• L'Atelier des Poisons ; Sylvie Gibert

    « Depuis qu’elles avaient choisi cette vie d’artiste, elles savaient confusément que, sans être tout à fait des femmes déclassées, elles ne correspondraient plus jamais aux normes sociales régissant la gent féminine. »

    Couverture L'atelier des poisons

     

     

     

        Publié en 2017

      Editions Pocket

      408 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Paris, 1880. A l'académie Julian, le premier atelier à ouvrir ses portes aux femmes, la vie n'est pas facile. L'apprentissage du métier de peintre est ardu, long et coûteux. Seules les jeunes filles dotées d'un véritable talent et, surtout, d'une grande force de caractère, parviennent à en surmonter les obstacles. Du talent, Zélie Murineau n'en manque pas. De la force de caractère non plus. Pourtant, lorsque le commissaire Alexandre d'Arbourg lui demande de faire le portrait de sa filleule, sa belle assurance est ébranlée : comment ne pas croire que cette commande dissimule d'autres motifs ? Mais même si elle en connaît les risques, elle n'est pas en mesure de refuser le marché du beau commissaire : elle sera donc « ses yeux » dans cette famille cachant bien des secrets.
    Des auberges mal famées jusqu'aux salons de la grande bourgeoisie, elle va l'aider à discerner ce que les grands maîtres de la peinture sont seuls à voir : les vérités qui se cachent derrière les apparences. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    A Paris, dans les années 1880, il est difficile de vivre de son art quand on est peintre. A plus forte raison quand on est une femme : les jeunes artistes de l'académie Julian en savent quelque chose. Peu importe leur talent, le fait d'être des femmes freine immanquablement leur carrière. Et quand, dans un contexte d'émulation et de mutation artistiques, les artistes s'éloignant de la norme, même masculins, parviennent à peine se faire un nom, on imagine aisément ce qu'il peut en être pour les femmes, qui doivent se battre deux fois plus.
    Zélie Murineau est de ces femmes artistes, débarquées à Paris pour y vivre leur rêve, quoi que cela leur en coûte... Un jour qu'elle peint au jardin des Tuileries, elle est abordée par le commissaire de police Alexandre d'Arbourg qui, enquêtant sur des pickpockets, lui demande son témoignage. Par la suite, se souvenant du talent de la jeune peintre, il lui propose de faire leur portrait de sa filleule, Juliette. Et parce qu'il soupçonne de sombres secrets sous le toit de sa cousine, Henriette, la mère de Juliette, il demande à Zélie d'être ses yeux et d'enquêter discrètement, sous couvert de réaliser le portrait de la petite fille.
    En compagnie du commissaire et de Zélie, nous découvrons le Paris de la fin du XIXème siècle. Encore marquée par les horreurs de la Commune et par la chute de l'Empire, dix ans plus tôt, la capitale française est une ville fourmillante où se côtoient les plus riches et les plus miséreux, une ville aux faubourgs encore campagnards et modestes, qui s'étendent à ses portes. Paris n'est pas encore la mégapole très urbaine que nous connaissons aujourd'hui et qui ne cesse de grandir, elle est cernée de petits villages qui inspirent les peintres et les guinguettes s'égrainent en bords de Seine, dans des décors bucoliques et ruraux...
    La fin du XIXème est surtout une époque de prospérité à nulle autre pareille, l'industrialisation fait galoper le temps, la modernité est aux portes de l'Europe. Et cette grande modernité s'accompagne aussi malheureusement d'une paupérisation de plus en plus importante...Les beaux quartiers jouxtent les plus défavorisés, la richesse côtoie la misère, Paris est entouré de petits bourgs proprets et prospères comme de bouges sordides où sévissent malfrats de bas étage, alcoolisme, prostitution, violence, trafics en tous genres... Dans les pas d'Alexandre d'Arbourg, Zélie découvre aussi cet envers du décor peu reluisant, et nous avec. C'est l'un des aspects du livre que j'ai le plus aimés : parce que je m'attendais à ce que le roman tourne essentiellement autour du monde de l'art, je ne m'attendais pas à cette description presque ethnographique du Paris des années 1880, qui rappelle les portraits naturalistes de Zola.

    L'Académie Julian, par Marie Bashkirtseff (1881) : Marie, surnommée Mousse, apparaît dans L'Atelier des Poisons


    Le roman de Sylvie Gibert est finalement bien plus dense et plus profond, plus dénonciateur aussi peut-être, que ce que l'on pourrait attendre à la lecture du résumé...l'auteure aurait pu se contenter de centrer son récit sur Zélie et ses compagnes peintres de l'académie Julian, leur lutte pour se faire un nom, une place, les nuits sans sommeil, les doutes qui précèdent l'exposition de leurs oeuvres au Salon, parfois leur découragement quand elles se rendent compte du traitement reservé à leurs tableaux, sous prétexte que le pinceau a été tenu par une femme...franchement, il y'aurait déjà eu matière à faire un bon roman. Mais Gibert est allée plus loin, étendant son champ de vision : si Zélie symbolise ce monde de l'art en pleine mutation à la fin du XIXème siècle, l'autre personnage fort du roman, Alexandre d'Arbourg, commissaire à la Sûreté, symbolise cet autre aspect du roman, finalement tout aussi important : la police des années 1880, qui exerce encore avec des moyens limités pour traquer le crime et la malhonnêteté qui sont légion dans une capitale aussi vivante que Paris. Personnage mystérieux dont on ne sait que peu de choses avant la fin du roman, il attire immanquablement, on aimerait savoir ce qui se cache derrière son physique lisse et impeccable. Et finalement, l'intérêt du lecteur leur est accordé à parts égales : Zélie n'est pas la seule héroïne du roman et j'ai trouvé qu'elle formait un bon duo avec d'Arbourg.
    Peut-être vous attendez-vous à ce que Zélie et Alexandre forment un couple...je ne vous dirais rien concernant cela mais vous aurez sûrement une surprise si vous lisez L'Atelier des Poisons et j'ai trouvé intéressante la manière dont l'auteure se sert de leur relation...
    Finalement, dans une ambiance bien plus sombre que ce que pourrait laisser entrevoir les quelques lignes de la quatrième de couverture, ce roman nous entraîne, nous capture et ne nous lâche plus. Je ne me suis pas vraiment attachée aux personnages ni identifiée à eux, mais ils ont capté mon intérêt autrement, ce qui fait que je les ai finalement toujours retrouvés avec plaisir. Une fois lancée, j'ai eu du mal à poser le roman, j'avais l'impression de ne plus pouvoir m'arrêter, l'histoire s'est déroulée toute seule, avec simplicité, avec facilité, comme un ruban que l'on défait.
    J'ai eu l'impression d'une très agréable surprise parce que je m'étais fait une toute autre idée de ce roman en le commençant : j'en ai aimé le propos comme la plume et je ne peux que vous inciter à le lire, bien entendu, si vous aimez le monde des arts et les romans historiques. 

    En Bref :

    Les + : un roman captivant et difficile à lâcher une fois commencé ! L'auteure s'est autorisée à traiter beaucoup de sujets dans un même roman, tout en revenant toujours au monde l'art et sa difficulté, bien symbolisés par Zélie et sa force de caractère et sa ténacité. En un mot, une bonne surprise ! 
    Les - : aucun point négatif à soulever.  

     

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

    Thème de septembre, « Palettes et pastels », 9/12


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 18 Septembre 2020 à 21:27

    Si ce roman a des airs de Zola... je ne peux que me laisser tenter. Et j'aime bien l'idée qu'il ne traite pas que d'art !!! Encore une belle découverte ici :-)

      • Jeudi 24 Septembre 2020 à 10:25

        C'est du Zola du XXIème siècle, hein, mais oui j'ai retrouvé effectivement cette description de l'époque qui m'a rappelé les romans naturalistes (et donc, Zola en tête). ^^ Le XIXème siècle est ultra représenté dans les romans anglo-saxons, je trouve : Anne Perry, Ann Granger, par exemple avec leurs sagas policières qui permettent aussi de dresser un portrait sans concession de l'époque victorienne. 

        Finalement, je me suis rendu compte que de tels romans, on en a peu, en France... on lit les classiques du XIXème, mais les auteurs contemporains qui s'attaquent à cette période ne sont pas légion...Alors quand, en plus, c'est bien fait, on ne va pas se priver. ^^ Sylvie Gibert m'a vraiment agréablement surprise avec ce roman qui mêle plusieurs univers : l'art, le monde de la police... c'était bien écrit, c'était bien mené et c'était vraiment plaisant à lire, d'autant plus que je m'attendais à ce que le roman soit vraiment très centré sur le monde de l'art et sur la vie à l'académie Julian alors que non, il est bien plus riche et complet que ça, au final. 

    2
    Kat
    Samedi 19 Septembre 2020 à 07:50

    Lu il y a quelques temps,ce roman trainait dans ma pal depuis un moment déjà,et ce fut une très bonne surprise pour moi également ! Il y a vraiment une atmosphère particulière et cette histoire est captivante en plus d'ètre bien documentée je trouve.

    petit aparté,j'ai également lu,Une sorcière à la cour, ainsi que le Ariana Franklin,très bonnes lectures en perspective bien que le tome 2 de cette série ne soit pas mon préféré 

      • Jeudi 24 Septembre 2020 à 10:30

        Oui, exactement, j'ai aussi perçu cette atmosphère particulière...j'ai trouvé que l'auteure avait vraiment su installer son sujet, et il est solide grâce notamment à la documentation, que l'on ressent derrière le côté romanesque... le XIXème siècle est une époque vraiment paradoxale, où la modernité se confond avec les traditions, la pauvreté la plus extrême avec la richesse la plus luxueuse...c'est un tournant entre l'ancien temps et notre époque contemporaine qui se profile. 

        Sylvie Gibert a fait un bon travail de restitution, on y est vraiment et j'ai aussi aimé ses personnages, même si je ne me suis pas forcément attachée à eux. Ce que j'ai aimé, c'était leur complexité, leur psychologie...

         

        A part ça, merci pour ton avis sur Une sorcière à la cour et le deuxième tome des aventures d'Adelia Aguilar. Vu mon rythme de lecture actuel, je ne sais pas si je vais les lire cet automne, je ne sais pas si j'arriverais à bout de ma PAL du Pumpkin Autumn Challenge mais je suis malgré tout assez curieuse... ^^ Je vais peut-être me les programmer pour début octobre, du coup ! yes

        Merci pour ton passage ici ! 

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