• Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat

    « Au bout du compte, le bonheur fait oublier l'impatience et l'attente. »

    Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat

     

    Publié en 2016

    Editions du Seuil 

    559 pages 

    Résumé :

    Juillet 1652. Dans les derniers jours de la Fronde, le duc de Beaufort, petit-fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, tue en duel le duc de Nemours, son beau-frère. La mort du beau Nemours laisse ruinées Jeanne Baptiste et Marie-Françoise, ses deux filles. Elisabeth de Nemours, leur mère, va dès lors tout mettre en oeuvre pour les marier. Jeanne Baptiste épouse le duc de Savoie, Marie-Françoise le roi du Portugal. Mais le sort semble s'acharner sur les deux princesses. Le mari de la première se révèle être un pervers couvert de maîtresses ; quant au roi du Portugal, la rumeur le dit fou à lier. Il faudra aux deux jeunes femmes toute leur force de caractère, dont elles ne manquent pas, mais aussi les leçons qu'elles ont tirées chacune de leur fréquentation assidue de l'école des Précieuses, pour se tirer d'une situation en apparence inextricable. Mais à quel prix ? 

    A travers le roman tumultueux de ces deux princesses devenues mantes religieuses, l'auteur des Bâtards d'Henri IV fait revivre le Grand Siècle alors à son apogée, les hauts faits de sa noblesses, mais aussi sa violence et son goût du sang. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1652, le duc de Beaufort et le duc de Nemours se rencontrent en duel. Le duel, interdit par de nombreux édits de Louis XIII et Richelieu car ils décimaient la noblesse, était sévèrement puni pour les contrevenants. Pourtant, la bouillante noblesse française du XVIIème siècle ne se pliera jamais aux édits royaux et continuera à se rencontrer sur le pré, comme on disait.
    En cette année 1652, alors que la Fronde jette ses derniers feux, ce duel oppose l'un de ses fers de lance, le fameux Beaufort, surnommé par les Parisiens « le Roi des Halles » et son propre beau-frère, époux de sa sœur Elisabeth de Bourbon-Vendôme. Or, le malheur veut que Beaufort couche raide mort le duc de Nemours dès le premier coup de pistolet, faisant de sa sœur une veuve et de ses deux nièces, Mesdemoiselles de Nemours et d'Aumale, respectivement âgées de sept et cinq ans, des orphelines.
    Ce sont ces deux jeunes filles qui seront les héroïnes du livre de Jean-Paul Desprat, Les Princesses Assassines. On croisera une multitude d'autres jeunes femmes parmi les plus célèbres du temps, des nièces de Mazarin à Madame Scarron, en passant par la belle Montespan, mais ce sont surtout Jeanne-Baptiste et sa sœur Marie-Françoise qui seront au centre du récit.
    Ces deux jeunes filles ont une ascendance prestigieuse, puisqu'elles sont descendantes directes d'Henri IV et, par là même, cousines du roi Louis XIV. Par leur père, Nemours, on peut remonter leur ascendance jusqu'à Lucrèce Borgia, la fille du pape Alexandre VI et même jusqu'à Charles VII et Marie d'Anjou. Mais le bleu de leur sang est malgré tout un peu dilué par celui de la belle et sulfureuse Gabrielle d'Estrées, leur arrière-grand-mère. Car, même si Henri IV a veillé à faire des Vendômes, ses bâtards préférés, des princes légitimés, arrivant tout juste après les enfants nés de Marie de Médicis et avant même les princes du sang et de potentiels héritiers de la couronne si la branche directe n'en a pas, ils sont mal acceptés et leur bâtardise leur est souvent jetée au visage. César, l'aîné des enfants d'Henri et de Gabrielle, s'est marié avec Françoise de Lorraine, dont il a eu plusieurs enfants : Louis, duc de Mercoeur, qui épousera une nièce de Mazarin et sera gouverneur de Provence ; François duc de Beaufort, au physique avantageux mais un peut tête à vent, que certains ont soupçonné d'être le père biologique de Louis XIV ; et Elisabeth, qui se mariera avec le duc de Nemours, cadet de Savoie -il descend de ce fameux prince de Nemours qui, sous Henri II, sera amoureux de la fameuse princesse de Clèves. Elisabeth nous intéresse au premier chef puisqu'elle est la mère des deux jeunes filles qui seront nos héroïnes tout au long du roman.
    Elevées d'abord au couvent, entre Paris et Moulins, en Auvergne, puis fréquentant les premiers bals de la jeune Cour de Louis XIV, qui n'est pas encore le Roi-Soleil et les salons de celles que l'on appellera bientôt les Précieuses, Jeanne Baptiste et sa sœur Marie-Françoise découvrent l'univers princier qui est le leur. Et, à mesure qu'elle s'épanouissent, en même temps que le règne de leur glorieux cousin, la question de leur établissement, c'est-à-dire de leur mariage, devient de plus en plus pressante. Car comment marier ces deux jeunes filles selon leur rang alors que le sceau de la bâtardise les marque ? Jeanne Baptiste et Marie-Françoise ont beau être nées d'un mariage parfaitement conforme, leur mère aussi, personne n'oublient de qui elles sont les arrière-petite-filles et que Gabrielle d'Estrées est autant leur aïeule que le bon roi Henri ! Et tandis que le roué cardinal Mazarin, conseiller d'Anne d'Autriche et de Louis XIV, manœuvre pour marier ses nièces Mancini et Martinozzi aux plus beaux partis de la noblesse française, Elisabeth de Nemours perd peu à peu la santé à s'inquiéter pour l'avenir de ses filles. Qui voudra d'elles ? Et surtout, se marieront-elles sans mésalliance ?

    Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat                                          Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat

     

    Les deux sœurs de Nemours : à gauche, Jeanne Baptiste, duchesse de Savoie, à droite Marie-Françoise, reine de Portugal (représentations contemporaines, seconde moitié du XVIIème siècle)


    Contre toute attente, le destin sera clément pour ces deux jeunes filles et leur procurera un établissement digne d'elles : Mademoiselle de Nemours, l'aînée, deviendra duchesse de Savoie en épousant Charles-Emmanuel, lui aussi descendant d'Henri IV mais légitimement, par sa mère la duchesse Chrétienne de Savoie. Et la petite et agaçante mademoiselle d'Aumale deviendra, elle, reine de Portugal puis, après avoir manœuvré habilement pour faire déposer son époux débile, en 1668, elle épousera le frère de celui-ci, don Pedro. Comme Anne de Bretagne qui fut deux reine de France, elle sera deux fois reine de Portugal.
    Elles ne seront pas heureuses. L'une mourra jeune, à 37 ans. L'autre, en 1724, à presque quatre-vingts ans, ayant vu mourir le vieux siècle et s'en ouvrir un nouveau. Mais les demoiselles de Nemours et d'Aumale sont malgré tout de brillants symboles de cette époque qui n'usurpe pas son surnom de Grand Siècle. De toute façon, à l'époque, on ne mariait pas les princesses pour qu'elles soient heureuses et elle ne seront que deux parmi bien d'autres à déchanter amèrement, après s'être nourries de récits romanesques et s'être méchamment rendu compte que la vie n'a rien à voir avec ce qu'on peut lire dans les grands romans d'amour. L'une, mademoiselle d'Aumale, parviendra à toucher du doigt le bonheur, aimera et sera aimée en retour, mais sera déçue. Sa sœur, mademoiselle de Nemours, ne trouvera jamais en Savoie que la condescendance et la froideur d'un mari qui lui impose ses maîtresses et qu'elle fera cocu à son tour et dont elle ne pleurera pas la mort.
    Ce livre de Jean-Paul Desprat -qui n'est pas un roman, ni une biographie ni un essai historique mais un peu les trois à la fois-, très riche et très dense, court sur plus de cinquante ans et déroule le fil des destins bien remplis des deux filles d'Elisabeth de Nemours qui, malgré leur naissance entachée par la bâtardise de leur grand-père César de Vendôme, ne démériteront pas et feront de très belles unions, à défaut d'être, dans le privé, bien mariées. J'ai trouvé intéressant de suivre ces deux jeunes femmes parce qu'elles sont, après tout, bien peu connues. Mariées loin de France, ces princesses ont fini par se confondre dans la longue cohorte de ces jeunes têtes couronnées que l'on a sacrifié aux raisons d'Etat. Malgré tout, elles sont nées et ont vécu à une époque où se développe un mouvement féministe avant la lettre, celui des Précieuses, dont on reconnaît encore le talent littéraire, le savoir et l'intelligence. Émules des Scudéry, Lafayette et autres Sévigné, les deux sœurs de Nemours ont été élevées à bonne école et, faisant leur l'adage « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », elles transformeront les revers en forces. Marie-Françoise, reine de Portugal en titre, tiendra fermement le pouvoir ; Jeanne-Baptiste, comme sa belle-mère Chrétienne, sera régente de Savoie après la mort de son mari et les deux soeurs se montreront, malgré les cabales, les intrigues et parfois les faux-pas, parfaitement aptes à gérer les affaires de l'Etat. A une époque où les femmes sont encore sacrifiées très jeunes à des mariages de raison, où elles ne sont que des pions sur un échiquier politique compliqué et tenu par les hommes, malgré tout se développe pour la première fois une conscience et l'idée qu'elles sont capables, idée dont elles se gargarisent dans les salons à la mode mais qui les fortifient ensuite quand elles se trouvent face à des écueils. Car les deux femmes que nous décrit là Jean-Paul Desprat sont des femmes de tête, des femmes puissantes et confiantes, qui savent ce qu'elles valent, qui elles sont et ce qu'elles veulent.
    Le livre est très riche et nécessite beaucoup de concentration. Nanti de plus de cinq-cents pages, je crois qu'elles étaient nécessaires, malgré, parfois, quelques petites longueurs. L'époque choisie par l'auteure est tellement pleine d'événements et de personnages, tous plus intéressants que les autres, que les développements sont nécessaires, pour bien tout comprendre. Après tout, ce n'est pas rien, mais le récit s'ouvre en 1652, alors que les petites Nemours sont encore des enfants et il ne s'achève qu'en 1724 ! En 1652, la Fronde se termine et le règne de Louis XIV s'achemine doucement vers son fabuleux règne personnel, qui fera du XVIIème siècle le Grand Siècle. En 1724, c'est Louis XV qui règne depuis neuf ans sur la France et qui ouvre une nouvelle ère, celle du XVIIIème siècle français, une époque riche elle aussi en bouleversements de toute sorte mais bien différente de celle qui la précédait. Les filles d'Elisabeth et du duc de Nemours ont traversé une période passionnante qui méritait que l'auteur s'étende un minimum dessus.
    Si vous vous lancez dans cette lecture, ne vous effrayez pas ! C'est vrai qu'elle est ardue et qu'elle demande beaucoup à son lecteur. Si les derniers chapitres m'ont paru relativement faciles à lire, les premières parties du livre ont été moins évidentes, même si, bien sûr, mon intérêt
    a été capté très rapidement parce que c'est une époque qui me passionne vraiment, qui m'est familière et que je connais assez bien. Comme je le disais plus haut, le gros avantage de ce livre -j'ai du mal à le qualifier de roman, alors on va se contenter de cette appellation générique-, c'est qu'il nous permet d'aborder une époque relativement bien connue et étudiée à travers deux figures féminines qui le sont nettement moins. Par exemple, Jeanne-Baptiste de Nemours est la grand-mère de Marie-Adélaïde de Savoie, la petite duchesse de Bourgogne, tant aimée de Louis XIV à la fin de sa vie et qui sera la mère de Louis XV ! Voilà une figure assez familière et présentée d'ailleurs comme plutôt attachante par beaucoup d'historiens. Mais jusqu'à la lecture de ce livre, j'aurais été incapable de vous dire qui était sa grand-mère...J'avais peut-être lu son nom ici ou là mais sans forcément le retenir parce que l'auteur ne s'y était pas appesanti. En fait, le destin de la duchesse de Savoie, comme celui de sa sœur reine de Portugal sont à retenir parce que, finalement, elles symbolisent aussi bien leur époque que des figures aussi connues que La Grande Mademoiselle, Henriette d'Angleterre ou Madame de Maintenon. Si on ne peut nier que ces dernière personnifient une époque, on ne peut pas nier que ce fut le cas aussi pour les demoiselles de Nemours, à leur échelle et à leur manière.
    Les premières parties du livre m'ont paru assez redondantes parce que l'auteur s'étend assez longuement sur les tractations matrimoniales parfois un peu embrouillées dont les deux jeunes filles font l'objet et qui était, en général, la manière de faire pour toutes les princesses. A partir d'un certain âge, les filles ne s'appartenaient plus et étaient jetées dans l'arène, dans l'univers impitoyable des mariages arrangés. Certaines en feront leur affaires, d'autres tomberont amoureuses, d'autres enfin seront carrément déçues. Là, on saute d'un projet à un autre, d'un bon parti à un autre mais tout ceci se déroule sur plusieurs années : ce sont des moments d'attente et d'angoisse pour les jeunes filles, de désillusions aussi quand un projet finit par ne pas aboutir. Donc, même si j'ai parfois eu le sentiment de quelques longueurs, j'ai trouvé ces premières parties intéressantes et nécessaires pour bien comprendre que, princesses ou pas, bien souvent, un mariage ne se faisait pas en un claquement de doigts.
    Malgré tout, j'ai préféré les chapitres consacrés à leur vie respective en Savoie et au Portugal. Lorsqu'elles quittent la France, encore toutes jeunes, on ne peut qu'avoir le cœur serré pour ces deux adolescentes qui disent adieu à leur enfance, aux lieux familiers dans lesquels elles ont toujours vécu, qu'elles ne reverront plus, tout comme leur parents, à qui elles disent adieu pour toujours. Une princesse se débarrassait en plus de tout ce qui lui appartenait et qu'elle apportait de son pays natal, des bijoux aux vêtements en passant par les animaux de compagnie, pour arriver comme vierge de toute autre influence dans son nouveau royaume. On peut aisément comprendre le déracinement et le mal du pays ressenti par les jeunes femmes, à plus forte raison lorsqu'elles sont mal mariées. Chacune de leur côté, Jeanne-Baptiste et Marie-Françoise découvrent un nouvel état, celui du mariage et un nouvel Etat, avec un grand E, avec des coutumes différentes de celle de la France, des manières parfois étranges, des personnages parfois peu amicaux voire méfiants. C'est souvent un dépaysement douloureux qui frappe les jeunes mariées et les deux sœurs de Nemours n'en sont pas exemptes, malgré les beautés qu'elles sont promptes à trouver à leur nouveau pays.
    A mesure qu'elles grandissent, elles deviennent plus attachantes et les petites filles un peu superficielles, un peu chichiteuses que l'on découvre au début du roman disparaissent au profit de femmes de tête que les expériences parfois douloureuses de la vie ont participé à faire mûrir.
    Ce livre est passionnant. Ardu, mais passionnant, à condition de prendre son temps. En mêlant habilement vérités historiques et légendes -car le XVIIème siècle n'en est pas exempt-, Jean-Paul Desprat, qui est avant tout historien, nous prouve qu'on peut parfois prendre quelques libertés avec l'Histoire établie à condition de bien connaître celle-ci ceci étant dit.
    Si vous me suivez depuis un moment, vous aviez peut-être lu, il y'a quelques années, mes chroniques de ces excellents romans que sont Jaune de Naples et Bleu de Sèvres, sur l'aventure porcelainière en France au XVIIIème siècle. L'ultime tome de cette trilogie, Rouge de Paris, est aussi un roman historique d'une grande qualité : véracité historique et chaleur d'une plume de romancier se mêlent, pour donner un récit fiable et habilement maîtrisé. Entre temps, j'avais aussi découvert le Desprat biographe, avec son ouvrage sur Madame de Maintenon, qui m'avait aussi beaucoup plu.
    Les Princesses Assassines ne m'a pas déçue non plus et j'ai passé un bon moment de lecture. Je regretterais seulement l'absence de bibliographie en fin d'ouvrage et peut-être l'auteur aurait-il pu nous expliquer sa démarche en postface. J'avoue apprécier, quand les auteurs se permettent quelques petites entorses, qui nous expliquent pourquoi ils ont fait tel ou tel choix. A part ça, rien de vraiment grave et j'ai vraiment pris un grand plaisir à replonger dans cette époque passionnante et florissante, qui n'était pas tendre pour les femmes mais qui, paradoxalement, est peuplée de nombreuses figures féminines ambitieuses, courageuses et déterminées, à l'image de ces demoiselles de Nemours que l'on quitte à regret en refermant le livre.
    Les Princesses Assasines n'est pas à conseiller à tous. Si vous aimez les romans historiques mais sans vous prendre la tête, passez votre chemin. Pour les autres, lancez-vous, je suis sûre que vous ne regretterez pas !

    En Bref : 

    Les + : le livre est riche, dense et passionnant, très bien écrit. Il a le mérite de nous présenter une époque très connue au travers de deux destins qui ne le sont pas. 
    Les - : je regrette l'absence de bibliographie et j'aurais aimé que l'auteur nous explique pourquoi il a choisi, parfois, de mêler légendes et réalité...savoir quelle était sa démarche au départ me paraît intéressant, c'est dommage. 


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