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La Malédiction du roi ; Philippa Gregory
« Je ne pardonnerai jamais aux Tudors de m'avoir brisé le cœur. Ils ont conquis le trône en faisant couler le sang de ma famille. »
Publié en 2014 en Angleterre
En 2021 en France (pour la présente édition)
Titre original : The King's Curse
Éditions Archipoche
622 pages
Résumé :
Angleterre, 1499. Après la décapitation de son frère sur ordre d'Henri VII, Margaret Plantagenêt se retrouve l'une des dernières héritières de la maison d'York. Un nom dangereux à porter depuis que les Tudors se sont emparés du trône...
Pour assurer sa sécurité, elle épouse Richard Pole, un cousin du roi. A la mort de celui-ci, veuve et sans ressources, elle ne doit son salut qu'à l'arrivée à la cour de la future souveraine, Catherine d'Aragon.
Désormais comtesse de Salisbury, Margaret devient première dame de compagnie de la reine. Au point de susciter des jalousies.
Philippa Gregory ressuscite avec maestria les heures les plus sombres de la royauté anglaise, où complots et trahisons se règlent souvent dans le sang.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Faisant partie de l’immense anthologie romanesque consacrée par Philippa Gregory à l’époque des Tudors et de la Guerre des Deux-Roses, La malédiction du roi est, encore une fois, un beau portrait de femme.
Après Anne et Mary Boleyn (Deux sœurs pour un roi), Anne de Clèves (L’héritage Boleyn), Catherine Parr (La dernière reine) Catherine d’Aragon (La princesse d’Aragon) Elizabeth Woodville et sa fille Elizabeth d’York (La reine clandestine et La reine blanche), Anne Neville (La fille du faiseur de roi) et les destins tragiques des sœurs Grey (Reines de sang), je continue mon exploration de l’Histoire britannique vue à travers des destinées féminines avec ce roman consacré à Margaret Pole.
Née dans les années 1470, Margaret Plantagenêt est apparentée aux plus illustres familles anglaises de la fin du Moyen Âge : par son père, George de Clarence, elle est une nièce du roi Édouard IV d’York. Elle sera aussi par conséquent la nièce du très controversé roi Richard III. Sa mère, Isabelle Neville, est la fille du puissant comte de Warwick, surnommé le « faiseur de roi » et sa tante Anne épousera successivement le fils du roi Henri VI et Marguerite d’Anjou puis Richard de Gloucester, futur Richard III. Par ses deux parents, la lignée de Margaret remonte à des temps immémoriaux et notamment à l’un des plus puissants rois de la fin du Moyen Âge : Édouard III, dont se réclament les York comme les Lancastre, qui se disputent le royaume d’Angleterre à la fin du XVème siècle, au cours d’un violent conflit civil que l’Histoire retiendra sous le nom de « Guerre des Deux Roses » ou « Guerre des Cousins ».
Alors qu’elle naît au sein de la plus puissante des lignées, que son sang royal la promet au plus glorieux des destins, Margaret n’est plus rien, ou presque, quand s’ouvre le roman en 1499. Elle a alors vingt-six ans, est mariée à Sir Richard Pole, un obscur gentilhomme au service des Tudors, de onze ans son aîné et vient d’assister à l’exécution de son jeune frère Édouard Plantagenêt, surnommé Teddy, enfermé de nombreuses années à la Tour de Londres et qui n’en sortira que pour marcher à sa mort, alors qu’il a perdu l’esprit en prison et ne présente plus aucun danger. Car, alors que le XVIème siècle se profile à l’horizon, le destin des Plantagenêt a basculé : la dynastie qui s’était installée sur le trône britannique au XIIème siècle avec Henri II, a perdu son influence dans les dernières années de la Guerre des Deux-Roses au profit du jeune Henri Tudor, représentant des Lancastre. Le dernier roi York, Richard III, est mort sur le champ de bataille de Bosworth en août 1485, laissant sa couronne à Henri. Mais la dynastie des Tudors est fragile, mal installée : le mariage d’Henri Tudor avec la fille aînée du roi Edouard IV, Elizabeth, surnommée Bessie, ne lui garantit pas sa légitimité, sans cesse contestée. De nombreux « prétendants » au trône (dont le plus fameux, Perkin Warbeck, à la fin des années 1490, affirmant être Richard de Shrewsbury, fils cadet d’Edouard IV) apparaîtront dans les dernières années du XVème siècle, notamment à la faveur du mystère qui entoure la disparition des princes d’York, Édouard et Richard, les fils d’Édouard IV, détenus à la Tour de Londres à la mort de leur père et qui n’en sortiront jamais. Ont-ils été assassinés par leur oncle Richard pour s’approprier le trône comme on le dit ? Ou bien par des partisans des Tudors ? A l’inverse, leur mère, la reine Elizabeth Woodville, avait-elle pu mettre ses enfants en sécurité ou au moins l’un d’entre eux ? Encore aujourd’hui, nous n’en savons rien. Toujours est-il que Henri Tudor eut toujours, ou presque toujours, à défendre son trône contre des prétentions sensément plus légitimes que les siennes. Cela aura pour conséquence de développer chez le premier roi Tudor une peur constante de se voir détrôner et Henri VII, comme son successeurs Henri VIII, dont le règne est mieux connu, terminera sa vie paranoïaque, soucieux de faire sans cesse le ménage autour de sa lignée pour lui garantir prospérité et longévité. Le frère de Margaret fera les frais de cette psychose, puisqu’il passera presque l’intégralité de sa jeune vie derrière les barreaux avant d’être exécuté. Et la jeune femme elle-même, bien que bénéficiant de l’amitié et de la confiance de sa cousine la reine Elizabeth d’York, se voit dépossédée en peu d’années de son rang, de son influence, de son avenir et même de son nom car les Plantagenêt, sous le règne des Tudors deviennent, sinon des parias, du moins « persona non grata ». Margaret, devenue Margaret Pole comme une couverture, un gage de bonne conduite puisque son époux est proche de la nouvelle famille royale, devra toute sa vie porter son nom comme un boulet ou une épée de Damoclès parce que, rapidement, être un Plantagenêt sous la dynastie des Tudors deviendra un véritable danger.Portrait de Margaret Pole par un artiste inconnu (XVIème siècle)
Margaret Pole, devenue comtesse de Salisbury sous Henri VIII, est connue essentiellement pour sa longue amitié avec la reine Catherine d’Aragon, qu’elle accueille adolescente à Ludlow, après son mariage avec le prince Arthur – son mari Richard Pole était le gouverneur de la forteresse, demeure officielle du prince de Galles. Elle partagera l’intimité du jeune couple et soutiendra Catherine durant les années incertaines qui suivent son veuvage – le prince Arthur meurt en 1502, environ un an après son mariage avec la princesse espagnole. La fin du règne d’Henri VII est relativement paisible pour Margaret, même si elle doit faire face à la méfiance revancharde de la mère du roi, Margaret Beaufort, aussi puissante qu’une reine.
Les débuts du règne d’Henri VIII, le plus fameux roi de la dynastie Tudor, sont un âge d’or pour l’Angleterre : jeune homme beau, cultivé, roi humaniste et athlétique, qui n’aime rien tant que jouter et chasser avec ses compagnons, Henri est apprécié de ses courtisans, admiré par son peuple. Afin de conserver l’alliance avec l’Espagne, il a épousé la veuve de son frère, la princesse Catherine. La proximité de Margaret avec celle-ci la ramène au plus près du trône et dans le sillage de la brillante cour d’Angleterre, avant de devenir, en 1516, la gouvernante de la princesse Marie.
Mais le destin est en marche et la légende noire des Tudors en passe de s’écrire, emportant dans sa tourmente les destins de nombreux personnages, à commencer par les Pole. Jusqu’aux années 1540, Henri VIII ne saura jamais quoi faire de ces trop embarrassants cousins qui pourraient, s’ils le voulaient, revendiquer le trône…
Margaret sera le témoin de tout le basculement du règne d’Henri VIII : elle le verra se métamorphoser, tant physiquement que mentalement, le jeune prince brillant, juste et avide d’amour devenant un homme mûr obèse, en mauvaise santé, violent, paranoïaque, obsédé par le fait de ne pas avoir de descendance mâle, se débarrassant de ses épouses dès lors qu’elles ne parviennent pas à engendrer de fils. Devenu un véritable tyran, les dernières décennies du règne d’Henri VIII sont marquées par le sang et la violence religieuse. Et parce qu’un tyran s’attire immanquablement la haine, l’Angleterre des années 1530-1540 sera marquée par de nombreuses révoltes.
Margaret a-t-elle été, comme le présente Philippa Gregory dans son roman, le chef de file d’une opposition tantôt larvée, tantôt active ? Nous n’en savons rien. Mais il est certain que son nom faisait d’elle, sinon une partisane active de l’opposition, du moins un symbole de l’ancienne Angleterre, catholique et appartenant à la dynastie des Plantagenêt. Autrement dit, pour un roi ayant divorcé de l’Église de Rome et craignant pour sa légitimité, un danger. Pourtant, Margaret et les siens furent tour à tour des favoris, obtenant titres (comme celui de comtesse de Salisbury) et terres et des adversaires du pouvoir, menacés ou se voyant dépouillés des précédentes faveurs accordées…
Le roman est très dense : ses six cents et quelques pages traitent quand même presque 43 ans d’une vie, de 1499 à 1542, date de la mort de Margaret. Une vie oubliée puis progressivement redécouverte et étudiée, à la faveur d’une historiographie moderne accordant une place plus importante dans ses travaux aux femmes. Car si l’Histoire, on ne peut le nier, est souvent étudiée à travers des destinées masculines, elle a aussi été faite par des femmes…et des femmes qui n’étaient pas que des reines ou des impératrices. Margaret Pole, comtesse de Salisbury, nièce de deux rois, cousine d’une reine, amie d’une autre et gouvernante d’une princesse malheureuse qui prendra sa revanche en ceignant à son tour la couronne (Mary Ière) en est un bon exemple.
J’ai pas mal de choses à dire sur ce roman, du positif comme du négatif, à nuancer cependant : le premier adjectif qui me viendrait pour décrire La malédiction du roi, c’est inégal. Inégal dans le sens où des chapitres vraiment intéressants, captivants même sont brusquement suivis de chapitres beaucoup plus longs, presque superflus. J’ai alterné, au cours de ma lecture, entre des phases où j’étais captivée et d’autres où je me suis ennuyée, vraiment, d’où ce sentiment d’avoir lu un livre qui manquait parfois un peu de rythme. La malédiction du roi s’essouffle vers la fin et j’ai mis beaucoup de temps à le terminer. Un peu comme La reine blanche, qui était très répétitif, j’ai trouvé aussi que certains passages étaient assez redondants (les fils de Margaret Pole arrivent mille fois auprès de leur mère et reçoivent sa bénédiction à genoux…peut-être pas mille fois, mais vous voyez ce que je veux dire). Et en même temps, le roman est passionnant car il montre vraiment bien le basculement du règne d’Henri VIII, dont les fragilités psychiques entraînent le pays dans un véritable chaos. Ainsi, le jeune prince doué, espoir des sujets, devient vite un homme obsédé par sa descendance qui, pour engendrer enfin un garçon destiné à lui succéder et à consolider la dynastie, n’hésitera pas à traîner devant un tribunal sa première épouse et à la laisser mourir dans sa geôle humide du château de Kimbolton et à faire décapiter la suivante, après l’avoir accusée de sorcellerie. On ne compte pas non plus les proches ou conseiller d’Henri VIII qui ont payé cette proximité de leur vie : le cardinal Wolsey, Cromwell, Thomas More, l’un des fils de Margaret, lord Montague, le duc de Buckingham… Et c’est vraiment fascinant de voir « l’enfant chéri de l’Angleterre » se transformer en Barbe-Bleue inquiétant et imprévisible, dont les mains sont salies du sang de ses épouses (notamment les malheureuses Anne Boleyn et Katherine Howard) mais pas que… Pour toutes ces raisons, le roman est intéressant et à lire, si vous vous intéressez aux Tudors, dont la dynastie est auréolée d’autant de légendes que de vérités historiques.
Enfin, un autre point négatif, mais qui n’est pas imputable à l’autrice : la traduction des noms. Certes, je l’ai fait dans cette chronique en écrivant Henri avec un i et en ne traduisant pas Édouard en Edward…mais j’avoue que j’ai parfois été surprise de voir le nom de Jane Seymour francisé en Jeanne Seymour quand le nom Margaret est conservé dans sa forme anglaise. Pourquoi, dans ce cas, ne pas harmoniser la traduction et prendre un parti-pris auquel on se tient ? La francisation des noms, pour autant qu’elle peut être controversée, aurait dû dans ce cas être utilisée pour tous ou alors abandonnée : si cela ne m’a pas gênée pour les noms dont la prononciation est la même, ou presque, en anglais comme en français, c’est vrai que j’ai parfois été un peu surprise de ce choix. Mais cela n’est qu’une remarque sur la forme et n’enlève évidemment rien au fond.
Je terminerai donc cette longue chronique en disant que, comme bien souvent chez Philippa Gregory qui nous a habitués à des pavés, il y a du bon comme du moins bon. Ses romans sont indéniablement marqués par des recherches historiques solides et une bonne connaissance de la période. La plume de l’autrice est toujours alerte, personnellement j’arrive maintenant à force de la lire, à ressentir sa patte, même derrière une traduction : le fait que ses romans soient souvent écrits à la première personne du singulier nous rend les personnages proches, on a l’impression qu’il s’adresse à nous et il est plus facile de s’attacher, de s’identifier. Mais parfois, il y a des longueurs, des moments moins captivants, moins passionnants. J’avais eu le même ressenti avec Reines de sang, par exemple ou avec La reine blanche. Pour autant, ce n’est jamais déplaisant et j’ai encore une fois passé un agréable moment. Comme je vous le disais un peu plus haut, si vous êtes intéressés par l’époque des Tudors, vous aimerez probablement ce roman, qui se situe à une époque charnière, l’Angleterre entrant dans la Renaissance avec perte et fracas. La dynastie des Tudors a-t-elle été fondatrice, malgré son règne relativement court (moins de deux siècles, de 1485 à 1603) ? A la lecture de ce roman, on se dit que oui, assurément.L'actrice britannique Laura Carmichael incarne la comtesse de Salisbury dans sa jeunesse, au moment de sa rencontre avec Catherine d'Aragon dans la série The Spanish Princess
En Bref :
Les + : un roman solide historiquement et passionnant car il nous montre à travers les yeux de Margaret Pole le basculement sordide du règne d'Henri VIII, de prince brillant à roi inquiétant, violent et imprévisible.
Les - : des inégalités et parfois un manque de rythme.
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Tags : Roman, Histoire, Drame, Renaissance anglaise, Epoque Tudor, Littérature britannique
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