• Les Déracinés, tome 1 ; Catherine Bardon

    « Mais le destin est une chose étrange qui se moque des hommes et s'invente après coup. »

    Couverture Les déracinés

     

     

       Publié en 2019

      Editions Pocket 

      768 pages 

      Premier tome de la saga Les Déracinés

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Almah et Wilhelm se rencontrent dans la Vienne brillante des années 1930. Après l'Anschluss, le climat de plus en plus hostiles aux juifs les pousse à quitter leur ville natale avant qu'il ne soit trop tard. Perdus sur les routes de l'exil, ils tirent leur force de l'amour qu'ils se portent : puissant, invincible, ou presque. Ils n'ont d'autre choix que de partir en République dominicaine, où le dictateur promet 100 000 visas aux juifs d'Europe. Là, tout est à construire et les colons retroussent leurs manches. Pour bâtir, en plein cœur de la jungle hostile, plus qu'une colonie : une famille, un avenir. Quelque chose qui ressemble à la vie, peut-être au bonheur...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Quand Wilhelm rencontre Almah, au début des années 1930, Vienne est une ville florissante : carrefour de l'Europe occidentale et de l'Europe orientale, l'ancienne capitale des Habsbourg est une la capitale des auteurs et des artistes. Wilhelm et Almah ne viennent pas du même milieu : sa famille à lui est bien plus modeste que sa famille à elle...mais ils se plaisent, tombent amoureux et l'idylle se transforme en fiancailles puis en mariage. Ah oui, et n'oublions pas de le préciser : Wilhelm et Almah font tous les deux partie de la population juive autrichienne, estimée à 200 000 personnes dans les années 1930.
    Puis le triomphe du parti nazi en Allemagne conduit à l'annexion pure et simple de l'Autriche, en 1938 : les lois anti-juives y sont appliquées tout aussi durement que de l'autre côté de la frontière. Wilhelm, Almah et leurs familles se retrouvent subitement du mauvais côté de la barrière, stigmatisés, ostracisés, soudain relégués au rang de citoyens de seconde zone voire d'indésirables.
    Imaginez un peu la situation : vous naissez dans un pays qui vous donne une nationalité, une identité. Votre famille y est installée, intégrée depuis des générations sans que sa judéité ne lui ait jamais posé de problèmes. Vos parents y ont travaillé et fait leur vie comme vous espérez vous-même le faire. Vous vous mariez, vous avez des enfants, vous faites des projets...vous êtes jeune et la vie vous sourit. Et puis, soudainement, tout s'écroule : on vous jette votre identité au visage comme si elle était condamnable, on vous ostracise et on vous pointe du doigt au prétexte que vous êtes Juif et peu importe si cela veut dire quelque chose pour vous ou pas. D'un coup, vous n'êtes plus rien, vous ne comptez plus. Vous êtes relégué au plus bas de la hiérarchie humaine, si tant est que vous soyez encore considéré comme tel...d'un coup, vous n'êtes plus rien, vous êtes un paria dans un pays qui vous a vu naître et qui, soudain, vous est aussi étranger que le bout du monde.
    C'est ce que vont vivre Wilhelm et Almah qui, à plus ou moins long terme, vont être obligés de quitter l'Autriche : et ce n'est pas qu'une question d'idéologie mais bien une question de vie et de mort.
    Tandis que la patrie de Freud et de Zweig connaît une hémorragie de ses talents et que certains choisissent une solution plus radicale que l'exil pour échapper à l'ogre nazi qui avance à pas de géant, que l'Autriche devient un simple satellite du Reich allemand, Almah et Wilhelm fuient, laissant tout derrière eux. Mais ils ne sont pas encore au bout de leurs peines : il va encore leur falloir traverser toute l'Europe de l'ouest qui, petit à petit, tombe à son tour sous la coupe de Hitler, traverser un océan, s'échouer sur Ellis Island aux portes de New York, face à une Amérique qui les nargue, avant de rallier une petite île des Caraïbes, la République dominicaine du dictateur Trujillo, qui a promis aux Juifs exilés d'Europe des visas. Là, avec d'autres, Almah et Wilhelm posent leurs valises : il y'a tout à faire, tout à découvrir et surtout tout à reconstruire, à commencer par leurs propres vies...
    Si vous pensiez, comme j'ai souvent été tentée de le faire, que seuls les auteurs anglo-saxons savent écrire de grandes sagas romanesques pleines du souffle de l'Histoire, alors ce roman de Catherine Bardon vous détrompera, car Les Déracinés, qui est le premier tome d'une trilogie, est bien une fresque à lui tout seul. Quelle force, quelle puissance ! Quelle émotion, surtout ! Voilà un roman vibrant comme il m'en a été peu donné de lire jusque là, un roman avec lequel on fait corps, tout entier. En suivant Almah et Wilhelm de la florissante Vienne du début des années 1930, dont les heures, déjà, sont comptées, jusqu'au début des années 1960, alors que Cuba s'embrase et que les tous puissants Etats-Unis réaffirment leur force dans le golfe du Mexique, c'est tout un pan de l'Histoire contemporaine que Catherine Bardon nous raconte sans fausse note. Des cafés viennois jusqu'à la jungle dominicaine, les protagonistes des Déracinés font partie d'une grande histoire commune tout aussi passionnante que difficile : après la guerre, ce sont les retentissants procès de Nuremberg c'est la création de l'Etat d'Israël, puis la décolonisation difficile qui marquera la décennie suivante, l'affaire des missiles de Cuba, l'accession au pouvoir de Castro, l'assassinat de Trujillo, la mort des soeurs Mirabal, le 25 novembre 1960, le procès d'Eichmann qui se tient en Israël en 1961... Almah, Wilhelm et leurs enfants vieillissent et grandissent dans un monde en pleine émulation, qui semble en pleine effervescence et produit le meilleur comme le pire, porteur d'espoir mais encore, des pires atrocités, comme un éternel recommencement.
    Oui, vraiment, c'est passionnant : Les Déracinés est un bon pavé de presque 800 pages et pourtant, on ne les voit pas passer... aucune lassitude n'est venue entacher ma lecture, aucune petite faiblesse en cours de route comme cela peut arriver parfois avec les gros romans. A aucun moment je n'ai senti mon attention se relâcher : j'étais à Vienne comme à Sosùa, j'ai communié avec les personnages dans leurs joies comme dans leurs peines.
    Ce qui est terrible avec ce roman, c'est de se dire que, ce que tout ce que raconte Catherine Bardon est vrai. Terriblement vrai. Et que, même si Almah et Wilhelm sont des personnages fictifs, ils incarnent à eux-seuls tous ces déracinés qui ont fui leurs pays, leurs villes, leurs maisons, sans se retourner, pour sauver leur peau, pour sauver les leurs... Almah et Wilhelm sont des personnages fictifs mais les lieux qui'ils sillonnent sont véridiques : la ville dominicaine de Sosùa accueillit effectivement entre 500 et 5000 juifs allemands et autrichiens après que le pouvoir en place leur ait promis des visas lors de la conférence d'Evian en 1938. Almah et Wilhelm ne sont que deux mais représente cette multitude obligée de se reconstruire ailleurs, à l'autre bout du monde, porteuse d'un passé bien lourd, avec lequel il va falloir apprendre à vivre.
    Même si l'adversité est omniprésente dans le roman, l'espoir n'en est pas pour autant absent : ce roman est la preuve qu'on peut survivre à tout. On en ressortira cabossé et parfois très abîmé mais, toujours, la vie triomphe. « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » : cet adage n'a jamais été aussi fort ni aussi probant qu'à la lecture de ce très beau roman qui vous fera passer par toute une gamme d'émotions et décrit aussi sans concession et sans l'édulcorer un contexte historique qui fait partie de notre passé commun et dont il est important de se souvenir.
    A lire si vous aimez les fresques familiales qui font voyager et qui sont instructives (j'ai par exemple découvert avec intérêt cette diaspora juive dans les Caraïbes entre la fin des années 1930 et la fin de la Seconde guerre mondiale, dont je n'avais jamais entendu parler) et si vous sentir remué par un roman ne vous fait pas peur. Il se peut que vous pleuriez et que vous soyez ému mais n'est-ce pas cela aussi, qui fait la beauté d'une oeuvre, quand elle est suffisamment sincère pour provoquer en nous des sentiments purs et émouvants ? A recommander mille et mille fois.

    En Bref :

    Les + :  Catherine Bardon signe un roman vibrant d'émotion en retraçant sur près de 30 ans la vie d'un couple de Juifs autrichiens qui fuient le nazisme...entre tragédies et reconstruction, ces déracinés nous émeuvent et, porteurs d'espoirs, nous font entrevoir que, toujours, la vie triomphe au bout du compte.  
    Les - :
    Aucun. Vraiment une belle découverte !


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