• No Home ; Yaa Gyasi

    « Tu veux savoir ce qu'est la faiblesse ? C'est de traiter quelqu'un comme s'il t'appartenait. La force est de savoir qu'il n'appartient qu'à lui-même. »

     

     

     

     Publié en 2016 aux Etats-Unis

     En 2018 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Homegoing

     Editions Le Livre de Poche 

     473 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    XVIIIe siècle, Côte-de-l'Or, au plus fort de la traite des esclaves. Nées en pays fanti et ashanti, Effia et Esi sont demi-sœurs mais ne se connaissent pas. La sublime Effia est contrainte d'épouser un Anglais, le capitaine du fort de Cape Coast, où, dans les cachots, sont enfermés les futurs esclaves. Parmi eux, Esi. Elle sera expédiée en Amérique. Ses enfants et petits-enfants seront continuellement jugés sur la couleur de leur peau. La descendance d'Effia, métissée et éduquée, perpétuera le commercer triangulaire familial et devra survivre dans un pays meurtri pour des générations. 
    Yaa Gyasi nous conte le destin d'une famille à l'arbre généalogique brisé par la cruauté des hommes. Un voyage dans le temps inoubliable. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avec No Home, l'auteure américaine d'origine ghanéenne Yaa Gyasi signe un roman puissant et envoûtant, poétique et dur à la fois. En racontant l'histoire tourmentée de son pays, depuis le milieu du XVIIIème siècle jusqu'au début des années 2000, Yaa Gyasi livre un portrait évocateur de la construction des états africains et de l'identité et l'Histoire du peuple noir.
    Au milieu du XVIIIème siècle, ce qui va devenir un jour le Ghana s'appelle encore la Côte-de-l'Or. Sur le littoral, les Anglais commercent avec les peuples Fantis de la côte, tandis que l'intérieur des terres est occupé par le peuple Ashanti. Effia et Esi sont demi-soeurs mais elles ne se connaissent pas. L'une naît chez les Fanti, l'autre chez les Ashanti. Effia sera mariée à un colon britannique de Cape Coast, donnant naissance à une lignée métissée mais qui ne quittera jamais l'Afrique. A Cape Coast, alors qu'Effia épouse l'officier James Collins, Esi attend dans les geôles du fort, avec d'autres femmes prisonnières. Elle ne sait pas encore que, lorsqu'on la fera sortir de sa prison, ce sera pour un voyage sans retour. Embarqués dans les cales des navires négriers, les prisonniers africains sont amenés dans les Caraïbes ou en Amérique, dans les plantations de coton ou de canne à sucre. C'est là que naîtront et grandiront les descendants d'Esi, dans une Amérique qui, après la Guerre de Sécession, ne parviendra jamais à se défaire de ses vieux démons, une Amérique ségrégationniste et violente, où les Afro-américains sont perçus comme des citoyens de second ordre, travaillant dur mais pour pas grand-chose, exploités par des patrons ou des contremaîtres sans scrupules, tombant de la pauvreté à la misère, de la misère à la drogue et ainsi de suite, dans un cercle vicieux infernal (« En Amérique, le pire qui pouvait vous arriver était d’être noir. Pire que mort, vous étiez un mort qui marche. » ; « Tu crois parce que t'es grand et baraqué tu es en sécurité ? Non, les Blancs y peuvent pas supporter ta vue. A te voir te balader libre comme l'air. Personne veut voir un Noir comme toi se pavaner fier comme un paon. Comme si t'avais pas peur une seconde. ») Les deux lignées nées des deux sœurs poursuivront leur chemin parallèle, sans jamais se croiser, sur deux continents et différemment : tandis que les descendants d'Effia, profitant avantageusement de leurs deux cultures, africaine et occidentale, sauront en tirer parti et vivront confortablement, les descendants d'Esi ne seront jamais que des Nègres, comme on les appelle si gentiment, réceptacles du racisme violent de la société américaine, des descendants d'esclaves méprisables et méprisés pour leur couleur de peau.
    En plaçant le point de départ de son intrigue en plein coeur de l'Afrique du XVIIIème siècle, l'auteure nous offre d'emblée une autre vision de l'esclavage et du commerce triangulaire, dépouillé de tout manichéisme ou raccourci malheureux... les peuples africains se livrent alors des luttes sans merci et échangent volontiers avec les Européens, Anglais ou Hollandais, présents dans la région. Les luttes de clans amènent parfois à la capture de prisonniers qui sont ensuite revendus aux Européens et emmenés en Amérique. La situation à l'époque est finalement bien plus compliquée qu'on ne veut bien le dire et chacun, à sa manière, profite de la traite et peut être amené à y participer. Les esclaves se vendent et se revendent comme n'importe quelle marchandise et il faudra attendre plusieurs décennies pour que la dimension morale, éthique, humaine, de l'esclavage entre dans les débats. Au XVIIIème siècle, on vendra aussi bien un bijou qu'un homme, une femme ou un enfant, parce que c'est légal et cela, en 2020, nous apparaît monstrueux et l'est effectivement, mais ne l'était pas en 1770 ou du moins ne l'était pas pour tout le monde. Aujourd'hui, près de deux cents ans après l'abolition de l'esclavage, il nous appartient d'étudier ce pan de notre Histoire comme un héritage terrible de nos ancêtres qu'il faut regarder en face, sans honte ni culpabilité : étudier l'esclavage aujourd'hui, en conserver la mémoire, c'est le dénoncer et surtout, ne pas faire comme si cela n'avait pas existé. C'est ne pas non plus céder au manichéisme en renvoyant dos à dos les bons et les méchants, parce que toute situation est toujours plus compliquée que cela.
    Yaa Gyasi y parvient avec brio. Roman ensorcelant et poétique, No Home dépayse, révolte et émeut en même temps. Nous suivons les générations successives des deux familles issues d'Effia et Esi, en Afrique et en Amérique, on découvre les destins tragiques ou heureux au contraire de leurs différents descendants, hommes et femmes qui se marient à leur tour et donnent une nouvelle génération et ainsi de suite jusqu'aux années 2000, là où se termine le roman, là où l'espoir, la promesse d'une paix ou d'une réconciliation semblent encore possibles.
    Je ne vais pas faire dans l'originalité en disant, comme d'autres lecteurs, que ce roman est à lire. Ce roman est salutaire et parce qu'il nous bouscule, il nous pousse à nous interroger.
    J'ai été un peu gênée par l'absence précise de chronologie : il y'a peu de dates explicitement écrites et pour ma part, j'aime quand je peux me situer dans le temps. J'ai fini par perdre un peu le fil et heureusement qu'il y'a un arbre généalogique au début du roman, auquel je me suis référée souvent pour savoir qui était qui. Mais le roman est tellement bon que j'ai fini par oublier ce petit inconvénient qui, après tout, est entièrement subjectif.
    A peine terminé, je peux d'ores et déjà dire que No Home comptera très certainement parmi les meilleures lectures de cette année 2020. J'ai effectivement passé un excellent moment, même si ce roman n'est pas divertissant : mais des histoires percutantes et qui restent en mémoire, sans aucune légèreté mais qui conduisent à nous interroger sur l'humain, sur ce dont il est capable, le meilleur comme le pire, c'est intéressant aussi. Parce que ce roman est essentiellement historique et que c'est ce que je lis principalement, je ne peux pas dire qu'il m'ait réellement sortie de ma zone de confort. Quoi qu'il en soit, No Home ne ressemble en rien à ce que je lis d'habitude mais il a trouvé en moi un fort écho. Une lecture que je n'oublierai pas de sitôt. 

    En Bref :

    Les + : roman époustouflant et remarquable, bien écrit et plein de force.
    Les - :
    une chronologie un peu absente, ce qui m'a gênée parce que j'aime me situer dans le temps quand je lis mais ce ressenti totalement subjectif n'enlève rien à la puissance du récit.

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

    Thème d'avril « Pioche dans ma PAL », 4/12


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 12 Avril 2020 à 09:39

    Coucou. 
    Je pense que, tu as effectivement raison, il faut lire ce roman. Et avec un avis comme le tiens, je vais vite sortir ce roman de ma PAL. D'ailleurs, je viens de le mettre sur ma table de chevet, car je le lirais sûrement après ma lecture actuelle. 

    Il est effectivement important de ne pas oublier et de garder cette mémoire vive, histoire de ne pas refaire les mêmes erreurs. 

    Je n'ai que trop peu lu, encore, sur le sujet, mais je vais y remédier. 

    Et une fois de plus, je tiens à te remercie pour tes avis si bien écrits et travaillés, si bien documentés. Je prends un réel plaisir à te lire à chaque article. 

    Sinon, j'espère que tu vas bien ? 
    Bon dimanche tout en lecture. 
    Bisous

      • Dimanche 12 Avril 2020 à 12:19

        L'esclavage est un sujet tabou, aujourd'hui, je crois qu'on préfère détourner les yeux et ne pas trop en parler. Mais je pense qu'en 2020, il n'est plus question d'avoir honte de quoi que ce soit, nous ne sommes pas responsables des agissements de nos ancêtres, en revanche, il est important de connaître notre Histoire et l'esclavage en fait partie : continuer à en parler, à lire des témoignages ou des romans, c'est déjà faire acte de mémoire, pour moi. C'est important que l'on continue de savoir que cela a existé et comment cela s'est passé, pour espérer que cela n'arrivera jamais plus. 

        Surtout, comme pour beaucoup d'autres périodes historiques (la Révolution française, la Révolution russe, la Seconde guerre mondiale), on doit éviter l'écueil du manichéisme un peu réducteur qui renvoie en face les uns les autres, les bons contre les méchants etc...parce que toute situation est plus compliquée que ça et c'est ce que démontre Yaa Gyasi dans ce roman brillant. La faute n'est à personne et à tout le monde, elle n'apporte aucun jugement et nous montre juste ce qui s'est passé : en Afrique au XVIIIème siècle la situation est tout sauf simple. Les peuples Africains se battent contre les Anglais mais en même temps se battent entre eux et il arrive qu'ils revendent leurs captifs comme des marchandises. Et à l'époque, on ne se pose pas la question dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. Ce qui est monstrueux aujourd'hui, à juste titre, ne l'était pas à l'époque pour tout un tas de raisons... Toutefois, nous lecteurs du XXIème siècle, on ne peut que se sentir épouvanté devant les conditions de vie des esclaves attendant de monter dans les cales des navires qui vont les emporter pour un voyage sans retour. Le récit de la vie des descendants des esclaves dans une Amérique mal guérie de ses vieux démons racistes et esclavagistes est poignant : il est difficile de voir que ces personnes, même encore aujourd'hui, sont considérés coupables de quelque chose dont ils ne sont pas coupables, la descendance, l'hérédité, qui sont des choses contre lesquelles on ne peut rien. 

        Oui, il est salutaire de lire No Home. Il est important de lire No Home et ce roman devrait être mis entre toutes les mains...Au-delà de ça, Yaa Gyasi est une très bonne conteuse et ce livre est une petite merveille de littérature, vraiment. happy

        Sinon, oui ça va très bien je te remercie. Je suis toujours en confinement et je ne sais pas du tout quand je vais reprendre le boulot... Je travaille dans le tourisme et l'ouverture des sites de visite n'est sûrement pas une priorité donc c'est un peu le flou mais bon, on fait avec et je me dis que ma situation n'est franchement pas compliquée par rapport à d'autres...quand on pense aux soignants et aux malades, on relativise. Et puis j'ai un jardin et il fait beau donc je ressens moins l'enfermement. ^^ J'espère que toi aussi ça va, ainsi que ta petite Aina. 

        Bon dimanche, Malorie ! yes

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