• « Peut-être, au bout du compte, personne n'est-il vraiment aussi mauvais que la pire chose qu'il a pu commettre. »

     

    Une Vie entre Deux Océans ; Margot L. Stedman

     

     

       Publié en 2012 en Australie 

     En 2016 en France (pour la   présente édition)

     Titre original : The Light between Oceans

     Editions Le Livre de Poche

     521 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    Après avoir connu les horreurs de la Grande Guerre, Tom Sherbourne revient en Australie. Aspirant à la tranquillité, il accepte un poste de gardien de phare sur l'île de Janus, un bout de terre sauvage et reculé. Là, il coule des jours heureux avec sa femme, Isabel. Un bonheur un peu contrarié par leurs échecs répétés à avoir un enfant. Jusqu'au jour où un canot vient s'échouer sur le rivage. A son bord, le cadavre d'un homme, ainsi qu'un bébé, sain et sauf. Pour connaître enfin la joie d'être parents, Isabel demande à Tom d'ignorer les règles, de ne pas signaler « l'incident ». Une décision aux conséquences dévastatrices...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis : 

    Roman bouleversant sur la maternité, Une Vie entre Deux Océans interroge les liens filiaux et les liens du sang.
    Au début des années 1920, Tom Sherbourne, démobilisé et de retour en Australie, cherche un emploi et devient gardien de phare sur Janus Rock, au large de la ville de Partageuse, à l'extrême sud-ouest du pays. Là, il rencontre sa future épouse Isabel Graysmark qui vient vivre avec lui à Janus. C'est une vie rude et isolée que mène le couple, loin de la civilisation sur une petite île soumise aux éléments, où les seuls contacts avec des êtres vivants sont ceux qu'ils ont avec les animaux qu'ils élèvent. Mais Tom a une mission : celle de faire fonctionner le phare et de l'entretenir, pour la survie et la sûreté des bateaux qui passent au large de Janus, dans des eaux capricieuses.
    Très vite, le couple espère accueillir un enfant. Isabel est enceinte et se fait une joie de devenir mère et de donner un enfant à Tom. Mais leurs attentes sont vaines et les grossesses de la jeune femme se soldent toutes par des fausses couches particulièrement éprouvantes et Isabel sombre dans la dépression.
    Alors, quand arrive un jour sur une plage de l'île un bateau dans lequel se trouve un homme, déjà mort ainsi qu'un bébé, lui bien vivant, la jeune femme persuade Tom de ne pas signaler l'accident et de garder le nourrisson. Tom et Isabel deviennent parents mais au prix d'un terrible mensonge, dans lequel ils s'enfoncent sans pouvoir s'en dépêtrer à mesure que la petite Lucy grandit et devient une petite fille attachante et aimante envers ceux qui la chérissent et qu'elle considère évidemment comme ses parents.
    Mais la conscience de Tom et ses remords de plus en plus intenses menacent l'équilibre de la famille qu'ils sont parvenir à construire malgré tout autour de Lucy et d'autant plus quand une terrible révélation leur est faite, menaçant de faire voler leur vie en éclats.
    Interrogeant les liens de famille les plus intimes, Margot L. Stedman livre un roman bouleversant et poignant qui peut faire écho en chacun de nous.
    C'est un vaste sujet abordé ici : celui de la maternité ou plutôt, devrait-on dire, des maternités parce qu'il y'en a plusieurs. Ici, en Isabel, c'est une maternité contrariée et douloureuse que nous décrit l'auteure, ainsi que le désespoir qui l'accompagne. Chaque fausse couche est une blessure ouverte pour elle, qui s'ajoute à la précédente et lui fait perdre pied quand elle découvre cette petite fille seule et qui a besoin d'être secourue. Instinctivement se réveille en elle ce sentiment maternel qui n'a pas eu le temps de se développer mais qui est en sommeil et ne demande qu'à chérir un bébé sans se préoccuper de savoir si la petite Lucy a toujours une famille ou non. A côté d'elle, Tom assiste à la résurrection de sa femme et la voit se transformer en mère, prête à tout pour son bébé même si elle ne l'a pas porté. Et malgré son attachement pour Lucy, qui grandit en même temps qu'elle, sa conscience vient le tarauder de plus en plus fort, comme une blessure lancinante et que l'on ne peut plus ignorer.
     
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    Alicia Vikander interprète Isabelle Sherbourne dans le film Une Vie entre Deux Océans (2016)

    Ce roman, très beau et très bien écrit, avec finesse et sans jugement, remet en cause cette consubstantialité naturelle et évidente entre les liens filiaux et les liens du sang. Certes la plupart du temps les enfants grandissent entre les parents qui les ont conçus... Mais il arrive aussi, comme ici, qu'un parent ou les deux ne soient pas ceux de l'enfant mais cela n'empêche pas l'amour de naître, bien au contraire. Alors, on peut se poser la question : qui sont les parents ? Ceux qui conçoivent ou ceux qui aiment ? Peut-on considérer que Tom et Isabel Sherbourne, qui aiment et entourent les premières années de Lucy et donneraient tout pour elles ne sont des parents ? Et en même temps, comment oublier que cette enfant est née d'un autre homme et d'une autre femme ? Comment se faire à l'idée que, pour guérir le désir terrible et incontrôlable d'enfant d'Isabelle, ils ont peut-être privé une femme de son bébé
    On lit Une Vie entre Deux Océans presque en apnée, avec la prescience du drame à venir quasiment dès le départ. Dès qu'Isabel prend sa décision et persuade Tom de ne pas signaler le bateau échoué et la présence du bébé, on comprend que ce choix aura des conséquences dévastatrices et irrémédiables pour eux et qu'ils n'en sortiront pas indemnes, ni la petite Lucy qu'on voudrait pourtant heureuse, au milieu de cette famille dont elle n'a pas le sang mais qui l'aime comme si c'était le cas.
    A la lecture du résumé, on comprend que le mensonge des Sherbourne ne restera pas sans conséquences mais il faut attendre plusieurs chapitres avant de savoir ce qui va réellement se passer, on se prend même à espérer qu'ils vont vivre heureux et en famille, même si on sait que ce n'est pas vraiment possible...On en est réduit à faire de multiples conjectures jusqu'à la révélation qui arrive comme un tremblement de terre.
    Les derniers chapitres du roman m'ont serré le cœur et même fait verser quelques larmes. Comment rester insensible devant une histoire aussi dure et dramatique mais qui, malheureusement, n'est pas qu'un récit purement romanesque et peut très bien arriver dans la vie. Ce roman convoque chez nous nos propres souvenirs ou nos propres sentiments : on redevient l'enfant que l'on a été, on se souvient de l'amour pur et inconditionnel que l'on a porté à nos parents qui sont alors tout pour nous, la pierre d'achoppement d'une petite vie neuve qui se construit grâce à eux, leur confiance et leur support. Je n'ai pas d'enfants donc je n'ai pas pu m'identifier à Isabel mais j'ai imaginé la douleur et le désespoir de cette femme dont le désir d'enfant est sans cesse frustré par la disparition prématurée de bébés qu'elle ne peut même pas mener à terme. Sa culpabilité aussi, parce qu'elle considère que la mort de ces enfants est sa faute.
    On comprend aussi Tom, qui voit sa femme aller mieux et n'a plus le coeur de la priver du plus beau cadeau que la vie lui a fait mais qui se débat malgré tout contre cette conscience qu'il ne peut plus faire taire.
    Certaines femmes ne veulent pas d'enfant et ne se reconnaissent pas dans l'image de la femme forcément mère. Pour d'autres, ce désir est inconscient et naturel et pour la plupart, il sera un jour comblé, pour leur plus grand bonheur. Et puis il y'a celles comme Isabel que la souffrance morale et le désir lancinant peuvent pousser à commettre des actes inconsidérés et qui peuvent les mettre en danger. La maternité est décidément un sentiment viscéral et animal que l'on ne peut certainement pas comprendre quand on ne le vit pas mais qui exprime ce qu'il y'a de plus instinctif chez les êtres humains. Un sentiment que l'on ne cessera jamais d'étudier tant il fascine par son mystère.
    Une Vie entre Deux Océans est un roman puissant qui ne vous laissera pas indifférent. Vous serez sûrement touché par l'histoire et par l'écriture de Margot L. Stedman, peut-être pleurerez-vous un peu mais un si beau roman mérite d'être lu. Vraiment, il en vaut la peine ! !

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    Alicia Vikander et Michael Fassbender (Tom) dans le film de 2016.

    En Bref :

    Les + : une très belle histoire, très poignante qui nous fait nous interroger sur les liens du sang, la maternité et ses différentes manifestations mais qui nous parle aussi de conscience, de remords et de mensonges. 
    Les - :
    Aucun. Malgré son aspect assez dur, le roman se dévore.

     


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  • « Un froid qu'on n'avait jamais connu, une peste virulente et une famine qui depuis des semaines fauchaient les Parisiens, tant d'infortunes ne pouvaient être le fruit du hasard. »

    Les Chroniques d'Edward Holmes et Gower Watson, tome 3, La Ville de la Peur ; Jean d'Aillon

     

     

     Publié en 2017

     Editions 10/18 (collection Grands Détectives)

     467 pages

     Troisième tome des Chroniques d'Edward Holmes et   Gower Watson

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    En janvier de l'an de grâce 1423, la capitale du royaume de France est vouée au démon. Les Armagnacs ont pris le pont de Meulan, la famine règne, les loups sont entrés dans la ville en utilisant la Seine prise par les glaces. Pire, la Mort en personne rôde dans la ville, revêtue d'une pèlerine à chaperon, sous la forme d'une créature au visage effroyable, sans nez ni yeux...Après plusieurs crimes inexplicables, Edward Holmes est convaincu de l'existence d'une puissance occulte régnant sur Paris comme une araignée au centre de sa toile. Mais, accusé d'avoir assassiné une proche du duc de Bourgogne, il est emprisonné au Grand Châtelet. Et l'heure du châtiment approche...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En ce mois de janvier 1423, particulièrement glacial, rien ne va plus. Les loups sont aux portes de la ville, terrorisant les habitants et dévorant autant les vivants égarés que les morts dans les cimetières. Pour ne rien arranger un froid terrible s'est abattu sur la ville, figée par la neige et le gel.
    C'est alors que surviennent des meurtres étranges et violents qui ne semblent avoir aucun lien les uns avec les autres et les Parisiens se mettent à murmurer qu'un être terrifiant et défiguré rôde dans la ville et on a tôt fait de l'identifier : il s'agit de la Mort elle-même.
    Sollicité pour faire la lumière sur ces mystérieuses affaires qui ont endeuillé Paris (la mort d'un serviteur du duc de Bedford et de toute sa maisonnée et celle d'un notaire), Edward Holmes, clerc anglais à la prodigieuse capacité de déduction qui lui permet de démêler l'écheveau de la plus inextricable des affaires, ne se doute pas qu'il lance ainsi à ses trousses un ennemi implacable et déterminé qui n'aura de cesse de le faire tomber.
    Cette troisième enquête d'Edward et Gower m'a bien plu et si je la compare aux deux précédentes, pour moi c'est la meilleure et la plus complexe. J'espère que celles qui la suivent seront à la hauteur !
    Vous le savez peut-être ou alors pas, mais si vous ne le savez pas vous aurez sûrement deviné à la lecture des noms des protagonistes et peut-être même à la lecture du titre, de quel univers Jean d'Aillon s'est inspiré pour créer celui d'Edward Holmes : il s'agit de celui de sir Arthur Conan Doyle et de son fameux enquêteur victorien, Sherlock Holmes. Si certains y ont vu une pâle copie et taxant même Jean d'Aillon de plagiat, personnellement je vois plutôt cette saga comme un bel hommage d'un auteur à un autre.
    Bien loin des brumes anglaises du Londres industriel et de Baker Street, c'est Paris en pleine guerre de Cent ans que Jean d'Aillon situe ses enquêtes, juste avant la mort de Charles VI et un peu après. La France, éprouvée par des années de guerre avec l'Angleterre, ponctuées de trêves plus ou moins longues, l'est surtout par une guerre civile et familiale qui oppose les partisans du duc d'Orléans, appelés les Armagnacs, à la puissante famille de Bourgogne, qui tient le pouvoir et est favorable aux Anglais. En ce début des années 1420, le pouvoir anglais a affirmé sa suprématie sur la couronne française, anéantie par Azincourt en 1415 et affaiblie depuis longtemps par la folie du roi et la régence fragile de la reine Isabeau de Bavière, écartelée entre les factions et incapable de ramener la paix. Le roi Henri V de Lancastre est parvenu à ses fins en ratifiant en 1420 le traité de Troyes, qui stipule que c'est lui qui ceindra la couronne française à la mort de Charles VI. Mais Henry V n'a pas le temps de jouir de sa victoire puisqu'il meurt en août 1422, deux mois avant le roi de France. Institué régent de France et tuteur de son jeune neveu Henry VI, le duc Jean de Bedford gouverne à Paris même si son pouvoir est fragilisé par son frère Gloucester qui s'occupe des affaires d'Angleterre avec leurs oncles.
    Toujours vivante, la reine Isabeau, qui a été écartée du pouvoir vit dans un relatif isolement au palais de Saint-Pol mais Edward sait pouvoir compter sur elle au besoin. Il se lance alors dans une enquête compliquée dans une ville figée par la glace et exsangue à force de guerres : les habitants ont fui et règne dans Paris livrée aux loups et aux assassins une ambiance de fin du monde.
    Cette enquête très embrouillée nous promène comme dans un labyrinthe et on ne comprend pas d'emblée où l'auteur veut en venir ni où il veut nous emmener. Quelles sont les liens entre les différentes affaires qui se présentent et que Edward doit élucider ? Quel est le point commun entre un serviteur du régent, Bedford, et un notaire parisien que rien n'unit en apparence ? Et surtout quel est cet ennemi déterminé qui semble prêt à tout pour faire tomber Edward et lui mettre des bâtons dans les roues ? Toutes ces questions on se les pose évidemment au cours de notre lecture et on a envie de connaître le fin mot de cette histoire. La Ville de la Peur -si vous avez lu Sherlock Holmes ce titre vous aura sûrement évoqué son enquête intitulée La Vallée de la Peur-, est une très bonne enquête policière, comme je les aime : compliquée et embrouillée à souhait.
    De plus, en mêlant habilement une vérité historique à la précision presque chirurgicale à une histoire beaucoup plus fantaisiste et romanesque, l'aureur parvient à recréer un Moyen Âge haut en couleurs, peut-être pas exactement fidèle à la vérité mais efficace et captivant. Dans les romans de Jean d'Aillon il y'a du Sherlock Holmes, du Conan Doyle mais aussi du Dumas qui aimait tant jouer avec l'Histoire et récrire les faits.
    J'ai pris grand plaisir à lire ce troisième tome des aventures parisiennes d'Edward et Gower, même si j'ai parfois eu l'impression que l'auteur prenait un malin plaisir à nous laisser au bord de la route, juste pour le plaisir de nous voir ramer !
    Certes si vous cherchez du spectaculaire ou du gore, si vous aimez les thrillers psychologiques ou vous faire peur et si vous êtes allergiques à l'Histoire mieux vaut passer votre chemin. Mais si ce n'est pas le cas, et si vous êtes curieux, n'hésitez pas à découvrir la plume de Jean d'Aillon dont l'univers foisonnant, inspiré par diverses époques, de l'Antiquité au XIXème siècle, saura sûrement vous convaincre !

    En Bref :

    Les + : le langage travaillé qui nous ramène tout droit au Moyen Âge et l'enquête en elle-même, qui est de qualité, inspirée certes des aventures de Sherlock Holmes mais qui s'en écarte aussi par deux ou trois subtilités et surtout, par la patte de l'auteur. 
    Les - : deux ou trois coquilles notamment dans les notes de bas de page mais rien de grave. 

     

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki 

    Thème de février « Chouchou », 2/12


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  • « Vers la fin de sa vie, quand Mary n'aurait plus rien d'autre à faire qu'à penser à son comportement quand elle était encore jeune, surtout à ces mois-là, ou elle approchait de la fin de sa jeunesse et commençait, finalement, à être vieille, elle se demanderait pourquoi elle avait passé tant de son précieux temps à essayer de changer les choses. »

     

    La Cuisinière ; Mary Beth Keane

     

     

     Publié en 2013 aux Etats-Unis

     En 2016 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Fever

     Editions 10/18

     449 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Immigrée irlandaise arrivée seule à New York à la fin du XIXe siècle, Mary Mallon travaille comme lingère avant de se découvrir un talent caché pour la cuisine. Malheureusement, dans toutes les maisons bourgeoises où elle est employée, les gens contractent la typhoïde. Mary, quant à elle, ne présente aucun symptôme de la maladie. Au contraire, sa robustesse est presque indécente. Un médecin finit par s'intéresser à elle, et les autorités sanitaires, qui l'estiment dangereuse, l'envoient en quarantaine sur une île au large de Manhattan. Commence alors pour cette femme indépendante et insoumise un combat à armes inégales pour sa liberté...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    À la fin du XIXème siècle, à New York, Mary Mallon, immigrée irlandaise, est une cuisinière réputée qui a travaillé pour plusieurs maisons bourgeoises de la ville. En 1899, elle travaille pour les Kirkenbauer quand la typhoïde se déclare, atteignant le petit garçon et sa mère. Employée ensuite chez les Bowen, une nouvelle épidémie se déclare dans la maisonnée, touchant tout le monde...Sauf Mary qui va toujours extrêmement bien et semble être immunisée à la maladie alors qu'elle ne l'a jamais eu...
    C'est ainsi que commence cette affaire sanitaire dans laquelle Mary aura un rôle central : une histoire vraie, qui va mettre en lumière la notion de porteur sain. En gros, Mary Mallon fabrique en elle les bacilles de la typhoïde...Elle est en porteuse et devient donc contagieuse, au contact des aliments qu'elle manipule puis qu'elle sert à ses employeurs. A tel point que la maladie semble la suivre et semble presque immanquablement se déclarer dans chacune des maisons où elle passe, sans qu'elle fasse le lien avec elle-même, cela dit, étant totalement ignorante de cette particularité qui est la sienne, particularité assez tragique au demeurant, puisque Mary sème la maladie et la mort sur son passage, sans rien y pouvoir et surtout, sans le vouloir.
    Bientôt son cas intéresse la science et celle que les hournaux vont rapidement surnommer Mary Typhoïde est placée en quarantaine sur une petite île isolée au large de Manhattan : North Brother. Là, elle doit se soumettre à des tests réguliers destinés à mettre en lumière les mécanismes de son corps et la manière dont elle transmet cette toxicité qu'elle fabrique à l'intérieur d'elle.
    Le cas de Mary Mallon est assurément un cas de la médecine. C'est aussi un destin à part et un destin un peu tragique quand on pense que cette femme a passé de nombreuses années quasiment en captivité, traitée comme une criminelle, soumise à des tests humiliants. Comment accepter d'être enfermé, isolé, quand on est innocent et à plus forte raison, ignorant de la chose que l'on nous reproche ? Et en même temps, comment ne pas se sentir coupable quand les médecins vous disent que vous avez provoqué la maladie et la mort de certaines personnes ? Comment accepter de porter en soi une maladie dont on ne souffre pas mais que l'on transmet et qui influe si brutalement sur notre vie quotidienne ?
    Si la manière dont l'auteure a traité son personnage ne m'a pas forcément permis de m'attacher à Mary, que j'ai souvent regardée d'un œil assez distant, malgré tout je me suis mise à sa place : comment rester de marbre devant une telle chose, une telle histoire ? Comment ne pas se dire que ce qui est arrivé à Mary aurait pu arriver à d'autres, à nous, peut-être ? J'ai aussitôt compris l'horreur que cela pouvait être elle de se retrouver du jour au lendemain coupée de sa vie, des lieux familiers qu'elle fréquentait, de l'homme avec qui elle vivait, foncièrement innocente mais regardée comme coupable par les médecins.
    J'ai été sidérée aussi par cette médecine du début du XXème siècle, qui semble à un carrefour : déjà tournée vers la modernité mais encore loin des techniques de pointe et semblant toujours s'exercer, parfois, de manière pleine d'obscurantisme. Mary est un peu comme une lépreuse moderne, isolée de la société parce qu'on ne comprend pas son cas mais que l'on est conscient qu'elle présente un danger. Alors, pour préserver des millions de personnes, les habitants de cette ville tentaculaire qu'est déjà New York, on en sacrifie une et ma foi, le sacrifice n'est pas bien grand : Mary n'est-elle pas qu'une simple cuisinière, après tout ? Et, qui plus est, une immigrée et en plus, une femme ? Ce n'est franchement pas grand chose !
    Ce roman m'a rappelé celui de Gaëlle Nohant, La Part des Flammes, qui se passe sensiblement à la même époque. On constate une certaine toute-puissance de la médecine et la non prise en compte du patient -ou, ici en l'occurrence, l'objet d'études- en tant que sujet. Dans La Part des Flammes, c'est la psychiatrie qui est abordée, de manière assez glaçante quand on se rend compte de la manière dont on considérait les patients à l'époque...Dans La Cuisinière, Mary devient pour ses médecins, peut-être pas une bête de foire mais un véritable cobaye dont on va user pour comprendre cette notion de porteur sain, qui semble encore bien nébuleuse. La médecine, qui est censée être là pour nous sauver, nous soulager, devient ici une sorte d'entité que l'on craint, qui enferme, qui humilie et qui dicte sa loi.
    Je crois que ce roman est d'autant plus fort que c'est une histoire vraie. Même si, comme je le disais plus haut, je n'ai pas vraiment éprouvé de sympathie pour Mary, malgré tout, je n'ai pas pu m'empêcher de me mettre à sa place et j'ai parfaitement compris sa panique, son impuissance, quand elle est mise en quarantaine : North Brother devient une sorte de huis-clos suffocant et convoque nos peurs instinctives les plus enfouies...la peur de clamer son innocence et de ne pas être cru, la peur d'être enfermé sans possibilité de sortir ou de communiquer avec l'extérieur... Je n'ai pas toujours été très à l'aise en lisant ce roman, même si la sensation s'est vite dissipée.
    Enfin, ce roman est un beau portrait de cette ville de New York du début du XXème siècle. C'est déjà une ville tentaculaire mais, évidemment, on est encore loin de la mégapole ultra-moderne que l'on connaît aujourd'hui. New-York est une ville cosmopolite qui vit à mille à l'heure et se développe tout aussi rapidement...c'est aussi une ville sale, où misère et pauvreté cotoient richesse et propreté des beaux quartiers. On est loin de l'american dream si cher aux Européens de l'époque, qui émigrent en masse, notamment les Irlandais et les Italiens. On est loin aussi de cet eldorado que ce monde que l'on considère encore comme nouveau, semble promettre et bien des destins sont brisés, à l'instar de ceux de Mary et d'Alfred, par la fatalité, par la faute à pas-de-chance, parce que l'Amérique est un ogre qui dévore et qui broie et qui ne laisse pas sa chance à tout le monde.
    Enfin, pour finir, je dirais que La Cuisinière est un roman riche et bien documenté, qui aborde un destin tombé dans l'oubli et c'est tout à l'honneur de l'auteure de réhabiliter Mary, considérée comme une coupable en son temps, alors qu'elle ne pouvait tout simplement rien y faire. Son aspect médical est intéressant, même pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas forcément.
    En bref, je ne regrette pas d'avoir découvert ce roman même si je n'y ai pas tout aimé et que j'ai trouvé le personnage de Mary pas vraiment facile à aborder. Si vous aimez les romans historiques qui tiennent la route, avec un sujet percutant, vous ne serez sûrement pas déçu par celui-ci.

    En Bref :

    Les + : le roman est riche, dense et bien documenté, d'autant plus fort qu'il évoque une véritable affaire et un véritable destin. 
    Les - : une certaine distance est instaurée entre le lecteur et les personnages. Personnellement, je n'ai réussi à m'attacher à aucun et cela m'a un peu manqué. 


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  • In My Mail Box - Février 2020 

     

    In My Mail Box - Février 2020

     

    Hey ! Bonjour à tous ! On se retrouve aujourd'hui pour le premier In My Mail Box de l'année 2020 et j'ai hâte de vous présenter les petits nouveaux qui ont rejoint ma PAL en ce début d'année. Le dernier IMM remontait à novembre dernier, autant dire que j'ai été raisonnable ces derniers mois et j'ai même résisté aux fêtes de fin d'année. 

    Je profite de cette première édition de l'année pour donner un coup de jeune à ces articles dont la présentation ne me plaisait plus spécialement... C'est donc l'occasion d'en changer un peu la présentation et d'écrire des articles qui me plairont un peu plus, du coup, j'imagine qu'ils vous plairont peut-être aussi plus ! ;) 

    Alors c'est parti pour la présentation des romans ayant rejoint ma PAL en février. 

     

    Couverture Une jeune fille de bonne famille  

    • Une Jeune Fille de Bonne Famille, Audrey Perri, Editions City, 2020, 320 pages

    Aussitôt reçu, aussitôt lu. Ce mois-ci, j'ai eu la chance de recevoir, en avant-première, le nouveau roman d'Audrey Perri, ancienne blogueuse que je suis avec fidélité depuis qu'elle s'est lancée dans l'écriture. 

    Résumé : À la mort de son père en 1865, Eva, sans ressources, est contrainte de quitter la maison familiale. Elle a pourtant passé toute sa jeunesse dans ce lieu idyllique de la campagne anglaise, aux côtés de Constance, sa meilleure amie, devenue gouvernante à Londres quelques mois plus tôt.
    Lorsqu’elle apprend que Constance est morte en tombant d’une fenêtre, l’univers de la jeune femme s’écroule. Bien décidée à comprendre ce qui est arrivé, elle se fait engager chez les Gardner, la famille où son amie était gouvernante.

    Du salon des maîtres à l’office des domestiques, le mystère qui entoure la mort de Constance s’épaissit. Pourquoi tout le monde refuse de parler de la défunte ? Où a disparu le carnet intime de la jeune femme ? Dans les méandres d’une histoire familiale dévastée, Eva va découvrir un dangereux secret...

    L'auteure nous y parle de secrets et d'amitié et tout cela dans le cadre passionnant de l'époque victorienne à Londres. 

    In My Mail Box - Février 2020

    • Kerfol et Autres Histoires de Fantômes, Edith Wharton, Editions Le Livre de Poche, collection Les Classiques de Poche, 2011, 253 pages

     

    Parce que cette année, j'ai décidé de me planifier des lectures de saison, pour octobre, j'ai prévu de découvrir Edith Wharton avec Kerfol et Autres Histoires de Fantômes, un recueil de nouvelles parfait pour la période d'Halloween... 

    Résumé : Les fantômes whartoniens se glissent dans ces interstices de silence oppressant, minéral ou granitique, dans « ce trou, béant, surgi soudain dans notre expérience ». Ils n’effraient plus, comme les fantômes anciens, par leurs apparitions spectaculaires et leur attirail gothique, mais par leur passage secret et discret, le frôlement furtif de leur « immense absence » et de leur palpable présence, en bas de l’escalier, derrière la porte de la bibliothèque, ou bien à l’autre bout de la table – si près qu’on pourrait presque les toucher.

    Je ne sais pas à quoi m'attendre, je ne sais pas si ça va me faire peur ou pas, mais j'ai très envie de découvrir cette auteure américaine dont l'univers a l'air assez passionnant. 

    • Le Livre de Noël, Selma Lagerlöf, Editions Babel, 2007, 107 pages

    Autre lecture de saison, cette fois pour décembre... Oui, j'anticipe !

    Résumé : Au fil de ces récits, aussi charmants que des contes dits à la veillée, on fera la connaissance d'une petite fille suédoise qui reçoit un livre d'étrennes...
    en français. On découvrira l'origine de la légende de sainte Luce, très prisée en Suède. On saura ce que font les animaux durant la nuit de Noël et comment le rouge-gorge devint rouge. On apprendra qu'une mère peut être jalouse de sa propre fille. On lira l'aventure d'un colporteur, voleur et repenti. On assistera au dialogue entre un fossoyeur et le crâne d'un homme assassiné. Et l'on sera surpris par une confrontation inédite entre Jésus et Judas.
    De ce recueil, profondément empreint de foi religieuse mais aussi de chaleur et de philosophie, émane ce que l'on appelle volontiers la magie de Noël : un mélange de générosité et de mélancolie, de compassion et de joie, sublimé par le talent de conteuse de Selma Lagerlöf.

    La Scandinavie et ses paysages enneigés, ses longues nuits, m'a toujours évoqué Noël. Ce sont des pays où j'imagine le Père Noël vivre dans une petite cabane au milieu des sapins, avec ses rennes et ses lutins. A cette période de l'année, on aime les lectures magiques et qui nous font retomber dans l'ambiance. Parce qu'en 2019, j'ai eu énormément de mal à me mettre dans l'ambiance de Noël et cela m'a manqué, j'espère que cette lecture, en 2020, va me permettre de retrouver un peu de cette magie que je n'ai pas réussi à associer aux dernières fêtes de fin d'année. 

     

    In My Mail Box - Février 2020

     

        Couverture Le Hors Venu   Couverture Le sang des ombres   Couverture Les dieux dévoreurs   Couverture À l'orient du monde

    • La Saga de Tancrède le Normand, tomes 4 à 7, Editions 10/18, 2007-2010


    Début février, j'ai lu les trois premiers tomes de La Saga de Tancrède le Normand, de Viviane Moore et j'ai beaucoup aimé. Je craignais de ne pas pouvoir trouver les tomes suivants alors quand j'ai vu qu'ils étaient disponibles, je me suis empressée de tous les commander, afin de pouvoir terminer cette série qui, au vu de ses trois premiers opus, a l'air prometteuse.

    Résumé : Viviane Moore nous raconte l'histoire de Tancrède, jeune Normand de Sicile parti sur les traces de son passé, en compagnie de son maître et mentor, Hugues de Tarse. De la Normandie du XIIème siècle, jusqu'aux terres ensoleillées de la Sicile, où règne la famille de Hauteville, d'origine normande, ils connaîtront maintes aventures.

    Des chevaliers, des secrets, des rebondissements, les brumes de la Normandie des Plantagenêt, le soleil et les senteurs d'amandiers et d'agrumes de la Sicile des Hauteville...Cette saga a décidément tout pour me plaire.

     

     


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  • L'instant poétique #1 : Liberté, Paul Eluard, 1942 

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    Le poème d'Eluard illustré par son ami Fernand Léger en 1953

    • LE POÈME

     

    Sur mes cahiers d’écolier
    Sur mon pupitre et les arbres
    Sur le sable sur la neige
    J’écris ton nom

    Sur toutes les pages lues
    Sur toutes les pages blanches
    Pierre sang papier ou cendre
    J’écris ton nom

    Sur les images dorées
    Sur les armes des guerriers
    Sur la couronne des rois
    J’écris ton nom

    Sur la jungle et le désert
    Sur les nids sur les genêts
    Sur l’écho de mon enfance
    J’écris ton nom

    Sur les merveilles des nuits
    Sur le pain blanc des journées
    Sur les saisons fiancées
    J’écris ton nom

    Sur tous mes chiffons d’azur
    Sur l’étang soleil moisi
    Sur le lac lune vivante
    J’écris ton nom

    Sur les champs sur l’horizon
    Sur les ailes des oiseaux
    Et sur le moulin des ombres
    J’écris ton nom

    Sur chaque bouffée d’aurore
    Sur la mer sur les bateaux
    Sur la montagne démente
    J’écris ton nom

    Sur la mousse des nuages
    Sur les sueurs de l’orage
    Sur la pluie épaisse et fade
    J’écris ton nom

    Sur les formes scintillantes
    Sur les cloches des couleurs
    Sur la vérité physique
    J’écris ton nom

    Sur les sentiers éveillés
    Sur les routes déployées
    Sur les places qui débordent
    J’écris ton nom

    Sur la lampe qui s’allume
    Sur la lampe qui s’éteint
    Sur mes maisons réunies
    J’écris ton nom

    Sur le fruit coupé en deux
    Du miroir et de ma chambre
    Sur mon lit coquille vide
    J’écris ton nom

    Sur mon chien gourmand et tendre
    Sur ses oreilles dressées
    Sur sa patte maladroite
    J’écris ton nom

    Sur le tremplin de ma porte
    Sur les objets familiers
    Sur le flot du feu béni
    J’écris ton nom

    Sur toute chair accordée
    Sur le front de mes amis
    Sur chaque main qui se tend
    J’écris ton nom

    Sur la vitre des surprises
    Sur les lèvres attentives
    Bien au-dessus du silence
    J’écris ton nom

    Sur mes refuges détruits
    Sur mes phares écroulés
    Sur les murs de mon ennui
    J’écris ton nom

    Sur l’absence sans désir
    Sur la solitude nue
    Sur les marches de la mort
    J’écris ton nom

    Sur la santé revenue
    Sur le risque disparu
    Sur l’espoir sans souvenir
    J’écris ton nom

    Et par le pouvoir d’un mot
    Je recommence ma vie
    Je suis né pour te connaître
    Pour te nommer

    Liberté.

    Paul Eluard

     

    • ET CA PARLE DE QUOI ?

    Considéré comme un véritable plaidoyer de la Résistance, cet ode à la liberté est, au départ, une oeuvre dédiée à l'épouse de Paul Eluard, Nusch (née Maria Benz) et s'intitule Une seule pensée. Mais Paul Eluard révèle qu'en écrivant ce poème, le seul mot qui lui revient à l'esprit est celui-ci : « liberté ». Publié le 3 avril 1942 dans le recueil clandestin Poésie et Liberté, il est diffusé sous le titre Une seule pensée en zone libre. Repris à Londres par la revue La France Libre, le texte est parachuté en milliers d'exemplaires au-dessus de la France, par les avions de la Royal Air Force. Repris de multiples fois, dans des films ou parfois même mis en musique, traduit en plusieurs langues, Liberté est, avec Le Chant des Partisans écrit par Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon, considéré comme un texte consubstantiel à la Résistance française pendant la Seconde Guerre Mondiale. 

    • L'AUTEUR EN QUELQUES PHRASES

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Né Eugène Grindel à Saint-Denis le 14 décembre 1895 et mort à Charenton-le-Pont en 1952, Paul Eluard est un poète français proche du mouvement Dada et considéré comme l'un des piliers du surréalisme.


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