• La chambre des Dupes ; Camille Pascal

    « La Cour était un grand théâtre où il fallait savoir garder sa place. La céder c’était se perdre. »

    Couverture La chambre des dupes

     

     

     

         Publié en 2021

      Editions Pocket

      528 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Septembre 1741. La favorite est morte, vive la favorite ! Marie-Anne de La Tournelle a pourtant d'autres ambitions que ses sœurs, qui l'ont précédée dans ce statut : vite prises, vite répudiées, vite oubliées...
    Elle se refuse donc au Roi pour mieux le subjuguer et lui arracher une place qu'aucune autre n'a encore jamais occupée auprès de lui. Maîtresse, conseillère, intrigante, négociatrice, elle est adoré de Louis XV, jalousée de la Cour, crainte des ministres et haïe par le peuple. 
    Lorsque son royal amant tombe malade, le pouvoir de Marie-Anne vacille. Devra-t-elle plier brusquement le genou face à l'Eglise et se soumettre à la raison d'Etat ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    1741 : Pauline de Vintimille, la maîtresse de Louis XV, meurt des suites de son accouchement. Objet de haine et de railleries, elle n'est guère regretté et n'est pleurée que du roi, qui se remet cela dit rapidement de cette perte, d'abord consolé par Louise de Mailly puis en lorgnant Marie-Anne de La Tournelle, une jolie veuve de vingt-quatre ans. La particularité est que ces trois jeunes femmes, Louise de Mailly, Pauline de Vintimille et Marie-Anne de La Tournelle sont...des sœurs, toutes trois issues de la très ancienne famille des Mailly-Nesle originaire de Picardie. Elles sont les filles de Louis III de Mailly-Nesle, prince d'Orange et de Armande Félice de La Porte-Mazarin, fille du duc de La Meilleraye et de Mazarin. Elles ont deux autres sœurs, Diane, duchesse de Lauraguais et Hortense, marquise de Flavacourt, qui serait la seule à ne pas avoir succombé au roi.
    Les trois premières vont se succéder dans le lit du roi, quant à la quatrième, Diane, ce sont apparemment des relations plus épisodiques qui vont l'unir à Louis XV. Mais celle qui bénéficie d'une véritable, éclatante faveur, c'est la jolie Marie-Anne, la plus ambitieuse aussi, qui n'hésite pas à supplanter sa sœur Louise dans le cœur de Louis XV, qu'elle sait fragile quand il est question d'amour. Elle est celle qui va véritablement tirer son épingle du jeu.
    Réputé comme son aïeul Louis XIV pour sa vie amoureuse bien remplie, Louis XV démarre cette dernière dans le scandale le plus complet et surtout, après une période relativement longue d'harmonie et de fidélité conjugales. Mais après de nombreuses grossesses rapprochées, la reine étant contrainte de fermer sa porte à son époux, celui-ci s'en va musarder ailleurs pour voir si l'herbe y est plus verte et le hasard fait qu'il tombera...dans le jardin des sœurs de Mailly-Nesle et que, s'y sentant bien, il fera successivement des plus offrantes ses maîtresses.
    Les courtisans suivent avec un amusement légèrement teinté d'indignation ce feuilleton familial tandis qu'il provoque un scandale dans le peuple et les chansonniers s'en donnent alors à cœur joie, ainsi de ce couplet qui raille l'ambition et la luxure des filles de Nesle : « L'une est presque en oubli, l'autre presque en poussière / La troisième est en pied, la quatrième attend / Pour faire place à la dernière / Choisir une famille entière, est-ce infidèle ou constant ? »
    D'abord, la jolie La Tournelle se fait farouche. Contrairement à sa sœur Louise de Mailly, qui a tout supporté, qui a présenté sa soeur Pauline à la Cour avant de se faire éhontément rafler son amant par celle-ci (et pourtant, Dieu sait que Pauline de Vintimille n'est pas jolie ni forcément très attirante, elle que les courtisans décrivent comme un grenadier velu et à l'odeur corporelle parfois franchement repoussante), qui a encore toléré de consoler Louis XV après la mort de Pauline avant de se voir de nouveau écartée sans pitié, Marie-Anne ne veut pas d'une fragile place de maîtresse royale, qui a tout d'un siège éjectable. Elle veut être une Montespan, ni plus ni moins, reconnue, titrée, dont les enfants seront légitimés le cas échéant. En somme, Marie-Anne veut tout, le beurre, l'argent du beurre et la crémière. A ces seules conditions, elle s'offrira au roi et Louis XV, amouraché, est prêt à tout pour faire céder les défenses de la belle marquise. Installée à Versailles, détentrice d'une charge de dame de palais auprès de la reine, titrée duchesse de Châteauroux, c'est effectivement la faveur triomphante qu'espérait la jeune femme que le roi lui offre. En ce milieu des années 1740, Marie-Anne de La Tournelle est toute-puissante et règne, avec son oncle Richelieu, sur un parti libertin s'opposant au clan des dévots, crispé autour de la reine, de certains princes du sang, prélats et ministres du roi. La faveur de la belle n'est plus simplement amoureuse, elle devient politique. Pour autant, elle sera aussi lumineuse et éclatante qu'une étoile filante : Marie-Anne ne règne sur le coeur du roi que deux ans, de 1742 à 1744. Et c'est le plus irrémédiable qui les séparera : la maladie, puis la mort.

    Les sœurs Nesle, favorites de Louis XV - Histoire et Secrets

     

    Ce tableau de Carl van Loo représentant les Trois Grâces aurait pour modèles trois des sœurs de Nesle


    Le titre du roman, La chambre des Dupes, fait référence à un autre épisode de notre Histoire : la Journée des Dupes qui, en novembre 1630, fait presque office de coup d'Etat, quand Louis XIII confirme dans ses fonctions son ministre, le cardinal de Richelieu, contre la parti de la reine-mère, alors frappé d'une disgrâce aussi violente que soudaine.
    Ici, il nous faut nous transporter à l'été 1744 : alors que la guerre contre l'Autriche s'enlise, Louis XV, âgé de trente-quatre ans, jeune roi dans la force de l'âge, décide d'aller lui-même prendre le commandement de son armée sur les fronts du Nord et de l'Est. Le voilà donc parti d'abord pour Lille, où il est rejoint par Marie-Anne au grand scandale de la Cour (mais le repos du guerrier, ça compte, non ?) puis pour Metz...Metz où, au début du mois d'août, le roi se trouve mal. Suffisamment mal pour faire craindre pour sa vie. Et quand un roi se trouve aux portes de la mort en état de péché, sans avoir communié, sans s'être confessé, alors qu'il est censé être le Roi Très-Chrétien, forcément, ça fait tâche. Ce que l'on a appelé l'épisode de Metz commence donc avec une maladie du roi, aussi soudaine et inexpliquée, une sorte de fièvre qui le fait souffrir atrocement et que ses médecins sont impuissants à soulager. Très vite, l'état du roi se dégradant, il faut lui parler de la mort, de l'extrême-onction, des derniers sacrements...or, Louis XV vit publiquement dans le péché avec sa maîtresse, Madame de Châteauroux, sous le nez des messins. On extorque alors au roi affaibli l'autorisation de chasser Marie-Anne, accompagnée de sa sœur Diane de Lauraguais. Son aumônier, l'évêque de Soissons, ira jusqu'à tirer du roi presque moribond une confession publique de ses fautes. Mais coup de théâtre, Louis XV se remet. La fièvre le quitte au bout de quelques semaines, le laissant épuisé mais bien vivant. Et la foudre du roi de France s'abat sur tous ceux qui l'ont humilié, des ministres aux princes du sang, en passant par l'évêque de Soissons. Ceux qui s'étaient crus, un instant, proches du pouvoir, qui n'attendaient que le dernier soupir du roi pour courir se prosterner aux pieds de son fils, le Dauphin, connaissent une disgrâce d'autant plus dure qu'elle était inattendue. Louis XV, aussi discret et timide que son aieul Louis XIII commet à son tour son propre coup d'Etat, un peu plus d'un siècle après la Journée des Dupes. Surtout, il rétablit dans ses prérogatives la belle Châteauroux, contrainte de se cacher à Paris. Pour peu de temps cependant puisqu'à la fin de l'année 1744, la jeune femme mourra à vingt-sept ans, sans avoir ou presque pu profiter de sa faveur retrouvée.
    Le vent de l'Histoire souffle décidément sur ce roman inspiré, exigeant et ambitieux, à l'image de son prédécesseur, L'été des quatre rois. Étrangement, alors que je m'étais plongée dans celui-ci sans difficulté (et pourtant le contexte historique traité, la révolution de 1830 qui met un terme définitif au règne des Bourbons en France ne me passionnait sur le papier que moyennement) et que je pensais que La chambre des Dupes ne me poserait pas de problèmes, j'avoue que le début m'a un peu déroutée. Découvrir cette intrigue a été fastidieux, je l'avoue. Et puis une fois familiarisée avec les lieux, les personnages, j'ai retrouvé ce que j'avais aimé dans L'été des quatre rois : la rigueur historique ne cède jamais le pas au romanesque et surtout, au fantaisiste. Pour cela, j'adore la plume de Camille Pascal, historien de formation et dont l'oeil scientifique transparaît sans cesse dans ses pages. Certes, La chambre des dupes est un roman, mais un roman qui s'appuie sur des bases historiques avérées et plus que solides. Et l'amoureuse du XVIIIème siècle que je suis n'a eu besoin que d'une cinquantaine de pages pour finalement tomber tête la première dans ce récit truffé d'intrigues, de jalousie, d'oisiveté et de méchanceté courtisanes, qui met en lumière le coup de force politique d'un jeune roi encore secret, que ses courtisans ont du mal à cerner et qui, jusqu'à récemment, se trouvait encore sous la coupe d'un mentor charismatique, le cardinal de Fleury. A l'instar du jeune Louis XIV annonçant à la mort de Mazarin son intention de gouverner seul, Louis XV, à la faveur de cet épisode de Metz, montre à tous qui est le maître et combien sa vengeance peut être impitoyable pour peu qu'on l'ait défié et surtout, qu'elle peut s'abattre sur n'importe qui : même sur les princes du sang, même sur les religieux, le cas échéant.
    Pour la petite anecdote, mon amour passionnel pour le XVIIIème siècle français m'est venu en lisant, il y'a cinq ou six ans, La Reine et la Favorite, de Simone Bertière. Et c'est en découvrant le destin de Madame de Châteauroux, notre Marie-Anne du roman, que j'ai commencé à m'intéresser à cette époque. Je ne l'ai plus jamais quittée et le XVIIIème siècle reste effectivement la période historique qui me passionne le plus, c'est un amour inconditionnel que je lui voue - puis mon intérêt pour le personnage de Marie-Antoinette est évidemment venu conforter tout ça : les personnages, la musique, le contexte, l'architecture, les arts...tout me plaît et me passionne dans cette époque si riche d'ambivalences et de paradoxes tranchés, aux travers qui pourraient parfois nous rappeler la nôtre. J'aurais donc été la première surprise si ce roman ne m'avait pas plu. Et ça n'a pas été le cas. Il m'a demandé pas mal de concentration mais, en contrepartie, m'a aussi fait palpiter et vibrer au rythme de ses pages. Que demander de plus ? Il n'y a rien à jeter dans ce livre, c'est passionnant, c'est grinçant et finalement assez jouissif pour nous, lecteurs. Jamais histoire amoureuse n'a été plus croustillante, ni plus scandaleuse. Jamais roman historique n'a été mieux tourné. On se régale de bout en bout et on ressort de cette lecture avec l'impression d'avoir pris une magistrale leçon d'Histoire. Je n'en demandais pas moins. 

                             Louise Julie de Mailly-Nesle — Wikipédia                                Image dans Infobox.

     

    Les quatre soeurs de Nesle à avoir bénéficié des faveurs de Louis XV : Louise-Julie de Mailly-Nesle, Pauline de Vintimille, Diane de Lauraguais et Marie-Anne de La Tournelle, titrée duchesse de Châteauroux par son amant

     

    En Bref :

    Les + : la rigueur de l'historien se marie ici à merveille à la plume d'un romancier de talent. C'est instructif tout en étant distrayant, on passe un excellent moment. 
    Les - :
    des chapitres d'ouverture un peu laborieux mais heureusement largement compensés par la suite du récit.

     


    La chambre des Dupes ; Camille Pascal

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    • Envie de découvrir Camille Pascal ? Mon avis sur L'été des quatre rois est juste ici

     

     


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  • Commentaires

    1
    Mélissa
    Samedi 8 Janvier 2022 à 15:08

    Je l'ai acheté en occasion à Easy Cash dernièrement. Ton article confirme que j'ai bien fait de me le procurer non ? ^^ L'écriture a l'air pointue et le sujet est plus qu'intéressant. Hâte de le lire à mon tour. Et puis j'avoue que je ne sais pas grand chose sur les soeurs de Nesle alors ça sera l'occasion d'en apprendre un peu plus . 

      • Dimanche 9 Janvier 2022 à 11:44

        Si ça peut te rassurer, c'est très bien écrit en effet mais pas inaccessible non plus, contrairement à une biographie pure et dure par exemple, qui peut parfois être un peu compliquée. Là, pas du tout, tu verras...le style est soutenu et parfois beaucoup moins, ça permet vraiment à chacun de pouvoir aimer ce livre même si on n'aime pas forcément l'Histoire par exemple. 

        Personnellement, j'ai trouvé le style de ce roman un peu moins soutenu justement que dans L'été des quatre rois, qui est passionnant aussi et que je te recommande chaudement. Le XIXème siècle n'est pourtant pas l'époque qui me passionne le plus mais cette relation précise de la révolution de juillet 1830 est une vraie démonstration. C'était magistral ! Et La chambre des dupes arrive juste derrière. smile

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    2
    Mardi 11 Janvier 2022 à 21:22

    Je suis assez intriguée par ce roman... Le fait que ce soit un peu déroutant au début me gêne mais mon intérêt pour l'Histoire prend le dessus ! Je note, je ne connais pas encore la plume de cet historien en plus !

      • Mercredi 12 Janvier 2022 à 18:45

        Si tu es prévenue, peut-être justement ne seras-tu pas gênée par le début...il y a énormément de personnages d'un coup donc il faut un petit moment pour s'habituer mais une fois que c'est fait, franchement ça va tout seul. happy Je ne peux que te le conseiller, je sais que tu aimes les romans historiques et je pense que celui-ci pourrait vraiment te plaire (même si c'est un peu avant l'époque de Marie-Antoinette). 

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