• « La naissance et les avantages conférés à certains individus par la fortune et la nature devraient suffire à assurer leur bonheur, mais nombreux sont ceux qui, possédant tous ces atouts, ne sont pas heureux [...] » La Grande Mademoiselle 

    Les Femmes dans la Vie de Louis XIV ; Antonia Fraser

    Publié en 2006 en Angleterre ;  en 2009 en France (pour la présente édition)

    Titre d'origine : Love and Louis XIV : the Women in the Life of the Sun King

    Editions Flammarion (collection Champs histoire) 

    552 pages

    Résumé :

    Amies, amantes ou alliées, la liste est longue des femmes qui traversèrent la vie du Roi-Soleil. Anne d'Autriche, sa mère, lui apprit le métier de roi. Marie-Thérèse, son épouse, lui donna un dauphin. Ses maîtresses, nombreuses, participèrent à sa gloire ; Mme de Maintenon et la duchesse de Bourgogne illuminèrent et soutinrent sa vieillesse. Raconter la vie de Louis XIV sous un angle inédit, celui des femmes qui le côtoyèrent : telle est l'ambition d'Antonia Fraser. À la frontière de la sphère publique et de la sphère privée, elle révèle une petite histoire parallèle à la grande : les amours brisées de Louis et de Marie Mancini, les rivalités entre les favorites Louise et Athénaïs, la complicité qui lia le monarque à sa belle- soeur Henriette d'Angleterre se déroulent sur le fond des grands événements du siècle. De la Fronde à la construction de Versailles, de la mort de Mazarin aux guerres contre l'Espagne, l'Angleterre et l'Autriche, le récit des soixante-douze années de règne du Roi-Soleil prend, sous la plume alerte de l'historienne anglaise, une coloration nouvelle.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

     Mon Avis :

    François Ier disait, au siècle précédent : « Une cour sans dames, c'est comme un jardin sans fleurs. » Et, s'il est bien l'un de ses successeurs qui se montra en accord avec ce bel adage, c'est Louis XIV. Non seulement le Roi-Soleil aima les femmes, mais surtout, elles marquèrent durablement et sa vie et son règne.
    Anne d'Autriche et Madame de Maintenon furent certainement les deux grandes figures tutélaires, l'une de l'enfance et de la prime jeunesse, l'autre de la maturité et du grand âge. L'une fut la mère tant aimée et tant aimante, qui se distinguait par là de ses contemporaines -il ne faut pas oublier que l'enfant, à cette époque-là était loin d'être considéré comme il l'est aujourd'hui-, qui se battit pour son fils, son petit roi qui ceignit la couronne l'année de ses cinq ans. L'autre, d'une extraction bien plus modeste qu'Anne, fille, sœur et épouse de rois est née à Niort trois ans avant le futur Louis XIV et a été l'épouse d'un poète burlesque, Scarron. A partir de 1683, Françoise d'Aubigné fut l'épouse morganatique de Louis XIV, le pilier ferme et indestructible sur lequel le roi vieillissant aima à s'appuyer.
    Mais, au milieu, entre la tendre enfance et la grande vieillesse -Louis XIV eut une longévité exceptionnelle il ne faut pas l'oublier-, il y'eut bien d'autres femmes, en fait un ballet incessants de jeunes beautés et de femmes plus ambitieuses qui se disputèrent les faveurs du beau jeune homme sensuel que fut le roi Louis XIV...
    Antonia Fraser a décidé de séparer son essai en quatre grandes parties qui portent chacune le nom d'une saison : nous commençons avec le Printemps, bien sûr, qui représente l'enfance et l'adolescence, suivi de l’Été, qui personnifie l'âge adulte, de l'Automne qui marque la maturité et l'assagissement de ce grand pécheur devant l’Éternel et enfin de l'Hiver, le grand âge, marqué de deuils et de tristesse après les belles années. J'ai trouvé cette idée tout à fait originale, surprenante mais en même temps, complètement pertinente. Après avoir délimité ces quatre grandes saisons, défini leurs bornes chronologiques, il ne reste plus qu'à les remplir avec le contexte historique et les grands personnages féminins qui ont tous marqué, à un moment donné, la longue existence du roi.

    Les Femmes dans la Vie de Louis XIV ; Antonia Fraser

    Anne d'Autriche, copie d'un original, d'après Pierre Paul Rubens 


    Antonia Fraser ne cède pas non plus au sujet trop facile et trop vu de l'essai historique sur les seules favorites du roi. Non, ici il s'agit de TOUTES les femmes, celles qu'il aima, bien sûr, d'un amour charnel et avec qui il eut des enfants mais aussi les autres, toutes ces figures féminines qui eurent, à un moment donné, un contact plus ou moins prolongé avec lui...Dans ce livre, la reine-mère Anne côtoie ainsi l'autre reine, l'épouse, Marie-Thérèse qui, elle-même, supportera toute sa vie les favorites et passades de son mari. La douce et pieuse Louise de la Vallière, tombée amoureuse du roi à l'âge de seize ans, s'oppose à la flamboyante et moqueuse Athénaïs de Montespan, adversaire à son tour de la trop jolie mais stupide Angélique de Fontanges et de l'intelligente Madame de Maintenon qui montera bien plus haut que toute autre. Et bien sûr, il ne faut pas oublier la célèbre Marie Mancini, Italienne pas vraiment jolie, nièce de Mazarin, mais jeune femme déterminée passion chevaleresque du tout jeune roi. Il en aima d'autres ou du moins, en remarqua d'autres, comme Olympe Mancini, la propre sœur de Marie, la princesse de Soubise ou encore Isabelle de Ludres ou la princesse de Monaco. On peut penser aussi à la petite Angélique de Fontanges, si vite arrivée et si vite partie, qui ne laissa son nom qu'à une coiffure compliquée. 
    Et puis il y'a aussi la famille royale, très féminine à l'époque lorsqu'on prend le temps de s'y pencher : Louis XIV et Marie-Thérèse n'auront pas la chance de voir leurs filles survivre mais il en aura une de Louise de la Vallière, la jolie Marie-Anne, future princesse de Conti et surtout, d'Athénaïs, bâtardes légitimées répondant au nom de Mesdemoiselles de Blois, Nantes et Tours et qui firent toutes d'avantageux mariages malgré la tâche originelle de leur naissance. Louis XIV aima d'un amour un peu plus que fraternel la première Madame, épouse de son frère, petite princesse anglaise répondant au nom d'Henriette-Anne, petite fille insignifiante devenue une belle jeune femme foudroyée dans la fleur de l'âge. A la seconde épouse de Monsieur, Elisabeth-Charlotte de Bavière, princesse palatine, il témoignera toute l'amitié possible. A la pauvre reine sans couronne Marie-Béatrice d'Este, malheureuse épouse du roi d'Angleterre Jacques II, il offrira l'asile de son royaume comme il avait vu sa mère le faire pour sa propre tante, la reine Henriette-Marie de France, une autre reine d'Angleterre ayant connu bien des malheurs. Et il y'eut enfin celle qui consola ses vieilles années, celle peut-être qui fut sa dernière passion sans que jamais un sentiment amoureux ni de possession entre en jeu : l'épouse de son petit-fils Bourgogne, la fantasque et espiègle princesse Adélaïde de Savoie, dont la mort jettera le roi vieillissant dans les affres d'une douleur sincère et terrible.

    Les Femmes dans la Vie de Louis XIV ; Antonia Fraser

    Madame de Montespan, le grand amour de Louis XIV 


    Le fait qu'Antonia Fraser soit une historienne anglophone fait la part belle, dans ce livre, aux relations franco-anglaises, bien plus étroites et suivies à l'époque qu'on ne pourrait le croire. Si les deux pays n'étaient pas forcément enclins à s'etendre -cette rivalité latente éclatera d'ailleurs au siècle suivant dans toute sa force et même avant, d'ailleurs, l'Angleterre de Guillaume III se trouvant souvent opposée à la France de Louis XIV sur les champs de bataille-, les liens familiaux entre les derniers Stuarts et les Bourbons de France ont conduit souvent ces derniers à accueillir et à protéger des membres de la famille royale d'Angleterre en difficulté : c'est ainsi que Louis XIV et Philippe, son frère, furent élevés avec les enfants du roi Charles Ier, exécuté en 1649 et qui avaient trouvé avec leur mère, Henriette-Marie, refuge en France. La reine était la propre tante de Louis XIV puisque jeune soeur de Louis XIII et donc, le jeune roi de France se trouvait être le cousin germain de la petite Henriette-Anne et de ses frères, les futurs rois Charles II et Jacques II. Quand ce dernier, bien plus tard, fut à son tour destitué par sa propre fille et son gendre, Guillaume III, sa seconde épouse, Marie-Béatrice, leurs enfants et lui-même trouveront le refuge qui leur manquait auprès du roi de France et de sa cour.
    Et puis, dominant l'âge mûr puis la vieillesse comme, en son temps la déterminée et superbe reine Anne d'Autriche avait guidé et dominé enfance et adolescence, Madame de Maintenon, femme aux origines plus que modestes, en regard de ce que fut la première épouse de Louis XIV, saura se faire aimer de ce grand séducteur et saura se l'attacher durablement. Toute sa vie, Louis XIV aima les femmes qui le lui rendirent bien, à quelques exceptions près. Il était un père attentif et aimant avec ses filles, un grand-père passionné avec la jolie petite princesse savoyarde, un amant passionné avec ses innombrables conquêtes. Et même si, parfois, le roi retombait dans cette misogynie qui caractérise l'époque, dans l'ensemble, on peut dire qu'il eut une vision de la femme bien plus novatrice et positive que bien de ses contemporains.
    Ce livre, assez conséquent, n'en est pas moins plutôt passionnant à lire et c'est avec un grand plaisir que je m'y suis plongée et vous conseille si vous aimez le Grand Siècle et Louis XIV. Cet ouvrage apporte un éclairage nouveau au règne et à l'existence de ce grand roi.

    Les Femmes dans la Vie de Louis XIV ; Antonia Fraser

    Françoise d'Aubigné, marquise de Maintenon, par Pierre Mignard (XVIIème siècle)

     

    En Bref :

    Les + : livre intéressant et bien écrit qui apporte un autre éclairage au règne ô combien connu du Roi-Soleil.
    Les - :
    eh bien, aucun, j'ai envie de dire ^^

     


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  • INTERMÈDE HISTOIRE LXX

    I. Lady Hamilton, la perle du XVIIIème siècle anglais

    INTERMÈDE HISTOIRE LXX

    Lady Hamilton en Circé par George Romney 

    La future lady Hamilton est née Amy Lyon, le 26 avril 1765, à Ness, près de Neston, dans le Cheshire. Elle fut la maîtresse du célèbre Horatio Nelson et l'une des muses du peintre George Romney. Plus tard, elle changera son nom en Emma Hart.
    Amy Lyon est la fille d'un forgeron, Henry Lyon, qui meurt alors qu'elle n'a que deux mois. L'enfant sera alors élèvée par sa mère, Mary Kidd, à Hawarden. Amy Lyon ne recevra pas d'éducation formelle. Les détails de la vie d'Amy et surtout, son enfance, sont imparfaitement connus. Nous savons qu'elle fut, à l'âge de 12 ans, bonne dans la maison du docteur Honoratus Leigh Thomas, à Hawarden, chirurgien à Chester. Plus tard, alors qu'elle travaille dans la maison de la famille Budd, à Chatham Place, Blackfriars, elle fait la connaissance d'une autre domestique, nommée Jane Powell, qui souhaite devenir actrice. Emma participe à ses répétitions de plusieurs rôles tragiques. Inspirée par l'enthousiasme de son amie Jane Powell pour le théâtre, la jeune femme commence alors à travailler au Drury Lane Theatre, à Covent Garden, comme domestique de plusieurs actrices : parmi elles, Mary Robinson. On peut s'en douter, la jeune Emma Ly n'est que peu payée pour exercer ce métier. Emma fut ensuite modèle et danseuse.
    Vers l'âge de 15 ans, Emma rencontre Sir Harry Featherstonhaugh, qui l'embauche pendant plusieurs mois comme hôtesse, notamment durant une vie de garçon organisée au domaine de Sir Harry. Elle y aurait dansé nue, sur une table. Par la suite, Sir Harry en fait sa maîtresse mais l'abandonne souvent pour aller chasser ou boire avec ses amis. C'est alors que la jeune Emma rencontre le frère du second comte de Warwick, Charles Francis Greville, avec qui elle se lie d'amitié. A peu près à cette époque-là, en 1781, elle tombe enceinte des oeuvres de Sir Harry. Celui-ci, à l'annonce de la grossesse de sa maîtresse, est furieux et ne veut pas de l'enfant. Il a alors l'idée d'installer Emma dans l'une de ses maisons de Londres. Emma va abandonner Sir Harry. Il se pourrait qu'elle ce soit ensuite rapprochée de Charles Francis Greville, pour qui elle avait conçu un romantique attachement. Il est plus proche d'elle en ce qui concerne l'âge que Sir Harry et la jeune Emma pense, naïvement, qu'il va l'épouser un jour. Elle devient sa maîtresse. L'enfant d'Emma et Sir Harry voit le jour, c'est une petite fille, Emma Carrew. Après sa naissance, elle sera placée chez Mr et Mrs Blackburn, qui se chargeront de l'élever. Ceci dit, il se pourrait que l'existence de cette enfant ne soit qu'une légende. D'autres sources affirment que Emma Carrew, l'enfant d'Emma et de Sir Harry, fut élevée par sa grand-mère au Pays de Galles.
    Vers l'âge de 20 ans, elle rencontre celui qui va faire d'elle sa muse : George Romney, qui la peint en Bacchante ou encore, en Circé, dans de nombreux portraits. Elle sera sa muse pendant une dizaine d'années, après avoir été présentée au peintre par Charles Francis Greville.
    La condition de Charles Francis Greville l'oblige à faire un bon mariage. Des nécessités financières le poussent également à opter pour un bon parti. Son désir de mariage est donc en totale contradiction avec la relation qu'il poursuit avec Emma. Il ne pourra donc pas l'épouser comme elle semblait le souhaiter. La jeune femme est alors envoyée à Naples pour apprendre à devenir une véritable lady, auprès de Sir William Hamilton, oncle de Charles Francis. En échange, Sir Hamilton s'engage à honorer les dettes de Greville. Sir Hamilton va faire d'Emma sa maîtresse et l'épouse, le 6 septembre 1791 à St George's Hanover Square, à Londres. Emma, devenue Lady Hamilton -elle ne sera plus connue que sous ce nom-là-, a 26 ans. William Hamilton a vingt-cinq ans de plus qu'elle : en 1791, il a 51 ans.
    Lady Hamilton fait ensuite de nombreux séjours à Naples et notamment à la cour de Marie-Caroline de Naples, la reine, épouse de Ferdinand Ier de Naples. C'est à la Cour napolitaine que la jolie lady Hamilton rencontre Sir Horatio Nelson en 1793, deux ans après son mariage. C'est un marin, qui est alors en charge de chercher des renforts pour contrer les Français, avec qui l'Angleterre est en guerre. Cinq ans plus tard, il revient à Naples. Il est auréolé d'une gloire qui l'a transformé en véritable légende vivante mais l'a aussi prématurément vieilli : il a perdu un bras, porte un bandeau sur un oeil et a perdu la plupart de ses dents. Emma s'évanouit lorsqu'elle le revoit. Mais elle accepte néanmoins de l'héberger dans la maison de son époux, s'occupe de lui et le nourrit. Elle va même jusqu'à organiser une fête avec 1800 convives pour fêter son 40ème anniversaire !! Leurs rapports semblent avoir été tolérés, sinon encouragés, par le vieux William Hamilton, qui, même s'il ne le montrait pas, avait une grande admiration et beaucoup de respect pour Nelson.
    Les relations de Nelson et de Lady Hamilton ne resteront pas platoniques puisque le 3 janvier 1801, à l'aube du XIXème siècle, Emma donne naissance à une fille, Horatia Nelson, dans une femme du Norfolk, à Merton, précisément. Par la suite, le couple s'installerera dans une petite maison de Merton. Nelson meurt en 1805, lors de la célèbre bataille de Trafalgar. Emma, qui a hérité des biens de son mari, Sir William Hamilton, les dilapide rapidement et se retrouve profondément endettée dès 1813. Malgré le statut de Nelson, considéré comme une gloire nationale en Angleterre, on ignore qu'elle instructions il a laissées, en ce qui concerne Emma, qui n'était pas son épouse. Celle-ci meurt en 1815, dans le plus grand dénument. Alcoolique, elle aurait succombé à une insuffisance hépato-cellulaire, à Calais. D'autres sources affirment qu'elle serait morte d'une dysenterie amibienne, contractée lors de ses séjours à Naples. Son époux, William Hamilton, souffrait de la même maladie.

    II. Elizabeth Chudleigh, l'excessive

    INTERMÈDE HISTOIRE LXX

    Elizabeth Chudleigh en Iphigénie lors d'un bal costumé

    Née en 1720, Elizabeth Chudleigh est la fille de Thomas Chudleigh, qui meurt alors qu'elle n'a que six ans. Elle est surtout connue pour avoir été duchesse de Kingston, dite parfois, également, comtesse de Bristol. En 1743, elle est nommée demoiselle d'honneur de la princesse Augusta, épouse du prince de Galles, sans doute grâce à l'intervention de son ami, William Pulteny, comte de Bath.
    Miss Chudleigh est spirituelle et jolie mais aussi ambitieuse et fantasque. Elle ne manquait pas d'admirateurs, parmi lesquels le sixième duc de Hamilton, James Hamilton et Augustus John Hervey, qui devint par la suite troisième comte de Bristol. Elizabeth entretient une relation avec Hamilton mais ce dernier quitte l'Angeterre et, le 4 août 1744, elle finit par épouser, dans la plus grande discrétion, lord Hervey. Comme ni l'un ni l'autre n'avait une grande fortune, le mariage fut gardé secret afin qu'Elizabeth puisse garder sa place à la cour de Georges II. En effet, comme nous l'avons dit, elle était dame d'honneur de la propre belle-fille du roi, la princesse de Galles, Augusta. Hervey, qui était officier de marine, regagna son bateau et ne revint en Angleterre que vers la fin de l'année 1746.
    Leur mariage ne fut pas heureux et le couple ne tarda pas à prendre la décision de se séparer purement et simplement. Mais, quand il apparut que lord Hervey succéderait plus que probablement à son frère en tant que comte de Bristol, Elizabeth, fine mouche, fit tout ce qui était en son pouvoir pour établir la preuve de leur mariage. En effet, comme il était tenu secret, il n'était pas considéré comme valide.
    En 1765, Elizabeth fait un séjour à Berlin, où elle rencontre le roi de Prusse Frédéric II. A son retour en Angleterre, elle continue de mener une brillante existence. Elle fait la rencontre d'Evelyn Pierrepont, deuxième duc de Kingston-upon-Hull, pair du royaume et doté d'une fortune fabuleuse. Elle devient sa maîtresse.
    Au même moment, Elizabeth doit faire face à des démêlés avec son mari, lord Augustus Hervey. En effet, ce dernier veut se séparer de son épouse mais Elizabeth n'est pas prête à affronter la publicité qui en résulterait, malgré son désir d'être déliée. Elle plaide alors que son époux est mentalement dérangé et, après qu'elle eut juré solenellement n'avoir jamais été mariée, le tribunal la déclara finalement célibataire en février 1769. Le 8 mars suivant, elle épouse Kingston, qui meurt quatre ans plus tard, en lui laissant ses biens. A une condition cependant : qu'elle ne se remarie plus jamais.
    Elizabeth se remet à voyager partout en Europe, après son veuvage. Elle visite Rome où elle rencontre le pape Clément XIV. Mais en Angleterre, le neveu de son défunt époux, Evelyn Meadows, répand la rumeur qu'elle a été mariée avec Hervey...comme elle a contracté ensuite un mariage avec le duc de Kingston, sans avoir été déliée, elle est considérée comme bigame. Elle doit rentrer à Londres pour se défendre de ces accusations. Le neveu de son époux en a profité également pour attaquer le testament de son oncle. En 1776, Elizabeth est finalement déclarée coupable par la Chambre des Lords. Elle parvient à fuir l'Angleterre, tout en conservant sa fortune. Sa fuite lui permet également d'échapper à d'autres éventuels procès. Officiellement, elle n'était plus que duchesse de Bristol mais continuait de se faire appeler duchesse de Kingston. Pour un temps, elle s'installe à Calais, dans le nord de la France, avant de gagner Saint-Pétersbourg, où elle est reçue avec chaleur par Catherine II. En Russie, Elizabeth s'offre une propriété qu'elle baptise de son nom de jeune fille, Chudleigh. En Pologne, elle est reçue par le prince Radziwill qui souhaite l'épouser. Elizabeth repoussa les avances du prince. Elle revint ensuite en France, où elle acheta une maison à Montmartre, ainsi que le château de Sainte-Assise, tout près de Paris. Après avoir passé de nouveau quelques temps à Rome, elle meurt à Paris à la veille de la Révolution, en 1788. C'est une maladie aussi brutale que mystérieuse qui l'emporte en quelques jours, à l'âge de 68 ans. Elle laissait une fortune tout à fait considérable, formée de bijoux et de biens immobiliers, qui échut à son cousin, le colonel Philip Glower of Wispington.
    La scandaleuse duchesse de Kingston, ex-miss Chudleigh, fut ridiculisée sous les traits de Kitty Crocodile, dans la pièce A Trip to Calais, de l'acteur Samuel Foote, qui ne reçut toutefois jamais l'autorisation pour être montée.

     

     © Le texte est de moi, je vous demanderais donc de ne pas le copier, merci.

    Pour en savoir plus : 

    -Lady Hamilton : Des bas-fonds de Londres aux palais de Naples, Monique de Huertas. Biographie.
    -Emma Hamilton, Nora Lofts. Biographie.
    -L'Excessive, Alexandra Lapierre. Biographie romancée d'Elizabeth Chudleigh.
    -The Scandalous Life of the Duchess of Kingston, Claire Gervat. Biographie.

     

     


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  • «Pas une fois je suis parvenu à les mettre à l'unisson ! Pas plus que les hommes, d'ailleurs ! » Charles Quint, la veille de sa mort, en entendant sonner les cloches en ordre dispersé. 

    Charles Quint, l'Indomptable ; Lindsay Armstrong

    Publié en 2014

    Editions Le Club Histoire (collection Le Grand Livre du Mois) 

    573 pages

    Résumé : 

    Européen dans l'âme et par le sang, rarement souverain ne l'aura été autant que Charles Quint (1500-1558). Né Habsbourg, héritier de la Hollande, de la Belgique et du Luxembourg réunis, des royaumes d'Espagne, de Naples, de Sardaigne et de Sicile, il est, à vingt ans, élu Empereur du Saint-Empire romain germanique, au grand dam de François 1er, qui en convoitait le titre. Leur rivalité est l'un des axes de cette biographie passionnante. Le roi français aurait-il accepté la main tendue que lui offrit à plusieurs reprises le petit-fils des Rois Catholiques, l'histoire européenne en aurait à coup sûr été changée. Car les défis à relever ne manquent pas en ce siècle de la Renaissance. Les passions religieuses enflamment les Européens, l'intransigeance du moine Luther et l'arrogance des papes achevant de diviser le continent. Le rêve de Charles Quint de réaliser une Europe unie ne résistera pas non plus aux poussées de l'Empire ottoman qui menace à ses frontières. Au fil des pages où l'on croise tour à tour Henri VIII, Mary Tudor, Érasme. Titien mais aussi Magellan, Hernàn Cortés, Francisco Pizarro et Barberousse. Lindsay Armstrong dresse un portrait saisissant du premier et dernier Empereur des deux mondes. Curieux et vif, tour à tour drôle et piquant. fin gourmet et amateur d'art, mélancolique aussi, sa personnalité domine celles de ses contemporains et offre un modèle noble du Prince, qui revit ici dans toute sa splendeur.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

     Mon Avis :

    Que Lindsay Armstrong, spécialiste de l'Europe et de son histoire choisisse de consacrer sa première biographie à Charles Quint est un choix tout en fait pertinent et en lien avec sa formation initiale. Car s'il y'eut bien, avant même que l'Europe en tant qu'entité géopolitique ne soit pensée, un prince européen dans l'âme, c'est Charles Quint. Né à Gand à la toute fin du XVème siècle, régnant sur un empire sur lequel, disait-on, le soleil ne se couchait jamais, il passa sa vie, en apatride, à aller d'une possession à une autre, ne se fixant jamais à un seul endroit et parcourant inlassablement ces terres du Vieux Continent qu'il finit par connaître par cœur.
    De par son ascendance, Charles Quint, bien avant sa naissance, était appelé à ce règne et à cette existence cosmopolites et itinérants. Apparenté aux rois d'Espagne par sa mère et aux seigneurs du nord par son père, Charles Quint est le fruit du mariage contrasté de l'Europe du Nord et de l'Europe du Sud, personnifiées par Jeanne de Castille -connue sous le sobriquet peu flatteur mais malheureusement vrai de Jeanne la Folle-, fille des Rois Catholiques qui reconquirent l'Espagne et Philippe le Beau, l'enfant de Maximilien d'Autriche, empereur du Saint-Empire romain germanique et de Marie de Bourgogne, ce qui fait de Charles Quint un lointain cousin de ces rois de France dont il sera l'ennemi irréductible. Orphelin de père jeune, délaissé, avec ses sœurs, par une mère devenue folle d'avoir trop aimé son magnifique époux, le futur empereur et roi des Espagnes sera élevé dans les Pays-Bas -qui regroupaient à l'époque les trois pays formant l'actuel Bénélux-, par sa tante Marguerite d'Autriche, qui veillera à lui dispenser la meilleure éducation possible. Il ceindra ensuite la couronne de Castille avant de devenir empereur, comme son grand-père.
    Charles Quint, comme Henry VIII et François Ier en Occident et Soliman le Magnifique en Orient, sera l'un de ces souverains d'une époque florissante, la Renaissance, qui vit la découverte d'un Nouveau Monde, l'expansion des arts, des lettres et de l'humanisme mais aussi l'apparition d'une grande menace pour l'Eglise catholique : le luthéranisme, né dans les terres mêmes de Charles, en Allemagne. Princes cultivés et bien ancrés dans leur époque, ces souverains n'en seront pas moins des rivaux irréductibles, allants de luttes en traités de paix et de traités de paix en conflits... conflits qu'ils transmettront aux générations futures...
    Charles Quint survivra à Henry VIII et François Ier, emportés tous deux en 1547. Il leur survivra de onze ans et, contrairement à eux, sentant la vieillesse approcher, il abdiquera en faveur de son fils Philippe -le fils de sa très aimée épouse Isabelle de Portugal-, et de son frère Ferdinand pour ce qui est du moins de ses possessions impériales. Il se retirera en Espagne et mourra à l'aube de la soixantaine, reclus dans le couvent de Yuste, qu'il avait fondé. Il est, si l'on y réfléchit, le point final de cette première Renaissance, riche, florissante, cultivée, amoureuse des arts...quand seront éteints tous les rois de sa génération, celle venant juste après eux, la génération des fils, des petit-fils, va se livrer à des luttes cruelles qui ensanglanteront l'Europe jusqu'au siècle suivant. Après le « Beau XVIème siècle », pour reprendre une expression de l'historienne Simone Bertière, c'est un siècle de guerres religieuses, une fin de siècle sanglante que connaîtront les descendants de Charles, Henry et François...

    Charles Quint, l'Indomptable ; Lindsay Armstrong

     

    Charles Quint, portrait d'après Le Titien (XVIème siècle)


    Cette biographie, plutôt conséquente, part des débuts et même, des débuts antédiluviens, si l'on peut dire, Lindsay Armstrong faisant démarrer son livre dès avant la naissance de Charles pour replacer notamment dans son contexte le mariage de ses parents et les conditions de sa naissance. Et puis, de façon chronologique, il déroule la vie, très riche, de cet homme qui ne vécut pas vieux mais connut certainement, en une seule vie, plusieurs existences, de part, déjà, cette vie nomade à travers ses possessions impériales, flamandes, italiennes, espagnoles...de part aussi, les différentes couronnes qu'il ceignit, réunissant sur sa tête celles de Castille et d'Aragon, héritage maternel puis celle de l'Empire, héritage paternel et remontant jusqu'à Charlemagne et même au-delà. Bien plus qu'Henry VIII ou François Ier qui furent les souverains d'un seul royaume, les héritiers d'un seul patrimoine, d'une seule couronne, Charles Quint, bien avant le XXème siècle, fut un véritable prince européen, parlant aussi bien le français que le castillan ou l'allemand. Il fut le témoin de la montée de plus en plus menaçante de l'hérésie luthérienne dans ses terres, il la combattit mais s'opposa aussi aux différents papes qui se succédèrent durant son règne et surtout, il s'échina à défendre ses possessions, les possessions de ses ancêtres, pour les transmettre, qui à son fils, qui à son frère et à ses descendants, surtout sans trop de pertes. Il combattit les ambitieux rois de France qui avaient des vues sur l'Italie, il s'allia et s'opposa au roi d'Angleterre, son oncle par alliance. Mais, pour la première fois, un souverain fut à la tête d'une entité plutôt cohérente malgré les dissensions, politiques ou religieuses, qui allait de la Mer du Nord jusqu'au détroit de Gibraltar en passant par l'Italie et sans compter les lointaines terres découvertes par les conquistadores. Un souverain que l'on peut tout à fait qualifier d'européen malgré l'anachronisme du terme.
    Plutôt accessible pour qui a quelques connaissances sur le sujet, cette biographie est efficace et bien écrite. Je déplore cependant une absence d'arbre généalogique, en début ou en fin, qui aurait pu servir à se repérer au niveau des liens familiaux et des mariages consanguins qui eurent au sein même de la famille Habsbourg et tendent donc à les rendre confus et assez inextricables. Heureusement qu'internet existe et que l'on peut vite trouver les informations nécessaires ! ! wink2
    Personnellement, je connaissais surtout Charles Quint par le biais de livres traitant plutôt des règnes de François Ier et Henry VIII sans mettre forcément penchée sur ce grand règne. J'ai appris pas mal de choses, tant sur le personnage que sur les institutions impériales et espagnoles de cette première moitié du XVIème siècle, très différentes des nôtres à la même époque. J'ai apprécié aussi que l'auteur -qui écrit, je crois, en français, car je n'ai pas trouvé de traducteur-, ne francise pas forcément pas les noms des différents personnages. C'est souvent le cas, parfois pour une meilleure compréhension, et même si cela peut dérouter au premier abord, eh bien ce n'est pas plus mal, au final. Ainsi, Philippe, le fils de Charles Quint, devient Felipe -à l'espagnole-, tout comme la reine Catherine d'Aragon est appelée, tout au long du livre, de son nom espagnol Catalina. Maximilien, le grand-père, est Maximilan, à l'allemande tandis que Jeanne, la mère, n'est pas appelée autrement que Juana, son véritable prénom. Je déplore par contre les trop nombreuses coquilles, qui ne sont pas le fait de l'auteur, bien sûr, mais qui peuvent perturber, à la longue. Surtout que cette biographie fait plus de 500 pages donc les erreurs de ponctuation ou oublis de mots peuvent lasser.
    Pour autant j'ai trouvé ce livre intéressant et je ne regrette absolument pas de l'avoir lu, bien au contraire, parce que j'en ressors finalement avec des connaissances nouvelles et donc, un enrichissement certain et une meilleure approche de cette belle période que fut la Renaissance, malgré ses aspects plus sombres...

    Charles Quint, l'Indomptable ; Lindsay Armstrong

    L'abdication de Charles Quint, par Louis Gallait (XIXème siècle)

     

    En Bref :

    Les + : une bonne biographie, accessible et bien écrite.
    Les - :
    trop de coquilles, dommage. 


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  • «La peau blanche d'Albine n'était que la blancheur de la peau brune de Serge. Ils passaient lentement, vêtus de soleil ; ils étaient le soleil lui-même. Les fleurs, penchées, les adoraient. »

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Publié en 1985

    Date de parution originale : 1875

    Editions Le Livre de Poche (collection Les Classiques de Poche)

    386 pages

    Cinquième tome de la série Les Rougon-Macquart

     

    Résumé :  

    Serge Mouret est le prêtre d'un village pauvre, quelque part sur les plateaux désolés et brûlés du Midi de la France. Barricadé dans sa petite église, muré dans les certitudes émerveillées de sa foi, assujetti avec ravissement au rituel de sa fonction et aux horaires maniaques que lui impose sa vieille servante, il vit plus en ermite qu'en prêtre. A la suite d'une maladie, suivie d'une amnésie, il découvre dans un grand parc, le Paradou, à la fois l'amour de la femme et la luxuriance du monde. Une seconde naissance, que suivra un nouvel exil loin du jardin d'Eden.
    Avec cette réécriture naturaliste de la Genèse, avec ce dialogue de l'ombre et du soleil, des forces de vie et des forces de mort, du végétal et du minéral, Zola écrit certainement l'un des livres les plus riches, stylistiquement et symboliquement, de sa série des Rougon-Macquart.

     

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

     Mon Avis :

    La Faute de l'Abbé Mouret, cinquième volume des Rougon-Macquart s'ouvre quelques années après la fin du quatrième, La Conquête de Plassans et présente une continuité linéaire avec celui-ci puisque le héros au centre du récit sera le cadet de Marthe et François Mouret, que l'on a vu évoluer de bien tragique manière dans La Conquête de Plassans. Avant de retrouver Octave, leur aîné, dans Pot-Bouille et au Bonheur des Dames, c'est donc à Serge qu'est consacré La Faute de l'Abbé Mouret.
    Rentré au séminaire avant vingt ans, dans La Conquête de Plassans, au grand dam de son père, d'ailleurs, Serge a aujourd'hui vingt-six ans et il est en charge de la cure des Artaud, un petit village désolé non loin de Plassans. Il y vit seul, entouré uniquement de la vieille servante de la paroisse, la Teuse et de sa sœur Désirée, vingt-deux ans, restée innocente et qui n'a donc aucune chance de se marier jamais. Dans ce petit village loin de tout, où l'on s'est marié dans la même famille de générations en générations et où tous les habitants portent le même nom, le prêtre doit lutter pour imposer Dieu et les préceptes de la religion catholique à des gens qui vivent et poussent comme les herbes dans leurs champs, sans se soucier d'aller se marier à l'église avant de concevoir des enfants...
    Mais l'abbé, tout jeune encore, est fragile. On retrouve chez lui, avec plus ou moins de force, l'hérédité de ses parents, cette folie latente qui a précipité Marthe et François dans leur destin tragique. Chez Serge, la fragilité psychique se traduit par un mysticisme effréné -mysticisme déjà rencontré chez sa mère-, une croyance exacerbée qui l'a poussé à se faire ordonner. Mais il existe déjà chez lui une faille, cette faille, c'est l'amour sans borne, l'adoration qu'il porte à la Sainte Vierge, Marie, qui est pour lui mère, femme et amante. C'est cet amour irréfléchi, ces désirs de mortifications et de flagellations mentales qui vont faire tomber l'abbé malade. Soigné par son oncle, le docteur Pascal -le frère de sa mère Marthe-, l'abbé est amené, sur le souhait du scientifique, dans un endroit isolé non loin des Artaud, le Paradou. Ancien domaine, aménagé au XVIIIème siècle dans le goût de l'époque mais abandonné depuis, le Paradou est revenu à l'état sauvage. L'ancien château a disparu et ne restent que quelques pavillons, perdus dans une nature qui a retrouvé ses droits et transformé le parc en luxuriant jardin d'Eden.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Serge Mouret, incarné par Francis Huster dans le film de George Franju (1970)


    Au Paradou vivent Jeanbernat, libre penseur, surnommé le Philosophe et sa jeune nièce, Albine, seize ans. Élevée dans le monde, elle a été confiée à son oncle encore gamine et est revenue, si l'on peut dire, à l'état sauvage, courant le Paradou et se saoulant de nature. C'est dans cet écrin perdu et immaculé que le docteur Pascal emmène son neveu afin qu'il se rétablisse. Mais ce qu'il ne peut prévoir c'est que la jeune Albine, devenue garde-malade et le prêtre, vont réécrire à leur façon le mythe d'Adam et Ève et du péché originel...
    Comme dans La Conquête de Plassans, Zola écrit ici une violente diatribe contre la religion, adoucie cependant par le baume de la sublime histoire d'amour qui en est le prétexte. Oui, la sublime histoire d'amour, n'ayons pas peur des mots. A mon sens, l'histoire entre Serge et Albine, aussi peu conventionnelle soit-elle, est l'une des plus sublimes histoires d'amour jamais écrites et le roman, l'un des meilleurs classiques français de cette époque. Il faut dire aussi que j'ai toujours eu une énorme faiblesse pour La Faute de l'Abbé Mouret : seconde relecture et troisième coup de coeur, on ne se refait pas !
    Ici, après dénoncé la manipulation de prêtres sans scrupule sur des âmes faibles -l'abbé Faujas sur l'âme de Marthe Mouret-, Zola s'élève ici contre les rigoureuses restrictions que la religion impose à ses ministres, le muselage de leurs désirs les plus profonds et le plus instinctifs à coup de prières, de macérations et de punitions auto-infligées. C'est la négation de leur essence humaine que l'on impose aux religieux et aux clercs que l'auteur, en homme du XIXème siècle très ancré dans son époque, dénonce. Et c'est donc par la faute de l'un de ces ministres du culte, un de ces hommes mariés à la toute- puissance de Dieu parce qu'ils sont ordonnés et tonsurés, que Zola réécrit l'un des mythes fondateurs de notre société judéo-chrétienne : la Genèse, avec la faute d'Adam et Ève dans le jardin d'Eden et la chute du genre humain à la suite de ce péché commis par le premier homme et la première femme.
    Dans La Faute de l'Abbé Mouret, Serge campe le rôle d'Adam tandis que la jeune Albine, la nièce d'un libre penseur, affranchie elle-même des carcans religieux, devient une Ève tentatrice, la femme qui pousse au péché mais aussi la femme qui aime, trop entière pour rendre Serge à l'Eglise et qui commettra pour cela un acte radical et sans remède. Albine, c'est aussi, par son prénom -albus en latin signifie blanc-, la personnification d'une autre femme, cette Vierge que Serge aime tant dans la première partie du roman, une allusion virginale qui ramène irrémédiablement à la mère de Dieu comme si, au travers de la jeune sauvageonne, Serge accomplissait son destin qui est celui, au grand dam du Frère Archangias, d'ailleurs, d'aimer Marie.

    La Faute de l'Abbé Mouret ; Emile Zola

    Francis Huster (Serge) et Gillian Hills (Albine) 


    L'autre personnage du roman, et qui a toute son importance, c'est la nature. La nature par le jardin. Ce Paradou, ancien domaine domestiqué à l'instar des jardins à la française mais qui, peu à peu, s'est échappé de la main humaine pour redevenir un endroit sauvage dans lequel les derniers témoins de la civilisation sont peu à peu engloutis par une débauche de feuilles et de feuillages. Le Paradou, c'est le troisième protagoniste, celui qui rapproche et éloigne le couple, celui qui lui apprend à se connaître et à s'apprivoiser, qui aide Albine à renouer avec le genre humain et qui apprivoise Serge aux douceurs et aux tentations du corps féminin. C'est lui encore qui leur souffle comment s'aimer et devient le secret complice de leur amour. Mais, comme dans Roméo et Juliette, là où la nature est l'alliée des amants dans la félicité, elle est aussi leur adversaire le plus farouche dans l'adversité. Ainsi, dans la première partie du roman, le Paradou est un écrin protecteur pour Serge et Albine, un endroit inviolable dans lequel ils peuvent vivre loin de tout, mais, après l'accomplissement du péché, de l'acte de chair, le jardin, qui les a pourtant poussés à cela, devient l'ennemi, celui qui se laisse violer par une main vengeresse -celle de Frère Archangias- et qui assiste, passif, à la chute de Serge et d'Albine, le retour du jeune homme à son état immuable de prêtre et au désespoir de la jeune fille. Le rythme des saisons accompagne ce lent changement, ce lent basculement de la félicité au désespoir et si Serge et Albine s'apprivoisent dans la luxuriance et les formidables senteurs du printemps et de l'été, ils sont séparés pour toujours dans la tristesse de l'automne, alors que le jardin se prépare à s'endormir pour un long hiver. C'est dans les senteurs âcres et passées des dernières fleurs de la saison que Serge s'arrache à tout jamais des bras de son amante. Le frère Archangias -dont le nom rappelle aussi celui des ces anges vengeurs, les archanges-, est la personnification de l'intransigeance religieuse, intransigeance qui, pourtant, tourne chez lui en une certaine obsession sexuelle voire pédophile et qui est encore un prétexte pour l'auteur qui souhaite justement dénoncer cet empêchement, cette impuissance imposée aux hommes d'Eglise, avec tous les débordements que cela peut comporter par la suite. La Teuse, servante de l'abbé, est la tolérance, croyante mais sans intransigeance, tandis que l'oncle d'Albine, lui, est le symbole de la déchristianisation symptomatique du XIXème siècle.
    Roman riche et intense, bien documenté et subtilement écrit, La Faute de l'Abbé Mouret est l'un des romans les plus aboutis de la saga, l'un des plus beaux et l'un des plus touchants. Une lecture superbe, qu'il faut prendre le temps de savourer, pour ce qu'elle est. Car au-delà de la dénonciation religieuse, c'est aussi l'histoire d'amour qui fait toute la profondeur de ce roman. Un classique particulièrement efficace.

    En Bref :

    Les + : un roman subtil et particulièrement bien écrit, une super histoire d'amour...
    Les - :
    Aucun ! ! 

     

    Coup de cœur

     


    7 commentaires
  • « Quand on a le coeur, on a tout. » Devise de Jules Mazarin

    Les Enquêtes de Louis Fronsac, tome 2, Le Mystère de la chambre bleue ; Jean d'Aillon

    Publié en 2005

    Editions Le Masque (collection Labyrinthes) 

    358 pages

    Deuxième tome de la saga Les Enquêtes de Louis Fronsac

     

    Résumé :

    En juin 1642, une copie du traité d'alliance passé entre le marquis de Cinq-Mars et l'Espagne arrive mystérieusement sur le bureau du cardinal de Richelieu. Dans le Paris de Louis XIII certains s'interrogent sur le rôle qu'aurait pu jouer la marquise de Rambouillet, surnommée Arthénice, durant les trois conspirations de 1641 : celle du duc de Vendôme, celle du duc de Soissons et celle du marquis de Cinq-Mars.
    Le perspicace notaire Louis Fronsac, ami du poète Vincent Voiture et du commissaire-enquêteur Gaston de Tilly, recherche la vérité sur la mystérieuse chambre bleue d'Arthénice. Enquête pour laquelle il risque sa vie, mais heureusement il est protégé par Giulio Mazarini...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Le Mystère de la Chambre Bleue fait suite aux Ferrets de la Reine, premier volume de la saga Grand Siècle Les Enquêtes de Louis Fronsac. Nous faisons ici un bond dans le temps de dix-huit ans puisque Louis Fronsac quitté en 1624 alors qu'il avait onze ans et était pensionnaire au collège de Clermont, a aujourd'hui vingt-huit ans et exerce la profession de notaire assermenté auprès du Grand-Châtelet tandis que son meilleur ami, Gaston de Tilly, rencontré à Clermont, est commissaire auprès du lieutenant de police Laffemas -tiens, tiens...cela ne nous rappellerait-il pas un autre enquêteur, à quelques décennies de différence ?
    Bref, on s'égare. Nous sommes donc en 1641 et, en France, ça sent la fin de règne...Richelieu, principal ministre de Louis XIII, est épuisé, aux portes de la mort. Il ne lui reste en effet qu'un peu plus d'un an à vivre et le roi n'est guère mieux. Le pays s'achemine tout droit vers une régence puisqu'on sait que le temps du roi est compté et que le futur petit roi n'a de toute façon que trois ans...
    A ce moment-là, le favori auprès de Louis XIII n'est plus une favorite puisque Richelieu est parvenu, quelques temps auparavant, à évincer la belle mais trop dangereuse Marie de Hautefort et à placer auprès du roi l'une de ses créatures -ou du moins le croit-il-, le très beau mais trop fat et orgueilleux marquis de Cinq-Mars. Seulement, le fameux marquis commence à en avoir assez de n'être, justement, QUE la créature du Cardinal et alors, il complote. Devenu démesurément ambitieux depuis que les faveurs du roi pleuvent sur lui, voilà que celui qui est devenu Monsieur le Grand -Grand Écuyer de France-, a choisi d'épouser rien de moins que Marie de Gonzague, d'une éminente famille d'origine italienne. Mais, pour épouser une descendante des ducs de Nevers et des seigneurs de Mantoue, le petit marquis brigue un duché-pairie. Capricieux, il ne supportera pas que le Cardinal s'oppose à ses vœux et projette de le faire éliminer. Cette conspiration, connue d'ailleurs sous le nom de Conspiration de Cinq-Mars ou Conjuration de Cinq-Mars et qui impliquait notamment Gaston d'Orléans, propre frère du roi, Louis d'Astarac, vicomte de Fontrailles et même, indirectement, la reine, est véridique. Cinq-Mars, avec le magistrat François de Thou, paiera de sa tête cet affront et mourra, à vingt-deux ans, en septembre 1642, sous la hache du bourreau de Lyon. Au même moment, un conjuré de haut vol, le duc de Soissons, replié à Sedan, cherche également à traiter avec l'Espagne et le duc de Vendôme, fils bâtard d'Henri IV et Gabrielle d'Estrées, lui, calcule comment nuire et, éventuellement se débarrasser du roi, son frère qu'il déteste. On le voit, cette fin de règne n'est pas de toute repos ! !

    Les Enquêtes de Louis Fronsac, tome 2, Le Mystère de la chambre bleue ; Jean d'Aillon

    L'Homme aux Rubans Noirs


    Partant de ces conspirations historiquement valables, Jean d'Aillon brode ensuite, en utilisant personnages véridiques et fictifs pour nous livrer, encore une fois, une de ces enquêtes menées tambour battant et dont il a le secret. A partir de papiers particulièrement compromettants pour le marquis de Cinq-Mars et découvert par hasard dans un livre qu'on vient d'offrir à la marquise de Rambouillet, une proche de Louis, ce dernier, de concert avec son ami Gaston de Tilly va donc se lancer dans une course contre la montre pour découvrir quels sont les véritables secrets qui dorment sous ces fameux papiers et quels sont les liens entre toutes les conspirations qui visent le pouvoir et ne seraient, finalement, pas étrangères les unes aux autres.
    Après les longueurs -cela dit nécessaires- du premier tome, qui posait les bases du récit et mettait en place l'ambiance de la saga, ce tome-là commence beaucoup plus rapidement et se déroule de façon très rythmique. Beaucoup de péripéties -parfois un peu téléphonées, mais bon-, des rebondissements, des méchants animés par les plus mauvaises intentions, un pouvoir à sauver, des conseillers retors...l'ambiance est carrément celle des grands romans de cape et d'épée et se déroule en plus dans un contexte historique très riche ! Coincé entre celui, riche et haut en couleurs de son père, Henri IV et celui, altier et flamboyant, de son fils Louis XIV, le règne de Louis XIII reste finalement assez inaperçu et méconnu des Français et c'est dommage parce qu'on se rend compte, en grattant un peu que cette période-là, époque charnière entre la Renaissance et le Grand Siècle, est riche d'enseignement, d'événements et de personnages aux destins exceptionnels -à commencer par celui du fameux ministre du roi, le cardinal de Richelieu.
    J'ai par contre été un peu déroutée par le style, très direct du roman. Bien qu'on y retrouve la patte assez reconnaissable de Jean d'Aillon, l'auteur ici, au lieu d'immerger complètement son narrateur dans le contexte, dans l'intrigue, prend soin de le laisser très distancé des événements qu'il raconte et le fait même parfois s'adresser au lecteur, ce qui est finalement assez rare. Les bonds dans le futur, pour expliquer tel ou tel fait, sont fréquents et, si on peut en trouver parfois dans certaines biographies cela n'est pas souvent le cas dans les romans, mais bon, pourquoi pas, après tout ?
    Le Mystère de la Chambre Bleue est un bon roman historique, efficace, servi par un style pas forcément hyper ciselé mais qui sert bien l'intrigue, sait se faire plus percutant ou plus doux au besoin. Une saga qui commence plutôt bien et me donne envie de poursuivre les aventures de Louis Fronsac, notaire du Grand Siècle plutôt attachant.

    Les Enquêtes de Louis Fronsac, tome 2, Le Mystère de la chambre bleue ; Jean d'Aillon

    Gravure d'Henri Coiffier de Ruzé d'Effiat, marquis de Cinq-Mars

     

    En Bref :

    Les + : une bonne intrigue policière, un vrai roman de cape et d'épée !
    Les - :
    quelques péripéties un peu téléphonées...

     


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