• La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    «La peau blanche d'Albine n'était que la blancheur de la peau brune de Serge. Ils passaient lentement, vêtus de soleil ; ils étaient le soleil lui-même. Les fleurs, penchées, les adoraient. »

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Publié en 1985

    Date de parution originale : 1875

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    386 pages

    Cinquième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :  

    Serge Mouret est le prêtre d'un village pauvre, quelque part sur les plateaux désolés et brûlés du Midi de la France. Barricadé dans sa petite église, muré dans les certitudes émerveillées de sa foi, assujetti avec ravissement au rituel de sa fonction et aux horaires maniaques que lui impose sa vieille servante, il vit plus en ermite qu'en prêtre. A la suite d'une maladie, suivie d'une amnésie, il découvre dans un grand parc, le Paradou, à la fois l'amour de la femme et la luxuriance du monde. Une seconde naissance, que suivra un nouvel exil loin du jardin d'Eden.
    Avec cette réécriture naturaliste de la Genèse, avec ce dialogue de l'ombre et du soleil, des forces de vie et des forces de mort, du végétal et du minéral, Zola écrit certainement l'un des livres les plus riches, stylistiquement et symboliquement, de sa série des Rougon-Macquart.

     

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

     Mon Avis :

    La Faute de l'Abbé Mouret, cinquième volume des Rougon-Macquart s'ouvre quelques années après la fin du quatrième, La Conquête de Plassans et présente une continuité linéaire avec celui-ci puisque le héros au centre du récit sera le cadet de Marthe et François Mouret, que l'on a vu évoluer de bien tragique manière dans La Conquête de Plassans. Avant de retrouver Octave, leur aîné, dans Pot-Bouille et au Bonheur des Dames, c'est donc à Serge qu'est consacré La Faute de l'Abbé Mouret.
    Rentré au séminaire avant vingt ans, dans La Conquête de Plassans, au grand dam de son père, d'ailleurs, Serge a aujourd'hui vingt-six ans et il est en charge de la cure des Artaud, un petit village désolé non loin de Plassans. Il y vit seul, entouré uniquement de la vieille servante de la paroisse, la Teuse et de sa sœur Désirée, vingt-deux ans, restée innocente et qui n'a donc aucune chance de se marier jamais. Dans ce petit village loin de tout, où l'on s'est marié dans la même famille de générations en générations et où tous les habitants portent le même nom, le prêtre doit lutter pour imposer Dieu et les préceptes de la religion catholique à des gens qui vivent et poussent comme les herbes dans leurs champs, sans se soucier d'aller se marier à l'église avant de concevoir des enfants...
    Mais l'abbé, tout jeune encore, est fragile. On retrouve chez lui, avec plus ou moins de force, l'hérédité de ses parents, cette folie latente qui a précipité Marthe et François dans leur destin tragique. Chez Serge, la fragilité psychique se traduit par un mysticisme effréné -mysticisme déjà rencontré chez sa mère-, une croyance exacerbée qui l'a poussé à se faire ordonner. Mais il existe déjà chez lui une faille, cette faille, c'est l'amour sans borne, l'adoration qu'il porte à la Sainte Vierge, Marie, qui est pour lui mère, femme et amante. C'est cet amour irréfléchi, ces désirs de mortifications et de flagellations mentales qui vont faire tomber l'abbé malade. Soigné par son oncle, le docteur Pascal -le frère de sa mère Marthe-, l'abbé est amené, sur le souhait du scientifique, dans un endroit isolé non loin des Artaud, le Paradou. Ancien domaine, aménagé au XVIIIème siècle dans le goût de l'époque mais abandonné depuis, le Paradou est revenu à l'état sauvage. L'ancien château a disparu et ne restent que quelques pavillons, perdus dans une nature qui a retrouvé ses droits et transformé le parc en luxuriant jardin d'Eden.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Serge Mouret, incarné par Francis Huster dans le film de George Franju (1970)


    Au Paradou vivent Jeanbernat, libre penseur, surnommé le Philosophe et sa jeune nièce, Albine, seize ans. Élevée dans le monde, elle a été confiée à son oncle encore gamine et est revenue, si l'on peut dire, à l'état sauvage, courant le Paradou et se saoulant de nature. C'est dans cet écrin perdu et immaculé que le docteur Pascal emmène son neveu afin qu'il se rétablisse. Mais ce qu'il ne peut prévoir c'est que la jeune Albine, devenue garde-malade et le prêtre, vont réécrire à leur façon le mythe d'Adam et Ève et du péché originel...
    Comme dans La Conquête de Plassans, Zola écrit ici une violente diatribe contre la religion, adoucie cependant par le baume de la sublime histoire d'amour qui en est le prétexte. Oui, la sublime histoire d'amour, n'ayons pas peur des mots. A mon sens, l'histoire entre Serge et Albine, aussi peu conventionnelle soit-elle, est l'une des plus sublimes histoires d'amour jamais écrites et le roman, l'un des meilleurs classiques français de cette époque. Il faut dire aussi que j'ai toujours eu une énorme faiblesse pour La Faute de l'Abbé Mouret : seconde relecture et troisième coup de coeur, on ne se refait pas !
    Ici, après dénoncé la manipulation de prêtres sans scrupule sur des âmes faibles -l'abbé Faujas sur l'âme de Marthe Mouret-, Zola s'élève ici contre les rigoureuses restrictions que la religion impose à ses ministres, le muselage de leurs désirs les plus profonds et le plus instinctifs à coup de prières, de macérations et de punitions auto-infligées. C'est la négation de leur essence humaine que l'on impose aux religieux et aux clercs que l'auteur, en homme du XIXème siècle très ancré dans son époque, dénonce. Et c'est donc par la faute de l'un de ces ministres du culte, un de ces hommes mariés à la toute- puissance de Dieu parce qu'ils sont ordonnés et tonsurés, que Zola réécrit l'un des mythes fondateurs de notre société judéo-chrétienne : la Genèse, avec la faute d'Adam et Ève dans le jardin d'Eden et la chute du genre humain à la suite de ce péché commis par le premier homme et la première femme.
    Dans La Faute de l'Abbé Mouret, Serge campe le rôle d'Adam tandis que la jeune Albine, la nièce d'un libre penseur, affranchie elle-même des carcans religieux, devient une Ève tentatrice, la femme qui pousse au péché mais aussi la femme qui aime, trop entière pour rendre Serge à l'Eglise et qui commettra pour cela un acte radical et sans remède. Albine, c'est aussi, par son prénom -albus en latin signifie blanc-, la personnification d'une autre femme, cette Vierge que Serge aime tant dans la première partie du roman, une allusion virginale qui ramène irrémédiablement à la mère de Dieu comme si, au travers de la jeune sauvageonne, Serge accomplissait son destin qui est celui, au grand dam du Frère Archangias, d'ailleurs, d'aimer Marie.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Francis Huster (Serge) et Gillian Hills (Albine) 


    L'autre personnage du roman, et qui a toute son importance, c'est la nature. La nature par le jardin. Ce Paradou, ancien domaine domestiqué à l'instar des jardins à la française mais qui, peu à peu, s'est échappé de la main humaine pour redevenir un endroit sauvage dans lequel les derniers témoins de la civilisation sont peu à peu engloutis par une débauche de feuilles et de feuillages. Le Paradou, c'est le troisième protagoniste, celui qui rapproche et éloigne le couple, celui qui lui apprend à se connaître et à s'apprivoiser, qui aide Albine à renouer avec le genre humain et qui apprivoise Serge aux douceurs et aux tentations du corps féminin. C'est lui encore qui leur souffle comment s'aimer et devient le secret complice de leur amour. Mais, comme dans Roméo et Juliette, là où la nature est l'alliée des amants dans la félicité, elle est aussi leur adversaire le plus farouche dans l'adversité. Ainsi, dans la première partie du roman, le Paradou est un écrin protecteur pour Serge et Albine, un endroit inviolable dans lequel ils peuvent vivre loin de tout, mais, après l'accomplissement du péché, de l'acte de chair, le jardin, qui les a pourtant poussés à cela, devient l'ennemi, celui qui se laisse violer par une main vengeresse -celle de Frère Archangias- et qui assiste, passif, à la chute de Serge et d'Albine, le retour du jeune homme à son état immuable de prêtre et au désespoir de la jeune fille. Le rythme des saisons accompagne ce lent changement, ce lent basculement de la félicité au désespoir et si Serge et Albine s'apprivoisent dans la luxuriance et les formidables senteurs du printemps et de l'été, ils sont séparés pour toujours dans la tristesse de l'automne, alors que le jardin se prépare à s'endormir pour un long hiver. C'est dans les senteurs âcres et passées des dernières fleurs de la saison que Serge s'arrache à tout jamais des bras de son amante. Le frère Archangias -dont le nom rappelle aussi celui des ces anges vengeurs, les archanges-, est la personnification de l'intransigeance religieuse, intransigeance qui, pourtant, tourne chez lui en une certaine obsession sexuelle voire pédophile et qui est encore un prétexte pour l'auteur qui souhaite justement dénoncer cet empêchement, cette impuissance imposée aux hommes d'Eglise, avec tous les débordements que cela peut comporter par la suite. La Teuse, servante de l'abbé, est la tolérance, croyante mais sans intransigeance, tandis que l'oncle d'Albine, lui, est le symbole de la déchristianisation symptomatique du XIXème siècle.
    Roman riche et intense, bien documenté et subtilement écrit, La Faute de l'Abbé Mouret est l'un des romans les plus aboutis de la saga, l'un des plus beaux et l'un des plus touchants. Une lecture superbe, qu'il faut prendre le temps de savourer, pour ce qu'elle est. Car au-delà de la dénonciation religieuse, c'est aussi l'histoire d'amour qui fait toute la profondeur de ce roman. Un classique particulièrement efficace.

    En Bref :

    Les + : un roman subtil et particulièrement bien écrit, une super histoire d'amour...
    Les - :
    Aucun ! ! 

     

    Coup de cœur

     


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  • Commentaires

    1
    Samedi 11 Avril 2015 à 19:52

    C'est fou mais j'ai dû vérifier pour savoir si je l'avais lu. Je crois bien que je ferai comme toi et que je relirai les Rougon-Macquart ! Il n'a pas été un coup de coeur mais il m'en reste pleine d'autres à découvrir 

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    2
    Jeudi 20 Avril 2017 à 14:08

    Je l'ai dans ma PAL, ton avis m'a donné envie de le lire très rapidement!

      • Jeudi 20 Avril 2017 à 19:29

        La Faute de l'Abbé Mouret est un roman fétiche pour moi qui, non seulement, me ramène dix ans en arrière et me rappelle les années lycée mais en plus un roman qui touche particulièrement ma sensibilité. Je ne saurais pas dire pourquoi mais je pourrais le relire cinquante fois en vibrant de la même manière et en m'émouvant pour les personnages. J'espère, à chaque lecture, que la fin sera différente. Pour moi, Serge et Albine, un peu comme Cosette et Marius, Roméo et Juliette, Tristan et Yseult, est un couple devenu mythique et qui transcende les époques. 

        Ma chronique n'est pas du tout objective, ceci étant dit ! ! J'espère que tu aimeras cette lecture et tant mieux si mon article t'a donné envie mais garde à l'esprit que ce livre a été pour moi une sorte de révélation, au même titre que Les Misérables, qui sont certainement mes livres préférés de tous les temps... (avec Zola, aussi, c'est vrai et surtout La Faute de l'Abbé Mouret happy )... Mais je sais que d'autres lecteurs ont franchement détesté (ce que j'ai du mal à comprendre mais bon... sarcastic ) ! 

        Tu viendras me donner ton avis quand tu l'auras lu ? Je compte sur toi ! 

    3
    Mélissa
    Samedi 11 Janvier 2020 à 13:22

    Salut miss,

    ce roman , qui te tient tant à coeur, sera ma seconde lecture de l'année. Je continue ma lecture du cycle Rougon Macquart à mon rythme. J'espère bien apprécier ce tome tout autant que toi, d'ailleurs le précédent était excellent ( " La conquête de Plassans " ), j'avais adoré détester la plupart des personnages et les descriptions de Zola , du " sud du pays ". ^^ Bref j'ai hâte de commencer cette lecture ! 

    Bonne journée miss, en te souhaitant courage si tu es au boulot. smile

    Mélissa

      • Samedi 11 Janvier 2020 à 18:20

        J'avais commencé une relecture des Rougon-Macquart et puis j'ai laissé tomber. Pas par manque de temps mais juste parce que j'ai une PAL qui ne baisse jamais beaucoup et que je préfère privilégier les nouveautés aux livres déjà lus. happy Mais c'est toujours prévu que je m'y replonge à un moment ou un autre. En plus, les Rougon-Macquart me rappellent quand je les ai lus il y'a plus de dix ans, c'est un peu nostalgique mais une bonne nostalgie, je trouve. wink2

        J'espère que tu aimeras La Faute de l'Abbé Mouret. Pour moi, c'est l'un des meilleurs de la saga mais je sais que pour certains lecteurs, ça n'a pas été une lecture évidente. Certains ont même été déçus : c'est vrai que ça ne ressemble pas à Germinal, ni au Ventre de Paris, c'est une autre ambiance mais quel roman, quelle histoire ! Et en passant, Zola égratigne assez méchamment l'Eglise tout en mettant avec subtilité en exergue sa corruption et son hypocrisie (on se dit que l'anticléricalisme au XIXème siècle était décidément particulièrement violent et ça se ressent dans son oeuvre en général mais peut-être plus encore dans ce roman). Et en même temps, La Faute de l'Abbé Mouret est plein de grâce. C'est un roman un peu hors normes. 

        Pour ma part, c'est un classique dont je ne me lasse pas. smile

    4
    Mélissa
    Lundi 20 Janvier 2020 à 20:46

    Bon ça y est , je l'ai fini. Et je suis passé à deux doigts du coup de coeur. Grosse mention spéciale pour tout le passage du Paradou et la " renaissance à la vie " de Serge grâce à Albine. J'ai lu beaucoup de critiques négatives sur ce Zola car " différents des autres et plus descriptif ". Perso cela ne m'a pas dérangée du tout , au contraire je m'y suis bien projetée dans le Paradou et ses personnages. Presque triste de refermer cet ouvrage. 

    Si je n'ai pas un coup de coeur , c'est à cause de Serge lui même et de son attitude à la fin du roman. Lâche comme le dit Albine et hypocrite, clairement il se ment à lui même le jeune homme. J'ai trouvé la mort d'Albine d'autant plus injuste. Je l'aurais secoué aux épaules le Serge si j'avais été dans le bouquin ! mad

    Pour le reste y a rien à redire, puis c'est Zola quoi. Désirée est une bulle d'air dans l'univers aride des Artaud. Et hâte de revoir le docteur Pascal à la fin du cycle. ^^ Une lecture que je ne regrette pas. 

    Du coup je commence '" L"été du cyclone " de Beatriz Williams pour changer d'univers et je vois que tu l'a lu aussi. Perso ça fait deux ans qu'il traîne dans ma PAL alors autant le sortir. 

    Bonne soirée Miss. cool

      • Mardi 21 Janvier 2020 à 20:27

        Je crois que les gens se font une fausse idée des Rougon-Macquart et sont surpris que certains romans sortent de ce que l'on croit connaître de Zola, c'est-à-dire le roman politisé ou industriel. Il y'a Le Rêve, aussi, qui est un peu un OVNI, qu'on ne s'attend pas à trouver là. Et il y'a La Faute de l'Abbé Mouret, mais au final, quand on l'a lu (ou relu, pour moi, parce que je me suis rendu compte que le relire m'a permis de saisir des petites subtilités que je n'avais pas forcément saisies de prime abord) on se rend compte que Zola y dénonce avec férocité la religion et que dans la démarche, ce roman n'est pas forcément différent des autres. Il y dénonce l'hypocrisie de l'Eglise, au travers du frère Archangias qui résonne assez sinistrement aujourd'hui, avec tous ces scandales pédophiles qui secouent l'Eglise catholique depuis quelques années. Et en même temps, à travers Serge, il nous livre l'un de ses plus beaux personnages, un être pur...comme Albine. Et cette histoire m'a fait frémir, elle m'a fait frissonner, elle m'a touchée comme je n'aurais jamais cru pouvoir être touchée...

        Personnellement, j'ai beaucoup d'indulgence pour Serge, que je vois broyé par un système trop grand pour lui, comme ses parents ont été broyés par la vie, par la fatalité. C'est vrai que la fin est peut-être cruelle, c'est vrai qu'elle peut choquer...Je ne me suis jamais remise de cette fin, j'aimerais tellement qu'elle soit différente...mais étrangement, elle ne me fait pas ressentir de rancœur envers Serge. Je le vois aussi comme une victime, malheureusement, de cette Eglise toute puissante et qui veut le retenir coûte que coûte. 

        Je pense que je relirai un jour ce roman. Je me souviens de ma première lecture mais je me souviens surtout des deux autres, faites un peu plus tard...et des émotions qui m'ont submergée à ce moment-là, bien plus qu'à la première lecture qui était surtout une découverte et ne m'avait pas permis de saisir tous les aspects de cette oeuvre qui est, pour moi, absolument grandiose. 

         

        Je te souhaite une belle soirée Mélissa et une bonne lecture avec L’été du Cyclone. J'espère que tu aimeras. 

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