• La Voix Secrète ; Michaël Mention

    « Hommes, est-ce ma faute si je vous ai vus tels que vous êtes? Est-ce ma faute si j'ai vu partout l'intérêt personnel se couvrir du manteau de l'intérêt social, l'indifférence se cacher derrière l'amitié et le dévouement, la méchanceté et l'envie de nuire se décorer du beau nom de la vertu et de la religion ? »

    La Voix Secrète ; Michaël Mention

    Publié en 2017

    Éditions 10/18 (collection Grands Détectives)

    231 pages

    Résumé :

    Durant l'hiver 1835, sous le règne de Louis-Philippe, la police enquête sur des meurtres d'enfants. Tous les indices orientent Allard, chef de la Sûreté, vers le célèbre poète et assassin Pierre-François Lacenaire. Incarcéré à la Conciergerie, ce dernier passe ses nuits à rédiger ses Mémoires en attendant la guillotine. Alors que les similitudes entre ces crimes et ceux commis par Lacenaire se confirment, Allard décide de le solliciter dans l'espoir de résoudre au plus vite cette enquête tortueuse. Entre le policier et le criminel s'instaure une relation ambiguë, faite de respect et de manipulation, qui les entraînera tous les deux dans les bas-fonds d'un Paris rongé par la misère et les attentats.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1835, Paris est endeuillée par des crimes horribles commis sur des enfants. La police est sur les dents, alors que la ville, bruyante et sale, est figée dans un hiver glacial. Le mode opératoire ramène les enquêteurs vers Pierre-François Lacenaire (1803-1836), incarcéré à la Conciergerie et attendant son tour pour l'échafaud. Poète dandy et assassin, gentleman cambrioleur à la Arsène Lupin, l'homme est une figure de la criminalité parisienne à cette époque et s'occupe, en sa cellule, à écrire ses Mémoires. Tout porte à croire qu'un admirateur, dans la nature, copie ses crimes et sème ses petites victimes partout dans Paris, suscitant la panique et la psychose. Allard, chef de la Sûreté et son adjoint, Canler, se jettent dans la mêlée, bien décidés à lever enfin le voile sur ces meurtres en série, tous plus horribles les uns que les autres...
    En se basant non seulement sur des personnages historiques authentiques mais aussi sur un contexte exhaustif, Michaël Mention nous livre là un roman, certes court mais tellement intense ! Il nous entraîne dans une ambiance glauque, poisseuse et tortueuse et ne nous lâche plus ! Quelle fougue, quel talent ! ! Finalement, plus qu'un vrai roman policier, j'ai plus eu l'impression de lire un roman purement historique, dense et riche, où l'enquête policière passe au second plan : du moins, est-ce ainsi que je l'ai ressenti, lors de cette lecture. Même si on baigne dans le crime le plus sordide du début jusqu'à la fin, ce qui m'a surtout sidérée, c'est ce que l'auteur fait de son contexte. Nous sommes sous le règne de Louis-Philippe, un règne instable, qui a commencé sous les bons auspices des Trois-Glorieuses avant de basculer ; le roi des Français est victime d'attentats récurrents des Républicains, qui endeuillent la capitale. Et surtout, ce règne bourgeois dont on a tant attendu, après celui, rigoureux et rétrograde, de Charles X, tend à se durcir de plus en plus, entre répressions de plus en plus féroces et censure de la presse... C'est donc dans un contexte politique tendu que surviennent ces meurtres affreux, d'autant plus sordides qu'ils touchent des enfants. En ce qui concerne ceux-ci, rien ne nous permet d'affirmer qu'un tueur en série a sévi à Paris entre décembre 1835 et janvier 1836 mais j'ai trouvé l'idée habile.
    Mais là où réside certainement tout le talent de l'auteur, c'est de s'être aussi bien approprié l'époque, pour donner naissance à un roman naturaliste aux accents zoliens, qui n'a rien à envier aux plus grands romans du Grand Émile : il y'a du Germinal, de L'Assommoir, de La Bête Humaine dans La Voix Secrète ! Franchement... Dans une ville sale et pourrissant dans ses rues médiévales, qui craque de partout sous l'effet d'une modernité galopante, dans une capitale populaire et populeuse, où la pauvreté et la misère sont endémiques et donc, de fait, la violence, la police a fort à faire, surtout quand elle tombe sur plus fort qu'elle, comme avec Lacenaire, homme instruit et talentueux, mais aussi criminel notoire.
    La prouesse de Michaël Mention, c'est vrai d'avoir rassemblé entre ses mains une époque, au point de la maîtriser complètement, de son contexte politique jusqu'au plus trivial de ses quartiers, de son langage le plus châtié au plus populaire, du plus beau au plus dégueulasse : il en a fait une boule, comme de la pâte à modeler, qu'il a ensuite étirée à loisir ! Ils sont rares les auteurs qui finissent par connaître aussi bien leur objet d'études et c'est vraiment ce qui m'a le plus plu dans ce roman. Loin de se servir de son contexte comme d'un prétexte, l'auteur en a fait un personnage à part entière de son intrigue et il est vrai que c'est une période passionnante que l'auteur a choisie ici, une période paradoxale aussi et une période charnière, entre ère moderne et ère contemporaine, une période où l'industrialisation, en France, prend de plus en plus d'essor, où ont lieu les premières revendications salariales et où les premiers syndicats font leur apparition, une période aussi à la police, de plus en plus, se fait scientifique et où la médecine devient légale...
    Enfin, l'autre gros, gros point fort de La Voix Secrète, au-delà de la grande maîtrise de l'auteur, au-delà même du fait qu'il est parfaitement abouti, c'est le style. Une intrigue peut être très bonne mais desservie par un style inégal. Rien de tout ça ici et s'il y'a bien une chose que j'aime, c'est être séduite par une plume que je découvre pour la première fois. Michaël Mention a une plume fine, ciselée et, en même temps, brute de décoffrage et percutante et je crois qu'elle participe pleinement aussi à nous plonger dans ce sombre Paris des années 1830, des rues enneigées jusqu'aux allées des Halles, en passant par les pavés ensanglantés des abattoirs... S'il y'a bien une chose dont on ne peut taxer l'auteur, c'est d'un manque de talent. Et le roman, pourtant, est court ! Malgré tout, c'est en quelques pages seulement qu'on se fait une idée et, en ce qui me concerne, ça a pris tout de suite et je ne crois pas exagérer en disant que ce roman, réellement, m'a mis une claque ! Il m'a retournée, il m'a révulsée parfois, il m'a dégoûtée et si La Voix Secrète avait été un film, j'aurais peut-être parfois détourné le regard... Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de tourner les pages et, une fois que j'ai eu ouvert ce roman, il a été difficile pour moi de le refermer. Ce XIXème siècle gangréné par la criminalité, par la corruption, par la pauvreté est une époque encore suffisamment proche de nous pour nous faire réfléchir, tant sur les hommes que sur la politique... J'ai aimé aussi que l'auteur nous emmène à la découverte de personnages historiques authentiques, à commencer par Lacenaire, qui fait partie de ces personnages qui, malgré les crimes qu'ils ont pu commettre, sont aussi habités d'une aura qui fascine... J'ai aimé Allard et Canler, les deux flics, différents, qui exercent aussi leur métier différemment et le conçoivent aussi différemment, pour tout un tas de raisons personnelles... Allard et Canler ont tous deux existé, eux aussi... Dans ce roman, Michaël Mention leur redonne une voix et nous les fait découvrir.
    Court, mais dense, La Voix Secrète est un très bon roman, je ne peux rien dire de plus. Si je le conseille ? Bien sûr ! Et plutôt deux fois qu'une d'ailleurs, autant aux amoureux des romans historiques purs et simples, qu'aux enquêteurs dans l'âme. Si vous aimez le XIXème et ses romans naturalistes, vous ne serez sûrement pas déçus par celui-ci, qui n'a rien à leur envier.

    En Bref :

    Les + : l'intrigue, entre enquête policière et parfait portrait sociétal et historique ; le style, également, sans aucun doute !
    Les - : Aucun. Ce roman est parfaitement abouti.


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 11 Novembre 2018 à 16:47

    Une fois de plus tu me fais découvrir un auteur et une oeuvre. Je suis déjà triste d'avance pour ces enfants mais j'ai bien envie de découvrir l'aspect naturaliste de ce récit ;-)

      • Jeudi 5 Septembre 2019 à 13:45

        C'est un roman surprenant mais à découvrir... happy

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