• Letizia R. Bonaparte, dans l'intimité de la mère de Napoléon ; Patrick de Carolis

    «La chance sourit aux hommes qui savent profiter des situations exceptionnelles. »

    Letizia R. Bonaparte, dans l'intimité de la mère de Napoléon ; Patrick de Carolis

     

    Publié en 2015

    Titre original : Letizia R. Bonaparte, la mère de toutes les douleurs

    Editions Pocket

    413 pages 

    Résumé :

    1830. Dans sa retraite romaine, Letizia R. Bonaparte reçoit deux journaliste du Magasin Universel. La mémoire de son illustre fils, seule, a motivé son accord pour cet entretien : elle leur dira tout. Toute sa fierté de mère, devant la fulgurante ascension de Napoléon. Tout de ses filles volages, brillantes ou ambitieuses, des velléités de Joseph, de l'obstination de Lucien, de la fragilité de Louis et de la légèreté de Jérôme. Mater Napoleonis, Mater Dolorosa...Mère aimante et souffrante, mère avant tout, emportée dans l'envol de l'Aigle et fracassée dans sa chute, elle se révèle et raconte l'incroyable destin des enfants Bonaparte. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1830, deux journalistes français sont à Rome pour y rencontrer une vieille dame, qui a accepté de leur parler. Cette vieille dame a fêté cette année-là ses quatre-vingts printemps (ou quatre-vingts automnes) et va sur son quatre-vingt-unième. Pour l'époque, c'est une longévité exceptionnelle...Cette femme, née en 1750 a tout connu des bouleversements de la fin du siècle des Lumières et tout aussi de l'épopée mouvementée qui a vu naître le XIXème siècle. Née sous Louis XV, elle a connu les dernières années de règne de ce monarque, celui, tragique, de son petit-fils, Louis XVI puis la Révolution : de la prise de la Bastille aux flots de sang de la Terreur, de l'alanguissement luxurieux du Directoire aux premiers coups de canon du Consulat qui aboutiront rapidement à la naissance de l'Empire français, sur les cendres de la royauté et de la Révolution, cette femme a tout connu. Et pourtant, si elle est aux premières loges de l'Histoire française, elle est née étrangère. Cette femme, Letizia Ramolino, au nom italien chantant, a vu le jour à Ajaccio, dans une Corse qui n'était pas encore française. C'est le désastre -pour le prestige du royaume- du traité de Paris, en 1763, qui mit fin à la Guerre de Sept Ans mais enleva aussi à la France une part importante de ses possessions coloniales, à commencer par certaines îles des Caraïbes ainsi que la Nouvelle-France, qui poussa Choiseul, le fameux ministre de Louis XV, à chercher ailleurs des terres pour essayer de compenser les pertes des îles des Antilles ainsi que celles des terres américaines qui reviennent à la Grande-Bretagne. En 1766, à la mort du roi Stanislas, qui possédait la jouissance du duché, la Lorraine revient à la France et le royaume peut alors repousser ses frontières vers l'est ; puis, en 1768, la République de Gênes, en proie à une insurrection corse menée par Pascal Paoli, choisit de vendre l'île au plus offrant. Le royaume de France annexe alors cette petite île, à mi-chemin entre ses côtes méridionales et celles de l'Italie. C'est le début d'une nouvelle histoire pour la Corse, désormais rattachée au puissant royaume. Quand l'île de Beauté devient française, la jeune Letizia a déjà dix-huit ans. Elle est mariée depuis quatre ans. Issue d'une famille relativement aisée -mais tellement peu importante au regard condescendant des grands nobles français-, elle a été unie à quatorze ans à Charles Bonaparte, jeune homme instruit qui fut un temps secrétaire du nationaliste Pascal Paoli. Très vite, le jeune couple se trouve chargé de famille : leur fertilité sera exceptionnelle. En vingt ans, Letizia mènera à terme treize -ou quatorze- grossesses et huit de ses enfants atteindront l'âge adulte, ce qui est exceptionnel pour l'époque ! ! Mais le plus important de ces rejetons qui viennent grandir la famille Bonaparte et garnir de leurs cris la maison ajaccienne de Letizia et Charles, est celui qui vint au monde le quinze août 1769, un an à peine après que la Corse soit devenue française : cet enfant-là va répondre au nom exotique, comme son oncle, de Napoléon. Napoléon Bonaparte qui porte, dans les quelques syllabes de son nom, tout l'avenir de cette fin de siècle...Napoléon, qui aura suffisamment de génie pour détourner en sa faveur les principes de la Révolution moribonde et qui saura en faire le lit d'un régime qui aurait laissé pantois les exaltés de 1789 : ni plus ni moins qu'un nouveau régime autocratique et héréditaire, encore jamais vu en France, l'Empire.

     Portrait de Letizia Bonaparte en tenue de cour, par Robert Lefèvre (1813)


    L'épopée napoléonienne, qu'on aime le personnage ou non, on la connaît tous. Parce que, deux cents après, les exploits militaires, le génie de l'Empereur continuent de fasciner malgré tout. Certes, il est celui qui commit la faute d'expédier l'exécution du duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes, en 1804, de laisser mourir Toussaint Louverture dans le fort de Joux, de rétablir l'esclavage, d'inscrire noir sur blanc des principes rétrogrades dans le Code Civil...oui, je l'avoue, le personnage de Napoléon Ier n'est pas celui que je préfère dans toute notre Histoire mais le contexte historique dans lequel s'inscrit sa grande aventure est riche et intéressant malgré tout ! ! Et j'aimais beaucoup l'idée de départ du roman de Patrick de Carolis...le règne de Napoléon Ier est certainement, avec celui de Louis XIV, peut-être, celui sur lequel on a le plus écrit, le plus glosé, qui a le plus passionné. On comprend pourquoi...atypique et fulgurant, il a de quoi interpeller. Mais l'idée de la raconter au travers des yeux d'une femme qui fut aux premières loges tout en restant aujourd'hui enfouie dans les limbes de l'Histoire était intéressante, car Letizia Bonaparte fut certainement le soutien le plus inconditionnel et le plus sincère de l'Empereur.
    Bienfaitrice tour à tour de tous ses enfants, celui qu'elle appelait affectueusement Nabulio fut certainement celui qu'elle aima le plus tendrement et pour lequel elle fut toujours indulgente, alors qu'elle n'hésite pas à juger plus durement les travers de ses autres enfants. Parce qu'une mère ne peut livrer qu'un portrait tendre de l'enfant qui l'a rendue le plus fière, ce roman est d'une douceur infinie et, même si j'en sors sans aimer plus Napoléon ni même en l'admirant plus, peut-être a-t-il cependant touché mon empathie et attachée donc rapidement à cette vieille dame digne et touchante, qui nous raconte sa vie puis celle de ses enfants avec beaucoup de courage alors qu'elle est l'une des dernières représentantes de cette famille qui s'est élevée si haut avant de retomber brutalement. Napoléon, comme on le sait, après le désastre de Waterloo, a été déporté à Sainte-Hélène, sous bonne garde anglaise. Il y est mort le 5 mai 1821. Letizia Bonaparte a aussi eu la douleur de voir partir avant elle Pauline, celle de ses filles qu'elle aimait certainement le plus, Elisa, avec qui elle s'entendait nettement moins bien...elle verra aussi mourir deux de ses petit-fils : le duc de Reichstadt, en 1832, le propre fils de Napoléon et, un an auparavant, le frère du futur Napoléon III, Napoléon-Louis. La fin de vie de cette femme, qui n'est plus que deuils, douleurs et souvenirs ne peut qu'inciter à la clémence, à la compassion. Certes, encore saine d'esprit, dotée de toute sa capacité de jugement et parfois sujette à des sautes d'humeur ou à des crises d'intransigeance, Letizia Bonaparte nous apparaît encore, dans ses vieux jours, comme une maîtresse femme, mais on ne peut qu'admirer cette femme qui, dans sa jeunesse, traversait la Corse à dos de mulet, enceinte de sept mois du futur empereur, qui sera, après son veuvage, un chef de famille exceptionnel, pourvoyant courageusement à l'éducation et à la subsistance de ses huit enfants et qui, une fois le grand âge atteint, se posera en flambeau ardent de la cause bonapartiste, essayant de rétablir comme elle peut la réputation de sa famille au mépris de tout ce qui a pu être dit de faux sur elle. Bien sûr, on ne peut pas considérer ce récit à la première personne comme exhaustif historiquement : Patrick de Carolis prêtant sa plume à Letizia, il doit aussi se soumettre aux idées et aux opinions de son héroïne. Ainsi, dans ses pages, l'admiration -bien légitime au demeurant- qu'elle entretient pour son fils occulte parfois les erreurs qu'il a pu commettre ou du moins est encline à les juger peu sévèrement. La vision de Joséphine et de Marie-Louise, les deux épouses de Napoléon Ier, est aussi très négative, alors que les récents travaux d'historiens tendent à minorer ces portraits par trop négatifs des deux impératrices, surtout pour Marie-Louise, qui apparaît aujourd'hui plus comme un pion manipulé de la politique européenne de l'époque que comme une femme ingrate ayant sciemment trahi l'Empereur et sa patrie d'adoption.
    Pour le reste, j'ai trouvé cette vision de l'épopée napoléonienne rafraîchissante et vraiment intéressante à lire. Le style de l'auteur m'a un peu moins séduite que dans Les Demoiselles de Provence ou La Dame du Palatin, mais il reste cependant d'une qualité certaine ! Sûr et efficace, il sert bien le propos du roman et parvient à s'adapter aisément à l'esprit du personnage : on sent que Patrick de Carolis a bien pris la mesure de son héroïne, notamment grâce aux diverses et riches recherches effectuées (une bibliographie exhaustive se trouve d'ailleurs en fin de volume). Il a également utilisé une somme assez importante de papiers d'époque, de correspondances privées qui nous permettent de nous plonger au plus intime des relations de la famille et surtout, des liens mère-enfants qui unissaient Letizia à sa grande famille hétéroclite.
    J'ai aussi beaucoup aimé le parti-pris de l'auteur de chambouler complètement la chronologie ! ! Les récits à la première personne et qui respectent rigoureusement l'enchaînement des événements ont quelque chose d'artificiel : l'esprit humain ne raisonne pas de façon toujours rigoureuse, à plus forte raison quand on a quatre-vingts-ans et toute une vie, bien remplie, à raconter ! Alors, c'est sûr, il faut suivre : les digressions, les retours en arrière, les bonds en avant dans le temps sont légion dans le roman mais ne gênent pas vraiment la lecture si on est vigilant et attentif.
    Je ressors de cette lecture un peu dans le même état d'esprit que les deux autres personnages principaux de cette histoire, qu'il ne faudrait pas oublier : Aymard de la Verrerie et Renaud Dupain, les deux journalistes du Magasin Universel, qui quittèrent Rome à l'automne 1830 avec gravé dans le cœur le souvenir inaliénable de cette femme brisée mais encore forte. En effet, on ressort de cette lecture avec un attachement profond et une admiration sincère pour Letizia Bonaparte.
    Une très bonne lecture.

    Madame Mère, portrait par François Gérard (1802)

     

    En Bref :

    Les + : un roman de qualité, avec un parti-pris innovant et intéressant ; le livre est touchant, émouvant, le personnage de Letizia suscite beaucoup d'émotions.
    Les - : un style qui m'a un peu moins séduite cette fois, mais rien de grave !!  


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 20 Mars 2016 à 17:56

    Je ne connais pas le destin de cette femme ! J'ai très envie de découvrir ce roman : merci.

      • Dimanche 20 Mars 2016 à 18:59

        De rien ! ! sarcastic

        Je te le conseille en tous cas...et pour les infos historiques je te conseille Pops, sur Livraddict, qui est fan de Napoléon et m'a apporté plein de réponses pertinentes...parce que, je dois bien l'avouer, l'époque napoléonienne, ce n'est pas mon fort ! ! Mais j'ai lu des choses très intéressantes sur Marie-Louise, sur Joséphine aussi et ce roman me faisait vraiment de l'oeil...j'ai appris beaucoup de choses et j'ai vraiment aimé sa forme, mi-confession mi-entretien journalistique... cool

    2
    Dimanche 5 Juin 2016 à 10:07

    Je ne connais pas Letizia alors ça peut être intéressant de la découvrir à travers la lecture de ce livre ! Merci aussi :-)

      • Dimanche 5 Juin 2016 à 19:52

        Mais je t'en prie ! ! yes

        Je te conseille ce roman : sans être une fan de l'épopée napoléonienne, loin s'en faut, j'ai vraiment été séduite par ce livre. L'histoire est racontée à la première personne, donc touchante malgré tout et le personnage de Letizia Bonaparte force l'admiration. J'en suis sortie toujours aussi peu fan du personnage de Napoléon mais avec beaucoup d'estime pour cette femme ! ! 

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