• Histoire des Reines de France, Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, mère de Charles VII ; Philippe Delorme

    « La figure symbolique du Roi doit demeurer indemne, en dépit des défaillances de l'homme à qui la Providence a confié la couronne, en dépit de la fatalité même. »

    Histoire des Reines de France, Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI, mère de Charles VII ; Philippe Delorme

    Publié en 2003

    Editions Pygmalion (collection Histoire des Reines de France)

    320 pages 

    Résumé :

    L'Histoire de France n'a pas été uniquement écrite par les rois et les hommes. Les femmes, et avant tout les reines, même si beaucoup d'entre elles n'ont jamais exercé le pouvoir, ont régné sur le cœur et l'esprit de leur peuple. C'est leur histoire, non la « petite Histoire » mais davantage une HISTOIRE DE FRANCE AU FÉMININ, qui est contée ici avec pittoresque et véracité. Certes, les rois ont fait la France, mais les reines, sans avoir choisi leur destin, souvent cruel, l'ont peut-être aimée encore davantage. 

    Epouse infidèle, mère dénaturée, reine félonne : tel est le triple réquisitoire que l'historiographie traditionnelle dresse contre Isabeau de Bavière, la femme du roi Charles VI. N'a-t-elle pas été la maîtresse de son beau-frère, le duc d'Orléans ? N'a-t-elle pas abandonné son mari, le pauvre roi fou, et renié son propre fils, le futur Charles VII ? N'a-t-elle pas signé le honteux traité de Troyes qui vendit la France à l'Angleterre ? Face à l'éclatante figure de Jeanne d'Arc, la sainte Pucelle, la reine Isabeau a été peinte comme l'ange noir du XVe siècle.                                                                     Aujourd'hui, Philippe Delorme rouvre le dossier. Non pour réhabiliter l'épouse de Charles VI, mais simplement pour rétablir la vérité. Car les archives d'époque montrent une souveraine bien différente de sa caricature. Entraînée dans le tourbillon de la fatalité, sans autorité réelle, désarmée devant les intrigues incessantes des princes du sang, elle s'est toujours efforcée d’œuvrer pour la paix et la réconciliation. Au tribunal de l'Histoire, elle ressemble moins à une coupable qu'à une victime. Et c'est la destinée mouvementée d'une femme complexe et intelligente que nous raconte Philippe Delorme avec talent.   

     Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Isabeau de Bavière est assurément l'une des souveraines de France qui jouit de la plus mauvaise réputation. Par manque de sources d'époque, donc par manque d'informations, romanciers et historiens ont été tentés de broder et, malheureusement, certaines assertions, sorties de cerveaux romanesques ont fini, avec le temps, par devenir des vérités historiques ou du moins que l'on croit telles. Une mauvaise interprétation des sources d'époque déjà mentionnées ont également participé à fausser, et durablement, l'image d'une reine qui s'avère finalement être toute autre que celle que l'on veut bien nous donner d'habitude.
    Le nom d'Isabeau de Bavière est en effet, pour la postérité, entaché d'un doux parfum de scandale...n'est-elle pas une reine adultère, qui aurait trompé effrontément son époux malade avec son propre frère, le duc d'Orléans ? De lui, n'aurait-elle pas eu, en 1407, un enfant qui serait devenu Jeanne d'Arc -thèse complètement fantaisiste et absolument réfutée par les historiens aujourd'hui mais qui a fait les beaux jours de beaucoup de romanciers et amateurs de scandale ? N'est-ce pas elle, avide d'argent, de belles parures et...d'amants, qui faisait jeter ces derniers à la Seine, dans un sac cousu ? Enfin, ne s'est- elle pas rendu coupable d'avoir vendu le royaume de France aux Anglais, par le traité de Troyes en 1420, reniant ainsi le Dauphin Charles, son propre fils ? D'aucuns ont voulu voir, de façon bien raccourcie d'ailleurs, dans ce reniement, un aveu de la bâtardise du futur Charles VII ce qui, avouons le, aurait été bien maladroit de la part de la reine que de proclamer l'infortune de Charles VI d'une manière aussi officielle.
    On se rend compte finalement que la réalité est tout autre. Isabeau, née entre 1369 et 1371 -cette dernière date est la plus communément donnée mais il semblerait que la jeune princesse soit née plutôt en 1369-, est la première fille et second enfant du duc Etienne III de Bavière et de la milanaise Thadée Visconti. C'est à l'instigation de son oncle, Frédéric de Bavière, que la jeune fille sera poussée sur le devant de la scène matrimoniale française : en effet, le roi Charles VI, qui règne depuis 1380 sur le pays des Lys, n'a pas encore vingt ans. Âgé de deux ou trois ans de plus qu'Isabeau, le jeune roi a cependant besoin d'être marié, et vite. Le trône a besoin d'héritiers et, pour cela, le jeune homme doit organiser rapidement ses noces. Plusieurs princesses européennes, anglaises, castillanes, lorraines, allemandes, autrichiennes, lui seront proposées...c'est finalement le portrait de la petite Bavaroise, âgée de quatorze ans qui va retenir son attention. Nous ne savons pas à quoi ressemblait Isabeau de Bavière dans sa prime jeunesse ; il semblerait seulement qu'elle ait plus hérité des traits italiens de sa mère que de ceux, germaniques, de son père. Peut-être brune, typée, Isabeau devait dénoter au milieu des beautés blondes de son temps...toujours est-il qu'après une rencontre en chair et en os à Amiens, en juillet 1385, le jeune roi de France, sensuel et aimant les femmes, va se déclarer tout à fait satisfait et disposé à épouser la jeune femme que son père, le duc Etienne a rechigné à laisser partir, l'aimant tendrement. Isabeau sera donc reine de France. Les premières années de son union -assez originale pour l'époque, il faut bien le dire-, seront relativement heureuses et paisibles. Charles VI, malgré quelques incartades manifeste une tendre déférence à sa jeune épouse qui lui répond avec des sentiments tous aussi sincères. Ils auront plus de dix enfants dont la plupart atteindront l'âge adulte. Mais bien vite, l'état de santé du roi se détériore. Victime en 1392 d'une première attaque d'un mal qui ne le quittera plus, Charles VI s'enfonce progressivement dans ce que l'on appelait au Moyen Âge folie et que l'on qualifierait plutôt aujourd'hui de schizophrénie. Ainsi, la reine est projetée dans un monde sans pitié, celui de la politique, alors qu'elle n'a pas été préparée à un tel rôle ; sa position est également particulièrement malaisée car en lieu et place d'une véritable régence, comme l'a exercé auparavant Blanche de Castille et comme devront l'assumer à l'avenir Catherine ou Marie de Médicis ainsi qu'Anne d'Autriche, Isabeau, flanquée du frère et des oncles du roi, assume un pouvoir temporaire et souvent remis en question par le roi lui-même lorsque celui-ci sort de ses crises qui peut, à l'envi, révoquer telle ou telle décision. La jeune femme se verra ensuite confrontée à la lutte intestine des Armagnacs et Bourguignons, qui la contraint au double-jeu et aux adhésions politiques fluctuantes. En parallèle, Isabeau, qui est aussi une femme, doit assumer l'opulente famille qu'elle a donné au roi et parfois affronter la douleur de perdre un enfant.

     

    Représentation fictive et postérieure de la reine Isabeau de Bavière


    Isabeau de Bavière survivra treize ans à son époux, auquel elle est restée fidèle, malgré tout ce que l'on a pu en dire. Elle n'est à ce moment-là plus qu'une douairière, une reine fatiguée qui a été contrainte de ratifier le traité de Troyes de 1420, léguant sous forme viagère le royaume des Lys à celui des Léopards, non pas, comme on l'a dit, à cause de la bâtardise de Charles VII mais bien à cause de l'implication malheureuse du dauphin dans la mort du duc de Bourgogne, survenue en 1419 et qui vengeait, soi-disant, celle de Louis d'Orléans. Elle aura eu le temps de voir la situation se retourner favorablement envers l'héritier naturel, son fils, qui, amené par Jeanne d'Arc, sera sacré à Reims, à l'instar de ses ancêtres, en 1429. Elle aura aussi eu le bonheur de connaître son petit-fils, le roi d'Angleterre, qui, au-delà des querelles entre les deux royaumes, était avant tout le fils de sa fille préférée, Catherine, l'une des puînés -mais elle ne le fit certainement pas asseoir elle-même sur le trône prévu pour lui lors de son couronnement à Notre-Dame en proclamant remplacer ainsi une race débile par une race glorieuse.
    On a en fait beaucoup glosé sur la personnalité méconnue de cette femme, c'est en tous cas ce que le livre de Philippe Delorme permet de comprendre. Cette biographie n'est pas une hagiographie, pas non plus une réhabilitation. On réhabilite quelqu'un après un procès : on réhabilite Jeanne d'Arc, Marie- Antoinette, Dreyfus...Isabeau de Bavière n'a jamais été clairement accusée de quoi que ce soit, hormis de manière insidieuse et perfide, au moyen de la calomnie, qui est vieille comme le monde. On rétablit donc une vérité, avec un œil neutre -quoique relativement chaleureux-, une étude objective des sources contemporaines et des textes postérieurs, truffés de préjugés et de fausses assertions -à commencer par la fameuse histoire d'Isabeau écrite par le marquis de Sade sous le prisme, cela ne nous étonnera pas, d'une sexualité libertine et débridée.
    La période n'est pas forcément facile à comprendre, notamment à cause des alliances et renversements desdites alliances, des liens familiaux etc mais l'auteur a simplifié au maximum pour ne pas perdre le lecteur dans une fluctuation de dates et d'événements. Se concentrant essentiellement sur le personnage d'Isabeau, inséré ensuite habilement dans son contexte, Philippe Delorme réfute et démonte patiemment toutes les idées reçues, toutes les légendes qui continuent de planer et de ternir l'image de cette femme qui s'avère en fait intéressante. Reine perdue dans un pays étranger, dont elle mettra du temps à comprendre les rouages, confrontée à la maladie spectaculaire de son époux et à l'exercice réel du pouvoir alors que son rôle se cantonnait essentiellement, jusque là, à de la représentation, il est sûr que la situation d'Isabeau de Bavière en aurait fait frémir bien d'autres. Elle eut cependant le courage et la patience nécessaire pour devenir un pion stratégique sur l'échiquier politique national -pour utiliser un anachronisme- et même européen. En lisant cette biographie on se rend compte que, loin d'être la femme lubrique et perverse, mère dénaturée, que les anciens auteurs ont voulu nous dépeindre, Isabeau de Bavière, malgré des erreurs -mais qui n'en commet pas ?- fut un animal politique plutôt remarquable, sachant jouer entre les clans, utilisant à son profit les querelles des Armagnacs et des Bourguignons. Elle fit parfois des choix malheureux, certes et si on ne peut pas réécrire l'Histoire, on est cependant en droit de penser que, sans elle, peut-être l'Histoire de notre pays en aurait été changée.
    Cette biographie complète et exhaustive est à mon avis un ouvrage important pour en apprendre un peu plus, tant sur cette femme que sur son époque en général.

     

    Miniature d'époque (entre 1410 et 1414) représentant vraisemblablement la reine Isabeau de Bavière

     

    En Bref :

    Les + : une biographie exhaustive et complète, agréable à lire, qui plus est.
    Les - :
     Aucun.
     


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  • Commentaires

    1
    Mardi 2 Février 2016 à 18:13

    Autant mon regard a réussi à changer sur Catherine de Médecis, autant je sens un blocage bien réel sur Isabeau... Mais il faudrait que j'arrive à surmonter ce réflexe de rejet car ton billet m'a vraiment intriguée ! Et j'aimerais comprendre toute cette légende noire autour de cette Bavaroise...

      • Mardi 2 Février 2016 à 23:48

        Moi aussi pendant longtemps j'ai eu une image assez faussée de cette reine : pour moi elle était cette femme qui couchait avec son beau-frère (même si c'était finalement un des aspects de sa personnalité que j'arrivais le mieux à comprendre, du fait de sa situation conjugale etc... sarcastic ) mais c'était surtout celle qui avait vendu le royaume de France à l'Angleterre au traité de Troyes en 1420 !!

        En lisant ce bouquin de Philippe Delorme, je me suis rendu compte en fait que ce n'était absolument pas le cas...le personnage d'Isabeau de Bavière est finalement bien plus complexe et surtout, bien plus admirable que ce qu'on pourrait penser au premier abord et on se rend compte que les auteurs ont beaucoup glosé sur elle, sans jamais se renseigner réellement mais en utilisant et réutilisant des préjugés qui sont devenus des réalités et c'est dommage. 

        Alors je ne peux que te conseiller ce livre, Parthenia... je suis sûre qu'au sortir de cette lecture, tu auras une autre vision d'Isabeau. cool

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