il va en s'affaiblissant au cours des ans. En 1841, les whigs, parti de Lord Melbourn, qui avait servi de mentor à la jeune reine, est battu lors des élections générales et Peel devint premier ministre. Il réorganisa alors la chambre à coucher de la reine et les dames les plus associées au parti whig furent remplacées.
    En 1845, en Irlande, une grave crise alimentaire survient, alors que la pomme de terre, aliment de base de la population, est touchée par le mildiou. Cette crise entraîna la mort d'un million environ d'habitants tandis que d'autres émigrèrent, notamment vers les Etats-Unis : cette période est restée dans l'Histoire sous le nom de Grande Famine et, en Irlande, Victoria fut surnommée « The Famine Queen », autrement dit « la reine famine ». Et pourtant, la reine piocha dans sa propre cassette afin de venir en aide au peuple Irlandais et donna environ 2 000 £ pour que la famine soit endiguée. La légende qui veut qu'elle n'ait donné que 5 £ tandis que, le même jour, elle versait une somme extravagante à une organisation de protection des animaux, la Battersea Dogs Home, n'est qu'un mythe, créé de toutes pièces vers la fin de son règne.
    En 1846, le gouvernement Peel doit affronter la crise qui survient après le projet d'abolition des Corn Laws : ces lois, votées essentiellement au siècle dernier et au début du XIXème siècle -la dernière datait de 1815- interdisaient toute importation de céréales lorsque les cours passaient en dessous d'un seuil-plafond. Les tories, c'est-à-dire les conservateurs, étaient opposés fermement à ce projet mais Peel, quelques membres du parti torry et la reine Victoria elle-même étaient favorables à l'abolition de ces lois. Votée de justesse, l'abolition de ces lois coûta tout de même son poste de Premier Ministre à Peel, qui dut démissionner et fut alors remplacé par Lord Russell.
    En ce qui concerne la politique extérieure, la reine Victoria va travailler à l'amélioration des relations diplomatiques avec la France. Ainsi, elle rencontra à plusieurs reprises des membres de la famille d'Orléans, liée à la famille royale britannique par des mariages, notamment via les Cobourgs. En 1843 puis 1845, Victoria et Albert se rendirent en France où ils rencontrèrent le roi Louis-Philippe d'Orléans au château d'Eu, en Normandie. Elle fut le premier souverain britannique à rencontrer son homologue français depuis le fameux Camp du Drap d'Or, en 1520, qui avait réuni François Ier et le célèbre Henri VIII !! En 1844, ce fut Louis-Philippe qui se rendit en Angleterre et, de même, devint le premier roi français à se rendre outre-Manche. Lorsqu'il fut déposé, à la suite de la révolution d 1848, le roi Orléans parti en exil en Angleterre. Cette année 1848 est mouvementée partout en Europe, où l'on constaste de nombreux soulèvements populaires. Par précaution, la reine et sa famille iront séjourner à Osborne House, la demeure de Victoria sur l'île de Wight, achetée en 1845. Finalement, il n'y eut pas de soulèvement général au Royaume-Uni et la perspective d'une révolution s'éloigna peu à peu. En 1849, Victoria effectue un voyage en Irlande, voyage qui fut un succès en terme de relations publiques mais qui n'eut pas, cependant, d'impact sur la croissance du nationalisme dans l'île. Elle dut s'accomoder pendant de nombreuses années du gouvernement de Lord Russel, dominé par les whigs, un parti que la reine n'appréciait pas. Elle détestait tout particulièrement Lord Palmerston, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, qui faisait souvent cavalier seul et se permettait d'agir sans l'avis du Cabinet, du Premier Ministre ou de la reine. Finalement, il fut limogé en 1851 lorsqu'il osa annoncer que le gouvernement britannique approuvait le coup d'état mené par Louis-Napoléon Bonaparte, en France, qui venait de renverser la république pour instaurer un nouvel empire. L'année suivante -1852-, Russel fut remplacé par lord Derby.
    En 1855, du fait de la guerre de Crimée, le gouvernement de lord Aberdeen, qui avait remplacé Derby, démissionna, à la suite de critiques formulées envers leur mauvaise gestion de la situation de crise. La reine approcha alors Derby puis Russel pour reformer un gouvernement mais n'ayant pas suffisamment de soutiens, les deux hommes refusèrent et Victoria fut donc contrainte de nommer l'ingérable Palmerston au poste de Premier Ministre.
    Durant la guerre de Crimée, la France de Napoléon III et le Royaume-Uni furent alliés et l'Empereur des Français se rendit donc, en avril 1855, en Angleterre pour rendre visite au couple souverain. Victoria et Albert firent le voyage inverse en août de la même année : ils furent accueillis par Napoléon III à Dunkerque et ce dernier les conduisit ensuite jusqu'à Paris où le couple royal britannique put visiter l'exposition universelle. Albert et Victoria se rendirent également sur la tombe de Napoléon Ier aux Invalides -ses cendres avaient été rapatriées en 1840- et furent au centre d'un bal donné en leur honneur au château de Versailles. A la fin des années 1850, les gouvernements successifs connurent de graves crises, notamment à la suite d'une tentative d'assassinat de Napoléon III par un réfugié italien en Angleterre qui avait tenté de tuer l'Empereur avec une bombe fabriquée outre-Manche. Derby fut rappelé au pouvoir puis, en juin 1859, il fut de nouveau remplacé par Palmerston.
    Par la suite, la politique victorienne sera marquée par le ministériat du célèbre Disraeli -à la mort de ce dernier, la reine fut sincèrement affligée- et Victoria devint officiellement impératrice des Indes le 1er janvier 1877. La reine, au cours des dernières décennies de son règne, sera de nouveau la cible de plusieurs attentats, qui, fort heureusement pour elle, manqueront leur cible à chaque fois et devra affronter la montée du républicanisme en Angleterre, ravivé notamment par l'avènement de la Troisième République en France.

    IV. Victoria s'achemine vers la mâturité

    Le prince Albert, Victoria et leurs enfants, en 1857

    Le 25 janvier 1858, alors que leur dernière fille, Béatrice du Royaume-Uni est encore au berceau, Victoria et Albert marient leur fille aînée Victoria au prince Frédéric Guillaume de Prusse. La cérémonie a lieu à Londres. Victoria et Albert ont trente-neuf ans, la jeune Victoria, dix-huit. Ce fut avec beaucoup d'émotion que la reine Victoria vit partir la jeune fille vers la Prusse et voilà d'ailleurs ce qui lui écrira par la suite, dans la correspondance qui les unit :« cela me fait vraiment frissonner quand je regarde vos sœurs douces, joyeuses et inconscientes et que je pense que je devrais les abandonner également, une par une. » Dès l'année suivante, alors que le couple royal a à peine quarante ans, leur fille Victoria leur donne leur premier petit-enfant, un garçon qui sera prénommé Guillaume.
    Les années 1860 sont marqués par des deuils pour Victoria. Ainsi, en mars 1861, la duchesse de Kent, Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld, mère de la reine, meurt, sa fille à son chevet. Après son décès, Victoria prend connaissance des documents de sa mère où elle découvre avec stupeur et tristesse que sa mère, contrairement aux apparences, l'aimait profondément. La reine en eut le coeur brisé et blâma sévèrement John Conroy et sa gouvernante, Louise Lehzen, pour l'avoir sciemment éloignée de sa mère. Albert fut d'une grande aide pour la reine pendant cette période troublée de sa vie et prit notamment en charge une partie de ses fonctions bien qu'il eût lui-même des problèmes de santé. En août, le couple rend visite à leur fils, le Prince de Galles, qui assistait à des manoeuvres militaires non loin de Dublin et passèrent quelques jours en Irlande. En novembre, le prince consort apprit avec stupeur les rumeurs selon lesquelles son fils avait couché avec une actrice irlandaise. Ulcéré, il se rendit à Cambridge, où Edward étudiait, afin de le réprimander. Début décembre, Albert est gravement malade. Appelé à son chevet, le médecin William Jenner diagnostique une fièvre typhoïde et, le 14 décembre 1861, le prince rendait son âme à Dieu à l'âge de quarante-deux ans, laissant une veuve profondément anéantie. Révoltée par la mort de son époux, la reine n'hésita pas à en attribuer la responsabilité à l'attitude frivole de son fils, Edward et affirma qu'Albert avait été « tué par cette affreuse affaire. » Pendant tout le reste de sa longue vie, on ne verra plus la reine que vêtue de noir, portant le deuil d'un mari très aimé et parti trop jeune. Après la mort d'Albert, elle vint de moins en moins à Londres et se retira au château de Windsor, ce qui lui valut d'ailleurs le surnom de « veuve de Windsor ».
    Cet isolement volontaire entraîna une diminuation de la popularité de la monarchie, ce qui encouragea donc une croissance du mouvement républicain dans le pays. Cependant, Victoria continua d'assumer ses fonctions gouvernementales comme elle l'avait toujours fait mais choisit de rester le plus souvent confinée dans ses résidences favorites : Windsor, en Angleterre, Balmoral, en Ecosse et Osborne House, sur l'île de Wight, où elle vivait dans le souvenir de son cher disparu. Cependant, l'isolement de la reine encourage la colère du peuple et, en mars 1864, un manifestant n'hésite pas à placarder une affiche sur les grilles du palais de Buckingham, proclamant que « ces imposants bâtiments étaient à vendre en raison du déclin des affaires de l'ancien propriétaire ». Sur le conseil de son oncle, Léopold, roi des Belges, Victoria consentira à apparaître de nouveau en public. Sa première sortie a lieu aux jardins de la Royal Horticultural Society à Kensington.
    Durant les années 1860, suite à son veuvage, la reine diminuée par la peine d'avoir perdu son compagnon de vie va s'appuyer et se raccrocher de plus en plus à un de ses domestiques, un Ecossais du nom de John Brown. Bien vite, cette relation privilégiée alimente les rumeurs, qui font état d'une relation entre la reine et Brown et même d'un mariage secret entre eux. La reine fut perfidement affublée du sobriquet de « Mrs. Brown ». Pourtant, dans son livre intitulé Leaves from the Journal of Our Life in the Highlands, Victoria n'hésitera pas, malgré les rumeurs qui vont bon train, à rendre un vibrant hommage à cet homme qui lui apporta réconfort et protection. Un film, La Dame de Windsor, en 1997, relate cet épisode de la vie de la reine Victoria.
    Désormais veuve, c'est sur ses enfants que la reine Victoria vieillissante reporte toutes ses inquiétudes. En 1871, elle doit affronter la maladie de son fils, le prince de Galles, héritier du trône qui a contracté la typhoïde, la maladie qui avait emporté Albert dix ans plus tôt. Victoria craignit que son fils ne mourut mais, finalement, le prince survit. Victoria sortait alors tout juste elle-même d'une maladie relativement sérieuse : en septembre 1871, elle avait souffert d'un abcès au bras et dut son salut au médecin Joseph Lister qui incisa l'abcès et le désinfecta au phénol. En février 1872, Arthur O'Connor, âgé de dix-sept ans, petit-neveu du député irlandais Feargus O'Connor, agita un pistolet non-chargé sur le passage de la reine. Neutralisé par Brown, il sera condamné à de la prison et son geste renforcera la popularité de la souveraine.
    Le 14 décembre 1878, Victoria s'apprêta à commémorer comme il se doit le dix-huitième anniversaire de la mort de son époux chéri, Albert. Ce même jour, sa seconde fille, nommée Alice et qui avait épousé Louis IV de Hesse, meurt de la diphtérie à Darmstadt, en Allemagne. Cette Alice de Hesse était la mère d'une petite fille appelée à connaître un destin aussi brillant que tragique : la petite Alix deviendrait un jour impératrice de Russie sous le nom d'Alexandra Fedorovna, épouse de Nicolas II, tsar de toutes les Russies...Victoria, à la veille de son soixantième anniversaire, sera particulièrement touchée par le décès de sa fille. En mai 1879, elle devient arrière-grand-mère, à l'occasion de la naissance de Théodora de Saxe Meiningen, petite-fille de Victoria, sa première fille. La reine se dit alors vieillie, abattue par la perte de « perte de [son] enfant chéri ». Victoria s'achemine vers la vieillesse dans la tristesse.

    V. Les dernières années

    La reine Victoria à quatre-vingt ans, représentée en 1899 par Henrich von Angeli 

    Le 2 mars 1882, Victoria, alors âgée de soixante-trois ans, échappe à une tentative d'assassinat perpétrée par Roderick McLean, un poète visiblement mécontent que la reine ait refusé l'un de ses poèmes. La reine se montrera particulièrement outrée qu'il ne soit finalement pas condamnée pour cause de santé mentale défaillante. Cela dit, elle fut réconfortée par les nombreuses manifestations de soutien du peuole et aurait eu ces mots : « cela valait la peine de se faire tirer dessus pour voir à quel point l'on est aimée ».
    En 1893, elle tomba dans les escaliers du château de Windsor et ne récupéra jamais complètement de cet accident. Cette même année, elle eut la douleur de perdre Brown, qui mourut 10 jours après son accident et, malgré la consternation de son secrétaire privé, Henry Ponsonby, qui considérait d'un mauvais oeil son initiative, la vieille reine décida d'entreprendre une biographie de son ancien domestique. Il lui fut cependant déconseillé de la publier si elle ne souhaitait pas alimenter les rumeurs qui lui prêtaient une relation amoureuse avec Brown. Elle eut encore le chagrin de devoir faire face à la mort de l'un de ses enfants, le prince Léopold, décédé à Cannes mais, quelques années avant sa mort, la reine Victoria eut le bonheur de connaître son arrière-petit-fils, le prince Edward, qui devait un jour monter sur le trône sous le nom d'Edward VIII. En 1887, les Britanniques célébrèrent le Jubilé d'or de la reine, c'est-à-dire le cinquantenaire de l'accession au trône de Victoria. Dix ans plus tard, Victoria, âgée de soixante-dix-huit ans, célébra son Jubilé de Diamant, autrement dit, ses soixante ans de règne. A l'heure actuelle, elle est le souverain britannique à avoir régné le plus longtemps sur le pays, quoique sa descendante, la reine Elizabeth II, semble bien décidée à concurrencer sa célèbre aïeule : elle a célébré son Jubilé de Diamant en 2011.
    Malgré son âge très avancé, Victoria continua de voyager en Europe. Ainsi, en 1889, lors d'un séjour à Biarritz, elle en profita pour passer la frontière espagnole et fut donc le premier monarque britannique à poser le pied sur la terre hibérique. Cependant, en avril 1900, alors qu'elle devait se rendre en voyage en France, le voyage fut annulé en raison de la guerre des Boers jugée de manière particulièrement négative partout en Europe. Victoria se rendit don en Irlande, où elle n'était plus allée depuis 1861. En juillet 1900, la vieille reine dut affronter la mort de son fils Alfred, surnommé Alfie et elle écrivit ceci dans son journal : « Oh, Dieu ! Mon pauvre chéri Affie est parti aussi. C'est une année horrible, rien d'autre que la tristesse et l'horreur sous une forme ou une autre ».
    Le réveillon de 1900 se passa à Osborne House, comme Victoria en avait pris l'habitude depuis son voyage. Elle boitait un peu, du fait des rhumatismes qui la torturaient depuis des années et sa vue s'était obscurcie à cause de la cataracte. Au début du mois de janvier 1901, la reine, âgée de bientôt quatre-vingt-deux ans, se sent faible et souffrante. Elle meurt finalement le 22 janvier 1901, à l'aube du XXème siècle, à 18 heures 30. Elle avait régné soixante-quatre ans sur le Royaume-Uni et aurait fête ses quatre-vingt-deux ans au mois de mai suivant. C'est son fils, Edward, prince de Galles, qui lui succède sous le nom d'Edward VII.
    Victoria fut habillée d'une robe blanche et couronnée d'un voile de mariée. Des souvenirs rappelant sa famille, ses amis et ses domestiques furent placés à ses côtés dans le cercueil. Elle fut inhumée le 2 février 1901 : à la suite d'une cérémonie en la chapelle Saint-Georges de Windsor, elle fut portée en terre à Frogmore, dans le mausolée royal, aux cotés de son mari Albert.

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - La Saga des Windsor, Jean des Cars. Essai historique.
    - Queen Victoria : A Personal History, Christopher Hibbert. Biographie. 
    - Écrits de la reine Victoria (disponibles sur l'Internet Archive) 
    - La reine Victoria, Jacques de Langlade. Biographie. 
    - La reine Victoria, Philippe Chassaigne. Biographie. 
    - Victoria : Reine d'un Siècle, Joanny Moulin. Biographie. 


    4 commentaires
  • INTERMEDE XXIV

     

    Marie-Caroline vers 1770, portrait de Georg Weikert

     

    La jeune archiduchesse Marie-Caroline (Maria Karolina Luise Josepha Johanna Antonia von Osterreich est son nom de naissance) voit le jour le 13 août 1752 au château de Schönbrunn, palais d'été de la famille d'Autriche, aux abords de Vienne. Elle est le treizième enfant du couple formé par Marie-Thérèse, archiduchesse d'Autriche, reine de Hongrie et de Bohême, régente des possessions des Habsbourg et de son époux, François Ier de Lorraine, empereur du Saint-Empire. Le couple est connu pour sa généreuse progéniture et, trois ans plus tard, naîtra celle qui reste certainement la plus célèbre -et celle qui possède sans nul doute le destin le plus tragique-, Marie-Antoinette, la future reine de France.
    La petite Marie-Caroline reçoit le prénom de deux ses soeurs décédées en bas-âge : l'une était morte deux semaines seulement après son premier anniversaire ; la seconde quelques heures seulement après avoir été baptisée. Cette nouvelle petite Marie-Caroline sera plus chanceuse que ses soeurs puisqu'elle est promise à une vie relativement longue pour l'époque : la future reine de Naples s'éteindra à l'âge de soixante-deux ans au début du XIXème siècle.
    La petite fille reçoit pour parrain et marraine les souverains français, Louis XV et son épouse, Marie Leszczynska. En grandissant, Marie-Caroline sera certainement la fille de Marie-Thérèse qui lui ressemblera le plus, tant sur le plan physique que sur le plan moral. La jeune archiduchesse formera également un duo très uni avc sa petite soeur, de trois ans sa cadette, la future Marie-Antoinette, encore appelée à l'époque Maria Antonia et couramment surnommée Antoine. Les deux petites filles ont d'ailleurs partagé très tôt la même gouvernante, la comtesse Lerchenfeld et on se plaisait à voir une preuve de leur attachement mutuel dans les maladies infantiles que les petites princesse ne manquèrent pas d'attraper dans leurs premières années : quand une était malade, l'autre ne manquait jamais d'attraper la maladie de sa soeur, tant elles étaient toujours fourrées l'une avec l'autre ! Cette relation privilégiée entre les deux soeurs prendra fin en août 1767, quand leur mère, Marie-Thérèse, décide de les séparer, du fait de leur mauvaise conduite : Marie-Caroline a quinze ans, la jeune Antoine, douze.
    Cette même année, le destin de Marie-Caroline se précipite...Sa soeur aînée Marie-Josèphe, d'un an de plus qu'elle, décède subitement, alors qu'elle était promise à Ferdinand IV de Naples -nommé à tort de Naples puisqu'il est en fait roi de Sicile péninsulaire. Marie-Josèphe avait remplacé sa jeune sœur Marie-Jeanne, initialement promise au souverain napolitain, mais qui était morte en 1762 de la variole, à l'âge de douze ans. Marie-Caroline se retrouve donc propulsée sur le devant de la scène matrimoniale...ses parents, soucieux de protéger l'alliance avec Naples, proposent donc successivement trois de leurs filles au roi Ferdinand et, le 12 mai 1768, Marie-Caroline, âgée de seize ans, convole en justes noces. Elle devient Sa Majesté Marie Caroline Luise Josephe Johanna Antonie de Naples et de Sicile, archiduchesse d'Autriche, princesse royale de Hongrie et de Bohême, princesse de Toscane.
    La jeune princesse est dotée d'un caractère fort et dominant qui contraste en tous points avec celui de son époux. Né en 1751, Ferdinand est le fils de Charles III d'Espagne, connu sous le nom de Charles VII de Naples et de Marie-Amélie de Saxe. Par son père, il a du sang Bourbon qui coule dans ses veines puisqu'il est un descendant direct de Louis XIV. Le jeune prince n'a que huit ans quand son père, le roi Charles VII, est appelé à ceindre la couronne d'Espagne, en 1759. L'année suivante, sa mère décède en Espagne. Successivement fiancé, on l'a vu, à deux archiduchesses autrichiennes qui moururent avant que le mariage ne fut conclu, c'est finalement Marie-Caroline qui devient son épouse, alors qu'ils n'ont que dix-sept et seize ans. Leur mariage n'est pas très heureux et le couple, bien trop différent pour s'entendre et s'accorder. Ferdinand IV est un roi au caractère hésitant qui contraste avec celui, déterminé et fort, de sa jeune épouse, qui ne tarde pas à s'imposer et à gouverner, littéralement, le roi, avec le favori Joseph Acton. Ce fut véritablement Marie-Caroline qui gouverna Naples à la place de son époux, qui n'aimait rien tant que se mêler au peuple et mener sa vie simple.
    Malgré un mariage peu heureux, le couple se trouva rapidement pourvu d'une nombreuse progéniture et, à l'instar de sa propre mère, Marie-Caroline passa de nombreuses années en grossesses et couches successives. Marie-Caroline et Ferdinand seront ainsi les parents de dix-huit enfants. Certains mourront en bas âge mais la plupart atteignirent l'âge adulte. En 1772 naît Marie-Thérèse de Bourbon-Naples ; l'année suivante, une nouvelle fille voit le jour et reçoit le prénom de Louise ; en 1775 c'est un fils, Charles, qui vient au monde mais décède trois ans plus tard ; ce fils a une jumelle, Marie-Anne, qui vivra cinq ans ; en 1777 naît François, le futur François Ier des Deux-Siciles, qui reçoit ce prénom en hommage à son grand-père maternel ; en 1779 naissent des jumelles, Marie-Christine et Marie-Christine-Amélie ; Janvier, en 1780 ; Joseph en 1781 ; Marie-Amélie en 1782 ; Marie-Christina en 1783 est mort-née ; Marie-Antoinette, en 1784 et qui sera reine d'Espagne ; Marie-Clotilde, en 1786 ; Marie-Henriette en 1787 ; Charles, en 1788 ; Léopold en 1790 ; Albert Louis, en 1792 et, enfin, Marie-Isabelle, en 1793. En tout, la reine Marie-Caroline passa donc vingt-et-un ans de sa vie dans la maternité, donnant naissance, à des dates rapprochées à dix-huit enfants dont une seule sera morte à la naissance. A la naissance de son dernier enfant, la princesse Marie-Isabelle, sa soeur aînée, Marie-Thérèse, avait vingt-et-un ans et était déjà pourvue d'une descendance. Ainsi, Marie-Caroline eut des petit-enfants plus vieux que ses derniers enfants !!
    Politiquement, Marie-Caroline continuera la politique de rapprochement des Habsbourg et des Bourbons que sa propre mère avait menée dans ses Etats et dont son mariage était la conséquence directe. Comme sa mère également, elle veillera notamment à marier le plus avantageusement sa nombreuses progéniture : sa fille aînée, Marie-Thérèse sera ainsi mariée à François, le futur François Ier d'Autriche, fils de son oncle Léopold II. L'une de ses filles ceindra la couronne d'Espagne tandis que son fils François sera, lui, marié à la princesse Marie-Isabelle d'Espagne. Ainsi, bien avant la reine Victoria, qui appliqua elle aussi à sa nombreuse descendance -cependant bien moins importante que celle de Marie-Caroline- cette même politique matrimoniale, Marie-Caroline peut être considérée comme la grand-mère de l'Europe.

    La famille royale de Naples en 1783 (Marie-Caroline, Ferdinand Ier et leurs enfants) par Angelica Kauffmann


    Depuis son royaume, elle assiste, sidérée, au soulèvement révolutionnaire français, qui, éclaté en 1789 va emporter la royauté avec lui et éliminer sans état d'âme ses souverains. La reine de Naples, on s'en souvient, était la sœur de l'infortunée reine de France, sœur qui, malgré l'éloignement, n'avait sûrement pas oublié les liens privilégiés qui les avaient unies dans leur jeunesse -un mariage entre le petit Dauphin et une des princesses napolitaine avait même été envisagé avant que la Révolution n'éclate. Marie-Caroline se montre révoltée par l'exécution de Marie-Antoinette le 16 octobre 1793 et, avec le soutien de son favori Joseph Acton mais aussi de l'ambassadeur britannique à Naples, Hamilton, elle déclara, en 1798, les hostilités à la France révolutionnaire. Cependant, cette même année, les armées du roi de Naples sont vaincues et le souverain se trouve privé de ses possessions continentales. Les victoires successives des armées révolutionnaires poussent la reine à se réfugier en Sicile, une terre que Marie-Caroline connaît mal et où la vie va s'avérer particulièrement pénible, notamment à cause du climat auquel elle a du mal à s'habituer. Des chroniqueurs ont d'ailleurs rapporté que la reine aurait alors usé d'opium...Ne décolérant pas, la reine Marie-Caroline observe, impuissante, depuis la Sicile, ce nouveau gouvernement républicain qui se met en place à Naples et qui ressemble tant à cette Révolution Francaise qui lui a pris sa soeur...En 1799, les souverains récupèrent leurs possessions péninsulaires et Ferdinand et Marie-Caroline se livrent alors à une véritable vengeance, une cruelle répression : le célèbre amiral Nelson devient le bras armée de la reine et celle-ci n'hésitera pas à faire exécuter certains de ses anciens amis et se livre toute entière à une sanglante répression contre les républicains vaincus. On dit que, sur quelques 8000 prisonniers, les souverains ne pardonnèrent qu'à six d'entre eux...les autres furent exécutés, condamnés à un emprisonnement à vie à la déportation ou bien encore, à des peines moins importantes, comme l'exil...Ferdinand IV perdra de nouveaux ses Etats en 1806 après avoir violé le serment de neutralité qu'il avait juré : le royaume passera successivement à Joseph Bonaparte, frère de Napoléon Ier puis à Joachim Murat, maréchal d'Empire et beau-frère de l'Empereur.
    Désormais, une réputation de cruauté colle à la peau de la reine mais elle s'en moque et est bien déterminée à continuer de tenir tête à Napoléon et à l'Empire. Ainsi, la reine de Naples ne respecte pas le traité de paix signé avec la France napoléonienne...mais, à Trafalgar, Nelson décède et Marie-Caroline perd l'un de ses plus importants soutiens. En France, malgré la défaite, Napoléon est en train de préparer Austerlitz et se retourne donc contre l'Autriche...après la brillante victoire de l'Empereur, les Napolitains sont sommés de se soumettre mais la reine refuse et commet en cela une grave erreur. En 1804, Napoléon Ier la force à se séparer de son favori, annexe le nord de son royaume et fait de son frère, Joseph Bonaparte, le roi de Naples. Pour la seconde fois, Marie-Caroline est contrainte de se réfugier en Sicile où elle s'installe à Palerme, pour un second exil. En 1806, Ferdinand IV, son époux est déchu du royaume de Naples par Bonaparte. Marie-Caroline profite de son exil forcé pour marier deux de ses filles, en passe de rester célibataires : Marie-Christine, âgée de vingt-huit ans, épouse Charles Félix de Sardaigne en 1807 et Marie-Amélie épouse, en 1809, le duc d'Orléans, tous deux princes en exil. En 1808, la reine, toujours aussi déterminée, tente de placer, avec l'aide de l'Angleterre, son plus jeune fils Léopold-Michel, sur le trône d'Espagne mais l'intervention de la France fait finalement capoter son projet. En 1810, c'est pleine de fureur qu'elle apprend le remariage de Bonaparte, divorcé de Joséphine, avec Marie-Louise d'Autriche, qui est sa petite-fille et sa petite-nièce -la jeune fille est en effet la fille de Marie-Thérèse, première fille de Marie-Caroline et de Ferdinand et de François Ier, fils de Léopold II, le frère de Marie-Caroline. Elle accueillera également avec beaucoup de mécontentement la naissance de l'Aiglon, le petit prince né de l'union de Napoléon Ier et de Marie-Louise et qui est, par conséquent -ironie de l'Histoire-, arrière-petit-fils de la reine de Naples déchue. Cela dit, après l'abdication de Napoléon en mars 1814, la vieille reine, qui fait toujours preuve d'un caractère très déterminé, critiquera vertement la mollesse de l'impératrice Marie-Louise.
    En Sicile, elle est étroitement surveillée par les Anglais, qui tiennent l'île contre Murat, et ils ne cessent de l'empêcher d'agir comme elle le souhaiterait. En 1813, elle est finalement chassée par eux de son exil insulaire et doit se réfugier à Vienne. La reine est désormais une vieille femme et elle trouvera un peu de réconfort auprès de Marie-Louise, sa petite-fille, rentrée en Autriche avec son petit garçon, l'Aiglon.
    En septembre 1814, une femme de chambre découvre le corps inanimé de la reine, âgée de soixante-deux ans. Elle avait la main tendue vers la sonnette, qu'elle n'a pu atteindre. Il semble que Marie-Caroline soit morte d'une crise d'apoplexie. Elle est enterrée auprès de sa mère Marie-Thérèse, à Vienne. Elle meurt avant d'avoir pu voir les Bourbons rétablis à Naples, après la victoire autrichienne de Tolentino, qui contraint Murat à fuir. Son époux se remariera avant la fin de cette même année 1814 avec Lucia Migliaccio, sa maîtresse de longue date et règne encore dix années sous le nom de Ferdinand Ier des Deux-Siciles -le royaume, connu depuis sous ce nom, avait reçu cette nouvelle dénomination en 1816.

     

    La reine Marie-Caroline par Anton Raphael Mengs

     

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - Jaune de Naples, Jean-Paul Desprat. Roman. 
    - Les Couples Royaux dans l'Histoire, Jean-François Solnon. Essai. 
    - La Duchesse de Berry, l'Oiseau Rebelle des Bourbons, Laure Hillerin. Biographie. 
    - Le Journal d'une Reine : Marie-Caroline de Naples dans l'Italie des Lumières, Mélanie Traversier. Biographie. 


    votre commentaire
  • INTERMEDE XXV

     

    Lady with unicorn by Rafael Santi.jpg

    Dame à la licorne, tableau de Raphaël dont Giulia Farnese aurait été le modèle (vers 1505)

    Giulia Farnese, probablement née à Canino en 1474 était une femme d'une extraordinaire beauté, qui subjugua d'ailleurs le pape Alexandre VI Borgia. C'est cette liaison avec le souverain pontife qui va rendre la jeune femme célèbre.
    Elle voit le jour dans une propriété de sa famille, à Canino en 1474. On ne connaît pas la date exacte de sa naissance. Elle est la fille de Pierre Louis Farnese et de Giovanella Caetani, descendante de la dynastie de Sermoneta, ce qui apparente Giulia au pape Boniface VIII. Son frère aîné, Alessandro, deviendra, au siècle suivant, pape sous le nom de Paul III : il est connu pour avoir été le pape du Concile de Trente, par exemple. Elle aura ensuite une sœur cadette, Gerolama ainsi qu'un autre frère, Angelo. On n'a que peu d'informations sur l'enfance de Giulia Farnese...il est très vraisemblable qu'elle ait grandi dans une propriété de la famille Farnese près du lac de Bolsena et, comme c'était la règle pour les jeunes femmes nobles à l'époque, elle a dû être éduquée dans un couvent de Rome. A treize ans, en 1487, elle perd son père.
    Deux ans plus tard, à l'âge de quinze ans, Giulia entre dans l'aristocratie romaine, grâce à son mariage avec Orso Orsini, dit aussi Orsino Orsini. Il appartient à la famille des ducs de Bassanello, l'une des familles plus importantes du Latium. Orsini est le fils de Lodovico Orsini et Adriana de Mila, cousine de Rodrigo Borgia. Il est comte de Nola. Il a un physique peu attirant et est même surnommé Le Borgne ou encore Monuculus Orsinus, à cause de ce handicap. Les noces sont célébrées à Rome le 21 mai 1489, dans la demeure même du cardinal Borgia, dont Adriana de Mila, mère du marié, est la gouvernante. Quelques années plus tard, ce dernier va devenir le pape Alexandre VI Borgia et faire de Giulia sa maîtresse. A l'époque du mariage de La Bella avec Orsini, le futur pape a déjà quatre enfants -Cesare, Lucrezia, Juan et Goffredo- de sa maîtresse Vanozza Cattanei, qu'il reconnaîtra par la suite, mais certainement d'autres rejetons, nés de femmes restées inconnues.
    Giulia, comme son devoir conjugal l'exige, va suivre son époux à Bassanello. Mais, rapidement, le moindre prétexte est bon pour éloigner son mari qu'elle n'aime pas et Giulia se rend souvent dans la résidence romaine des Orsini, à Monte Giordano ou, carrément au palais romain, Santa Maria in Portico, à deux pas de la Basilique Saint-Pierre, où Adriana vit avec Lucrezia, la fille de Rodrigo Borgia.
    Lorsqu'il rencontre Giulia, le cardinal Borgia, futur pape Alexandre VI, a près de soixante ans, mais c'est un véritable coup de foudre qu'il ressent pour la belle jeune femme. Il veut à tout prix en faire sa maîtresse. Giulia, qui n'a même pas encore quinze ans, est littéralement offerte au cardinal. Ceux qui tirent avantage de cette liaison se lient alors en un pacte tacite et silencieux, tandis que le cardinal, lui, peut rajouter cette magnifique créature à son long tableau de chasse. La propre mère de Giulia, Giovanella, et Adriana de Mila, sa belle-mère, vont d'ailleurs profiter de la faveur de la jeune femme pour obtenir pour leurs fils respectifs, Alexandre Farnese (futur pape Paul III) et Orsino Orsini des honneurs et des privilèges.
    Le 11 août 1492, après un conclave sous tension, Rodrigo Borgia accède à la fonction suprême. Il devient pape sous le nom d'Alexandre VI. Trois mois plus tard, Giulia accouche, à l'âge de 18 ans, de son unique fille, prénommée Laura. Mais l'enfant n'est pas présentée comme étant celle du nouveau pape. Légalement, la fille d'Alexandre VI et de Giulia est celle d'Orsino Orsino, le mari de sa mère. D'ailleurs, dans une lettre à Giulia, le pape nie complètement sa paternité...! L'enfant porte donc le nom d'Orsini et devient l'héritière d'Orsino, comme s'il était son véritable père.
    Le pontificat d'Alexandre VI ne met aucunément fin à sa relation avec la belle Farnese. Ils continuent de se rencontrer souvent et Giulia n'est d'ailleurs plus une simple maîtresse : elle est la concubine officielle du pape. On comprendra donc que sa position suscite alors quelques médisances. Les Romains l'appellent ainsi perfidement « concubina papae » ou « sponsa Christi ».
    Dès son arrivée sur le trône de saint Pierre, Alexandre VI commence à distribuer des largesses à ses fidèles, parmi eux, les Farnese, qui sont d'une certaine manière récompensés pour les bonnes grâces de Giulia envers le pape. Ainsi, en 1493, Alexandre VI nomme le frère de sa maîtresse, Alexandre, cardinal, alors que celui-ci n'a que 25 ans, ce qui ne manque pas d'attiser l'ironie des Romains, qui surnomment le nouveau cardinal il cardinale della Gonnella, en référence aux résultats évidents obtenus par les faveurs de sa jeune soeur.
    Le mari bafoué, Orsino Orsini, n'est pas non plus oublié. En 1494, pour le remercier en quelque sorte de fermer les yeux et de se montrer conciliant, le pape lui fait don du fief de Carbognano.
    Mais, dès 1493, la vie de la Bella commence à changer. Cette année-là, en juin, la jeune fille d'Alexandre VI, Lucrezia, alors âgée de treize ans, épouse, selon la volonté de son père, Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro. Elle quitte Rome pour gagner la ville de son époux. Giulia l'y suit en qualité de dame d'honneur et elles sont accompagnés par la belle-mère de Giulia, Adriana de Mila. Mais le pape ne supporte pas cet éloignement et commence à réclamer la présence de sa concubine à Rome.
    De plus, l'Italie, à ce moment-là, est particulièrement troublée. Le roi de France Charles VIII, accompagné de ses armées, envahit l'Italie pour récupérer le royaume de Naples, sur lequel il prêtent avoir des droits. Alexandre VI ordonne à Giulia de rentrer à Rome. Mais, au même moment, Giulia apprend que l'un de ses frères, Angelo, est au plus mal, à Capodimonte. Bravant l'interdit du pape, la jeune femme se rend au chevet de son frère mais arrive trop tard. Elle passe ensuite l'été avec son autre frère, Alexandre, dans les propriétés de la famille. Mais, à l'automne, la situation se fait de plus en plus menaçante et Alexandre VI réitère son ordre : Giulia doit rentrer à Rome. D'autre part, Orsino Orsini exige aussi d'avoir sa femme à ses côtés, à Bassanello. Furieux, le pape écrit des mots très durs à Giulia ainsi qu'à Adriana de Mila, les menaçant d'excommunication si elles ne rentrent pas. Des lettres similaires sont adressées à Alexandre Farnese à Orsino Orsini.
    Le pape a gagné. Giulia décide de revenir à Rome avec sa belle-mère et sa soeur Gerolama. Mais, à la hauteur de Viterbe, le convoi des dames, escortés par des cavaliers envoyés par le pape, est intercepté par l'avant-garde de l'armée française. Les trente cavaliers pontificaux, bien plus décoratifs que combattants, ne tentent aucune résistance. Les Français, découvrant dans le convoi la maîtresse du roi décident de séquestrer les trois femmes dans le château de Montefiascone et en profitent pour demander une rançon à Alexandre VI, de 3000 ducats, ce qui n'est pas rien. Soucieux de revoir sa maîtresse, dont il s'inquiète du sort, le pape paie immédiatement. Après trois jours à Montefiascone, où elles ont plus été traitées comme des invitées que comme des prisonnières, les trois femmes, Giulia, Adriana et Gerolama, peuvent reprendre le chemin de Rome, escortées cette fois de soldats dignes de ce nom. Finalement, Giulia est rendue à Rome le 1er décembre. Elle passe la nuit au Vatican, où elle reçoit le pardon du pape.
    Pour autant, il semble que ce soit le dernier acte des relations entre Alexandre VI et sa favorite...de plus, la situation politique est toujours instable. Les armées de Charles VIII ne cessent d'avancer en Italie et une peur croissante envahit Rome. Le pape n'a pas l'intention de quitter le Saint-Siège comme on le lui conseille et Giulia craint pour sa vie et celle de sa petite fille, Laura. Elle souhaite quitter Rome le plus rapidement possible. Elle demande alors de l'aide à son frère, le cardinal Farnese, pour quitter la ville au plus vite. Deux semaines avant l'arrivée du roi de France à la tête de ses armées, Giulia quitte Rome sans avoir revu le pape : ils ne se reverront d'ailleurs jamais. Le lieu de la fuite de la Bella n'est pas connu : il est possible qu'elle ait gagné la ville de son époux, Bassanello ou bien, le fief de Carbognano, accordé à Orsini par le pape. Toujours est-il que c'est là qu'elle se trouve plusieurs années plus tard. En 1500, Giulia devient veuve, Orsini vient de mourir et toutes ses possessions vont à Laura, reconnue par lui. On retrouve ensuite la trace de l'ancienne maîtresse pontificale à la fin de l'année 1503. Le 18 août de cette même année, le pape Alexandre VI est mort, à la suite d'un repas où il aurait été empoisonné. Le soleil des Borgia commence à décliner, la gloire, à les quitter. Pour les Farnese, il est donc temps de confier leur fortune à d'autres hommes forts. Encore une fois, c'est Giulia qui est utilisée par sa famille pour mettre en place cette ascension. Après le bref pontificat de Pie III, élu après Alexandre VI, c'est l'ancien rival de ce dernier, Giuliano della Rovere, qui est monte sur le trône de Pierre, sous le nom de Jules II. Giulia est âgée de trente ans. Elle rentre à Rome pour y organiser les noces de sa fille Laura, âgée de douze ans. La famille de Jules II, les della Rovere, sont à leur apogée et Giulia comprend très vite l'intérêt qu'il y'aurait à marier sa fille dans cette maison. Le 15 novembre 1505, Laura, qui a treize ans, épouse Niccolò della Rovere, neveu de Jules II.
    Pour Giulia, la vie rangée, ce n'est pas pour maintenant. Après avoir entretenu des liaisons avec des amants dont la postérité n'a pas retenu le nom, Giulia finit par se remarier en 1506, à 32 ans, avec Giovanni Capece di Bozzuto, membre de la petite noblesse napolitaine. Cette même année, Giulia prend en main le fief de Carbognano et s'établit dans le château qui domine la petite ville. Sur le portail du château, d'ailleurs, elle fera graver son nom. Les chroniques racontent que Giulia fut une habile administratrice et qu'elle sut gérer ses terres avec énergie, et d'une main de maître tandis que son frère continue, à Rome, une brillante carrière ecclésiastique, qui aboutira d'ailleurs au pontificat. En 1517, à 43 ans, Giulia est veuve une seconde fois.
    Giulia Farnese reste à Carbognano jusqu'en 1522. Elle quitte ensuite la région pour revenir à Rome, où elle passe les deux dernières années de sa vie. Le 23 mars 1524, à l'âge de 50 ans, Giulia meurt, dans cette ville, dans le grand palais du cardinal Farnese, son frère. La raison de sa mort est inconnue. Giulia ne verra pas son frère sur le trône de Pierre, puisqu'Alexandre ne deviendra le pape Paul III que dix ans plus tard, en 1534. Sa fille, Laura, eut trois enfants de son mariage, qui héritèrent des possessions des Orsini.
    La beauté de Giulia Farnese est passée à la postérité. Elle est décrite comme une femme de taille moyenne, ni très grande, ni petite non plus. Elle était bien proportionnée, avait de beaux et grands yeux noirs ainsi qu'un visage rond et une belle chevelure. Cette description nous est parvenue grâce à des fragments de lettres écrites par ses contemporains, par exemple, dans l'une écrite par Cesare Borgia, il est question de « niger oculos ». Son beau-frère, Lorenzo Pucci, époux de sa sœur Gerolama, écrit à son propre frère : « elle a la plus belle chevelure que l'on puisse imaginer ». Les dames de son entourage racontent également que Giulia, soucieuse de son apparence même pendant son sommeil, dort dans des draps noirs pour mettre en évidence sa carnation claire (un peu plus tard, la reine Margot usera elle aussi de cette technique).
    Pour autant, de cette si fameuse beauté, il ne reste aussi aujourd'hui que peu de témoignages...souvent, ce sont des témoignages picturaux. Ainsi, Giulia Farnese fut représentée par Raphaël, mais par aussi par le Pinturricchio, dans la Sala dei Santi (Salle des Saints), de l'appartement Borgia, au Vatican. Dans cette même peinture, Lucrezia Borgia est représentée également. Certains affirment que la disparition de la majeure partie des images de Giulia viendrait de la volonté du pape Paul III, pour qui le souvenir de sa soeur, maîtresse affichée d'un pape, était d'un grand embarras...

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    - Les Borgia, Ivan Cloulas. Biographie, Essai historique. 
    - Borgia : n'ayez pas foi en eux, Tom Fontana. Roman. 
    - Le Serpent et la Perle / La Concubine du Vatican, Kate Quinn. Romans. 
    - Les Borgia : enquête historique, Guy Le Thiec. Essai historique. 
    - Lucrèce et les Borgia, Geneviève Chastenet. Biographie. Essai historique. 
    - Empoisonneuse à la cour des Borgia / La trahison des Borgia / Maîtresse de Borgia, Sara Poole. Romans.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique