• La Marquise de Brinvilliers ; Agnès Walch

    «Qu'elle ait été dangereuse, c'est certain ; qu'elle ait été coupable, c'est sans doute vrai ; qu'elle ait été victime, c'est incontestable. »

    La Marquise de Brinvilliers ; Agnès Walch

     

    Publié en 2011

    Editions France Loisirs

    256 pages

    Résumé : 

    Le 17 juillet 1676, à huit heures du soir, cinq jours avant son quarante-sixième anniversaire, Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, fut décapitée en place de Grève à Paris devant une foule agitée, puis impressionnée par le courage de cette petite femme au corps si frêle. Elle est morte comme elle a vécu, avec résolution , écrira Mme de Sévigné. Présente ce soir-là, la célèbre épistolière n'aurait pas manqué un instant d'un feuilleton qui tenait en haleine les Français depuis déjà quatre ans. 
    Accusée d'avoir empoisonné son père, ses deux frères, son mari, sa sœur et sa fille, la marquise de Brinvilliers fut en effet l'une des premières tueuses en série de l'Histoire. Mais la marquise a-t-elle vraiment commis les crimes qu'on lui reproche ? 

    Agnès Walch, historienne, spécialiste de drames de mœurs, a mené ce travail d'enquête jusqu'alors inédit. Rassemblant les pièces du procès, l'historienne éclaire d'un jour nouveau le verdict des magistrats. Ni ange, ni démon, la marquise apparaît là dans toute sa vérité.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Brinvilliers... depuis presque trois-cent-cinquante ans, le nom fleure le poison et reste associé à la poudre de succession comme celui des Borgia est lié irrémédiablement à la cantarelle.
    Rien pourtant ne destinait Marie-Madeleine d'Aubray, marquise de Brinvilliers, à devenir la tueuse en série, qui termina sa vie sur l'échafaud le 17 juillet 1676 et dont le procès déclencha, finalement, l'Affaire des Poisons, l'une des plus sordides et retentissantes affaires criminelles du Grand Siècle. Quoique... née en 1630 dans une famille de noblesse de robe, qui connaît une rapide expansion à cette époque, elle perd sa mère sept ans plus tard et est violée cette même année par un valet. D'où les déviances et obsessions sexuelles qu'elle développe par la suite et la feront s'attacher à plusieurs hommes, dont l'aventurier Sainte-Croix qui reste son amant près de quinze ans, lui fait deux ou trois bâtards et surtout, l'entraîne sur la pente fatale du crime en la familiarisant avec les poisons.
    Il meurt en 1672 et les inventaires après décès vont alors révéler un pan particulièrement sombre et intéressant de la vie de l'aventurier languedocien, et notamment son obsession pour l'alchimie et sa quête de la pierre philosophale. Mais chez lui, cette quête de la transmutation des métaux en or s'accompagne aussi d'une bonne maîtrise de la chimie qui va l'emmener à préparer des poisons plus ou moins violents. Il est très probable voire quasiment certain que c'est lui qui a fourni à la marquise de Brinvilliers les différentes drogues qu'elle administra à ses deux frères, sa sœur et même à sa fille aînée : ces deux dernières en réchapperont même si la mort de sa sœur Marie-Thérèse en 1674 ne manque pas de soulever le doute...ses frères Antoine et François auront moins de chance et succombent à cinq mois d'intervalle. En 1666, c'est leur père qui est mort après s'être étiolé pendant des mois et surtout, après avoir reçu les soins attentifs de sa fille...! Selon Agnès Walch, il se pourrait que seul Sainte-Croix ait été coupable de l'assassinat du père de Marie-Madeleine qui, en tant que lieutenant civil, l'avait fait arrêter quelques temps plus tôt et croupir en prison. Il est cependant communément admis que madame de Brinvilliers fut aussi responsable de la mort de son père et elle s'en accuse même dans une confession écrite retrouvée à Liège où elle avait trouvé refuge et où elle est finalement arrêtée au début de l'année 1676. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Toujours est-il qu'elle a plusieurs crimes sur la conscience et que cette affaire de vengeance privée pourrait bien, avec des ramifications qui apparaissent aux yeux des magistrats éberlues, remonter jusqu'au trône ... et l'imagination des courtisans est fertile et il n'en faudrait certainement pas beaucoup pour qu'une psychose s'installe, ce qui était presque arrivé en 1670 à la mort de la jeune Madame, Henriette d'Angleterre, qui s'éteint en quelques heures après avoir affirmé qu'elle avait été empoisonnée ... dans les années qui suivront, c'est une affaire d'une ampleur inédite dont vont devoir traiter les magistrats du Roi-Soleil. Une affaire qui est restée dans l'Histoire sous le nom d'Affaire des Poisons : une quantité d'empoisonneurs seront interrogés, exécutés ou emprisonnés à vie et des dames respectables telles que la comtesse de Soissons ou encore madame de Montespan, favorite du roi , se retrouvent éclaboussées par le scandale.
    Mais qui est exactement Madame de Brinvilliers ? Une tueuse sans scrupules ? Une femme fragile au caractère instable ? Enfin, fut-elle, malgré les crimes qu'on lui impute et qui ne peuvent être refutés, en quelque sorte une victime, une coupable parmi d'autres et qui paya pour tous ?
    Sans nier le verdict de l'époque et sans affirmer non plus que la marquise de Brinvilliers est innocente, Agnès Walch essaie de replacer le personnage dans son contexte et d'expliquer le caractère complexe de cette femme, qui s'avère effectivement être bien plus intéressante que ce que les contemporains et, par la suite, les écrivains et les historiens ont bien voulu nous faire croire. Très vite, la légende s'est emparée de celle qu'on ne surnommait plus que la Brinvilliers, une légende noire s'est tissée autour d'elle qui, si elle comporte du vrai, comporte aussi du faux. Les actes de la Brinvilliers, affreux, on ne peut le nier, ont suscité l'effroi et l'incompréhension de ses contemporains. Le poison était l'arme des lâches mais il faisait peur parce qu'un empoisonneur reste invisible et frappe insidieusement. Le peuple s'est ému, au point de déformer parfois les propos et les aveux qui se sont échangés durant la longue instruction du printemps 1676 qui conduisit à la condamnation à mort de madame de Brinvilliers, au point d'en faire un véritable monstre, une femme soudain prise de folie meurtrière , tant sur les autres que sur elle-même et qui administra et s'administra des drogues violentes. Mais peut-être que la vérité est plus compliquée que ça et Agnès Walch se livre à une rapide analyse psychologique de la marquise, analyse qui bien sûr n'existait pas à l'époque mais qui, aujourd'hui, peut nous permettre de comprendre bien des choses. Il semble que la clé de l'instabilité de madame de Brinvilliers soit ce viol qui la détruit à l'âge de sept ans. Tous les hommes qui jalonnent son existence la déçoivent et la manipulent. Sainte-Croix n'échappe pas à la règle et il se pourrait d'ailleurs que ce soit surtout à cause de son influence que la marquise en vient à commettre les gestes fatals qui la mèneront à l'échafaud. Sainte-Croix meurt en 1672 et on peut dire que c'est une chance pour lui parce qu'il est soustrait alors à toutes les investigations qui vont se poursuivre jusque dans les années 1680 et montrer qu'un vaste réseau criminel s'était mis en place, tellement vaste qu'il aurait même pu atteindre la Couronne. Madame de Brinvilliers n'aura pas la chance de mourir de sa belle mort et les papiers de Sainte-Croix dans lesquels elle apparaît nommément la perdront. De là à penser que, comme Fouquet une quinzaine d'années auparavant, elle ait payé pour d'autres... c'est en tous cas ce qu'insinue l'historienne et ça n'est pas illogique quand on y pense. On ne peut nier que la marquise usa de poisons, poisons qui, à plus ou moins longs termes, firent mourir des membres de sa famille... mais ce qu'on ne peut affirmer avec certitude, ce sont ses motivations. Elle aurait pu être poussée, son esprit fragile manœuvré par son amant retors et qui savait ce qu'il faisait.
    Ce qui apparaît dans cette biographie, c'est que Marie-Madeleine de Brinvilliers est une femme très seule et très démunie. Elle a le profil type de ces personnes qui, un jour, dans leur vie, vont déraper et commettre des gestes terribles. Parce qu'aujourd'hui nous avons des experts en criminologie, qui travaillent sur les méthodes opératoires comme sur la personnalité des tueurs en série, nous comprenons peut-être un peu mieux la manière dont le mécanisme se déclenche, car tout le monde n'est pas un tueur en série en puissance. On sait que ce sont des êtres éminemment dangereux mais aussi en souffrance et dont la déviance a pu être déclenchée dans l'enfance par un traumatisme : la perte d'un parent, un viol, une agression... chez la marquise de Brinvilliers, la mort de sa mère s'ajoute à l'abus qu'un valet commet sur elle. Elle restera par la suite toujours plus ou moins isolée, sans amies et le jouet d'hommes qui se moquent d'elle. Marie-Madeleine de Brinvilliers fut certainement une femme qui souffrit mais en silence et qui développa alors ses comportements qui la menèrent à sa perte.
    On ne peut bien sûr lui accorder de pardon parce qu'elle a ôté la vie, de sang froid et surtout parce qu'elle n'a jamais exprimé le moindre remords. Mais on ne peut pas pour autant ne pas chercher à la comprendre, même si c'est difficile bien sûr de se mettre à la place d'un tel personnage. Le livre d'Agnès Walch est justement intéressant pour ça. J'ai aimé la façon dont elle abordait son sujet sans tomber dans aucune extrême, dédouanant ou, au contraire, condamnant en bloc l'objet de son étude... Agnès Walch reste prudente et essaie d'apporter un éclairage contemporain à une affaire judiciaire et criminelle vieille de trois-cent-cinquante ans et qui ne serait assurément pas menée de nos jours comme elle le fut à l'époque. Pour autant, elle prend toujours soin de bien replacer le personnage dans son contexte. On comprend ainsi que madame de Brinvilliers fut ainsi autant condamnée par ses contemporains que par son siècle, parce qu'elle eut le malheur d'être une femme à une époque où on était pas tendre avec elles.
    Je déplore deux ou trois petites erreurs qui sont, je pense, des coquilles, notamment au niveau de dates. Agnès Walch est un maître de conférences réputé et je ne crois pas qu'on puisse lui imputer une erreur comme celle de dater la mort de la reine-mère Anne d'Autriche à 1671 ! Franchement ce n'est rien de grave, des petits ratés d'impression ou de mise en page, ça arrive. 
    J' ai aimé ce livre qui m'a permis d'en apprendre pas mal sur un personnage que je connaissais, mais pas si bien que ça au final. Si vous êtes intéressés, je vous le conseil. Il est en plus assez court pour être une bonne introduction. Personnellement, je connaissais surtout la marquise par le biais du roman de Catherine Hermary-Vieille, La Marquise des Ombres, qui reste une bonne production historique mais quand même une oeuvre romancée...et je ne pouvais m'empêcher de me la figurer avec les traits d'Anne Parillaud, qui l'interprète plutôt très bien dans le téléfilm tiré du livre d'Hermary-Vieille. Ici, on est dans un livre qui nous met en présence de la Marie-Madeleine historique. C'est une autre approche mais c'est tout aussi intéressant. 

    En Bref :

    Les + : une approche intéressante d'un personnage controversé.
    Les - : deux, trois petites coquilles. 

     

     


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  • Commentaires

    1
    Lundi 23 Janvier 2017 à 19:47

    En parlant de Catherine Hermary-Vieille, je viens de récupérer un roman qui s'appelle "Lola" et qui raconte le destin de Lola Montes. Je ne connais pas cette auteure, j'ai donc hâte de découvrir ce livre. 

    Pour en revenir à La Marquise de Brinvilliers, je trouve son destin fascinant. L'affaire des Poisons est une affaire judiciaire qui m'a énormément intéressé et qui m'intéresse d'ailleurs toujours autant aujourd'hui. Je pense également que le traumatisme qu'elle a subit l'a mené sur cette voie et qu'il est difficile de cerner une personnalité aussi complexe. Ce scandale historique a laissé des traces pendant de nombreuses années, a touché la maîtresse du roi elle-même et il y a encore beaucoup de zones d'ombres qu'on ne découvrira probablement jamais. Je suis curieuse de découvrir cette biographie ! 

      • Lundi 23 Janvier 2017 à 20:00

        Lola est l'un des rares romans de Catherine Hermary-Vieille que je n'ai pas lus ! arf Ah si, il y'a Lord James aussi... sarcastic Certains de ses romans sont plus faciles à trouver que d'autres. Quoi qu'il en soit, en ce qui concerne ceux que j'ai lus, je dois dire que j'ai toujours été agréablement surprise...j'ai eu dernièrement une petite déception avec Le Rivage des Adieux, une réécriture du fameux mythe de Tristan et Yseult, mais j'adore ses sagas historiques. Si tu n'as pas lu La Marquise des Ombres, sur madame de Brinvilliers, je te le conseille ! 

        L'approche d'Agnès Walch est un peu différente mais intéressante ! Il y'aura certainement toujours des zones d'ombres concernant l'Affaire des Poisons puisque Louis XIV lui-même a brûlé des papiers compromettants. Et plus on avance dans le temps, plus le flou devient intense... je n'avais jamais envisagé, jusqu'à la lecture de cette biographie, que Madame de Brinvilliers pouvait être une victime également, qu'elle ait porté le chapeau pour d'autres mais, après avoir lu la démonstration d'Agnès Walch, ça me paraît assez logique. 

        Je te conseille cette biographie...mais attention, il y'a des coquilles ! no

    2
    Mercredi 1er Février 2017 à 16:37

    Juste un petit message pour te dire qu'en allant à une bourse aux livres aujourd'hui, j'ai trouvé La marquise des ombres de Catherine Hermary-Vieille ! J'ai sauté sur l'occasion, je t'en dirais des nouvelles :) Merci pour le conseil en tout cas !

      • Mercredi 1er Février 2017 à 19:24

        Oh, alors ça, c'est génial ! Hâte hâte hâte de connaître ton avis ! 

        Au pire, si tu ne l'avais pas trouvé, on aurait pu s'arranger et je te l'envoyais pour que tu le lises ! ! sarcastic

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    3
    Samedi 11 Février 2017 à 19:33

    Tu dis déjà beaucoup de chose sur la Marquise de Brinvilliers - je suis ravie d'en apprendre plus sur elle - mais je vais creuser avec la lecture de cet ouvrage. Tu as réussi à attiser ma curiosité car s'il y a une analyse psychologique, je veux bien la lire. C'est vrai qu'aujourd'hui les méthodes ont beaucoup évolué et j'ai très envie de voir ce que cela donne sur une affaire passée. J'ai aussi le livre de Catherine Hermary-Vieille à lire mai je le lirai avec prudence du coup 

      • Samedi 11 Février 2017 à 22:52

        Le roman d'Hermary-Vieille est relativement fiable, historiquement parlant, si je me souviens bien. Mais je l'ai lu il y'a un moment maintenant et j'avoue ne pas me souvenir de tout. Il y'a aussi chez l'auteure une certaine empathie pour la marquise, chose qu'on ne peut retrouver bien sûr dans une biographie. Même si on sent que le personnage a interpellé Agnès Walch...en même temps, je crois que la marquise est assez fascinante...un mélange de répulsion et d'attirance nous fait nous intéresser à elle, je crois. Le côté affreux des meurtres qu'elle commet de sang-froid nous glace complètement mais, en même temps, on veut comprendre. Et c'est ça qui est intéressant, avec un livre comme celui-là : parce qu'à l'époque on n'avait même pas idée de chercher à comprendre un coupable ! 

        J'espère que cette étude te plaira ! Attention, deux ou trois coquilles se baladent ici ou là mais rien de grave ! sarcastic

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