• La brodeuse de Winchester ; Tracy Chevalier

    « Tu as vu comme la broderie peut être absorbante au point qu'on oublie ses soucis ? »

    Couverture La Brodeuse de Winchester

     

     

     

         Publié en 2019 en Angleterre

      En 2021 en France (pour la présente édition)

      Titre original : A Single Thread

      Éditions Folio 

      377 pages 

     

     

     

     

    Résumé :

    « Jane Austen était morte à l'âge de quarante et un ans sans mari ni enfants, seulement une sœur dévouée. Violet n'avait même pas cela, et elle n'avait certes pas plusieurs romans à son actif. Il ne lui restait que trois ans pour rattraper miss Austen en termes de créativité. »

    Winchester, 1932. Violet Speedwell, trente-huit ans, fait partie de ces millions de femmes restées célibataires depuis la pénurie d'hommes d'après-guerre. Pour échapper à une mère acariâtre, elle décide de prendre son envol. Mais son célibat lui attire plus de mépris que d'amitié. C'est au sein du cercle des brodeuses de la cathédrale qu'elle trouvera le soutien qui lui manque pour affronter les préjugés de son époque. Grâce à Arthur, le sonneur de cloches, elle découvre aussi un tout autre cercle, masculin cette fois. Au même moment, la radio annonce l'arrivée d'un certain Hitler à la tête de l'Allemagne. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1932, Violet Speedwell quitte sa vie à Southampton pour s’installer à Winchester, où elle va exercer son activité de dactylo. Violet vit simplement de ce métier qui lui rapporte à peine de quoi vivre, mais surtout, elle vit seule, car Violet fait partie de ces femmes restées célibataires après l’hécatombe de 14-18, celles que l’on a appelé les « femmes excédentaires », ce qui veut tout dire. Mais ce célibat, même forcé, loin d’attirer compassion et compréhension, est plutôt une source de mépris dans une société où le mariage et la famille sont les fondements de l’existence féminine. Violet est aussi ce que l’on appelle une « vieille fille » autrement dit une femme qui a échoué à se marier et que l’on va scruter pour découvrir quelle tare chez elle a pu être aussi rébarbative. Et enfin, toutes les jeunes femmes qui ont perdu leur fiancé à la guerre, ne furent jamais reconnues comme conjointes à part entière puisque elles n’étaient pas mariées.
    Si l’on rajoute à cela les deuils souvent impossibles à faire, les bouleversements irrémédiables que la guerre a engendrés dans toutes les familles, au point même de modifier les relations entre ceux qui restent et un contexte de plus en plus lourd – en Allemagne, le parti nazi gagne du terrain et Hitler va être élu chancelier début 1933 et depuis 1929 l’Occident connaît une grave crise économique –, le tourbillon des Années folles paraît bien loin.
    A Winchester où elle s’installe pour échapper à sa mère acariâtre et qui ne parvient pas à se remettre de la mort de l’un de ses fils sur un champ de bataille de la Grande Guerre, Violet découvre le cercle des brodeuses de la cathédrale : la mission de ces dernière est de réaliser coussins et agenouilloirs pour les fidèles. Thèmes religieux ou historiques, l’imagination est sans limite mais surtout, dans ce cercle, Violet va trouver  des amies et une activité à laquelle se raccrocher. Elle va aussi faire la connaissance d’Arthur Knight, sonneur de cloches, qui va l’initier au difficile art campanaire. Pour la première fois de sa vie, à une époque où une femme de trente-huit ans, non mariée et sans enfants, est mise tacitement au ban de la société, Violet va trouver, en dépit d’un métier peu satisfaisant, d’un salaire qui lui permet à peine de vivre et payer sa pension, un certain équilibre. Surtout, presque vingt ans après la mort de son fiancé Laurence quelque part en France ou en Belgique, deuil qu’on ne lui a pas permis de faire puisqu’ils n’étaient pas mariés, Violet va réaliser que même à près de quarante ans, on est encore vivante et on peut s’autoriser à être libre, aimante et aimée.

    46 idées de Brod A Winchester cathédrale, GB | winchester, broderie, robe  edwardienne

    Un exemple de broderie, que l'on peut voir à Winchester 


    Retrouver Tracy Chevalier avec cet inédit a été un bonheur, un véritable plaisir. C’est une autrice que je lis depuis des années et qui ne m’a jamais vraiment déçue : je n’avais pas été emballée par Le Récital des Anges il y a quelques années mais dans l’ensemble, ses romans m’ont toujours enthousiasmée. Je dis souvent que Tracy Chevalier a le don de nous intéresser avec des sujets qui, chez d’autres, seraient barbants. Et, que ce soit Griet dans La jeune fille à la perle, la jeune huguenote cévenole de La vierge en bleu, Honor, quakeresse américaine confrontée à l’esclavage dans La dernière fugitive, Mary Anning dans Prodigieuses créatures, dont la passion pour les « curios » (fossiles) est dévorante, au point qu’elle fera à sa manière, évoluer la science et sera à l’origine d’une extraordinaire découverte ou encore les personnages de A l’orée du verger, Tracy Chevalier a toujours su mettre en scène des personnages consistants, à la psychologie finement imaginée, au point de les rendre étrangement denses, étrangement palpables, étrangement proches
    J’ai mis un peu plus de temps à entrer dans La brodeuse de Winchester parce que je n’ai pas tout de suite compris où l’autrice voulait en venir et j’ai même été un peu déçue, au départ, que la broderie ne prenne pas autant de place que le titre pouvait le laisser croire. Au final, ce qui est intéressant, c’est que La brodeuse de Winchester c’est justement bien plus que cela et le récit transcende son titre ! En voilà, un coup de maître, totalement digne de Chevalier !
    Finalement, La brodeuse de Winchester est un roman d'une force rare et étonnamment féministe : Tracy Chevalier a l’habitude de mettre en scène des femmes fortes, qui se confrontent souvent à leur destin avec beaucoup de courage. Ici, au départ, je ne me suis pas sentie du tout proche de Violet : il y avait quelque chose chez elle, une sorte de brusquerie, de froideur, qui me dérangeait. Et puis, petit à petit, je me suis habituée à elle, j’ai appris à la connaître en quelque sorte et en découvrant son passé, son histoire, sa ténacité aussi pour mener sa vie comme elle l’entend, dans une société où cela ne va pas de soi, j’ai fini par bien l’aimer. Violet a tout à fait sa place dans le panthéon des personnages féminins de Tracy Chevalier et elle ne le dépareille pas du tout, au contraire. J’ai aussi beaucoup aimé l’histoire d’amour qui progressivement se tisse et qui est assez peu conventionnelle et se pose loin des clichés de la littérature.
    Bref, La brodeuse de Winchester est encore une fois une vraie réussite. Pas le roman dans lequel je suis entrée le plus facilement, donc, mais quand même une belle réussite : je me suis encore une fois délectée de l’écriture de l’autrice et de ce beau récit tout en douceur, qui fait la part belle à des cabossés de la vie, dans une époque de relatif répit, avant le déchaînement d’une nouvelle tempête. A lire si vous aimez l’autrice.

    En Bref :

    Les + : un récit d'une force rare, étonnamment féministe et qui est finalement bien plus que le simple récit de l'existence d'une brodeuse. Un pan entier de l'histoire de la société anglaise est photographié ici.
    Les - : un premier abord moins évident que d'habitude avec Tracy Chevalier.


      Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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