• « Vous n'avez pas le choix, Lucia. Si vous voulez retrouver un avenir, vous allez devoir dépasser vos limites et marcher sur les cendres de votre passé. »

    Les Lionnes de Venise, tome 1 ; Mireille Calmel

     

     

     

     Publié en 2018

     Editions Pocket 

     352 pages 

     Premier tome de la saga Les Lionnes de Venise

     

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    Venise, campo Santa Fosca, octobre 1627. Lucia, jeune et espiègle Vénitienne, se retrouve au milieu des flammes qui dévastent la modeste imprimerie familiale. Sous ses yeux, son père est enlevé par trois hommes armés. Qui donc se cache derrière ce crime ? La veille, la magnifique Isabella Rosselli, la plus rouée des espionnes de la cité des Doges, est venue faire reproduire une étrange gravure... 
    Lucia est décidée à percer cette énigme et à sauver son père. Dans une quête effrénée, elle s'immisce parmi les puissants, se mêle au bal des faux-semblants du carnaval, s'enfonce dans les arrière-cours des palais. 
    Une Venise fascinante, oppressante, où le pouvoir se confond avec l'amour, où les étreintes succèdent aux duels, et les baisers aux complots. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1627 à Venise, la jeune Lucia coule des jours heureux auprès de son père, imprimeur. Jusqu'à ce jour d'octobre où une belle et mystérieuse femme apporte à Giuseppe de Seva, le père de Lucia, une gravure qu'il semble reconnaître comme celle pour laquelle son propre père a disparu sans laisser de traces, vingt-sept ans plus tôt. Une gravure aussi mystérieuse que dangereuse et les de Seva sont en passe de s'en rendre compte d'amère manière.
    Un matin, Lucia découvre l'imprimerie en feu et son père emmené par des hommes masqués. Contrainte de laisser derrière elle sa maison réduite en cendres et tous ses souvenirs, Lucia se lance dans une course folle destinée à libérer son père et se venger de leurs ennemis, dans une Venise sulfureuse et vénéneuse où des prostituées peuvent se cacher derrière les voiles de pudiques nonnes et les pires malfrats derrière les ors de beaux costumes et de hautes dignités. En quelques jours, Lucia va devoir apprendre à s'en sortir seule, à déjouer les pièges de ses ennemis et à la jouer plus fine qu'eux pour sauver ce qui lui est cher. Quand en plus de cela, la ville est en proie à une Acqua Alta sans précédent, l'expérience se corse et la jeune femme s'expose à bien des dangers.
    Sur le papier, ce roman de Mireille Calmel avait tout pour me plaire : en lisant le résumé j'ai pensé aux récits vivants et enlevés de Juliette Benzoni, j'ai supposé que ce roman allait totalement me convaincre mais voilà... il m'a manqué un petit quelque chose pour trouver cette lecture autre que divertissante. C'était sympa mais peut-être pas aussi approfondi que je l'aurais souhaité. Surtout je suis ressortie de cette lecture sans aucune réponse à toutes les questions que ma lecture m'a fait me poser. Pour cela, il faut peut-être lire le deuxième tome, ce que je ferais avec plaisir mais surtout pour obtenir des réponses. Cette mystérieuse gravure, quelle est-elle et pourquoi suscite-t-elle tant de convoitises ? Quel est son lien avec les de Seva ?
    L'apparent mystère du roman, ressenti dès le début, a accroché mon attention mais n'a au final qu'embrouillé mon esprit, ce que je regrette parce que je n'ai pas réellement profité de cette lecture et je ne peux donc rien vous en dire de plus que : ce fut une lecture divertissante mais pas la lecture du siècle malheureusement. Pourtant j'aurais vraiment souhaité qu'il en soit autrement parce que le roman est prometteur. Seulement ça va vite, trop peut-être pour pouvoir s'attacher aux personnages, assimiler tous les rebondissements qui se succèdent et qui, ça c'est sur, rendent le récit hyper dynamique. On court, on vole, des palais de Venise où vient de s'ouvrir le carnaval en fêtes débridées et lumineuses jusqu'aux ruelles populeuses et dangereuses de la Sérénissime. Dans une ville en proie aux montées des eaux spectaculaires de l'automne, le sentiment d'urgence s'accroît, nous gagne aussi.
    Ce serait vous mentir si je vous disais que je n'ai pas du tout être captivée par ce roman. J'ai été un peu déçue parce que je ne m'attendais pas à ça, je n'ai pas eu exactement ce que je voulais. Mais je n'ai pas détesté le roman pour autant. J'aime ces intrigues qui s'articulent autour d'un document recelant mystères et dangers... malheureusement j'ai ressenti un gros manque d'approfondissement : les personnages sont survolés et je n'ai réussi à m'attacher à aucun. L'intrigue en elle-même, concentrée sur quelques jours seulement, va peut-être trop vite aussi. Je n'aime pas les longueurs mais leur exact opposé non plus : un juste milieu est cent fois plus appréciable.
    Moi qui avais beaucoup aimé le roman La Marquise, dont l'héroïne est l'épouse du marquis de Sade, je m'attendais avec Les Lionnes de Venise à une intrigue dans la même veine. J'ai été détrompée, tant pis pour moi. J'espère être plus emballée par le second volume et le trouver un peu plus que simplement divertissant !

    En Bref :

    Les + : l'intrigue tournant autour d'un mystérieux document aussi vénéneux que dangereux, les pièges et les plaisirs d'une Venise corrompue...le roman est dynamique et enlevé...
    Les - :
    ...malheureusement, le roman a peiné à me convaincre entièrement malgré des qualités indéniables et cette magnifique couverture qui donne envie de tourner la page et regarder ce qui se cache dans le roman !

     

     Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

    Thème de mars « Petit nouveau », 3/12


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  • « N'était-il pas étrange que Dieu nous ait chargés de garder l'un des plus grands trésors de l'humanité et le plus grand à coup sûr du peuple juif, nous qui portons en nous le sang des rois de Jérusalem, des empereurs de Byzance et du grand Saladin ? »

     Couverture Les chevaliers, intégrale : Le roi lépreux, La malédiction, Les trésors templiers

     Publié en 2018

     Editions Plon 

     960 pages 

     Comprend : Le Roi Lépreux ; La Malédiction ; Les   Trésors Templiers

     

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    La trilogie des Chevaliers compte parmi les séries à succès de la reine du roman historique français.
    A travers les trois héros templiers que sont Thibaut -ami et écuyer du prince Baudoin IV avec qui il partage le pouvoir en secret alors que la lèpre ronge ce dernier-, Renaud -accusé de parricide et en chemin pour la septième croisade - et Olivier - qui, voulant devenir à son tour templier, fait la désolation de ses parents, le Temple ayant été chassé de Terre Sainte-, Juliette Benzoni s'attaque ici à l'histoire des croisades, de 1176 à 1320, et met en scène trois générations à la recherche des trésors perdus des religions monothéistes : la Vraie Croix, l'Arche d'Alliance et le Sceau de Mahomet.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En cette période un peu particulière de confinement, je me suis dit que c'était le moment ou jamais de sortir de ma PAL ce gros bouquin de presque mille pages qui est en fait une intégrale d'une vieille saga de Juliette Benzoni, Les Chevaliers.
    Si vous la connaissez, si vous la lisez, vous savez que Benzoni écrit plus volontiers sur l'époque moderne et notamment le XVIIème siècle, époque où elle a situé la plupart de ses intrigues.
    Ses romans se passant au Moyen Âge sont rares mais je m'étais aperçue qu'ils étaient très bons, à la lecture de Un si Long Chemin, il y'a quelques années. Par rapport à d'autres sagas un peu plus inégales, j'avais trouvé ce roman vraiment très agréable à lire même s'il faut être honnête, je n'ai jamais vraiment déçue par un roman de Benzoni.
    Ici, l'auteure se propose de nous raconter, en à peu près 150 ans, le destin d'une lignée de chevaliers, de la Terre Sainte du XIIème siècle jusqu'à la France des derniers Capétiens directs, au début du XIVème siècle.
    À Jérusalem dans les années 1160, Thibaut de Courtenay est le fils bâtard de Jocelin de Courtenay, oncle du jeune roi Baudouin dont Thibaut est le compagnon dévoué. Mais ce garçon si beau et qui incarne les espérances des États latins d'Orient porte en lui un mal terrible, terrifiant et incurable : la lèpre. Dans un pays gangrené par les luttes de pouvoir, les ambitions personnelles et la soif de conquête musulmane, portée par Saladin, Baudoin IV le roi lépreux conduira son royaume jusqu'au bout, malgré la maladie qui le ronge vivant et lui interdit le mariage et même d'être touché pour ne pas transmettre son mal. Après sa mort, dans un pays à l'avenir instable où les seigneurs chrétiens d'Orient comme d'Occident se disputent les mânes du roi lépreux en autour de ses deux sœurs, héritières du royaume, Thibaut restera fidèle au souvenir de celui qui a été son compagnon d'enfance et à la dame qui occupe ses pensées, la jolie Isabelle.
    À l'époque de Louis IX alors que les cathares de Montségur brûlent sur le grand bûcher érigé en bas du pog, le jeune Renaud des Courtils échappe à un bailli malhonnête qui lui veut du mal. Seul au monde, il trouve refuge au fond de la forêt, chez un ermite, ancien Templier et qui lui apprend ses origines et sa naissance en Terre Sainte. Devenu homme d'armes de Robert d'Artois, puis de son frère le roi de France, Renaud les accompagne en croisade et notamment en Egypte où il assistera à la terrible défaite de La Mansourah. Amoureux de la douce reine Marguerite de Provence, Renaud va apprendre à louvoyer dans le monde des grands nobles qui est tout sauf tendre et à vivre dans l'ombre d'un roi guerrier mais déjà en odeur de sainteté.
    Au début du XIVème siècle, c'est le petit-fils de saint Louis qui règne : celui que Maurice Druon a surnommé « le roi de fer », Philippe le Bel. Olivier, le fils de Renaud, est devenu Templier malgré l'opposition de ses parents. En 1307, il échappe à l'arrestation massive des chevaliers du Temple par le roi et se cache mais n'aura de cesse de contrer le pouvoir royal.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    La bataille de Montgisard, en 1177 qui oppose le royaume de Jérusalem et Saladin (Charles-Philippe de La Rivière, 1844, collection du château de Versailles)


    Ce roman est une intégrale : vous trouverez rassemblé en un seul gros volume les trois livres qui composent à l'origine cette saga. Pour moi, ce type de livres a les défauts de ses qualités : l'avantage indéniable, c'est de pouvoir lire des romans plus forcément réédités et difficiles à trouver. Mais en ce qui me concerne, j'ai du mal à me dire que je lis trois livres bien définis et à faire une pause entre chaque. Du coup c'est vrai que ce fut une lecture longue et laborieuse par moments sans que j'aie, toutefois, envie de laisser tomber. J'ai peut-être été plus captivée par le premier tome mais dans l'ensemble ce fut une lecture très sympathique.
    Juliette Benzoni est une bonne conteuse. Et même si parfois le style s'affaiblit un peu, l'auteure arrive toujours a capter l'attention de son lecteur. Ici, j'ai préféré le premier tome, Le Roi Lépreux, parce c'est un pan de l'Histoire que je connais moins bien : le règne presque saint d'un jeune roi très beau et plein d'abnégation, qui met de côté sa souffrance personnelle et la perspective d'être condamné à plus ou moins brève échéance pour faire corps avec la souffrance de son royaume de Jérusalem mis à mal par les ambitions de conquête du charismatique Saladin. Sa mort et les successions qui s'ensuivent, mettant ses deux sœurs Sybille et Isabelle au cœur de véritables crises dynastiques voire matrimoniales qui vont conduire petit à petit à la disparition des États latins d'Orient. On y découvre aussi la vie là-bas, curieux mélange de culture chrétienne d'autant plus forte qu'elle est menacée mais mâtinée malgré tout de cet art de vivre à l'orientale que les croisés arrivés d'Occident découvrent avec émerveillement : on ne partage pas la religion des musulmans mais on vit comme eux à bien des égards et cela fond insidieusement les peuples entre eux.
    Je ne m'attarderai pas sur le tome deux qui est intéressant à sa manière mais m'est surtout apparu comme un tome de transition entre Le Roi Lépreux et Les Trésors Templiers.
    Ce dernier a peut-être davantage capté mon intérêt parce qu'il démarre à une époque que j'apprécie énormément depuis que j'ai lu Les Rois Maudits de Druon en 2008 : c'est le début du XIVème siècle, le règne de Philippe IV le Bel et ceux de ses trois fils, qui marquent la fin des Capétiens directs et annoncent déjà la Guerre de Cent ans. Dans son roman, Druon dit que la fin de la lignée née avec Hugues Capet découle de cette malédiction qu'aurait proférée Jacques de Molay, Grand Maître du Temple mort sur le bûcher en mars 1314 : il aurait maudit ceux qui l'ont condamné, autrement dit le pape Clément V, le roi Philippe et le garde des sceaux, Guillaume de Nogaret. En reprenant à son compte cette légende forgée de toutes pièces par l'esprit génial d'un auteur incomparable, Juliette Benzoni nous propose donc une plongée dans un Moyen Âge puissant et mystique, entre légendes et réalités historiques (légendes parce qu'on sait bien aujourd'hui que les trésors templiers n'existent pas et qu'aucune malédiction n'a été lancée par Jacques de Molay au moment de sa mort). En prenant comme héros une lignée imaginaire mais rattachée aux puissants seigneurs de Courtenay qui donnèrent notamment un empereur de Constantinople, l'auteure évoque cette chevalerie si puissante au Moyen Âge centrale, consubstantielle du mode de vie féodal et qui est en train de connaître son apogée avant de décliner doucement jusqu'à la Renaissance.
    Si vous aimez le Moyen Âge, ses intrigues, ses mystères, ses personnages haut en couleurs, alors n'hésitez plus ce livre est fait pour vous mais armez-vous de patience : c'est un gros bouquin où il se passe plein de choses et il se lit lentement. Mais il en vaut la peine : clairement dans une saga comme celle-ci, Juliette Benzoni nous fait une belle démonstration de la maîtrise qu'elle a de son art d'écrivain, qui est bien plus évident que dans certains autres de ses livres, notamment ces livres que j'appelle catalogues qui sont des compilations de plusieurs époques et de plusieurs destins et qui ne permettent pas à son talent de s'exprimer pleinement.
    On passera sur deux ou trois petites approximations qui sont à mon avis des erreurs d'étourderie ou de frappe et qui, au regard de la densité du livre ne sont vraiment que mineures. 

     

    Exécution des dignitaires du Temple, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay en mars 1314 (miniature, vers 1380)

    En Bref :

    Les + : Juliette Benzoni nous emmène dans une chevauchée fantastique, une véritable épopée médiévale, des déserts arides de la Terre Sainte jusqu'au Paris de Philippe le Bel. C'est assez passionnant même si ma lecture a été très longue du fait du nombre de pages. 
    Les - :
    deux ou trois approximations et une erreur dans le résumé, mais au regard de la teneur du volume, ce n'est pas très grave.

     

     


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  • #27 : Agnès Sorel (1422 - 1450)

     

     

    La Vierge allaitante de Jean Fouquet est l'un des plus célèbres portraits de la favorite royale (1454 - 1456) qui prête ses traits à la Vierge Marie. 

    Agnès Sorel est née au XVème siècle, probablement dans les années 1420 et elle est surtout connue pour avoir été la favorite du roi Charles VII. Elle le sera durant cinq années de 1444 à 1449 et donnera quatre enfants au roi.
    Agnès Sorel serait née à Fromenteau (commune de Yzeures-sur-Creuse), en Touraine ou bien en Picardie, à Coudun plus précisément, une localité qui se trouve près de Compiègne, d'où était originaire son père, Jean Soreau ou Sorel, seigneur de Coudun. Sa mère, Catherine de Maignelais était châtelaine de Verneuil-en-Bourbonnais.
    Agnès était la seule fille au milieu d'une fratrie composée de quatre garçons : Charles, André, Jean et Louis. Certains membres de sa famille ne sont pas inconnus puisqu'Agnès Sorel, une fois devenue favorite du roi, assura leur promotion. Il s'agit par exemple de Geoffroy Sorel, qui fut promu évêque ou de Jean de Maignelais, promu capitaine de Creil.
    En Picardie, Agnès reçut une éducation soignée. En effet, dès son plus jeune âge, on la prépara à devenir demoiselle de compagnie d'Isabelle de Lorraine, reine de Sicile et épouse du roi René d'Anjou, tenant une cour très raffinée. Cette charge était pourtant peu convoitée car ne concédant que peu d'avantages matériels : en effet, Agnès ne recevait que dix lives par an. Des femmes bien nées ou recommandées, comme Catherine de Serocourt, pouvaient recevoir une somme plus importante.
    Alors qu'elle se trouve à la cour angevine, la jeunesse et la beauté d'Agnès Sorel la font remarquer par le roi de France, Charles VII, de vingt ans son aîné. Pierre de Brézé, qui a remarqué que son roi n'est pas indifférent aux charmes de la belle, lui présente donc celle qui sera regardée bientôt comme la plus
    jolie femme du royaume. Très rapidement, en 1444, Agnès Sorel passe du rang de demoiselle d'honneur d'Isabelle de Lorraine à celui de première dame -officieuse- du royaume. Officiellement, elle est demoiselle de la maison de la reine Marie d'Anjou, mais a aussi le statut officiel de favorite royale, ce qui
    est une nouveauté : les rois de France, jusque là avaient eu des maîtresse mais ces dernières devaient se contenter de rester dans l'ombre. D'ailleurs, les autres maîtresse qu'a pu avoir Charles VII n'ont jamais eu l'importance d'Agnès Sorel. Peu à peu, c'est Agnès qui prend de l'importance et son aura rejette la reine, déjà discrète et pieuse, dans l'ombre. Agnès dicte une nouvelle mode : elle abandonne les voiles et les guimpes, invente le décolleté épaules nues (« aux ouvertures de par-devant par lesquelles on voit les tétons» dit Jean Jouvenel), de vertigineuses pyramides surmontent ses coiffures et ses robes sont parfois additionnées de longues traînes qui peuvent aller jusqu'à huit mètres de long ! Pour prendre soin de sa beauté, elle utilise des produits cosmétiques pourtant violemment décriés par l'Eglise : elle utilise des crèmes et des onguents pour la peau, use de fards et de rouge à lèvres produit avec des pétales de coquelicots écrasés. Elle est, en plus, couverte de somptueux cadeaux par son royal amant. Charles VII lui offrira notamment le tout premier diamant taillé connu à ce jour.
    Néanmoins, la relation d'Agnès Sorel avec le roi Charles VII est mal vue, notamment par le fils du roi, le futur Louis XI, qui considère que cette liaison est un affront fait à sa mère, la reine Marie. Une discorte s'ensuivra d'ailleurs entre le père et le fils et Charles VII devra éloigner son fils de la Cour. Après la naissance des enfants d'Agnès et Charles, des moralistes tels Thomas Basin ou Jean Jouvenel des Ursins écrivent que la jolie Agnès est responsable du réveil sensuel du roi Charles VII et ils jugent sévèrement sa liberté de mœurs et l'accusent de faire du roi chaste jusqu'ici un homme débauché et entièrement
    soumis à sa maîtresse. La favorite garde néanmoins une influence non négligeable sur le roi, réussit à imposer ses amis à la Cour et reçoit de Charles VII les fiefs de Beauté-sur-Marne, Vernon, Issoudun, Roquesezière et lui offre le domaine de Loches où elle fera bâtir le château surplombant la ville. Ce n'est peut-être qu'une légende mais ne raconte-t-on pas qu'un jour, Agnès dit au roi qu'on lui avait prédit qu'elle serait la maîtresse d'un grand roi et qu'elle lui demandait la permission de se rendre en Angleterre puisque le souverain de ce pays était bien plus grand que Charles, incapable de reprendre son royaume à ses ennemis son royaume. « Sire, aurait-elle dit, c’est lui sans doute que regarde la prédiction, puisque vous allez perdre votre couronne, et que bientôt Henri va la réunir à la sienne. » En piquant l'orgueil de son amant, Agnès l'aurait ainsi poussé à reprendre les armes et à s'emparer des dernières terres françaises encore sous domination anglaise comme la Normandie, qui sera définitivement reprise en 1449. Même si cette anecdote est certainement fausse, elle illustre assez bien l'influence qu'Agnès pouvait avoir sur le roi et qui ne fait pas de doutes aux yeux de ses contemporains. Les historiens et chroniqueurs de la fin du Moyen Âge puis de la Renaissance faisant naître Agnès vers 1410 et débuter sa liaison avec le roi vers 1433 font d'elle la continuatrice de Jeanne d'Arc, le soutien de Charles VII le tirant de son indolence et le poussant dans le combat contre les Anglais.
    La relation avec le roi est bien sûr aussi charnelle et portera ses fruits. Du roi, elle aura quatre enfants : Marie de Valois (parfois appelée à tort Marguerite), Charlotte de Valois, Jeanne de France et l'enfant de Jumièges, une fille née prématurément, qui serait morte en bas âge et dont on ne connaît pas le nom. Charlotte de Valois sera, plus tard, la mère de Louis de Brézé, connu pour avoir été l'époux de la belle Diane de Poitiers, une autre célèbre favorite royale. Surprise par son époux avec son amant, elle sera assassinée par lui. 
    Agnès Sorel meurt en février 1450 au Mesnil-sous-Jumièges, près de Rouen, où elle vient d'être installée par le roi dans le Manoir de la Vigne. Prise soudainement d'un flux de ventre, elle s'éteint en quelques heures seulement, non sans recommandé son âme à Dieu et à la Vierge. Elle lègue aussi tous ses biens à la collégiale de Loches afin que des messes soient dites pour le repos de son âme. Cette mort rapide et brutale fit dire qu'elle n'était pas naturelle mais actuellement, aucune preuve ne permet de dire avec certitude qu'Agnès Sorel est morte empoisonnée. On accusera même Jacques Coeur, dont elle avait été l'amie et qui était son exécuteur testamentaire de lui avoir administré le poison mais de ce chef d'accusation il sera lavé lors de son procès. On considère encore que Louis XI, son ennemi depuis toujours, aurait pu également être son meurtrier. Toujours est-il que l'on a retrouvé dans les restes d'Agnès des doses très élevées de mercure, substance extrêmement toxique mais souvent utilisée à l'époque comme traitement thérapeutique notamment contre les parasites intestinaux (et l'on sait qu'Agnès Sorel souffrait d'ascaridiose, une parasitose dûe à un ver, Ascaris), ou lors des accouchements longs et difficiles.
    Agnès a-t-elle été empoisonnée involontairement, après avoir ingéré une dose trop importante de mercrure ? Cette erreur de dosage est-elle préméditée ou non par son médecin Robert Poitevin ? A-t-elle tenté de se suicider ? On dit qu'en 1450, alors qu'elle était enceinte pour la quatrième fois de Charles
    VII, la disgrâce la guettait et qu'elle était moins bien en cours. D'ailleurs, trois mois après sa mort, sa cousine Antoinette de Maignelais devient la maîtresse du roi. Le mystère reste entier.
    Si certains ne la pleurent pas, le roi Charles VII est éploré par la perte de sa maîtresse et commande deux imposants tombeaux. L'un se trouve à Jumièges et contient son coeur, l'autre se trouve à la collégiale de Loches, qui est certainement le plus connu. D'une grande élégance, il est composé d'un gisant el
    albâtre représentant Agnès entourée d'anges et deux deux agneaux couchés à ses pieds. Le socle est de marbre noir et on peut y lire, en lettres gothiques : « Cy gist noble damoyselle Agnès Seurelle en son vivant dame de Beaulté, de Roquesserière, d'Issouldun et de Vernon-sur-Seine piteuse envers toutes les gens et qui largement donnoit de ses biens aux eglyses et aux pauvres laquelle trespassa le IXe jour de février l'an de grâce MCCCCXLIX, priies Dieu pour lame delle. Amen. »

     

    Le superbe tombeau de marbre et d'albâtre de la favorite est encore visible dans la collégiale Saint-Ours de Loches

    © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    Agnès Sorel : la première favorite, Françoise Kermina. Biographie. 
    Le Grand Cœur, Jean-Christophe Rufin. Roman. 
    - Charles VII, Philippe Contamine. Biographie
    -« Qui a tué la Dame de Beauté ? Étude scientifique des restes d'Agnès Sorel (1422-1450) », Philippe Charlier. Article dans la revue Histoire des Sciences médicales, n°3. 
    - La Dame de Beauté, Jeanne Bourin. Roman. 

     


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  • « Malgré ses réceptions, ses affaires savoyardes, elle écrivait à nouveau. La seule façon pour elle d'apaiser son insatisfaction permanente de soi et des autres. »

     

    La Dame de Vaugirard ; Jacqueline Duchêne

     

     

     

     

     Publié en 1997

     Editions JC Lattès

     242 pages 

     

     

     

     

     

    Résumé : 

    Madame de la Fayette, première en date des romancières françaises, auteur du plus célèbre roman d'amour, La princesse de Clèves, est l'héroïne de La dame de Vaugirard.


    Dans ce roman biographique tout est vrai : tourbillon des fêtes, la façon de se soigner, de s'habiller, de se nourrir, la vie quotidienne en province et dans les salons de la rue de Vaugirard au temps du Roi-Soleil, l'attachement à la manière de la Carte du Tendre pour un poète, la passion pour le duc de la Rochefoucauld, les préjugés qui l'empêchent de s'affirmer à la fois comtesse et écrivain, ses succès littéraires, le vol d'un de ses manuscrits par un académicien français, la fabuleuse campagne de presse du Mercure galant, la première de l'histoire de la littérature. Tout est imaginaire aussi, car le destin de cette femme de lettres fascinante est depuis des siècles entré dans la légende.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1650, la jeune Madeleine de La Vergne voit sa mère se remarier avec l'homme qu'elle croyait aimer, Renaud de Sévigné. A partir de cet instant, la jeune fille se promet que jamais elle ne dépendra d'aucun homme. Le destin de la future Madame de La Fayette est en marche.
    Il ne sera pourtant pas tout rose ce destin et si Madame de La Fayette est aujourd'hui une auteure lue, reconnue, étudiée, dont les œuvres ont été maintes fois adaptées au cinéma ou à la télévision, de son vivant, peu de gens sauront qu'elle est celle qui a tenu la plume et rédigé La Princesse de Clèves ou encore, La Princesse de Montpensier, La Comtesse de Tende ou Zaïde. Au XVIIème siècle, quand on est noble et femme qui plus est, devenir écrivain de profession, c'est déroger. Et pourtant, Madame de La Fayette, qui prend la plume d'abord pour contrer son ennui et ses déconvenues, devient une des femmes de lettres incontournables de la littérature française, au même titre que Mlle de Scudéry, Mme Leprince de Beaumont (auteure de La Belle et la Bête) ou encore Mme de Staël.
    Issue de la petite noblesse parisienne, proche du cardinal de Richelieu -son père, Marc de la Vergne sera gouverneur de son neveu Jean-Armand de Maillé-Brézé-, Madeleine voit le jour en 1634. Proche de son père qui l'éveille à la culture et aux lettres, elle le perd avec beaucoup de souffrance en 1649. Jeune fille timide et naïve, délaissée par une mère riche et qui ne se préoccupe que de sa vie mondaine, Madeleine épouse à vingt-et-un ans un seigneur auvergnat désargenté, François Motier, comte de La Fayette, propre frère de la fameuse Louise-Angélique de La Fayette qui, avant d'entrer au couvent, fut le grand et chaste amour du roi Louis XIII. Elle en aura deux fils dont elle ne s'occupera pas vraiment.
    La grande affaire de sa vie, ce seront les lettres et la culture. Et dans un Paris en pleine émulation, où voisinent de grands talents et des petits écrivains qui n'en auront jamais, Madeleine se fait un nom : elle tiendra un salon dans sa maison rue de Vaugirard, sans jamais pour autant se revendiquer de ce mouvement dit des Précieuses, qui lui décerneront pourtant le surnom de Féliciane. Elle sera la grande amie du poète Gilles Ménage, avec lequel elle entretiendra une relation d'amour-amitié un peu houleuse et cahotique, enfin, elle sera la maîtresse du duc de La Rochefoucauld, célèbre auteur des Maximes et la chère amie de Madame de Sévigné, nièce par alliance de son beau-père Renaud, grande épistolière. On dirait que, pour Madeleine, tout tourne autour des livres et des lettres et qu'elle y articule sa vie, peut-être pour fuir les déconvenues de sa vie personnelle : la désillusion d'adolescente de se voir préférer sa mère par le premier homme qui lui a plu, le mariage mal accordé avec un homme rustique aimant se terrer dans ses terres désolées d'Auvergne que Madeleine déteste, la maternité qui ne lui apporte nul réconfort ou équilibre et dont elle se désintéresse, ses malaises et fièvres récurrentes -la comtesse de La Fayette souffrait de migraines récurrentes notamment. Dans les livres et dans l'écriture, elle trouve un palliatif et une échappatoire à une vie qui ne lui convient pas, à l'amertume de ne pas pouvoir signer ses propres œuvres, de s'en voir dépossédée parfois, d'être comtesse sur le papier et de se voir méprisée par les grands nobles, à commencer par les proches de son amant La Rochefoucauld qui dénigrent sa petite noblesse de naissance : comme sa grande amie, Madame de Sévigné, née Marie de Coulanges, Madeleine est issue de la noblesse de robe et souffre donc de cette naissance que les familles nanties d'anciens quartiers de noblesse ne se privent pas de lui faire sentir, à elle comme à d'autres d'ailleurs.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Madeleine de La Vergne, comtesse de La Fayette (gravure du XIXème siècle d'après Desrochers)


    Si, aujourd'hui, on pense volontiers que le destin de cette femme a dû être grandiose, en lisant La Dame de Vaugirard, on se rend compte qu'il n'en est rien et que Madeleine de La Fayette n'a jamais vraiment été heureuse et n'a connu que quelques embellies dans une vie qui n'a jamais tenu ses promesses. La jeune fille aux yeux brutalement dessillés est devenue une femme sans illusions mais durablement déçue et jamais vraiment satisfaite, cherchant sans cesse la reconnaissance et l'affection, passant sans arrêt du baume sur de vieilles blessures d'orgueil mal cicatrisées.
    Mais on ne peut qu'être admiratif devant cette jeune femme qui, s'ennuyant ferme dans les terres de son mari en Auvergne, prendra un jour la plume pour coucher ses premiers mots sur le papier. On assiste aux mécanismes qui se mettent en place petit à petit et feront de Madame de La Fayette une grande auteure : en somme on assiste à la naissance d'un grand écrivain. Il n'y aucune volonté de sa part d'écrire, au départ...comme Madame de Sévigné, qui n'a jamais écrit dans le but d'être publiée et lue hormis par ceux à qui elle destinait ses lettres, Madeleine de La Fayette commence par écrire pour elle, pour exorciser ses propres démons, en puisant dans sa propre expérience la trame et le contenu de ses récits. Petit à petit, l'envie d'être lue sera la plus forte, même si elle ne pourra pas se dévoiler. Elle profitera de l'essor propice du début du règne de Louis XIV pour les arts, les sciences et les lettres pour se faire un nom, même si la reconnaissance viendra tardivement et de façon posthume.
    Pour moi qui ne connaissais pas la vie de Madame de La Fayette en dehors de son existence de femme de lettres, sa vie personnelle et privée disons, j'ai trouvé que ce roman était une bonne introduction. Il se lit vite et peut-être trop, d'ailleurs, mais c'est souvent le cas avec les romans de Jacqueline Duchêne : j'aimerais parfois que l'auteure approfondisse un peu parce qu'on dévore les chapitres très vite. Mais ça reste malgré tout bien écrit et les recherches sont sûres et solides, témoins du travail de l'historienne qui se cache derrière la romancière.
    Comme le dit Jacqueline Duchêne elle-même, dans ce roman tout est vrai et tout est faux et c'est finalement une bonne description de ce que doit être une biographie romancée : en s'appuyant sur des faits, des événements incontestables, l'auteure s'attache à redonner vie à un personnage figé par les années. Madeleine revit sous nos yeux et redevient un être de chair et de sang, doué de sentiments.
    Si vous aimez les romans historiques et le Grand Siècle, La Dame de Vaugirard vous plaira certainement. Pour moi, c'est un bon tremplin pour une lecture peut-être un peu plus poussée, une biographie moins romancée afin d'en apprendre encore un peu plus sur cette Madeleine de La Vergne, devenue comtesse de La Fayette et qui a vécu à une époque formidable, où la culture bouillonne comme un geysers dans les salons des précieuses et des poètes et sur les scènes de théâtre. Le règne de Louis XIV vu depuis la ville et non depuis la Cour nous laisse l'impression d'une époque qui n'a pas usurpé son surnom : à bien des égards on peut dire que le XVIIème français fut grand et si c'est le cas, Madame de La Fayette en fut sans nul doute l'un des artisans.

    En Bref :

    Les + : une biographie romancée agréable à lire, qui redonne vie à Madame de La Fayette et nous la rend proche. 
    Les - :
    peut-être le roman aurait-il mérité d'être quelque peu approfondi ce qui n'aurait pas été pour me déplaire, dans la mesure où Jacqueline Duchêne écrit très bien et sait concilier la rigueur de l'historien à la chaleur du romancier.


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  • « Tu veux savoir ce qu'est la faiblesse ? C'est de traiter quelqu'un comme s'il t'appartenait. La force est de savoir qu'il n'appartient qu'à lui-même. »

     

     

     

     Publié en 2016 aux Etats-Unis

     En 2018 en France (pour la présente édition)

     Titre original : Homegoing

     Editions Le Livre de Poche 

     473 pages 

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    XVIIIe siècle, Côte-de-l'Or, au plus fort de la traite des esclaves. Nées en pays fanti et ashanti, Effia et Esi sont demi-sœurs mais ne se connaissent pas. La sublime Effia est contrainte d'épouser un Anglais, le capitaine du fort de Cape Coast, où, dans les cachots, sont enfermés les futurs esclaves. Parmi eux, Esi. Elle sera expédiée en Amérique. Ses enfants et petits-enfants seront continuellement jugés sur la couleur de leur peau. La descendance d'Effia, métissée et éduquée, perpétuera le commercer triangulaire familial et devra survivre dans un pays meurtri pour des générations. 
    Yaa Gyasi nous conte le destin d'une famille à l'arbre généalogique brisé par la cruauté des hommes. Un voyage dans le temps inoubliable. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Avec No Home, l'auteure américaine d'origine ghanéenne Yaa Gyasi signe un roman puissant et envoûtant, poétique et dur à la fois. En racontant l'histoire tourmentée de son pays, depuis le milieu du XVIIIème siècle jusqu'au début des années 2000, Yaa Gyasi livre un portrait évocateur de la construction des états africains et de l'identité et l'Histoire du peuple noir.
    Au milieu du XVIIIème siècle, ce qui va devenir un jour le Ghana s'appelle encore la Côte-de-l'Or. Sur le littoral, les Anglais commercent avec les peuples Fantis de la côte, tandis que l'intérieur des terres est occupé par le peuple Ashanti. Effia et Esi sont demi-soeurs mais elles ne se connaissent pas. L'une naît chez les Fanti, l'autre chez les Ashanti. Effia sera mariée à un colon britannique de Cape Coast, donnant naissance à une lignée métissée mais qui ne quittera jamais l'Afrique. A Cape Coast, alors qu'Effia épouse l'officier James Collins, Esi attend dans les geôles du fort, avec d'autres femmes prisonnières. Elle ne sait pas encore que, lorsqu'on la fera sortir de sa prison, ce sera pour un voyage sans retour. Embarqués dans les cales des navires négriers, les prisonniers africains sont amenés dans les Caraïbes ou en Amérique, dans les plantations de coton ou de canne à sucre. C'est là que naîtront et grandiront les descendants d'Esi, dans une Amérique qui, après la Guerre de Sécession, ne parviendra jamais à se défaire de ses vieux démons, une Amérique ségrégationniste et violente, où les Afro-américains sont perçus comme des citoyens de second ordre, travaillant dur mais pour pas grand-chose, exploités par des patrons ou des contremaîtres sans scrupules, tombant de la pauvreté à la misère, de la misère à la drogue et ainsi de suite, dans un cercle vicieux infernal (« En Amérique, le pire qui pouvait vous arriver était d’être noir. Pire que mort, vous étiez un mort qui marche. » ; « Tu crois parce que t'es grand et baraqué tu es en sécurité ? Non, les Blancs y peuvent pas supporter ta vue. A te voir te balader libre comme l'air. Personne veut voir un Noir comme toi se pavaner fier comme un paon. Comme si t'avais pas peur une seconde. ») Les deux lignées nées des deux sœurs poursuivront leur chemin parallèle, sans jamais se croiser, sur deux continents et différemment : tandis que les descendants d'Effia, profitant avantageusement de leurs deux cultures, africaine et occidentale, sauront en tirer parti et vivront confortablement, les descendants d'Esi ne seront jamais que des Nègres, comme on les appelle si gentiment, réceptacles du racisme violent de la société américaine, des descendants d'esclaves méprisables et méprisés pour leur couleur de peau.
    En plaçant le point de départ de son intrigue en plein coeur de l'Afrique du XVIIIème siècle, l'auteure nous offre d'emblée une autre vision de l'esclavage et du commerce triangulaire, dépouillé de tout manichéisme ou raccourci malheureux... les peuples africains se livrent alors des luttes sans merci et échangent volontiers avec les Européens, Anglais ou Hollandais, présents dans la région. Les luttes de clans amènent parfois à la capture de prisonniers qui sont ensuite revendus aux Européens et emmenés en Amérique. La situation à l'époque est finalement bien plus compliquée qu'on ne veut bien le dire et chacun, à sa manière, profite de la traite et peut être amené à y participer. Les esclaves se vendent et se revendent comme n'importe quelle marchandise et il faudra attendre plusieurs décennies pour que la dimension morale, éthique, humaine, de l'esclavage entre dans les débats. Au XVIIIème siècle, on vendra aussi bien un bijou qu'un homme, une femme ou un enfant, parce que c'est légal et cela, en 2020, nous apparaît monstrueux et l'est effectivement, mais ne l'était pas en 1770 ou du moins ne l'était pas pour tout le monde. Aujourd'hui, près de deux cents ans après l'abolition de l'esclavage, il nous appartient d'étudier ce pan de notre Histoire comme un héritage terrible de nos ancêtres qu'il faut regarder en face, sans honte ni culpabilité : étudier l'esclavage aujourd'hui, en conserver la mémoire, c'est le dénoncer et surtout, ne pas faire comme si cela n'avait pas existé. C'est ne pas non plus céder au manichéisme en renvoyant dos à dos les bons et les méchants, parce que toute situation est toujours plus compliquée que cela.
    Yaa Gyasi y parvient avec brio. Roman ensorcelant et poétique, No Home dépayse, révolte et émeut en même temps. Nous suivons les générations successives des deux familles issues d'Effia et Esi, en Afrique et en Amérique, on découvre les destins tragiques ou heureux au contraire de leurs différents descendants, hommes et femmes qui se marient à leur tour et donnent une nouvelle génération et ainsi de suite jusqu'aux années 2000, là où se termine le roman, là où l'espoir, la promesse d'une paix ou d'une réconciliation semblent encore possibles.
    Je ne vais pas faire dans l'originalité en disant, comme d'autres lecteurs, que ce roman est à lire. Ce roman est salutaire et parce qu'il nous bouscule, il nous pousse à nous interroger.
    J'ai été un peu gênée par l'absence précise de chronologie : il y'a peu de dates explicitement écrites et pour ma part, j'aime quand je peux me situer dans le temps. J'ai fini par perdre un peu le fil et heureusement qu'il y'a un arbre généalogique au début du roman, auquel je me suis référée souvent pour savoir qui était qui. Mais le roman est tellement bon que j'ai fini par oublier ce petit inconvénient qui, après tout, est entièrement subjectif.
    A peine terminé, je peux d'ores et déjà dire que No Home comptera très certainement parmi les meilleures lectures de cette année 2020. J'ai effectivement passé un excellent moment, même si ce roman n'est pas divertissant : mais des histoires percutantes et qui restent en mémoire, sans aucune légèreté mais qui conduisent à nous interroger sur l'humain, sur ce dont il est capable, le meilleur comme le pire, c'est intéressant aussi. Parce que ce roman est essentiellement historique et que c'est ce que je lis principalement, je ne peux pas dire qu'il m'ait réellement sortie de ma zone de confort. Quoi qu'il en soit, No Home ne ressemble en rien à ce que je lis d'habitude mais il a trouvé en moi un fort écho. Une lecture que je n'oublierai pas de sitôt. 

    En Bref :

    Les + : roman époustouflant et remarquable, bien écrit et plein de force.
    Les - :
    une chronologie un peu absente, ce qui m'a gênée parce que j'aime me situer dans le temps quand je lis mais ce ressenti totalement subjectif n'enlève rien à la puissance du récit.

    Les soeurs Brontë : la Force d'Exister ; Laura El Makki

    Thème d'avril « Pioche dans ma PAL », 4/12


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