• Perline, Clémence, Lucille et les autres... ; Jeanne-Marie Sauvage-Avit

    « La force des hommes, c'est de faire croire aux femmes qu'elles ne sont pas capables. Elle fera comme nous toutes, elle apprendra. »

    Perline, Clémence, Lucille et les autres... ; Jeanne-Marie Sauvage-Avit

     

     

     

     Publié en 2017

     Editions Pocket

     828 pages 

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    En 1914, le destin des femmes est scellé par les hommes. Mais la guerre éclate. Aux champs comme à la mine, dans les transports et les administrations, les maris, fils et pères sont réquisitionnés. Alors les femmes s'organisent. Perline, Clémence, Lucille et les autres relèvent leurs manches. Pendant que les tragédies se déclinent à l'infini -mort, peur, attente, deuils-, elles doivent réinventer leur vie, pour elles comme pour le pays tout entier. 
    Pour ces héroïnes d'un nouveau genre, il faut agir, produire, récolter. L'heure de l'émancipation et de l'affranchissement du joug des hommes a sonné. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1914, quand éclate la guerre, les femmes se retrouvent en première ligne. C'est le cas de celles du village de Saint-Jean, près de Saint-Etienne. Jeunes ou moins jeunes, elles vont devoir faire face, supporter la tristesse de voir partir les hommes, continuer à s'occuper des enfants et de la maison tout en faisant tourner la ferme, l'usine (notamment les usines d'armement où travailleront celles que l'on appellera les munitionnettes) ou le commerce. Clémence Bonnefont et sa fille Perline voient partir les hommes de la famille, qu'elles vont devoir remplacer. Lucille, elle, est une petite orpheline de l'Assistance Publique qui sera placée chez les Bonnefont avec son frère Mathias. Pendant quatre ans ils vont vivre les uns à côté des autres, partageant les joies comme les deuils, la tristesse, l'angoisse...ils vont maintenir les villages, ils vont continuer de vivre malgré tout.
    Surtout, les femmes se trouvent brutalement privées de la tutelle des hommes. D'abord démunies devant ce brusque départ, elles se rendent rapidement compte qu'elles sont capables de faire aussi bien qu'eux, de prendre des décisions et de mener leur barque. Paradoxalement, ce conflit qui va laisser exsangue les pays d'Europe a eu, si je puis dire, un effet positif sur l'émancipation des femmes. Celles-ci n'ont pas attendu la Première guerre mondiale pour revendiquer leurs droits, il n'y a qu'à voir le mouvement des suffragettes en Angleterre au début du siècle. Mais pour la première fois, les femmes se trouvent absolument libres et se rendent compte de l'asservissement domestique dans lequel les retiennent les hommes, souvent sans méchanceté mais parce qu'ils obéissent en cela à des injonctions séculaires et qu'on n'aurait pas l'idée de remettre en cause...et ces nouveautés, ces nouvelles prérogatives, les femmes ne sont pas prêtes à les abandonner quand l'armistice est signée. Pourtant, elles seront, parfois avec beaucoup d'amertume et de tristesse, obligées de redonner leur place aux hommes qui reviendront et reprendre une position de discrète obéissance.
    Mais certaines, comme les femmes Bonnefont, ne sont pas prêtes à redevenir de discrètes ménagères. Après avoir été institutrice avant la guerre puis comptable dans une usine textile de Saint-Etienne pendant le conflit, Perline décide d'être indépendante et de mener sa vie comme elle le souhaite.

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    Un atelier de munitionnettes en Auvergne pendant la Première Guerre Mondiale


    Pourtant, les femmes libres et émancipées se heurtent encore aux interdits de la société et aux qu'en-dira-t-on : une grossesse hors mariage est vécue comme une honte et, dans les années 1920, il est encore interdit d'avorter, surtout quand le gouvernement vous demande de faire des enfants pour repeupler un pays qui a laissé des millions d'hommes sur les champs de bataille de la Marne, de l'Argonne ou de la Somme. Le conseil de famille continue de prendre en charge les femmes dont les maris ou les pères ne sont pas revenus de la guerre. Éternelles mineures, les décisions ne leur appartiennent pas et la société très conservatrice du début du XXème siècle ne leur tolère qu'un seul destin : le mariage et la maternité et peu importe si elles aspirent à autre chose.
    Mais dans les années 1920, les temps changent petit à petit et si le mariage reste la norme et de plus en plus de femmes assument de vouloir autre chose ou, du moins, pas que ça.
    Le roman de Jeanne-Marie Sauvage-Avit est un gros roman historique extrêmement bien documenté et donc très riche. C'est une très fine description de la société et du mode de vie de l'époque. L'auteure situe en plus son récit dans une région intéressante et qui présente à elle toute seule les deux visages de cette France de 1914 : un pays rural et très traditionaliste mais aussi un pays industrialisé, plus moderne peut-être où les ouvriers, syndiqués, revendicatifs, ne vivent pas comme les agriculteurs. Ils ne vivent peut-être pas mieux mais assurément différemment. La guerre de Quatorze, qui s'apprête à rebattre les cartes, va bouleverser ces rouages bien huilés. La ruralité va progressivement céder le pas à la vie citadine, le pays se moderniser, l'agriculture se mécaniser, les villages se vider doucement. Cette France délicieusement surannée, celle de Colette ou d'Henri Troyat dans Les Semailles et les Moisson, de Courbet, de Millet est en train de disparaître...En plus de voir se transformer les différents destins des héros du roman, on voit la société changer. La fracture est importante entre les années 1910 et les années 1920.
    Vous l'aurez compris, d'un point de vue historique, ce roman a su me convaincre je dirais même qu'il m'a agréablement surprise, notamment de part cette fine restitution d'une époque, d'un contexte, d'une ambiance.
    Les personnages m'ont plu eux aussi, parce qu'ils sont authentiques et même si je ne me suis pas spécialement identifiée à Perline, je l'ai trouvée intéressante et courageuse : et il leur en a fallu, à ces femmes, du courage pour prendre la place des hommes, supporter les drames personnels, continuer à faire tourner le pays.

    Simone Menier, infirmière major et administratrice de l'hôpital de Chenonceau pendant une opération, entre 1914 et 1918


    Étrangement, ce qui m'a surprise c'est l'omniprésence du discours sur l'émancipation des femmes : paradoxalement, même si je m'attendais à ce que le roman tourne autour de ça, j'ai trouvé que parfois, c'était un peu trop présent. Que ce soit un sujet parmi d'autres m'aurait peut-être moins lassée. Bien sûr c'est important et l'époque s'y prête mais il y'a beaucoup de changements sociaux dans les années qui suivent la Première guerre mondiale et qui auraient pu être traités tout autant, alors que là, la condition féminine prend le pas sur tout le reste et cela a fini par me barber un peu (et pourtant, c'est un sujet par lequel je me sens concernée).
    Mais soyons clairs, ce n'est pas gênant outre mesure non plus et ceci n'est qu'un avis personnel, peut-être ne ressentirez-vous pas du tout la même chose en lisant ce roman.
    Toujours est-il que ce roman ne peut pas laisser indifférent, il est très émouvant et j'ai trouvé que l'auteure, en peu de mots, avec pudeur, parvenait à bien retranscrire les sentiments de ses personnages et j'ai souvent eu les larmes aux yeux. Il est vrai que la Première guerre mondiale est un conflit encore relativement récent, à l'échelle de l'Histoire : cela ne fait que cent-deux ans que l'armistice a été signée et nous avons tous, dans les albums de famille, dans des tiroirs un peu poussiéreux, dans de vieilles boîtes, des photos de nos arrière-grand-pères en uniforme, de nos arrière-grand-mères en robe noire, portant le deuil d'un fils, d'un mari, d'un père, d'un frère, de petits enfants en culottes courtes dont les photos étaient envoyées sur le front. Je crois que ce conflit nous touche particulièrement, non seulement de part sa brutalité mais parce qu'encore aujourd'hui, beaucoup de choses nous ramènent à lui : les monuments aux morts et surtout ces souvenirs familiaux qui nous paraissent lointains mais sont au final si proches. Je crois que ce roman peut trouver une résonance chez chaque lecteur, un écho peut-être différent selon la personne mais un écho malgré tout. Il est clair qu'il saura toucher quelque chose chez vous.
    Si le roman est essentiellement centré sur les femmes, ce n'est pas pour autant qu'un roman de femmes et l'auteure a pris soin, malgré tout, de laisser une place importante aux hommes. Sans jugement, sans révolte ni contresens, elle décrit cette profonde inégalité entre hommes et femmes qui est alors la norme mais qui est en train de se relâcher doucement et qui, surtout, ne définit pas tous les ménages non plus et heureusement.
    Bref, malgré deux ou trois petits bémols, je dois dire que cette lecture a été une bonne lecture. Oui, vraiment. Il y'a dans ce roman une spontanéité et une sincérité qui rend les personnages simples et accessibles, l'intrigue touchante. Oui, en lisant ce roman on se sent concerné par l'Histoire, on se sent devenir partie prenante : ce n'est plus l'Histoire des manuels scolaires mais celles de personnes de chair et de sang qui auraient pu être nos aïeux. Pour moi, ce roman, en plus d'être une fiction, est un document intéressant pour découvrir la vie des Français pendant la guerre et dans les premières années qui ont suivi la fin du conflit. 

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    Les femmes remplaçant les hommes aux champs : image du film Les Gardiennes de Xavier Beauvois (2016)

    En Bref :

    Les + : un roman bien documenté qui, par son aspect social très poussé, est un véritable journal de la vie quotidienne des Français pendant la Première Guerre Mondiale et après. C'est aussi un bel hommage aux femmes qui ont fait tourner le pays pendant l'absence des hommes et ont jeté, à force de ténacité les bases de l'égalité entre les sexes. 
    Les - : paradoxalement, même si je savais qu'il serait prépondérant, j'ai fini par me lasser de l'omniprésence des discours féministes des différentes héroïnes. 


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 20 Mars 2020 à 17:55

    Les sujets de ce livre - les femmes - m'intéresse grandement ! Je ne lis plus rien sur la Première guerre mondiale mais ce livre pourrait me permettre de remettre un pied à l'étrier !

      • Vendredi 20 Mars 2020 à 18:50

        Oh oui, je pense qu'il pourrait te plaire. J'ai vraiment passé un bon moment avec ce roman et j'ai souvent eu les larmes aux yeux parce que j'ai trouvé que l'auteure décrivait bien, sans tomber dans l'hyperbole, la joie des retrouvailles lors d'une permission, la tristesse d'une mère ou d'une épouse qui reçoit la terrible nouvelle de la mort de l'un de ses hommes au front. 

        Et puis comme je le dis dans mon billet, sur ces personnages on peut mettre les visages de notre propres arrière-arrière-grands-parents qui ont vécu cette époque... Et c'est peut-être pour ça que ce roman m'a autant touchée, au final. 

        Outre ça, j'ai aimé son aspect féministe également, le courage de Perline pour sortir de ces carcans patriarcaux que les plus anciennes ne veulent pas remettre en cause parce qu'elles ont été élevées comme ça...mais les plus jeunes secouent le joug de la société et commencent à la faire changer en leur faveur même si le combat sera long (on le voit encore, plus de cent ans plus tard). C'est vrai que l'auteure insiste peut-être beaucoup et que tout est matière à une diatribe féministe...cela m'a un peu lassée par moments mais non, vraiment, je ne peux pas déconseiller ce roman. Maintenant je n'ai qu'une hâte, lire la suite ! happy

    2
    Mélissa
    Samedi 21 Mars 2020 à 00:18

    Je l'ai dans ma PAL depuis des lustres. Donc je vais profiter probablement du confinement pour le lire. Le propos me plaît en tout cas énormément. Le contexte est dur mais ça m'attire quand même de " savoir " le ressenti des femmes de cette époque. Par contre je ne savais pas qu'il avait une suite ? En tout cas merci encore pour ta belle chronique. cool

    Je vois que tu commences du Mireille Calmel. Les lionnes de Venise ne fait pas parti de mes préférés mais après il en faut pour tous les goûts et peut être devrais je le relire pour avoir un avis moins " dur " le concernant. Je te souhaite à toi en tout cas une belle lecture et attends ton avis avec impatience également. Moi je retourne lire " La passe miroir " de Christelle Dabos. 

    A la prochaine !

    Mélissa

      • Samedi 21 Mars 2020 à 10:52

        Moi aussi je l'avais dans ma PAL depuis un moment, le sujet m'attirait mais je ne me décidais pas à l'en sortir...Au final, je ne regrette pas. happy C'était une bonne lecture, qui aborde vraiment tous les aspects de la société à l'époque, les bouleversements d'un conflit sans précédent, comme un coup de tonnerre...le départ des hommes, les deuils, puis le retour, pas plus évident que le départ parce que les femmes sont obligées de laisser la place qui avait été la leur pendant quatre ans. Et c'est aussi le réel point de départ du féminisme et de l'idée qu'une femme est tout autant capable qu'un homme et que ce sont ces derniers et la société qui les ont maintenues dans l'ignorance et l'impression de ne pas être capables : les femmes commencent à avoir des professions, certaines se mettent à conduire, elles ne sont plus seulement des épouses et des mères, soumises au père, aux frères puis au mari. Comme je le dis dans ma chronique, peut-être que ce discours féministe et assez offensif est un peu trop présent, j'aurais aimé qu'il soit un sujet parmi d'autres au final... mais c'est vraiment un roman à lire, malgré tout ! Il y'a quelques longueurs mais dans l'ensemble, le roman est intéressant parce qu'au-delà de la fiction, on sent que l'auteure a fait un véritable travail de recherches pour que son roman soit au plus près de la vérité. 

         

        Oui, je suis en train de lire Les Lionnes de Venise et pour l'instant, je n'ai pas beaucoup avancé mais j'avoue ne pas être si emballée que ça même si je suis curieuse et que je veux en savoir plus sur cette mystérieuse gravure... J'espère que le reste du roman va me détromper et que je vais aimer... Finalement, Mireille Calmel suscite des avis assez tranchés : ses sagas sur Aliénor d'Aquitaine ou Richard Coeur-de-Lion ont été assez appréciés... son roman sur Renée-Pélagie de Sade a suscité un peu de polémique parce que les éditions Pocket avaient apposé sur la couverture la mention de "roman libertin" et certains s'étaient insurgés considérant que ce n'était pas le cas, au regard des vrais romans libertins du XVIIIème siècle (pour ma part, je l'ai lu par curiosité et je l'ai beaucoup aimé même si la littérature érotique n'est pas mon genre de prédilection) et dernièrement j'ai eu envie de lire ses nouveaux romans qui se passent au Moyen Âge, La fille des Templiers, mais au final j'hésite. On verra... je compte sur ce premier tome des Lionnes de Venise pour me conforter dans ma décision future. 

        Bonne lecture à toi et bon weekend avec le soleil, j'espère. Profites-en bien même si ce n'est pas très évident en ce moment... je me dis, heureusement que nous avons les livres. Prends soin de toi. happy

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