• « Mon seul désir de représenter ce paradis de mon vivant serait de le retrouver dans l'au-delà. »

    Concours pour le Paradis ; Clélia Renucci

    Publié en 2018

    Editions Albin Michel

    272 pages

    Résumé :

    « Tout était dévasté, consumé, calciné. C'est de cet enfer qu'allait renaître le Paradis. »

    Dans le décor spectaculaire de la Venise renaissante, l'immense toile du Paradis devient un personnage vivant, opposant le génie de Véronèse, du Tintoret et des plus grands maîtres de la ville. Entre rivalités artistiques, trahisons familiales, déchirements politiques, Clélia Renucci fait revivre dans ce premier roman le prodige de la création, ses vertiges et ses drames.

    Ma Note : ★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    C'est un voyage à Venise qui a donné l'idée de son roman à Clélia Renucci et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle a été bien inspirée.
    C'est dans un réel périple artistique que l'auteure nous propose de nous emmener, à la découverte de la Venise de la fin du XVIème siècle. L'époque post concile de Trente est synonyme, en Italie, d'émulation artistique sans précédent. Les artistes sont mis à disposition de la cause religieuse et se voient imposer des clauses rigoureuses pour que leurs œuvres soient acceptées et pour qu'eux-mêmes bénéficient du mécénat des plus grands. C'est l'époque bénie du Titien, du Caravage, du Tintoret, de Véronèse... A Venise, où les peintres ne manquent pas, il va bientôt leur être demandé de relever un grand défi et de mettre leur génie au service de la République... Quand le palais des doges brûle, au mois de décembre 1577, les grands dignitaires de Venise décident alors de lancer un concours où seront en compétition les meilleurs artistes de l'époque. Chacun devra livrer une esquisse d'un futur tableau, Le Paradis, destiné à décorer la grande salle du Conseil du palais des doges. Le tableau d'origine, datant du Moyen Âge, avait été détruit dans l'incendie. Une grande compétition est lancée, entre les meilleurs. Mais seul l'un d'entre eux en sortira vainqueur.
    Si vous tapez sur n'importe quel moteur de recherche : Le Paradis, palais des doges, Venise vous pourrez voir une toile immense, grandiose, qui occupe tout un pan de mur derrière la tribune du doge. Vous trouverez aussi le nom de ses auteurs : Jacopo et Domenico Tintoret.
    Vous croyez que je vous révèle LE SCOOP ? Non. Car l'information est facilement identifiable, n'importe où. Il suffit de se connecter à Internet... D'ailleurs, ce n'est pas de la finalité de l’œuvre dont il est question dans le roman mais tout le travail en amont. Finalement, peu importe qui remporte le concours, ce n'est pas ça qui compte mais la fureur créatrice des artistes devant un projet d'une telle ampleur, un projet qui peut devenir celui de toute une vie.

    Clélia Renucci s'intéresse à la façon dont chaque artiste va aborder le projet, comment chacun, en partant d'une idée de départ identique va ensuite se l'approprier pour en donner sa vision la plus personnelle. Pour Véronèse et Tintoret, dont l'expérience n'est plus à faire, se disputer le Paradis, c'est mesurer son talent à celui de l'autre ; pour le jeune peintre Bassano, cela devient le moyen de s'émanciper de la tutelle paternelle et de se faire enfin un prénom.
    C'est avec un style plein de douceur et d'une grande qualité, technique et précis au bon moment, documenté, nuancé que Clélia Renucci, dans ce premier roman, nous raconte plus de vingt ans de l'histoire picturale vénitienne, entre génie, labeur, investissement, concurrence, jalousies...
    J'avoue que le début m'a un peu fait peur et si j'ai tout de suite pris plaisir à découvrir le style très fin de l'auteure, j'ai parfois eu l'impression de lire surtout une juxtaposition de faits et je n'arrivais pas à me sentir vraiment investie dans ma lecture. Peut-être aussi n'ai-je pas pu lire au rythme que je souhaitais et cela a-t-il émoussé mon intérêt...Mais j'ai persévéré et j'ai bien fait, me rendant compte effectivement que le livre n'était pas réellement à l'origine du léger ennui que j'avais pu ressentir ! Alors que je pensais, passés les premiers chapitres, que ce roman était un peu plat, je me suis aperçue qu'il n'en était rien ! Certes, si vous cherchez aventures et rebondissements, passez votre chemin... Mais découvrir le processus de la création, le cheminement de la pensée du peintre, son génie créateur, les techniques -car les peintres à cette époque, étaient aussi des artisans et des inventeurs...cela vaut finalement toutes les aventures ! C'est tellement riche, tellement foisonnant...une véritable immersion dans cette mystérieuse Venise de la fin du XVIème siècle, dans le sillage grandiloquent ou plus discret de peintres dont l'Histoire a retenu le nom, ou pas.
    Si l'auteure pousse la porte de l'atelier du peintre, c'est aussi dans l'intimité de la famille Robusti qu'elle nous emmène. Jacopo Robusti, dit Le Tintoret était à la tête d'une grande famille...son fils Domenico, d'ailleurs, réalisera conjointement le tableau avec son père, diminué après la mort de sa fille aînée adorée, portraitiste de talent, Marietta, que l'on surnommera La Tintoretta. Si le reste de la famille n'apparaît qu'en arrière-plan, Clélia Renucci met en avant la relation privilégiée, familiale mais aussi professionnelle, qui a lié Le Tintoret à deux de ses enfants, tandis qu'un autre de ses fils, le jouisseur Marco, ne cessait de le décevoir. J'ai retrouvé un peu dans ce roman, de La Longue Attente de l'Ange, de Melania G. Mazzucco, sensible biographie romancée du Tintoret. J'ai retrouvé aussi Parle-leur de Batailles, de Rois et d'Eléphants, de Mathias Enard, roman sur le fabuleux destin de Michel-Ange. Comme la plupart des auteurs choisissant de s'intéresser aux grands peintres, Clélia Renucci a été bellement inspirée et a su dresser un portrait tout en nuances, entre ombres et lumières, d'une cité-Etat à la riche Histoire, complexe et paradoxale.
    Concours pour le Paradis est à lire, pour la beauté de l'écriture mais aussi pour son sujet, passionnant, et qui attire l'attention sur une œuvre méconnue mais grandiose de l'Histoire des arts italienne. 

     

    Le Paradis, Jacopo (Tintoret) et Domenico Robusti, salle du Conseil du Palais des Doges (1588)

     

    En Bref :

    Les + : un roman historique et humain, abouti et bien écrit, avec un style fin et de qualité.
    Les - : pas vraiment de points négatifs à soulever. Concours pour le Paradis est un bon premier roman.

     

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  • In My Mail Box - Octobre 2018

    La Rose et le Bourreau ; Patrick Pesnot

    Editions de l'Archipel

    Date de parution : 2018

    Sujet : Histoire, Aventures, XVIIIème siècle, Bretagne

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    Mademoiselle ; Jacqueline Duchêne

    Editions JC Lattès

    Date de parution : 1999

    Sujet : Histoire, Histoire de France, XVIIème siècle

    * * *

    Madame l’Étrangère ; Jacqueline Duchêne

    Editions JC Lattès

    Date de parution : 2001

    Sujet : Histoire, Histoire de France, XVIIème siècle

    * * *

    La Dame de Vaugirard ; Jacqueline Duchêne

    Editions JC Lattès

    Date de parution : 1997

    Sujet : Histoire, Histoire de France, XVIIème siècle

    * * *

    Cavendon, tome 3, L'Héritage de Cavendon Hall ; Barbara Taylor Bradford

    Editions Le Livre de Poche

    Date de parution : 2018

    Sujet : Histoire, XXème siècle, Seconde Guerre Mondiale, Saga familiale

    * * *

    Lizzie Martin, tome 6, Le Brouillard tombe sur Deptford ; Ann Granger

    Editions 10/18, Collection Grands Détectives

    Date de parution : 2017

    Sujet : XIXème siècle, Époque victorienne, Enquêtes, Roman policier

    * * *

    Le Refuge des Souvenirs ; Mary Marcus

    Editions Charleston

    Date de parution : 2018

    Sujet : Histoire, Etats-Unis, XXème siècle, Racisme

    * * *

    Les Mystères d'Udolphe ; Ann Radcliffe

    Editions Archipoche

    Date de parution : 2012

    Sujet : Horreur, Roman gothique, Classiques

    * * *

    Quand Soufflera le Vent de l'Aube ; Emma Fraser

    Editions Pocket

    Date de parution : 2018

    Sujet : Histoire, XXème siècle, Ecosse, Première Guerre Mondiale

    * * *

    Adelia Aguilar, tome 1, La Confidente des Morts ; Ariana Franklin

    Editions 10/18, Collection Grands Détectives

    Date de parution : 2015

    Sujet : Histoire, Moyen Âge, Policier, Angleterre

     


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  • « Elle subissait les évènements plus qu'elle ne les maîtrisait. Son existence lui semblait être une folle fuite en avant. Quand pourrait-elle s'arrêter ? »

    La Rose et le Bourreau ; Patrick Pesnot

    Publié en 2018

    Editions de l'Archipel

    331 pages

    Résumé :

    Cancale, milieu du XVIIIe siècle. Orpheline de mère et fille de capitaine, Julienne ne supporte plus sa marâtre. Résolue à changer de vie, elle décide un jour de couper ses cheveux, enfile les vêtements de son frère et se fait appeler...Henri.

    En route vers Paris, la garçonne vit d'expédients, dort à la belle étoile et se fait connaître de la maréchaussée en laissant pour mort un aubergiste émoustillé par son androgynie...Elle est recueillie par un jeune abbé aussi bon qu'avenant. Arrivée à Paris, à court de ressources, elle cède aux avances d'un sergent recruteur qui l'engage dans l'armée du roi sous le sobriquet de « Sans-Souci ». La voilà engagée dans la campagne de Bohème, à travers Vosges et Forêt-Noire.

    Bientôt, quarante mille soldats franchissent le Danube et marchent sur Prague. Si Julienne se conduit avec bravoure, pourquoi chacun des hommes dont elle s'éprend - son capitaine, son compagnon de chambrée... - connaît-il un sort funeste ? De retour en France après avoir déserté, elle n'aura d'autre choix que d'assister dans sa tâche « Monsieur de Marseille » - le bourreau. Jusqu'à quand parviendra-t-elle à dissimuler son identité ?

    Un roman picaresque dont l'héroïne, mutine aventurière, ne cesse de se perdre pour se retrouver. D'une plume alerte et truculente, Patrick Pesnot y fait revivre l'Europe galante et dangereuse du temps de Louis XV.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Tout d'abord, je voulais remercier encore une fois les éditions de l'Archipel pour cet envoi. Lors de la dernière session de partenariats lancée par la maison d'édition, j'ai tout de suite été attirée par ce nouveau roman qui se passe au XVIIIème siècle !


    A Cancale, sous le règne de Louis XV, la jeune Julienne, dix-sept ans, quitte la maison familiale sur un coup de tête, après une ultime altercation avec sa marâtre. Mais, parce que sur les routes peu sûres du royaume de France, elle est vulnérable, Julienne décide de se travestir et de devenir un homme. Au cours de cette vie errante, elle fera des rencontres, bonnes ou mauvaises. Elle deviendra soldat puis aide de Monsieur de Marseille, autrement dit, le bourreau de la ville. Elle sera émue, par des hommes comme par des femmes. Et surtout, en grandissant, c'est surtout elle-même qu'elle va rencontrer.
    Sur la quatrième de couverture, le roman de Patrick Pesnot est qualifié de roman picaresque... n'en ayant jamais lu auparavant, je n'ai aucun moyen de faire une quelconque comparaison. Si je devais utiliser un terme contemporain et anglo-saxon, je dirais que La Rose et le Bourreau est un véritable road trip, qui nous emmène de la Bretagne à Marseille en passant par les champs de bataille de Bohême durant la guerre de succession d'Autriche, dans le sillage de Julienne, qui grandit et change sous nos yeux.
    Au travers de ce personnage, ce sont plein de sujets que l'auteur aborde : féminisme, homosexualité, politique, justice...
    Je déplore cela dit que l'époque choisie n'ait pas été plus mise en avant. Le XVIIIème siècle est une époque tellement passionnante ! J'aurais aimé parfois pouvoir me situer plus facilement, que ce soit dans le temps mais aussi dans l'espace ; on ne sait jamais trop où on est ni quand et c'est dommage. Mais s'il y'a quelque chose que l'on peut accorder au crédit de l'auteur, c'est qu'il est parvenu à souligner tous les paradoxes et les nuances d'une époque compliquée et tiraillée entre des traditions ancestrales, notamment marquées par la religion et une modernité un peu moins bien pensante et un petit peu plus libertine. Par exemple, l'auteur aborde les fameux convulsionnaires, phénomène religieux radical et qui a essaimé de Paris à la province dans la première moitié du XVIIIème siècle. Quant à Julienne, femme de naissance mais qui se grime et vit en homme, libre de mœurs, s'éprenant d'hommes comme de femmes, c'est un personnage très moderne, car si aujourd'hui les femmes peuvent se prévaloir des mêmes prérogatives que les hommes, sous le règne de Louis XV, cela n'allait franchement pas de soi. Malgré tout, notamment à cause de la menace qui pèse sur elle du fait de son travestissement et qui est alors puni par la loi, Julienne reste soumise aux rigueurs d'une société encore empreinte de religiosité et de culture chrétienne.
    La Rose et le Bourreau, globalement n'est pas un mauvais roman mais il y'a malgré tout certaines choses qui m'ont gênée... J'ai beaucoup aimé les derniers chapitres, très touchants et qui, je l'avoue, m'ont émue. Mais je regrette que le roman n'ait pas été un peu plus développé ; il aurait peut-être mérité quelques chapitres de plus parce que j'ai trouvé que, finalement, les différentes étapes du roman vont très vite, trop vite et on n'a ni le temps de s'approprier le roman ni le temps de s'attacher aux personnages que l'on ne fait finalement que croiser. Quant aux différentes péripéties que connaît Julienne, j'ai trouvé qu'elles étaient parfois trop semblables les unes aux autres, comme si l'auteur les transposait d'un chapitre à l'autre en se contentant de changer le cadre et deux, trois personnages... Peut-être le rythme du roman est-il trop rapide, peut-être l'auteur aurait-il dû prendre un peu plus de temps.
    Ceci dit, j'ai globalement passé un bon moment et j'ai trouvé que ce roman historique est bien mené et maîtrisé. Si au départ je n'ai pas été spécialement emballée par le style, petit à petit, j'ai trouvé qu'il s'affinait et devenait de plus en plus agréable à lire.
    Dans l'ensemble, je dirais que j'ai, progressivement, de plus en plus apprécié cette lecture mais que le véritable intérêt est peut-être arrivé trop tard. Trop tard pour que je puisse tempérer le début un peu faible ; trop tard pour que je puisse changer d'opinion concernant Julienne. Je n'aime pas ne pas apprécier le personnage principal d'un roman. Je trouve que le héros est extrêmement important et -je crois ne pas être le seul lecteur dans ce cas-, j'ai besoin de m'y attacher un minimum, j'ai besoin de me sentir proche de lui un tant soit peu. Avec Julienne, malheureusement, aucune alchimie n'est née...Et pourtant, c'est un personnage intéressant, un assez bon reflet de cette époque paradoxale dans laquelle elle vit et surtout, elle a beaucoup de courage ! Alors oui, je crois que je peux dire que j'ai été admirative par moments mais j'aurais aimé développer un peu de tendresse pour Julienne.
    Bref, si j'ai trouvé pas mal de points positifs à ce roman -et il en a, indéniablement-, malheureusement, j'en ressors avec une légère amertume, comme un petit goût de déconvenue... Est-ce que j'attendais autre chose ? Est-ce que je m'étais fait trop d'idées ? Peut-être mon amour inconditionnel pour le XVIIIème siècle me poussait à en attendre beaucoup, je ne sais pas... Je ne pourrais même pas vous dire si j'ai été déçue ou pas ! Vous le croyez, ça ? Maintenant que j'ai terminé la lecture de ce roman, avec le recul, je dirais que non. Et pourtant, ma chronique est assez mitigée mais je ne regrette pas cette lecture, bien au contraire. Ce fut une bonne découverte, un roman intéressant malgré ses petits défauts. La Rose et le Bourreau peut assurément plaire aux amateurs de romans historiques. 

    En Bref :

    Les + : une intrigue intéressante et originale, qui nous emmène dans les pas d'un personnage atypique, un style fin, précis et percutant...
    Les - : ...mais un rythme peut-être un peu trop rapide, des rebondissements un peu trop semblables, un personnage principal pas très attachant...dommage.

     


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  • « Les criminels peuvent échapper au tribunal des hommes, ils tombent toujours sous le coup d'une plus haute justice. »

    L'Enfant du Lac ; Kate Morton

    Publié en 2015 en France ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Lake House

    Editions Pocket

    737 pages

    Résumé :

    1933, Cornouailles. Un soir de fête chez les Edevane, le petit Théo, adorable poupon de onze mois, disparaît. Les enquêteurs remuent ciel et terre, mais l'enfant demeure introuvable. Pour les parents comme pour la famille Edevane, la vie ne sera plus jamais la même après ce drame. La maison du lac, la propriété tant aimée, est fermée et laissée à l'abandon.
    Soixante-dix ans plus tard, Sadie Sparrow, jeune inspectrice londonienne en vacances dans la région, s'intéresse à cette mystérieuse disparition. Elle reprend l'enquête et rouvre le dossier, les portes et les plaies, forçant les derniers secrets de la maison du lac...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Retrouver Kate Morton, c'est l'assurance de savourer un roman comme un bonbon.
    Depuis que j'ai découvert l'auteure en 2012, je n'ai été déçue par aucun de ses romans ni par son univers. Il y'a quelque chose de très attachant et d'assez addictif chez Kate Morton et si, évidemment, il y'a certains romans que j'ai plus aimés que d'autres, dans l'ensemble, j'ai toujours passé un très bon moment. Quelle prouesse d'arriver à se renouveler et à garder intact l'intérêt de son public en gardant toujours le même déroulement et aussi, pourrait-on dire, les mêmes personnages ! Car tous les romans de Kate Morton sont assis sur des bases identiques : l'Angleterre, une grande demeure un peu mystérieuse, une famille, entre hier et aujourd'hui, rongée par un secret qu'un personnage, parfois un peu perdu dans sa propre vie ou en pleine remise en question, va élucider, parfois, plusieurs décennies après qu'un événement -souvent tragique- soit arrivé. On pourrait ainsi craindre de lire du réchauffé, du déjà-vu, mais non. L'auteure parvient toujours à nous donner autre chose et à créer un véritable suspense qui capte le lecteur. Et, en même temps, se replonger dans un roman de Kate Morton, c'est retrouver un univers familier et vaguement sécurisant.
    Il y'avait plusieurs années que je ne m'étais plus plongée dans l'un de ses romans et pourtant, j'avais repéré L'Enfant du Lac depuis sa sortie. Quel plaisir donc, lorsqu'il y'a quelques jours, j'ai décidé de le sortir de ma PAL... D'ailleurs, il n'y sera pas resté très longtemps, impatiente que j'étais de le lire enfin ! Ma curiosité ne s'est pas émoussée et L'Enfant du Lac faisait vraiment partie de ces romans qui dormaient dans mes bibliothèques mais qui restaient malgré tout prioritaires.
    En fait, je ne me faisais aucun souci et je savais, avant même d'ouvrir le livre, que je l'aimerais. Mais je ne sais pas si je m'attendais à ça ! A mon sens, L'Enfant du Lac est, de toute l’œuvre de Kate Morton, le roman le plus abouti, mené d'une main de maître de bout en bout et, si j'ai une affection certaine pour chacun de ses romans, je crois pouvoir dire que, à ce jour, L'Enfant du Lac est mon préféré. Pourquoi ? C'est justement ce que je vais essayer de vous expliquer dans cette chronique...
    Commençons déjà par situer l'histoire... Comme d'habitude, Kate Morton nous emmène à la découverte de personnages multiples, dont les histoires vont se dérouler parallèlement tout au long du récit. Ici, nous sommes en 2003. Sadie Sparrow a une trentaine d'années, elle est inspectrice de police, à Londres. A la suite d'une maladresse, elle est écartée quelques temps et part en vacances forcées en Cornouailles, où vit son grand-père, Bertie. Un jour, alors qu'elle est allée se promener dans la forêt, elle tombe sur un domaine abandonné, Loeanneth. Entouré d'un grand lac et d'un superbe jardin, un manoir se dresse devant elle, inhabité mais encore meublé, plein des traces de ceux qui l'ont brutalement déserté, quelques soixante-dix ans plus tôt. Que s'est-il passé à Loeanneth, dans les années 1930 ? C'est ce que Sadie va s'employer à découvrir et, avec elle, nous partons alors au début des années 1930, à la rencontre de la famille Edevane, propriétaire du domaine à cette époque-là. En juin 1933, alors qu'une fête bat son plein, le benjamin de la famille, le petit Theo, onze mois, disparaît. Malgré l'enquête de police, les battues, l'enfant reste introuvable. A-t-il était enlevé ? A-t-il été tué ? Rien ne permet d'infirmer ou de confirmer aucune de ces possibilités et, bientôt, les Edevane et leurs trois filles aînées, Deborah, Alice et Clemmie, quittent les Cornouailles pour Londres. Ils ne reviendront jamais et, sur le domaine, la nature reprend peu à peu ses droits. Alors ? Qu'est-il arrivé cette fatale nuit ? Sadie va tenter d'élucider ce mystère, qui n'est pas sans lui rappeler la dernière enquête qu'elle a menée, prise trop à coeur et qui a contraint son supérieur à l'écarter un temps de la police.
    Entre deux époques, Kate Morton nous promène dans les tréfonds et l'intimité d'une grande maison britannique, pendant l'entre-deux-guerres. Sur la quatrième de couverture, c'est une critique du magazine Elle qui est citée et dans laquelle on peut lire très justement que le personnage principal de ce roman est un manoir. Et c'est vrai... Peut-être plus que Sadie, peut-être même plus que les Edevane, ce qui nous capte très vite, c'est l'aura mystérieuse qui entoure Loeanneth, le domaine du lac où se sont noués et dénoués des destins, des drames, des joies et des déceptions. Le lecteur se fait petite souris et arpente les pièces feutrées du domaine alors qu'il joue le bel endormi ou pendant ses heures de gloire, alors qu'il est peuplé des cris de joie des enfants Edevane. Mais si tout était trop beau pour être vrai ? Que cache réellement la mystérieuse Alice, adolescente de seize ans qui semble porter un fardeau bien trop lourd pour ses jeunes épaules ? L'entente parfaite entre les parents, Eleanor et Anthony, n'est-elle pas que de façade ? Qu'est-il arrivé au père, pendant la Grande Guerre, que les parents répugnent même à confier aux enfants ? Plein de questionnements qui vont et viennent au cours de notre lecture et que Sadie, avec son esprit logique de flic, va s'employer à expliquer méthodiquement. Plusieurs fois, avec elle, on croira toucher au but et comprendre enfin ce qui est arrivé à Theo, avant qu'un nouvel indice ne vienne faire s'effondrer le château de cartes et les certitudes. Theo est-il un enfant illégitime adopté par les Edevane ? A-t-il été enlevé contre rançon et le rapt a-t-il mal tourné, le ravisseur tuant l'enfant ? Successivement, on se persuade que le bébé est mort, en 1933 et parfois, on croit fermement en sa survivance. Et en étudiant méthodiquement cette blessure qui n'a jamais cicatrisé et marqué durablement les Edevane, Sadie se répare aussi d'une certaine manière, car il n'y a pas que les gens du passé qui cachent des secrets, des regrets et des blessures.
    Ce roman m'a captivée de bout en bout, non seulement de part son aspect historique mais aussi parce que l'intrigue est d'une qualité et d'une ambition certaines. Les événements sont ficelés entre eux avec brio et j'ai réellement eu l'impression, parfois, de lire un roman policier, qui apparaît comme un écheveau un peu confus, un monceau de faits qui n'ont que peu de choses, voire rien du tout en commun mais finissent finalement par s'imbriquer parfaitement. Et quand la lumière se fait, on se dit : mais bon sang, mais c'est bien sûr !
    Kate Morton a l'art de nous faire plonger dans l'intimité d'une famille, au plus profond, car qu'y a-t-il de plus personnel qu'un secret que l'on tait soigneusement pendant des dizaines d'années ? Et c'est ça finalement qui fait que ses romans sont si captivants : car tous les personnages qu'elle imagine sont proches de nous, si délicatement imparfaits, si sûrement englués dans leurs doutes, leurs mauvaises décisions ou leurs regrets, qu'on ne peut pas ne pas s'identifier. Qui peut se targuer de toujours prendre les bonnes décisions, de ne jamais douter, de ne jamais regretter, de ne jamais souffrir ? Serions-nous humains si nous faisions tout bien ? De toute façon, la perfection n'existe pas et, même dans ce qui parfois peut nous apparaître monstrueux ou inexplicable, il y'a souvent une cause rationnelle et logique. Pas forcément excusable mais malgré tout compréhensible. Et même les personnages les plus détestables finissent par attirer un peu de compassion.
    Pas un instant je ne me suis ennuyée au cours de cette lecture et, même si j'ai deviné certaines choses avant la fin -j'étais fière de moi d'ailleurs parce que, en général, ma capacité de déduction est proche de zéro-, à aucun moment mon intérêt n'est retombé. Je suis devenue une occupante à part entière de Loeanneth et j'ai adoré découvrir le domaine au travers des yeux de Sadie, soixante-dix ans après son abandon : j'ai toujours eu un faible pour les vieilles maisons, les ruines, pour ce qu'elles racontent, pour ce qu'elles recèlent encore d'histoires entre leurs murs. Que ce doit être étrange et en même temps passionnant de découvrir une demeure où le temps s'est arrêté, une demeure qui n'est pas vide mais encore remplie, non seulement du souvenir impalpable de ses occupants mais aussi de tout ce qu'ils y ont laissé de concret.
    Enfin, dans ce roman, j'ai aussi eu un coup de cœur pour le style de l'auteure ! Vous me direz que je connais Kate Morton depuis suffisamment longtemps pour ne plus être surprise par son style. Et je vous répondrai que si ! Le fait de ne pas l'avoir lue depuis longtemps m'a donné l'impression de faire, réellement, une découverte et surtout, la qualité du style, sa finesse, m'ont peut-être plus sauté aux yeux dans ce roman que dans les autres - mais rassurez-vous, vous pouvez lire tous ses romans sans crainte, car Kate Morton écrit très bien. Et c'est avec beaucoup de justesse que l'auteure aborde plein de sujets, du traumatisme engendré par la guerre et ses ravages jusqu'à la lente et silencieuse destruction d'une famille, brisée et empoisonnée par les non-dits et qui, sur le papier, avait tout pour être heureuse : on ne peut s'empêcher, en lisant ce roman, de ressentir le goût amer du gâchis et de se dire que, partout en Europe, la Grande Guerre, car c'est elle aussi qui plane en arrière-fond, a laissé des plaies béantes qui ont conditionné par la suite des générations entières.
    Quant à Sadie, si Anthony Edevane est hanté par ce qui s'est passé au front et qu'il ne peut pas dire et Eleanor par un faux-pas qu'elle regrette mais dont elle a sans cesse la preuve tangible sous les yeux, c'est un drame extrêmement intime dans sa vie de femme qu'elle a vécu et avec lequel elle tente de cohabiter en se demandant sans cesse si elle a bien agi et si elle a fait ce qu'il fallait.
    Bref, si je dois conclure cette chronique en deux mots, ils sont tous trouvés : lisez-le ! Lisez L'Enfant du Lac et je suis d'ores et déjà persuadée que vous en ressortirez aussi enthousiaste que moi. Si ce roman n'est pas un coup de cœur, il n'en est pas moins une très très très bonne lecture et fait partie des meilleures découvertes de cette année, c'est indéniable.

    En Bref :

    Les + : un roman plein de secrets, qui a pour cadre un domaine mystérieux des Cornouailles, bien ficelé, mené de main de maître.
    Les - : Aucun !


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  • «  Finalement, ce n'était peut-être pas le fait de croire qui était une bénédiction, mais celui de n'avoir pas vu. Voir, parfois, était terrible. »

    Le Chardon et le Tartan, tome 8, partie I : Ecrit à l'Encre de mon Coeur ; Diana Gabaldon

     

    Publié en 2014 aux Etats-Unis ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Outlander, book 8, Written in my own heart's blood

    Editions J'ai Lu 

    800 pages 

    Huitième tome de la saga Le Chardon et le Tartan

     

    Résumé :

    Juin 1778. 

    L'armée britannique quitte Philadelphie, talonnée par les troupes de George Washington, qui ont délaissé Valley Forge. 

    Jamie Fraser, prétendument mort, réapparaît et découvre que son meilleur ami a épousé sa femme, Claire. Il apprend également que son fils illégitime connaît maintenant l'identité de son père. 

    Enfin réunis, Jamie et Claire se réjouissent que leur fille soit en sécurité au XXe siècle... mais il n'en est rien. Le fils de Brianna et Roger a été enlevé par un homme déterminé à percer le secret de la famille Fraser. Et alors que Roger s'est aventuré dans le passé pour suivre sa trace, le ravisseur peut désormais jeter son dévolu sur sa véritable cible : Brianna. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Actuellement, ce huitième tome est le dernier publié. Le neuvième est en cours d'écriture et son titre anglais a même été dévoilé. Toujours est-il qu'il n'est même pas encore sorti en anglais donc pour l'instant, je considère que ce huitième tome est le dernier. Le dernier avant longtemps, tout du moins.
    Du coup, j'ai un peu hésité avant de me lancer parce que je sais que je vais devoir attendre un moment avant d'en connaître la suite. Mais l'envie de retrouver cet univers familier et les personnage attachants a été la plus forte.
    Nous sommes en 1778 et la guerre d'Indépendance américaine est en train de prendre un tournant radical. Les armées continentales et loyalistes n'ont jamais été aussi près du conflit ouvert et les Français entrent même en guerre au côté des Insurgents. Claire et Jamie, revenus d'Ecosse, se retrouvent donc pris dans l'effervescence d'un conflit qui n'est pas le leur mais qui menace de les entraîner malgré eux.
    En parallèle, Brianna et Roger, au XXème siècle, pourraient mener une existence heureuse et paisible entre leurs deux enfants, sur le domaine familial de Lallybroch, si leur famille n'était pas la cible d'un homme mystérieux déterminé à découvrir leurs secrets... Et tandis que leur fils Jem est kidnappé et que Roger repart voyager dans le temps à sa recherche, Brianna reste seule pour affronter les motivations du ravisseur de son fils.
    Ce huitième tome démarre bien et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est très dense et nous donne beaucoup, beaucoup d'informations. Ma lecture du septième tome remontait à plus d'un an et les premiers chapitres ont été un peu confus. Comme d'habitude, je dirais ; depuis que j'ai institué ce petit rituel de lire un tome de Outlander chaque automne, je sais que je prends le risque d'être un peu paumée au moment de raccrocher les wagons.

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    Mais la magie opère à chaque fois ! Diana Gabaldon a réussi à créer un univers qui fonctionne et qui captive. Pourtant la recette est simple, pas exempte de défauts, mais elle marche toujours.
    Dans ce huitième tome, j'ai retrouvé le plan familier instauré depuis quelques temps, cette alternance entre XVIIIème siècle et XXème siècle qui me plaît beaucoup. On continue de suivre les aventures mouvementées de Claire et Jamie en pleine guerre d'Indépendance, entre les questionnements de celle-ci sur ce qui va advenir et qu'elle connaît déjà et ceux de Jamie, aussi, qui a rejoint les rebelles mais n'aspire malgré tout qu'à retrouver la vie tranquille qu'il menait en Caroline. L'auteure souligne aussi avec justesse le malaise éprouvé par Claire, venue du futur et qui assiste à des événements qu'elle connaît déjà, comme un sentiment de déjà vu et qui se demande comment elle peut influer sur eux, si tant est qu'elle le puisse, ayant encore en tête l'amère défaite de Culloden...Elle rencontre aussi des personnages historiques, comme Washington ou La Fayette, avec le sentiment d'étrangeté qu'on peut aisément comprendre.
    De l'autre côté, Brianna et Roger forment une famille heureuse et comme les autres en ce début des années 1980. Ils habitent dans un coin reculé d'Ecosse et se partagent entre leurs enfants et leurs emplois respectifs et Roger, lui, continue d'enquêter sur les voyages dans le temps et la particularité qu'il possède, comme son épouse et leurs enfants.
    L'aspect historique du roman est évidemment très important pour moi et l'auteure s'y appuie, certes avec un peu de fantaisie parfois mais de manière suffisamment précise tout de même. Cela dit, j'apprécie aussi beaucoup de retrouver l'époque contemporaine, surtout parce que je trouve que Brianna et Roger forment un couple attachant et qui contrebalance habilement celui de Claire et Jamie, encore alertes mais vieillissants.
    Cette alternance apporte un vrai dynamisme au récit et permet aussi de faire monter le suspense... Et évidemment les lecteurs insatiables que nous sommes ne peuvent que se prendre au jeu.
    Bref, cette première partie du huitième tome est intéressante malgré un début légèrement confus... Une fois lancée, je n'avais qu'une envie : avancer ! Et vu qu'elle s'arrête sur un suspense de fou -les petits malins !- évidemment je n'ai eu qu'une envie, me jeter sur la suite, en attendant le neuvième tome, avec impatience évidemment !

    En Bref :

    Les + : l'univers si familier que l'auteure est parvenue à créer et que l'on retrouve toujours avec plaisir ; les personnages, évidemment et le contexte historique, aussi.
    Les - : le roman met un peu de temps à se mettre en place...


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