• Héloïse et Abélard, la gloire, l'amour et la spiritualité ; Elie Durel

    « La pensée a beau mépriser la force, quand la force l'opprime en la faisant taire, c'est un martyre sans consolation. »

    Héloïse et Abélard, la gloire, l'amour et la spiritualité ; Elie Durel

    Publié en 2015

    Editions Geste 

    296 pages

    Résumé :

    Au début du XIIe siècle, Pierre Abélard, le péripatéticien (partisan de la philosophie d'Aristote) du Pallet, en Haute-Bretagne, est, à Paris, un maître célèbre dans l'art du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique). Homme plutôt chaste, totalement investi dans son art philosophique, l'ambitieux Abélard fait la conquête d'Héloïse, une noble et belle jeune fille lettrée et cultivée, dont la sensualité l'enflamme. L'amour vécu par Héloïse et Abélard est alors l'expression la plus parfaite de ce qui rapproche un homme et une femme : le désir sensuel, la passion fusionnelle, la communion de pensée et l'admiration. D'Héloïse, on a pu dire qu'elle est « la femme qui inventa l'amour », tant elle a su transmuer le sentiment amoureux en passion absolue. Emportés dans la même spirale passionnelle étourdissante, Héloïse et Abélard sont aussi les témoins de la prodigieuse révolution des mœurs qui se produit à l'aube de ce XIIe siècle, véritable renaissance de la France. Mais, par vengeance, Abélard subit une cruelle mutilation. Le couple uni par les liens du mariage fait alors profession religieuse pour suivre le chemin de la spiritualité. L'essor intellectuel de la rive gauche de la Seine remonte à l’enseignement de Pierre Abélard sur la colline Sainte-Geneviève, à Paris où le latin était alors la langue officielle. Ce quartier deviendra le Quartier latin.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Quelle histoire d'amour médiévale et peut-être même de tous les temps est plus connue que celle-ci ? Elle prend un tout autre relief, en plus, quand on sait que l'histoire, longue et passionnelle, qui unit Heloise et Abelard, a bien existé. Nous sommes là dans l'un de ces exemples qui illustrent bien que, parfois, la réalité peut dépasser la fiction. Personnellement, je ne serais jamais plus fascinée par Tristan et Iseult ou Roméo et Juliette que par Héloïse et Abélard.
    On connaît tous une version plus ou moins édulcorée de cette histoire : le chanoine Fulbert oncle de la jeune fille, à la recherche d'un maître pour parfaire l'éducation de sa jeune nièce, jette son dévolu sur l'un des écolâtres les plus célèbres de Paris, Abélard, originaire de Bretagne et qui n'a pas hésité à tenir tête à des maîtres de la philosophie, comme Roscelin de Compiègne ou Guillaume de Champeaux. La suite, on la connaît : le maître et l'élève, que près de vingt ans séparent, tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. Un amour aussi sentimental que charnel, bien éloigné de la fin'amor à la mode à l'époque puisque naîtra un fils de leur union : Pierre Astrolabe. On connaît aussi la terrible vengeance du chanoine Fulbert et le châtiment qu'il inflige alors à Abélard : l’émasculation, purement et simplement.
    Malgré les revers, Abélard et Héloïse ne se sépareront jamais vraiment et, dans la seconde partie de leur vie, communieront dans une même fois, en fondant le Monastère du Paraclet, où Héloïse mourra, dans les années 1160.
    Le livre d'Elie Durel apporte un nouvel éclairage à cette histoire emblématique. On a beaucoup écrit sur Héloïse et Abélard et eux-mêmes ont laissé une importante correspondance, qui nous est parvenue. S’écartant quelque peu de l' histoire passionnelle et très spontanée qu'on a à l'esprit en général quand on songe à Héloïse et Abélard, Elie Durel nous présente en fait une Héloïse déjà plus ou moins séduite par le personnage d'Abélard et son intelligence, avant même que son oncle ne les présente l'un à l'autre. Quant à Abélard, génie de la dialectique, homme déjà mûr quand il rencontre celle qui va devenir sa jeune maîtresse envers et contre tout, peu porté sur les relations amoureuses, c'est presque par calcul qu'il tente de séduire la jeune fille, avant d'être pris à son propre jeu. Du moins est-ce ainsi que j'ai compris les propos de l'auteur. Avouez qu'on s'éloigne pas mal de l'histoire très romantique qu'on nous présente souvent mais elle n'en est pas pour autant moins vraisemblable. Pierre Abélard et Héloïse d'Argenteuil ayant vécu il y'a aujourd'hui près de mille ans, il sera très difficile de savoir exactement comment a démarré leur histoire mais je dois vous avouer que l'hypothèse d'Elie Durel m'a complètement convaincue. Au fond, il nous livre une vision plus pragmatique de l'histoire d'Héloïse et Abélard mais qui s'accorde aussi très bien avec ce que l'on connaît des deux personnages, à savoir, leur côté très cérébral et intellectuel qui les pousse tous deux et surtout Abélard, à conceptualiser et théoriser leurs sentiments à l'extrême quitte à manquer de spontanéité voire à se montrer froid et calculateur.
    Quant au chanoine Fulbert l'auteur lui prête une ruse et une malice qu'on ne doit pas souvent lui attribuer... et si, questionne Elie Durel, le chanoine avait, au final, complètement été au fait de la relation naissante entre Héloïse et son professeur et avait essayé de s'en servir afin de pousser Abélard à épouser la jeune femme ? Seulement, se sentant trahi par Abélard, il aurait ensuite cherché à se venger de lui... pourquoi pas ? Que Fulbert ait bien été le dindon de la farce comme on le présente souvent ou bien plus fin qu'on ne l'imagine mais malgré tout doublé par Abélard, certainement nous ne le saurons jamais mais les deux postulats fonctionnent.
    Avec ce livre, qui n'est pas le fait d'un historien mais est écrit avec chaleur (on ressent tout l'investissement de l'auteur dans son projet), j'ai appris le nom des parents d’Héloïse... jusqu'ici et ce n'est pourtant pas faute d'avoir lu sur ce couple mythique, la jeune femme était avant tout présentée comme la nièce de Fulbert uniquement et son surnom d'Argenteuil lui venait du couvent où elle avait passé son enfance et son adolescence. Avec ce livre j'ai appris que la jolie Héloïse était en fait apparentée, par son père à la famille de Garlande, qui fraye dans l'entourage royal et par sa mère à la noble lignée des Montmorency. Née en 1095, un an seulement avant le départ de son père en Terre Sainte, la petite a vu le jour hors des liens du mariage. Placée au couvent avec sa fille, Hersende de Montmorency devait y attendre le retour de son jeune amant pour contracter une union en toute légalité. Elle n'attendit pas et prit le voile. Héloïse restera à Argenteuil où elle sera élevée et recevra une éducation soignée, parachevée ensuite par son oncle Fulbert. J'ai beau chercher, je ne crois pas que le nom de ses parents ait été précisé dans les productions romanesques que j'ai pu lire... Héloïse est donc d'une ascendance bien plus noble que je ne le pensais de prime abord.
    L'auteur, originaire d'une région proche de la région natale d'Abélard a retracé également de façon très minutieuse le parcours de ce jeune noble breton au devenir assez atypique puisqu'il n'embrasse ni la carrière des armes ni celle de l'Église, qui sont pourtant, alors, les deux voies de prédilection des nobles. La situation de ses parents est assez particulière également puisque sa mère est la fille aînée du seigneur du Pallet, la place forte où Abélard vit le jour, probablement en 1079, donc son héritière. Et pourtant, c'est son jeune frère qui devient ensuite châtelain du Pallet, aidé par sa sœur et par son beau-frère. Pierre n'est donc pas un héritier en puissance et va choisir une carrière philosophique, qui le conduira à être l'un des écolâtres les plus réputés de Paris. Brillant et intelligent, Abélard se bâtit un avenir solide, remis en question plus tard par sa liaison scandaleuse avec Héloïse. Il finira finalement par choisir l'Église, qu'il avait pourtant dédaignée au moment de se lancer dans ses études. Ce ne sera cependant pas un choix, ni pour l'un ni pour l'autre, d'ailleurs.

     

    Les Amours d'Héloïse et Abélard, par Jean Vignaud (1819)


    La liaison en elle-même est relativement bien connue. Très moderne, elle ne nous choque pas aujourd'hui mais avait un caractère très scandaleux à l'époque. Nous sommes au XIIème siècle et c'est alors le fin'amor des troubadours qui triomphe. Or ce courant est avant tout basé sur des liaisons platoniques et sur l’idéalisation de la femme. Il n'a jamais été contesté que l'histoire d’Héloïse et Abélard a été tout sauf platonique ! Au contraire, elle fut très charnelle et assumée comme telle, à une époque où on ne revendiquait pas de sexualité à plus forte raison si on était une femme. Héloïse en cela est très moderne et en avance sur son temps, non seulement par sa connaissance assez pointue de son propre corps et de son fonctionnement mais aussi parce qu'elle assumera sa liaison aussi sulfureuse soit-elle aux yeux des contemporains et assumera surtout d'y avoir cherché et trouvé du plaisir physique.
    C'est d'ailleurs l'un des aspects qui m'a toujours le plus fascinée dans l' histoire entre Héloïse et Abélard parce que j'y ai toujours vu une modernité hors-du-commun : un couple du XIIème siècle, même savant, qui s’émancipe autant des préceptes religieux a de quoi interpeller à mon avis. C'est surtout le personnage d’Héloïse qui diffère beaucoup de celui des autres femmes de son temps, d'abord par la connaissance parfaite qu' elle a de son corps, comme je le souligne déjà plus haut mais aussi des mécanismes de la reproduction. Héloïse sait donc ce qu'il faut faire pour ne pas tomber enceinte et connaît des moyens contraceptifs. Pour elle, la relation est avant tout charnelle et, si elle sait comment on tombe enceinte, elle sait aussi que cette partie de son corps peut lui apporter un plaisir physique indéniable. Dans leur couple, si Abélard trouve une réponse à ses pulsions sexuelles, qu'on ne viendrait de toute façon pas lui reprocher parce qu'il est un homme, Héloïse n'est pas en reste. Elle est faite pour l'amour et aime le faire. J'ai toujours trouvé fascinant et assez fou ce personnage de femme tellement en avance sur son temps, car ce que prône Héloïse, ce n'est, ni plus ni moins, que ce que revendiquent les femmes depuis moins de cinquante ans.
    Avec l'amour charnel, l'autre important propos du livre concerne les intellectuels du Moyen Âge. Quoi de plus normal, quand on parle d'Abélard qui est certainement, tous siècles confondus, l'un de nos lettrés les plus brillants ? Appelé à une carrière importante, qu'il remet en cause d'ailleurs en se lançant à corps perdu dans sa liaison avec Héloïse, Abélard personnifie ce Moyen Âge savant qu'on ne met pas souvent en avant malheureusement. Le XIIème siècle est pourtant une période importante pour les lettres : les troubadours donnent à la poésie ses lettres de noblesse tandis que l'enseignement de la philosophie attire à Paris des étudiants de toute l'Europe, preuve s'il en est, qu'on n'a pas attendu l'humanisme pour redécouvrir les textes de l'Antiquité et que le Moyen Âge ne méconnaissait pas son héritage. Certes, la philosophie est alors soumise, comme tous les enseignements, à l'Église et à ses dogmes, certaines doctrines scientifiques pouvant vite être considérées comme hérétiques et les intellectuels ayant alors maille à partir avec le clergé. Mais on se rend compte, à la lecture de ce livre, qui déroule assez précisément la carrière d'Abélard avant sa rencontre avec Héloïse et même après, que le Moyen Âge n'est pas si obscur qu'on a bien voulu le dire et qu'il a eu ses génies, dont fait assurément partie Pierre Abélard. Héloïse est, elle aussi, l'une des femmes les plus érudites de son temps, instruite en bien des matières qu'on ne daignait pas, en temps normal, enseigner aux femmes. En cela aussi, elle est avant-gardiste et préfigure en quelque sorte les femmes modernes. 
    Ce livre m'a plu parce qu'il associe des informations précises et des recherches solides, menées localement ou de façon plus large, à un style très chaleureux... à l'aide, notamment de la correspondance entre Héloïse et Abélard, Elie Durel établit des dialogues, assez surprenants au premier abord mais qui ne dénaturent pas pour autant le propos.
    J'ai été surprise de voir que la chronologie adoptée par l'auteur différait de celle communément admise. Ainsi, dans le livre d'Elie Durel, la liaison amoureuse démarre en 1115 et non pas 1113, l’émasculation d'Abélard intervient en 1119 et non pas 1117 et le petit Pierre Astrolabe, unique enfant du couple naît au printemps 1117 au lieu de l'automne 1116. Si j'ai d'abord été étonnée, au final, cette chronologie reste assez logique elle aussi et n'est pas plus fantaisiste qu'une autre. De toute façon, vu l'écart de temps qui nous sépare aujourd'hui des personnages, il sera difficile d'établir une chronologie absolument irréfutable.
    Très basé sur la psychologie, le livre nous apporte un éclairage un peu plus universel de cette belle histoire qui, d'abord calculée devint par la suite un chamboulement des sens tant pour la maîtresse que pour l'amant.
    Une lecture assez agréable, une bonne introduction pour ceux qui voudraient en apprendre un peu plus sur ces personnages mythiques.

    En Bref :

    Les + : une très bonne introduction, pour en apprendre un peu plus sur des personnages mythiques, de manière bien plus pragmatique que la version romantique que l'on connaît et qui n'est peut-être pas complètement vraie.
    Les - :
    quelques coquilles d'impression, dommage. 

     


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  • Commentaires

    1
    Samedi 31 Décembre 2016 à 12:39

    Je connaissais Héloïse et Abélard de nom mais je dois avouer que je n'en savais pas plus. Tu m'as vraiment donné envie d'en savoir plus! Je donne ce livre dans ma wishlist :)

      • Samedi 31 Décembre 2016 à 13:06

        Je te le conseille, j'espère qu'il te plaira ! ! cool Il y'a quelques petites coquilles d'impression mais rien de trop grave ! Si tu te renseignes un peu avant de lire le livre d'Elie Durel, tu verras aussi qu'il n'utilise pas du tout la chronologie que l'on admet en général, qui fait durer l'histoire d'Héloïse et Abélard de 1113 à 1115, situe la naissance de leur fils en 1116 et la castration d'Abélard par les hommes de main du chanoine Fulbert en 1117... mais la chronologie avancée par l'auteur est très vraisemblable et au final assez logique ! Personnellement, j'ai été très agréablement surprise par la précision de son travail et de ses recherches, locales ou plus larges ! Et il m'a donné envie de sortir de ma PAL la Correspondance d'Héloïse et Abélard, qui y dort depuis juillet 2012 ! tongue eek

    2
    Samedi 31 Décembre 2016 à 20:09

    Cette année j'ai des élèves de 4° et au programme : l'amour ! Vaste sujet mais j'ai prévu de leur présenter Héloise et Abélard. Finalement ce que tu en dis ne m'étonne pas ( enfin ce qu'en dit l'auteur !), et même si je vais insister sur l'amour envers et contre tout, je ne passerai pas sous silence les diverses versions que l'on a de cette histoire. Merciiiii 

      • Samedi 31 Décembre 2016 à 20:26

        Jusqu'ici, j'avais surtout lu des romans dans lesquels les auteurs, romanesque oblige, insistaient beaucoup sur l'histoire d'amour hors du commun etc etc... l'aura romantique des personnages date du XVIIIème siècle et c'est surtout au travers d'elle que nous appréhendons encore Héloïse et Abélard...le livre d'Elie Durel a le mérite de les replacer dans leur contexte et d'en donner une version peut-être plus pragmatique mais très vraisemblable et assez logique, au final. 

         

        J'aurais beaucoup aimé t'avoir comme prof en 4e, Nath'...étudier Héloïse et Abélard, quel beau sujet ! ^^

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