• La Traversée des Temps, tome 1, Paradis perdus ; Eric-Emmanuel Schmitt

    « Je voyais comment un mythe naissait. Il avait pour père le sens, pour mère l'exagération. Il supposait que rien n'arrivait par hasard et que les événements contrastaient. L'esprit mettait de l'ordre dans le chaos, la sensibilité y ajoutait de l'art. Forcément, la fable déroulait un programme intelligent qu'aucun détail contradictoire ou superfétatoire ne brouillait. »

    Couverture La Traversée des Temps, tome 1 : Paradis Perdus

     

     

         Publié en 2021

      Éditions Albin Michel

      576 pages

      Premier tome de la saga La Traversée des Temps

     

     

     

     

    Résumé :

    Cette Traversée des Temps affronte un prodigieux défi : raconter l'histoire de l'humanité sous la forme d'un roman. Faire défiler les siècles, en embrasser les âges, en sentir les bouleversements, comme si Yuval Noah Harari avait croisé Alexandre Dumas. Depuis plus de trente ans, ce projet titanesque occupe Eric-Emmanuel Schmitt. Accumulant connaissances scientifiques, médicales, religieuses, philosophiques, créant des personnages forts, touchants, vivants, il lui donne aujourd'hui naissance et nous propulse d'un monde à l'autre, de la préhistoire à nos jours, d'évolution en révolution, tandis que le passé éclaire le présent.

    Paradis perdus lance cette aventure unique. Noam en est le héros. Né il y a huit mille ans dans un village lacustre, au cœur d'une nature paradisiaque, il a affronté les drames de son clan le jour où il a rencontré Noura, une femme imprévisible et fascinante, qui le révèle à lui-même. Il s'est mesuré à une calamité célèbre : le Déluge. Non seulement le Déluge fit entrer Noam-Noé dans l'Histoire mais il détermina son destin. Serait-il le seul à parcourir les époques ?

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Éric-Emmanuel a décidément le don de s’emparer de sujets originaux : après l’histoire de Jésus dans L’Évangile selon Pilate et la jeunesse d’Hitler dans La part de l’autre (et bien d'autres œuvres, romans et pièces de théâtre) pouvait-on s’attendre à autre chose de lui que raconter l’histoire de l’humanité depuis des temps immémoriaux, rien de moins ?
    Fruit d’un travail de recherches de trente ans, La traversée des temps est une vaste saga dont deux tomes pour le moment ont été publiés mais qui doit en compter huit. L’histoire de la Terre et de l’humanité y est racontée par Noam, né il y a plus de huit mille ans au bord d’un vaste lac qui, un jour, sera à l’origine d’un événement fondateur de notre Histoire commune mais qui n’est peut-être qu’une légende : le Déluge, ce fameux Déluge raconté dans la Bible et qui dure quarante jours, associé au personnage de Noé et de son arche dans laquelle il aurait sauvé les hommes et les animaux. Doté d’immortalité (ce qui est d'ailleurs plus une malédiction pour lui qu'une bénédiction) et d’une jeunesse éternelle qui lui permet de traverser les temps et de s’y adapter sans peine, Noam observe de loin les évolutions du monde, de l’humanité, de l’Histoire, ses sursauts, ses convulsions, ses horreurs comme ses progrès. Tel un philosophe doté d’une sagesse millénaire et d’une connaissance parfaite du passé, Noam nous délivre ses réflexions sur l’évolution, sur les hommes et le monde en général, posant un regard sans concession sur ses semblables et revivant avec nous un temps où l’état de nature n’était pas un mythe mais bien une réalité, avant que les éléments ne se déchaînent et ne forcent les hommes à s’adapter, à évoluer différemment, probablement pour leur malheur et surtout celui du monde qu’ils vont petit à petit asservir, l’humanité ne cessant de croitre et de se développer, modelant les territoires comme elle domestique les espèces.
    Mélange d’époques radicalement différentes, des rues surpeuplées du Beyrouth contemporain aux vastes territoires de la fin du néolithique, dans une nature luxuriante où animaux et hommes cohabitent dans une harmonie définitivement perdue, Paradis perdus est un premier tome dense et riche. Ambitieux serait le premier mot qui me viendrait à l’esprit pour décrire ce roman, follement original arrivant en deuxième position. Moi qui m’étais enthousiasmée pour la plume de Schmitt il y a une dizaine d’années, j’ai retrouvé avec plaisir son univers très particulier dans ce roman. Très bien écrit, ressemblant par moments à un conte philosophique, Paradis perdus n’est pas dénué de quelques longueurs, mais c’est le premier tome d’une formidable saga qui va embrasser plus d’un millénaire : on peut donc comprendre que l’auteur ait eu besoin d’appuyer sa saga sur des bases solides et peut-être ces longueurs sont-elles un « mal nécessaire ». Ici, nous découvrons Noam, son destin, son existence normale dans un village lacustre de la fin de la préhistoire : les sédentaires, établis dans des villages, pratiquant le commerce, l’artisanat, les débuts de la domestication des animaux et de l’agriculture, cohabitent encore avec des chasseurs-cueilleurs nomades, dont les points de chute ne sont jamais fixes et qui bougent au gré des saisons et de leurs besoins. La Terre est en pleine mutation, tant au niveau de ses occupants qu’au niveau de son climat, qui est en train de se réchauffer, entraînant de fait une montée des eaux (même si cela n’est pas prouvé scientifiquement, ce réchauffement climatique néolithique serait à l’origine de la création de la Mer Noire, anciennement un lac et qui devient une mer intérieure après sa submersion par la Méditerranée, un événement repris dans les textes et notamment dans la Bible où il est appelé…Déluge).

    Le Paradis terrestre d'Adam et Eve dans le tableau de Johann Wenzel Peter (début du XIXème siècle) pourrait rappeler par certains de ses aspects (luxuriance, harmonie des paysages, des animaux et des hommes) le monde connu par Noam et les siens avant le Déluge...


    Si Noam et ses semblables nous sont relativement familiers, malgré tout certaines caractéristiques leur sont propres : la vie harmonieuse avec une nature qui donne et qui n’est pas domestiquée, le mimétisme et l’observation de l'environnement qui permettent d’acquérir des connaissances médicales ou techniques, une existence rude et souvent courte mais pas dénuée de connaissances, d’amour et de bonheurs. Pour autant, tous ces personnages ne sont que des hommes au plus profond d’eux-mêmes, pas bien différents de nous, leurs descendants directs et auxquels on peut s’attacher assez facilement. Cette plongée au cœur d’une communauté du début des âges a quelque chose de très dépaysant, comme la découverte d’un monde inconnu, comme la découverte de nos propres racines.
    Ce roman a suscité chez ses lecteurs des avis assez tranchés. Je crois qu’on aime ou qu’on n’aime pas, il n’y a pas d’avis modérés, mais n’est-ce pas le propre des grands romans, après tout ? Il ne faut pas perdre de vue non plus que ce livre n’est qu’un roman, donc une œuvre de fiction et que si les recherches et les connaissances accumulées par Schmitt pendant trente ans ont permis de lui donner cohérence et vraisemblance, l’imagination prend aussi une grande part dans l’élaboration de l’œuvre (et je dois dire que si un ressenti est évidemment subjectif, certains arguments avancés, au vu de l’immensité de l’œuvre à venir, sont bien minces et parfois un peu superficiels à mon avis). Nous ne sommes pas ici face à un livre scientifique, destiné à énoncer une vérité vraie ou à apporter de nouvelles connaissances, un nouvel éclairage sur tel ou tel événement. Par exemple, quelle importance que le Déluge ne soit pas à l’origine de la Mer Noire ? Après tout, cela n’est qu’un petit dixième du roman et de la saga en général. Ce qui est intéressant, c’est cette idée colossale de raconter l’histoire de l’humanité à travers un personnage qui n’est pas tout à fait humain (ou plus tout à fait) et qui n’est pas exactement divin non plus. J’ai ressenti un peu ce sentiment d’une lecture atypique et déroutante, comme avec Circé, de Madeline Miller, où les dieux du panthéon grec n’avaient jamais présenté sous un jour aussi humain. Ici, ce sont la Bible et ses mythes qui n’ont jamais été aussi moins divins et semblent descendre à notre portée, mettant en avant l’essence humaine avant tout – sans pour autant la ménager, ni même notre société contemporaine et les évolutions dont elle résulte et qui ont donné autant de bon que de mauvais.
    Conte philosophique, roman historique, épopée, Paradis perdus est le premier tome d’une anthologie et le début d’une formidable lecture, je le sens – je devrais même dire d’une formidable aventure : car après avoir refermé ce premier opus, il est clair que je vais lire les suivants avec plaisir et intérêt, en espérant être tout autant séduite, voire plus. Une chose est sûre, ces retrouvailles avec Éric-Emmanuel Schmitt sont loin d’être manquées ! Moi qui avais tant aimé L’Évangile selon Pilate et La part de l’autre, c’est comme si je retrouvais un vieil ami.

    En Bref :

    Les + : roman hybride, ovni littéraire qui s'attaque à nos mythes fondateurs, Paradis perdus a quelque chose de déroutant, de follement ambitieux et d'original. Une lecture atypique et unique à l'image de l'univers de Schmitt.
    Les - :
    pas mal de longueurs mais qui sont malgré tout nécessaires pour poser l'intrigue.


    La Traversée des Temps, tome 1, Paradis perdus ; Eric-Emmanuel Schmitt

      Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 25 Mars 2022 à 11:27

    Ça fait très très longtemps que je n'ai pas lu un livre d'Eric-Emmanuel Schmitt ! Sans raison aucune d'ailleurs. Je suis donc assez intriguée par ce livre mais je ne suis pas totalement convaincue que ça me plaira... À découvrir donc !

      • Dimanche 27 Mars 2022 à 11:16

        Pareil pour moi, j'ai lu La part de l'autre il y a au moins 10 ans et L'évangile selon Pilate encore avant mais je me souviens que j'avais beaucoup aimé ces deux romans ! J'avais choisi le second un peu par hasard, je trouvais le résumé intéressant et intrigant et, en effet, j'ai beaucoup aimé. L'essai a ensuite été transformé avec La part de l'autre. 

        Ce que je retiens de Schmitt, c'est qu'il a un univers très personnel et original et quand je me suis renseignée sur cette nouvelle saga, je me suis dit : effectivement, il n'y avait que lui pour nous inventer une telle anthologie. Ce premier tome n'est pas dénué de longueurs mais il pose les bases d'une immense saga qui comptera huit tomes, je crois. L'originalité et le style de l'auteur ont emporté mes suffrages. J'ai hâte de lire la suite puis d'arriver aux époques que j'aime le plus (le Moyen Âge, notamment). 

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