• Les Portraits de Joséphine ; Tara Conklin

    « J'éprouvai la sensation aiguë que quelque chose ne tournait pas rond dans ce monde qui tolérait, et même encourageait, que l'on inflige des souffrances sans raison et en toute impunité. »

    Les Portraits de Joséphine ; Tara Conklin

     

    Publié en 2013 aux Etats-Unis ; en 2017 en France (pour la présente édition) 

    Titre original : The House Girl

    Editions Pocket 

    507 pages 

    Résumé : 

    Virginie, 1848. Joséphine, 17 ans, esclave depuis l'enfance dans une plantation, voit sa maîtresse, l'artiste peintre Lu Anne Bell, dépérir. Ne pouvant plus compter sur sa protection, elle s'enfuit dans l'espoir d'offrir une vie meilleure à l'enfant qu'elle porte. 
    New York, 2004. Lina Sparrow, avocate, défend les droits des descendants d'esclaves. Elle découvre l'histoire de Joséphine, que les experts soupçonnent d'être la véritable artiste à l'origine des tableaux signés Lu Anne Bell. Convaincue d'avoir trouvé le cas parfait pour illustrer la cause qu'elle défend, Lina entreprend de retracer son histoire. 
    Au fil de ses recherches, elle en vient à se questionner sur sa propre famille et sur les mystères entourant la mort de sa mère. En plongeant dans le passé d'une esclave en fuite, Lina pourrait bien se découvrir elle-même...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1852, Joséphine, jeune esclave de dix-sept ans, s'enfuit une seconde fois de la plantation de Bell Creek, en Virginie et disparaît.
    En 2004, Lina Sparrow, avocate new-yorkaise, se voit confier un dossier en réparation qui a trait à l'esclavage : un grand industriel demande à son cabinet de lancer une procédure pour dresser le bilan humain et financier de l'esclavage. C'est un gros dossier et Lina et l'un de ses confrères se voient confier la mission de trouver un demandeur, c'est-à-dire une personne qui pourrait représenter cette cause devant les tribunaux. En faisant des recherches, la jeune femme remonte alors la piste de cette fameuse Joséphine, esclave domestique en Virginie entre la fin des années 1840 et le début des années 1850, date de sa deuxième fuite. Elle ne travaillait pas aux champs, contrairement aux autres esclaves de Bell Creek mais près de la maîtresse de maison, Lu Anne Bell, peintre renommée, considérée a posteriori comme une artiste à l'engagement féministe -j'ai fait quelques recherches et ce personnage est fictif, tout comme Joséphine. Lu Anne est surtout une femme malade, abandonnée par son mari et souffrant d'une sévère mélancolie depuis la mort successive de ses enfants et les nombreuses fausse-couches subies. Joséphine est une adolescente isolée, seule dans la grande maison, soumise au maître qui n'hésite pas à la rejoindre dans sa petite chambre au grenier et elle doit veiller sur sa maîtresse, particulièrement faible, physiquement comme mentalement. Lu Anne a appris à lire et écrire à Joséphine mais surtout, elle lui a appris à peindre et il se pourrait que certaines œuvres présentées depuis cent-cinquante ans comme celles de Lu Anne soient en fait celles de Joséphine, ce qui, bien évidemment, n'arrange personne. C'est un point de départ pour Lina qui va l'emmener jusqu'en Virginie, à Bell Creek devenu une sorte d'atelier communautaire et un musée et sur les traces de Joséphine, qui semble se volatiliser après la mort de sa maîtresse, en 1852.
    Le roman de Tara Conklin ressemble à bien d'autres que j'aie pu lire ces dernières années : j'ai retrouvé les univers de Katherine Webb, de Kate Morton et ce roman m'a aussi fortement évoqué Le Jardin au Clair de Lune que j'ai lu au début de l'été dernier et le roman de Sarah McCoy Un Parfum d'Encre et de Liberté qui traite sensiblement du même sujet : l'esclavage et le chemin de fer clandestin. En soi, il n'est pas révolutionnaire et l'auteure applique un schéma qui est effectivement vu et revu, mais qui, pour moi, est efficace...cette alternance des époques, le personnage contemporain qui part sur les traces du personnage historique et parvient, via cette quête, à exorciser ses propres démons. Ca pourrait être répétitif, j'en conviens mais je trouve que c'est une autre manière d'aborder le roman historique qui peut être intéressante, notamment pour ceux qui n'aiment pas forcément ce genre ou appréhendent de le découvrir. L'alternance des époques permet de ne pas se lasser, on découvre en parallèle les histoires de deux personnages qui finissent par se lier d'une manière ou d'une autre et c'est plutôt sympa.
    J'ai vite été captivée par ce roman. Pourquoi, je n'en sais rien, parce que ce n'est pas le premier que je lis sur le sujet, mais j'ai trouvé que Tara Conklin décrivait avec finesse ce que pouvait être la vie sur une plantation américaine quelques années seulement avant le début de la Guerre de Sécession : la résignation, les mauvais traitements, le travail harassant, les chasseurs d'esclaves, sans pitié et puis, au milieu de tout cela, les abolitionnistes qui se battent pour offrir leur liberté aux esclaves en risquant leurs propres biens et leur vie et ceux qui ne font pas forcément partie du réseau abolitionniste ou du chemin de fer clandestin mais vont les aider, comme le docteur Harper que l'on découvre à la fin du roman. L'esclavage est une tâche sur l'Histoire du monde, pas seulement celle des Etats-Unis, même si l'économie de ce futur pays va se fonder dessus : de 1619 aux débuts de la Guerre de Sécession (et même après), il existe des plantations employant des esclaves, dans le Sud des Etats-Unis... Pour Lina et ses confrères chargés du dossier, il va falloir se dépouiller de l'aspect affectif de cette affaire, la considérer comme n'importe laquelle, même si, évidemment, le sort des esclaves ne peut laisser indifférent. Ils vont se heurter au temps qui a passé, à l'absence de descendants ou au refus de ceux-ci de devenir demandeurs et de remuer le passé peu évident voir horrible de leurs ancêtres. J'ai trouvé intéressant de découvrir pas à pas, dans le sillage de Lina, le travail de ces jeunes avocats qui jouent leur carrière et leur réputation, pour qui la pression et l'attente de résultats sont grandes, qui n'ont finalement pas droit à l'échec, sous peine que celui-ci ne rejaillisse sur leur cabinet. C'est du chacun pour soi, un monde de requins finement décrit par Tara Conklin qui, avant d'être auteure, était justement avocate elle-même. Ce qu'elle raconte est donc sûrement à peine exagéré.
    Ce roman est particulièrement riche et met en évidence, également, que la question de l'esclavage n'est pas encore réglée, malgré les abolitions successives qui eurent lieu au XIXème siècle et après : en France, on apprend tous que le combat de Victor Schoelcher permit, en 1848, l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies. Aux Etats-Unis, c'est la Guerre de Sécession qui permettra aux esclaves du Sud de devenir libres. Et pourtant...aujourd'hui, plus d'un siècle plus tard, le combat des populations afro-américaines n'est pas terminé : ce que raconte Kathryn Stockett dans La Couleur des Sentiments se passe dans les années 1960...la Marche pour les Droits de Martin Luther King date également de cette époque là...cela fait cinquante, soixante ans en arrière et, à l'échelle de l'Histoire, ce n'est rien et surtout, cela montre bien que l'abolition officielle n'a pas tout solutionné. Et on comprend rapidement que ce dossier est explosif, pour le cabinet comme pour les jeunes avocats qui en ont la charge, parce que parler d'esclavage dérange, parce qu'aujourd'hui, c'est un sujet qui suscite encore de la honte, parce que c'est tabou, tout simplement et que cette attitude-là n'est pas inhérente aux Etats-Unis mais à tous les pays qui l'ont pratiqué à un moment ou un autre. Mais je trouve que c'est une belle démarche des auteurs de continuer, via des intrigues certes romancées mais qui décrivent une réalité qui fut celle de centaines de personnes que l'on a maintenant oubliées, à contribuer au devoir de mémoire.
    Les Portraits de Joséphine m'a énormément plu et j'ai lu ce roman avec beaucoup d'intérêt. J'avais un peu peur au départ parce que j'ai lu des avis assez mitigés, qui parlaient notamment de longueurs...personnellement, je ne les ai pas ressenties et j'ai aimé la manière dont l'auteure a construit son roman, émaillé de lettres et de récits à la première personne, qui lui donnent du dynamisme. J'ai voyagé jusqu'en Virginie dans les années 1850, j'ai découvert la plantation de Bell Creek et la vie monotone et triste de cette jeune fille pour laquelle on souhaite le meilleur. Cette Joséphine que l'Histoire a dépouillé de son talent et de son don, pour l'attribuer à sa maîtresse blanche n'est-elle pas un bon porte-flambeau de tous ces hommes et de ces femmes qui ont été considérés froidement comme des marchandises, à qui on a refusé jusqu'à la plus petite considération humaine ? Quoique fictive, Joséphine les représente tous et on se prend à imaginer qu'elle a peut-être existé, cette jeune fille, sous un autre nom, dans un autre endroit, mais que son destin n'est pas si imaginaire que cela. Les personnages de Tara Conklin sont assurément très finement travaillés et servent efficacement son récit.
    Les Portraits de Joséphine est un roman à lire. Émouvant et percutant, il ne laisse pas indifférent.

    En Bref :

    Les + : une belle histoire, malgré un schéma vu et revu...si certains lecteurs n'ont pas été convaincus par la manière dont Tara Conklin aborde l'esclavage, pour ma part, j'ai trouvé que ce roman était un bel hommage à tous ces hommes et femmes que l'Histoire a oubliés...
    Les - : je n'ai pas vraiment de points négatifs à soulever concernant cette lecture, bien au contraire.


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