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Le grand amour de Marie-Antoinette ; Evelyne Lever
« J'existe mon bien aimé et c'est pour vous adorer. Que j'ai été inquiète de vous, et que je vous plains de tout ce que vous souffrez de n'avoir point de nos nouvelles ! »
Publié en 2022
Éditions Pocket
432 pages
Résumé :
« J'existe mon bien-aimé et c'est pour vous adorer. »
Jusqu'à ce jour, l'histoire d'amour que les historiens prêtaient à Marie-Antoinette était restée à l'état d'hypothèse. Que la reine se soit entichée du comte de Fersen, et qu'il l'aimât en retour ? Leur correspondance secrète, découverte en 1982, le laissait entendre...Aujourd'hui que les technologies de pointe ont évolué, ce sont ses passages caviardés, raturés, censurés qu'elles nous donnent à lire - révélant entre l'Autrichienne et le gentilhomme suédois, depuis les fastes de Versailles jusqu'aux soubresauts de la Terreur, l'une de ces passions totales dont on fait les grandes tragédies.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
S'il fallait résumer en peu de mots le destin de Marie-Antoinette, la description de son exécution, le 16 octobre 1793 serait probablement la phrase la plus efficace et la plus représentative : « Le 16 octobre, à midi et quart, elle gravit les marches de l'échafaud et entra dans la légende. »
Que dire, à part que cette phrase recèle à elle seule toute l'aura de la reine, toute la légende Marie-Antoinette ? Parlerait-on encore d'elle si elle s'était tranquillement éteinte à Versailles à un âge respectable ou si elle était morte en couches ? On l'aurait probablement aujourd'hui complètement oubliée. Mais son destin tragique et tous les mécanismes spectaculaires qui semblent y conduire, comme une course à l'abîme irrémédiable ont contribué à forger une légende par le prisme de laquelle nous sommes aujourd'hui souvent tentés de regarder la reine. Et, entre ceux trop enclins à la salir et ceux qui, au contraire, l'encensent au point d'en faire une sainte, le contre-sens remplace souvent l'objectivité et la distanciation nécessaires à tout historien.
Tout avait pourtant si bien commencé : certes, Marie-Antoinette n'est pas très bien mariée et elle n'a qu'indifférence pour un jeune mari effacé qui ne l'aide pas beaucoup et qu'on la presse pourtant d'aimer et de soutenir. Mais elle est aimée du peuple français qui l'acclame follement à chacune de ses apparitions parisiennes. Et elles sont nombreuses car Louis XV, qui s'est pris d'affection pour cette petite-fille fraîche, affectueuse et spontanée qui lui tombe du ciel, l'autorise à fréquenter la capitale...les débuts de Marie-Antoinette et de la France sont une lune de miel, qui se transformera en un calice amer que la reine devra boire jusqu'à la lie.
Parmi tous les griefs que ses détracteurs ont pu lui reprocher, de son vivant et après, c'est sa coterie, ces mauvais génies qui ont profité d'elle, à commencer par le clan des Polignac. Parmi ces favoris, il y eut aussi des hommes et le plus important est sans nul doute le comte Axel de Fersen, que Marie-Antoinette rencontre à l'âge de dix-huit ans lors d'un bal donné à l'Opéra. Incognito, la Dauphine engage la conversation avec ce jeune homme gentilhomme suédois qui est alors en train d'accomplir son Grand Tour. Lorsqu'elle le reverra par la suite à la Cour, alors qu'elle est devenue reine de France, elle aura d'ailleurs cette phrase : « Ah, mais c'est une vieille connaissance ! », preuve qu'elle n'a pas oublié le charme du jeune homme.
Marie-Antoinette et Fersen sont liés dans une légende commune, une légende amoureuse qui a traversé les siècles et fait couler beaucoup d'encre. Car après tout, qu'y a-t-il de plus tragique - mais aussi de plus répréhensible - qu'une reine s'éprenant d'un autre homme que son mari et qui ne s'en cache pas ?Les caviardages sont ces ratures sur certaines parties des lettres qui ont laissé penser qu'ils cachaient peut-être des mots tendres ou amoureux : les chercheurs se sont aussi rendu compte que des informations politiques ou diplomatiques étaient dissimulées dans la correspondance secrète
Que ce soit clair, malgré le décaviardage de la correspondance secrète de la reine et d'Axel de Fersen, nous ne pouvons encore aujourd'hui répondre avec certitude à la question accrochée à toutes les lèvres depuis les années 1780 : Marie-Antoinette et Fersen ont-ils été amants ? Leurs lettres, écrites qui plus est dans un contexte politique des plus complexes, ne laissent rien entendre qui puisse confirmer ou infirmer ce fait. Mais ce qui apparaît comme incontestable, c'est qu'une affection sincère unissait ces deux êtres et qu'ils se sont probablement aimés, effectivement et malgré tout.
Si Fersen entretint d'autres relations amoureuses et ne s'en priva pas - notamment avec la fameuse Madame Sullivan -, il n'en reste pas moins fidèle à la cause de la reine et de la royauté en général et sera le soutien de Marie-Antoinette et Louis XVI dans l'échappée de Varennes. De Bruxelles, il apportera conseils et écoute à la reine isolée aux Tuileries, en proie à l'incertitude, à la terreur et à l'indécision du roi. Si on peut être tenté de voir en Fersen un mauvais conseilleur, qui poussa peut-être la reine dans la mauvaise voie, la nuance voudrait cependant qu'on loue sa constance et sa fidélité dans des circonstances que d'autres avaient utilisées pour justement prendre leurs distances avec la royauté ou poursuivre leurs propres intérêts.
Ce livre n'a ni pour but de ternir l'image de la reine, ni de la réhabiliter en niant des faits historiques incontestables aujourd'hui - oui, Marie-Antoinette était probablement amoureuse de Fersen et il le savait. Si vous vous attendiez à des révélations fracassantes, vous risquez d'être déçu mais vous pourrez aussi découvrir la correspondance secrète et échangée par Marie-Antoinette et Fersen jusqu'au milieu de l'été 1792 et qui nous éclaire non seulement sur les agissements de la reine durant les premières années de la Révolution, mais aussi sur les liens qui les unissaient tous deux, faits de beaucoup de tendresse et de confiance mutuelle.
Si le fond m'a passionnée, comme bien souvent les livres d'Evelyne Lever, toujours captivants, bien écrits et rigoureux, j'ai été toutefois moins convaincue cette fois par la forme : je crois que j'aurais préféré que les lettres soient présentées et éclairées à l'aune du contexte dans lequel elles ont été écrites plutôt que d'avoir d'abord, une première partie consacrée à découvrir comment Marie-Antoinette a pu rencontrer Fersen puis tisser avec lui des liens qui dépassaient la simple amitié ou la simple courtisanerie puis une seconde partie qui tient pas mal du bloc et qui nous présente les lettres les unes après les autres, avec certes des notes de bas de page très intéressantes mais j'ai eu l'impression que cela cassait mon rythme de lecture et je me suis sentie moins partie prenante. Finalement, les découvertes effectuées en 2020 concerne un infime pourcentage de cette correspondance qui avait déjà été étudiée à fond depuis sa découverte dans les années 1980. Les différents examens et notamment les scanners de pointe qui ont permis de passer outre le caviardage e t les ratures ne font que confirmer ce que les historiens présupposaient déjà : les ratures ou autres pontillés dans les lettres recopiées dissimulaient des adresses tendres et amoureuses certes mais pas inconvenantes pour autant et surtout, ils ne dissimulent pas que cela...Fersen comme la reine y avaient recours aussi pour masquer certaines informations politiques importantes et qui devaient rester secrètes et connues d'eux seuls.
Pourtant, ce livre reste intéressant et éclairant car il prend un autre angle de vue : derrière la reine apparaît la femme, une femme qui n'a pas choisi de devenir reine ni même de tomber amoureuse d'un autre homme que le mari qu'on lui a choisi pour servir de gage à une alliance entre deux pays. Marie-Antoinette n'a probablement été ni plus pure, ni plus fautive que bien d'autres femmes de l'Histoire. Elle a pourtant cristallisé sur sa tête une haine immense qu'il est bon aujourd'hui de dissiper par tous les moyens sans pour autant dédouaner la reine des erreurs et des faux-pas qu'elle a pu commettre. Et tant que nous n'aurons aucune information concernant une possible relation charnelle entre elle et Fersen, accordons-lui le bénéfice du doute en ne lisant ses lettres que pour ce qu'elles sont : celles de deux personnes qui se sont aimées et auraient peut-être pu le faire au grand jour si elles n'avaient pas été ce qu'elles étaient...Réputé pour son charisme et son charme naturel, Axel de Fersen était connu pour avoir eu beaucoup de succès auprès des femmes
En Bref :
Les + : toujours aussi intéressant, comme tous les livres d'Evelyne Lever consacrés à Marie-Antoinette et à la Révolution.
Les - : je suis plus perplexe concernant la forme : je crois que j'aurais préféré que les lettres soient intégrées au propos et expliquées, plutôt que présentées en annexe car cela casse un peu le rythme de lecture.
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Tags : Essai, Histoire, XVIIIème siècle, Révolution française, Marie-Antoinette, Littérature française
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Commentaires
C'est en effet dommage si les lettres ne sont pas expliquées... mais comme j'adore la figure de Marie-Antoinette, je lirai très probablement ce livre. J'aime beaucoup le travail d'Evelyne Lever !
Je crois que j'aurais préféré que les deux propos soient mélangés plutôt que présentés à part...ça forme un espèce de gros bloc en fin de lecture qui est assez surprenant alors que le propos d'Evelyne Lever est toujours aussi passionnant à lire !
Surtout que, finalement, on se rend compte que les lettres présentées dans l'ouvrage n'étaient pas entièrement caviardées et parlent essentiellement de politique, de jeux diplomatiques pas toujours très simples à suivre, ce qui fait qu'après avoir parlé de l'histoire d'amour (certes platonique, mais histoire d'amour quand même) entre la reine et Fersen, on perd un peu d'enthousiasme à la lecture de l'ouvrage... Dommage, sans être catastrophique toutefois.