• La Part de l'Aube ; Eric Marchal

    « Croyez-vous que le génie d'un seul homme puisse opérer une révolution sur toute une nation ? »

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     

    Publié en 2014

    Editions Pocket

    928 pages

    Résumé :

    Lyon, septembre 1777. Des textes gaulois sont découverts : ils traitent des origines du peuple français. L'avocat Antoine Fabert se retrouve propulsé au centre d'une bataille dont l'enjeu est colossal. Avec ses proches - un ténor du barreau lyonnais, un historien paralytique, un rédacteur de la première gazette sur l'actualité locale, une comédienne - il se lance à corps perdu sur la trace d'une mystérieuse statuette dont le secret pourrait à lui seul ébranler la royauté à la veille de la Révolution française. Une course-poursuite au cœur d'un siècle fascinant pendant lequel le peuple de France s'est écrit un nouveau destin...

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1777 à Lyon, des documents gaulois sont retrouvés dans une ancienne hypocauste, mise au jour lors de travaux, sur la colline de Fourvière. Découverts sur la propriété d'un avocat émérite de la cité, Antoine Fabert, ce dernier s'attelle à l'étude des textes, grâce à l'aide de l'historien Antelme de Jussieu. Mais à l'époque, découvrir de tels documents n'est pas forcément considéré comme une bonne chose...si, aujourd'hui, toute mise au jour de vestiges ou de textes anciens est un événement considérable pour le monde scientifique, susceptible de faire progresser la discipline, il n'en était rien encore il y'a deux-cent-cinquante ans. En 1777, la monarchie n'en a certes plus pour très longtemps mais elle est encore bien là et l'Histoire est instrumentalisée au profit de l'État et de la royauté. Les textes traduits par Antoine Fabert pourraient se révéler particulièrement explosifs et dangereux pour lui, car remettant en cause l'Histoire avantageuse créée de toutes pièces notamment par les prélats, pour servir la royauté. Aujourd'hui, l'historiographie contemporaine admet sans aucun doute possible les racines gauloises de notre pays et de notre culture, sans les porter aux nues de façon exagérée comme le font certains courants politiques, ceci étant dit. Au XVIIIème siècle, au contraire, il était inconcevable de considérer que l' Histoire de la France pouvait remonter au-delà du peuple franc, converti au catholicisme à la suite de son chef charismatique, Clovis, au Vème siècle. Admettre les racines païennes de notre pays, la culture orale des druides ou même le proclamer était une hérésie et les historiens ou érudits qui osaient le faire publiquement étaient passibles d'emprisonnement. En pleine émulation culturelle, en pleine époque des Lumières, il n'était pourtant pas si facile de bouleverser des idées établies depuis des siècles : car affirmer que le tiers état descendait d'un peuple soumis et surtout, sans culture connue, c'était légitimer la mainmise de la monarchie, alors que le contraire tendait à remettre en cause cette suprématie basée sur une interprétation fausse de l' Histoire. 
    C'est donc la quête d'Antoine et son combat pour établir la vérité, qu'Eric Marchal, grâce à un subtil mélange d'authentique et de fiction, se propose de nous raconter dans cet ambitieux roman de près de mille pages.

    Dès le départ, avant même de commencer, j'avais le sentiment que La Part de l'Aube était un roman ambitieux, sérieux, pour lequel l'auteur avait beaucoup travaillé, afin d'être le plus précis possible et ne rien laisser au hasard. Et ce sentiment s'est très vite confirmé.
    Je ne vous dirais pas que j'ai été captivée tout de suite et le suis restée jusqu'aux ultimes pages parce que ce serait malhonnête. J'ai parfois ressenti quelques longueurs, mais heureusement, l'intérêt du roman a pris le dessus. J'ai aimé la façon dont l'auteur abordait son sujet, jamais de manière frontale et directe, mais toujours en louvoyant, avec des chapitres qui s'arrêtent parfois un peu abruptement, mais toujours en faisant monter le suspense et, dans le même temps, la tension et l'intérêt du lecteur. 
    Il faut dire que le sujet choisi par Eric Marchal est très intéressant et il nous livre là un peu plus qu'un roman historique : La Part de l'Aube est aussi un roman historiographique, ce qui en fait une sorte d'ovni dans le paysage littéraire contemporain. 
    J'ai beaucoup aimé les personnages et le fait que l'auteur nous balade de l'Antiquité au XVIIIème siècle. Découvrir la Lugdunum du Ier siècle après J-C, ville florissante au confluent de la Saône et du Rhône, a pour moi été un vrai voyage. Je suis partie à la découverte d'un personnage, Louern, qui sera le fil conducteur de tout le roman. Je suis partie à la rencontre d'une civilisation assez extraordinaire quoique méconnue. Certes, les avancées scientifiques nous permettent de mieux appréhender le peuple gaulois dans toute sa globalité et sa complexité mais ce peuple, à l'origine du nôtre, reste encore entaché de beaucoup de clichés et idées reçues. Et l'époque des Lumières, époque de fleurissement intellectuel n'était pas tendre avec celles considérées comme barbares et incultes. On se rend compte que le XVIIIème siècle, connu pour être une ère d'émulation scientifique n'en restait pas moins frileuse, parfois, lorsqu'elle se trouvait face à une révélation à la portée absolument exceptionnelle et colossale. C'est tout le contraste d'un siècle si paradoxal : les mœurs qui se libèrent tout en étant condamnées, l'émancipation des préceptes religieux en même temps que la condamnation du chevalier de La Barre pour blasphème. Le XVIIIème siècle, dans toutes sa complexité et ses contradictions, est passionnant. C'est une époque si vive, si riche, qui préfigure la nôtre tout en restant encore attachée aux us et coutumes ancestraux.
    Sans être historien, Eric Marchal parvient à saisir cette complexité et à l'exploiter habilement, faisant s'opposer les fers de lance de la culture et ceux de la monarchie, agrippés à des principes surannés et en retard, qui font de la royauté française en cette fin de siècle, un colosse aux pieds d'argile. On pourrait croire alors que le roman est manichéen mais non, du moins, ce n'est pas ainsi que je l'ai ressenti. Chacun essaie de défendre son propre point de vue et parfois, sa propre vie et son propre équilibre, ce qui, au final, est légitime . Bien sûr que la vision monarchique de l'Histoire de France est vue comme rétrograde et dommageable par l'auteur et par son héros, Antoine, partisan du progrès. Pour autant, sans la partager, on comprend aussi les défenseurs d'une Histoire instrumentalisée et au service de la propagande royale, parce que remettre en question le système, c'était, à coup sûr, disparaître et, on le sait bien, le changement fait peur. Et puis il y'a aussi les irrécupérables, ceux qui aiment être mauvais, comme l'inspecteur Marais, plus soucieux de lui-même que du reste, les opportunistes qui se servent d'un combat qui n'est pas le leur pour en tirer le plus de bénéfices possibles.
    Justement, parlons-en, des personnages ! Ils m'ont tous, à leur manière, beaucoup plu et je crois que l'auteur a passé beaucoup de temps à les travailler pour leur donner autant de relief et de vérité. Ils sont très nombreux au point que, parfois, j'arrivais à les confondre... certains arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe, sans qu'on comprenne bien quelle est leur véritable portée. Et puis, au fil de la lecture, on se rend compte que tout est lié, personnages comme événements et qu'aucun n'apparaît par hasard. La Part de l'Aube est un écheveau, lentement tissé. Peu à peu, après avoir ressenti des longueurs, je me suis habituée à la lenteur apparente du récit, je l'ai même aimée. Pour utiliser des termes à l'opposé l'un de l'autre, La Part de l'Aube est lent et dynamique à la fois, comme une eau qui dort et peut s'éveiller à tout instant. Les personnages sont un grand atout du livre. Chacun a une personnalité propre et beaucoup de caractère, de détermination, à commencer par Antoine, le héros, avocat talentueux et à l'intelligence extraordinaire. Les autres personnages, qui gravitent autour de lui et peuvent apparaître comme secondaires ne le sont en fait pas du tout et j'ai appris à m'attacher à eux au fil des pages. 
    L'autre atout du roman, je crois, c'est qu'il se passe ailleurs qu'à Paris. Lyon est une ville que je ne connais pas mais que j'ai apprécié de trouver au centre du récit. Cette cité pluri-séculaire a un passé et une histoire extrêmement riche. L'ancienne capitale des Gaules, qui a vu naître l'empereur Claude, est au XVIIIème siècle une ville qui peut rivaliser à Paris et possède une industrie naissante, celle de la soie. Historiquement parlant, Lyon est une ville bigarrée, qui a connu successivement les influences impériale et française et qui a un passé antique intéressant, avec de nombreux vestiges de sa gloire passée. Il est intéressant aussi de voir comment les dernières décennies de la monarchie ont été perçues en province, comme il est intéressant de voir aussi comment la Révolution par la suite s'y développa. 
    Bref, La Part de l'Aube est un roman riche et complet. Ambitieux, comme je l'ai déjà dit plus haut, mais maîtrisé par son auteur, ce qui lui donne ainsi toute crédibilité. Eric Marchal est un auteur talentueux dont je connaissais pas l'univers, univers que je ne regrette absolument pas d'avoir découvert avec ce roman !
    L' autre atout du roman est sans nul doute la quête effrénée d'Antoine, qui nous permet de mieux comprendre la culture gauloise, en nous débarrassant des dernières idées reçues que nous pourrions encore avoir à l'esprit. C'est un peuple et une culture dans toute leur diversité qui nous apparaissent et j'ai beaucoup aimé
    La Part de l'Aube a mis du temps à me convaincre : les premiers chapitres m'ont déroutée, je dois bien l'avouer. Il m'a fallu du temps pour bien appréhender la pléthore de personnages et leurs caractéristiques propres. Mais une fois que l'ambiance du roman a pris, que je m'y suis habituée, ce ne fut qu'une très bonne expérience. Ce roman bien souvent ne se lâche qu'à regret. On veut continuer, encore et encore. Aller jusqu'au bout. 
    Après un début un peu lent, j'avoue que je me suis vite prise au jeu et que je suis sortie de ce livre un peu mélancolique. Je m'étais attachée aux personnages et habituée à son ambiance. Quand un livre nous paraît trop court, c'est bon signe, non ? La preuve avec ce roman !

    En Bref : 

    Les + : un roman ambitieux et pour lequel l'auteur s'est donné les moyens ; son travail est maîtrisé, son intrigue captivante et ses personnages attachants. Une réussite. 
    Les - : 
    un début un peu lent mais heureusement vite rattrapé par la suite de l'intrigue, ce n'est donc qu'un tout petit bémol.

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     Bingo littéraire du printemps


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  • Commentaires

    1
    Mercredi 26 Avril 2017 à 07:45

    J'avais lu Le soleil sous la soie du même auteur et j'avais beaucoup aimé, j'avais surtout appris beaucoup de choses sur la médecine et la chirurgie. La Part de l'Aube est dans ma PAL depuis un moment, ton avis aiguise ma curiosité et je me dis que je devrais le découvrir sous peu. Cela m'a l'air très intéressant.

    Bonne journée.

      • Mercredi 26 Avril 2017 à 18:24

        Ah ben du coup, tu me donnes envie de lire Le Soleil sous la Soie, qui est aussi dans ma PAL. ^^ J'ai ajouté La Part de l'Aube bien après mais c'était celui qui me tentait le plus ! N'ayant pas été déçue, je ne pense pas que je vais laisser traîner l'autre trop longtemps dans ma PAL ! ^^

        J'espère vraiment que tu aimeras La Part de l'Aube. C'est un roman extrêmement dense et qui peut faire peur mais il me semble que Le Soleil sous la Soie est un peu dans le même genre donc tu ne seras pas gênée je pense ! Pour moi en tous cas ce fut une très bonne découverte ! 

    2
    Mercredi 26 Avril 2017 à 11:05
    Je ne connaissais pas mais tu me donnes vraiment envie de découvrir ce roman
      • Mercredi 26 Avril 2017 à 18:26

        Oh je ne peux vraiment que te le conseiller ! J'ai passé un très bon moment même si le début m'a un peu effrayée. happy Au final, c'est un roman qui se lit très bien et nous apprend beaucoup. 

    3
    Vendredi 5 Mai 2017 à 23:57

    Oui, regretter qu'un livre soit trop court est toujours très bon signe ! Je l'avais apparement vu sur un autre blog mais ton avis confirme mon envie de le lire !

      • Samedi 6 Mai 2017 à 10:47

        Parfois, cela peut révéler une fin un peu abrupte mais, oui, en général, quand je dis dans une chronique que le bouquin a été trop court, c'est que j'ai passé un très bon moment et ne l'ai fermé qu'à regret. smile La Part de l'Aube fait partie de ces romans ambitieux qui tiennent toutes leurs promesses. Chapeau au romancier qui n'est pas historien de formation et qui, malgré quelques petits anachronismes  (assumés ceci étant dit ^^ ) nous restitue le XVIIIe siècle dans toute sa grandeur et sa complexité. Je sais que, comme moi, c'est une période qui te passionne : je ne peux donc que t'inciter à te lancer dans cette lecture. yes

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