• « On n'a que peu de secondes chances dans une vie et quand elles se présentent il faut parfois les saisir. Tu n'as pas envie de te dire, plus tard : Ah, si seulement...Tu n'as pas envie d'être rongée par le regret. »

    La Ferme du Bout du Monde ; Sarah Vaughan

    Publié en 2016 en Angleterre ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Farm at the Edge of the World

    Editions Le Livre de Poche

    470 pages 

    Résumé : 

    Cornouailles, 1939. Will et Alice trouvent refuge auprès de Maggie, la fille du fermier. Ils vivent une enfance protégée des ravages de la guerre. Jusqu'à cet été 1943 qui bouleverse leur destin. 
    Eté 2014. La jeune Lucy, trompée par son mari, rejoint la ferme de sa grand-mère Maggie. Mais rien ne l'a préparée à ce qu'elle va y découvrir. 
    Deux étés, séparés par un drame inavouable. Peut-on tout réparer soixante-dix ans plus tard ? 
    Destinées prises dans les tourments de la Seconde Guerre mondiale, enfant disparu, paysages envoûtants, un roman vibrant, une saga inoubliable. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Entre les années 2010 et le début des années 40, Sarah Vaughan nous emporte dans une saga familiale comme je les aime !
    En 2014, Lucy, jeune infirmière londonienne manque comettre une erreur qui aurait pu être fatale à un petit patient. Plus tard, des soucis dans son couple la poussent à rejoindre pour un été la ferme familiale en Cornouailles, où vivent encore sa grand-mère, Maggie, sa mère Judith et son frère Tom, qui travaillent sur l'exploitation. Une exploitation qui ne va pas très bien mais que la famille est bien déterminée à sauver malgré tout, surtout par fidélité aux différentes générations qui se sont succedées sur ces terres et les lui ont léguée. Et pourtant, les découverts s'accumulent et la ferme se délabre...
    En même temps, on la découvre au début des années 1940, encore florissante. Elle est alors la propriété des parents de Maggie et va servir de refuge pour de petits londoniens, lorsque la ville est assaillie par le Blitz. Là, ils trouvent des familles de substitution avant de pouvoir retrouver leurs parents, vont à l'école avec les enfants de la région et donnent un coup de main aux champs ou à la ferme, comme Will et Alice, le frère et la soeur adolescents installés chez Joe et Evelyn et leur fille Maggie. Les deux petits citadins découvrent, dans cette ferme isolée et battue par les embruns, tout au bord de l'Atlantique, un mode de vie qu'ils ne connaissent pas, loin de la grande ville et de son confinement, une vie en contact permanent avec les animaux et la nature. Et puis le temps passe et les enfants deviennent des adolescents, et les coeurs se mettent à parler, pour le meilleur comme pour le pire...Mais comment tomber amoureux fou en pleine guerre, quand l'avenir est incertain et quand la société réprouve l'amour hors mariage et que le risque, pour les jeunes filles, de se trouver enceinte, entraîne aussi celui d'être renié par sa famille ?
    En 1944, sans explications, Alice quitte la ferme et est relogée plus loin, tandis que son frère Will quitte la ferme pour ne jamais y revenir... Que s'est-il passé ? C'est ce que l'on va découvrir grâce à des aller-retours incessants entre deux époques.
    Soixante-dix ans plus tard, à la faveur d'un événement inattendu, Maggie, alors âgée de quatre-vingt-huit ans et fatiguée par les soucis traversés par l'exploitation de son enfance et qu'elle veut sauver coûte que coûte, va révéler aux siens ce qui s'est passé en ces années 1943-1944 qui a fait basculer leurs vies à tous, alors que la guerre touche à sa fin et que l'espoir renaît...
    En cet été 2014, Lucy va également faire un point sur sa propre vie et découvrir que, comme sa mère et son frère et aussi son père disparu, elle est viscéralement attachée à cette terre qui l'a vue naître, qu'elle a rêvé de quitter plus jeune mais qu'elle n'aspire plus, à trente ans passés, qu'à retrouver définitivement et le nouveau tournant amorcé dans la gestion de la ferme va lui permettre de prendre aussi un nouveau départ.
    Si j'ai peiné à être convaincue dès le départ, ce serait mentir que de dire que ce roman n'est pas captivant. Je pense surtout que ma propre concentration n'était pas forcément extrêmement mobilisée quand j'ai démarré cette lecture et que mon inattention n'est pas forcément imputable au livre en lui-même. En effet, il avait tout pour me plaire et il m'a immédiatement fait penser à un roman de Kate Morton, Les Heures Lointaines, où il est aussi question du Blitz et de l'arrivée d'une jeune citadine dans un grand domaine du Kent. Ensuite, j'ai trouvé que les deux univers, s'ils ont bien sûr des points communs -on est dans un roman à secrets tels que Kate Morton sait les écrire à la perfection-, s'éloignent malgré tout l'un de l'autre et si, chez Morton, les secrets sont parfois assez spectaculaires et ses personnages impressionnants parce que hauts en couleurs, j'ai trouvé chez Sarah Vaughan beaucoup de simplicité, ce qui amène inévitablement authenticité, sincérité et vraisemblance. Ses personnages m'ont tous intéressée, à leur échelle, parce qu'ils sont un échantillon d'une époque : Maggie, adolescente et jeune adulte au milieu des années 1940 est une jeune femme libre et passionnée mais qui fera amèrement l'expérience de la rigidité morale de son époque ; Lucy, quant à elle, est un pur produit de ces années 2010 qui nous sont familières, une jeune femme qui semble bien dans sa vie, qui a rempli plusieurs cases de ce que la bienséance actuelle nous impose plus ou moins tacitement, à commencer par le métier stable, la maison, le mari...Et puis finalement, elle se rend compte, comme beaucoup de gens aujourd'hui, qu'elle n'est pas à l'aise dans cette vie et plusieurs événements perturbateurs vont l'amener à se questionner et à tout envoyer balader pour retrouver plus de sincérité dans une existence qui, au final, en manquait.
    De plus, que ce soient les problèmes rencontrés actuellement par la ruralité, en Grande-Bretagne comme en France, d'ailleurs, parce que les soucis sont les mêmes (perte de rentabilité, des fermes qui sont obligées d'étendre leur gamme de compétences, découverts, problèmes financiers permanents, pression de plus en plus difficile à supporter pour les exploitants etc...) ou bien la guerre, j'ai trouvé que Sarah Vaughan maîtrisait parfaitement bien son sujet. Elle nous emmène au coeur d'une nature encore très sauvage et préservée, qui évoque un peu la Bretagne et ses côtes déchiquetées, qui donnent un effet de bout du monde. Dans ce petit coin verdoyant de l'Angleterre, dans un isolement encore profond en 2014, on fait une pause, une parenthèse iodée et qui sent l'algue, dans le sillage de Lucy. Et puis on y revient en 1943 et 1944, dans les pas de Maggie, qui grandit si vite en l'espace de quelques mois et se heurte à ce qui sera pour elle le drame de toute une vie.
    L'amour ne se termine pas toujours très bien et l'on passe par des événements tragiques ou difficiles mais il est toujours possible de relever la tête même quand on pense qu'on n'y arrivera pas, voilà finalement le message de ce livre, un message d'une simplicité monstre mais qui peut tous nous toucher.
    Je me suis retrouvée dans le personnage de Lucy, un peu plus âgée que moi et n'ayant, au début du roman, pas du tout la même vie que moi. Et petit à petit, quand elle revient sur ses terres d'enfance, je me suis vue en elle, parce que j'ai toujours vécu à la campagne, sur des terres qui appartiennent à la même famille depuis plusieurs générations et que c'est un patrimoine qu'il me semble important de préserver et de sauvegarder.
    J'ai aimé aussi le personnage de Maggie, qui se dévoile petit à petit et qui peut apparaître au départ comme un peu hautaine, se sentant supérieure aux petits citadins émerveillés par la campagne qu'ils découvrent pour la première fois et qui est, pour elle, le quotidien depuis toujours. Et puis la carapace se fendille et nous montre une Maggie bien plus vivante et bien moins corsetée -c'est le moins que l'on puisse dire- que ce que l'on pourrait croire au départ.
    La Ferme du bout du Monde m'a vraiment beaucoup plu et j'ai dévoré ce roman. Je crois que j'y ai tout aimé et que j'ai vraiment voyagé en Cornouailles tout en ressentant beaucoup d'empathie pour ses personnages qui pourraient être réels. Ce ne sont pas des super héros et c'est vraiment ça qui m'a plu chez eux et m'a émue à plusieurs reprises.
    Comme la plupart de ces romans qui ont beaucoup de succès ces dernières années, de Kate Morton à Sarah McCoy en passant par Katherine Webb ou encore Kate Mosse, on ne peut pas dire que La Ferme du bout du Monde révolutionne le genre, non, et une fois que les fils commencent à se dénouer, on pressent rapidement la fin. Et pourtant, je trouve que ce sont des romans qui donnent parfois de l'espoir...oui, certes c'est de la fiction mais souvent, ils démontrent bien que nous sommes dépositaires de notre vie et qu'il n'appartient qu'à nous d'en faire ce que l'on en veut. Souvent, les héros de ces romans arrivent à cette conclusion après avoir percé à jour un secret et, en retour, le livre permet au lecteur de se dire que c'est possible. Alors pourquoi s'en priver ? La Ferme du bout du Monde est à mettre entre toutes les mains. Nul doute que vous passerez un excellent moment dans des paysages verdoyants qui m'ont évoqué la série Poldark

    En Bref :

    Les + : un roman articulé autour d'un secret de famille vieux de soixante-dix ans, comme je les aime, une intrigue touchante et des personnages attachants. Il ne m'en fallait pas plus pour passer un excellent moment. 
    Les - :
    peut-être deux ou trois longueurs, mais sinon rien de grave. C'est un très bon roman.


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  • « Nous avons encore le reste de la vie devant nous, non ? »

    L'Ange de Marchmont Hall ; Lucinda Riley

     

    Publié en 2015 en Angleterre ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Angel Tree

    Editions Charleston (collection Poche) 

    710 pages 

    Résumé :

    Trente ans ont passé depuis que Greta a quitté Marchmont Hall, une magnifique demeure nichée dans les collines du Monmouthshire. Lorsqu'elle y retourne pour Noël, sur l'invitation de son vieil ami David Marchmont, elle n'a aucun souvenir de la maison – le résultat de l'accident tragique qui a effacé de sa mémoire plus de vingt ans de sa vie.
    Mais durant une promenade dans le parc enneigé, elle trébuche sur une tombe. L'inscription érodée lui indique qu'un petit garçon est enterré là. Cette découverte bouleversante allume une lumière dans les souvenirs de Greta, et va entraîner des réminiscences.
    Avec l'aide de David, elle commence à reconstruire non seulement sa propre histoire, mais aussi celle de sa fille, Cheska…

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Pour Noël en 1985, Greta revient à Marchmont Hall, un domaine du Pays du Galles, qu'elle avait quitté plusieurs années auparavant. Depuis, un accident lui a fait perdre la mémoire et elle cherche à retrouver ses souvenirs. Une découverte dans les bois de Marchmont, lors d'une promenade, va la faire partir sur les traces de son passé, sa vie à Londres pendant la guerre et après, la naissance de sa fille Cheska, la célébrité précoce de celle-ci...Auprès des siens, Greta rassemble un puzzle qui avait volé en éclats.
    A la lecture du résumé, on s'attend à un roman à la Kate Morton : une famille, des secrets, un grand domaine perdu dans la campagne britannique...tout y est ! Et vous savez comme j'aime Kate Morton, qui ne m'a jamais déçue jusqu'ici...Et puis surtout, Lucinda Riley n'est pas une inconnue pour moi. Si je n'ai pas lu sa fameuse saga des Sept Sœurs, qui lui a fait connaître le succès, j'ai beaucoup aimé La Jeune Fille sur la Falaise, lu l'année dernière. Alors, j'attendais beaucoup de L'Ange de Marchmont Hall.
    Malheureusement, ça n'a pas pris avec moi. Oh, je n'ai pas détesté, loin de là et ce livre a beaucoup de qualités mais...il n'aura pas réussi à me convaincre. Déjà, j'ai trouvé le début confus ; l'auteure nous plonge tête la première dans une intrigue dont on ne sait rien et j'ai peiné à comprendre les liens entre les personnages...il m'a fallu un petit peu de temps avant de tout comprendre. Une fois ce petit inconvénient surmonté, je me suis dit que ça allait le faire et que j'allais pouvoir apprécier cette lecture, d'autant plus que c'est un bon pavé...Et puis non, l'impression mitigée du départ a fini par s'installer pour ne plus repartir. Je l'ai lu jusqu'au bout et si certains chapitres, notamment en milieu de roman, ont réussi à m'intéresser, dans l'ensemble, j'ai trouvé que L'Ange de Marchmont Hall était too much...trop romanesque, trop caricatural, trop...tout. Ce n'était pas une lecture désagréable, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me dire que cette intrigue n'était pas du tout à la hauteur de celle de La Jeune Fille sur la Falaise qui, pour moi, révèle un talent de conteuse certain chez Lucinda Riley. Ici, je n'ai pas réussi à croire ce qu'il arrivait aux personnages, cela me paraissait bien trop téléphoné. Et surtout, les personnages n'ont pas réussi à me toucher. J'imagine que je ne suis pas la seule mais, au-delà de l'intrigue, ce qui est le plus important, ce sont les personnages...parfois, ils peuvent même sauver un récit un peu bancal. Des personnages touchants et bien travaillés font la moitié du boulot, pour moi. Ici, à l'exception d'Ava, toute simple, ayant vécu toute sa vie au contact de la nature sauvage du Pays de Galles et des animaux, au point d'en faire son métier et peut-être un peu de David plein d'abnégation et d'empathie, je n'ai pas réussi à me sentir spécialement proche des personnages. Greta m'a laissée relativement indifférente et j'ai franchement détesté Cheska, même si, petite fille, elle est touchante. Ce qu'elle devient par la suite ne m'a pas donné envie de m'intéresser à elle.
    Dernière chose, alors que j'avais aimé l'écriture de Lucinda Riley dans La Jeune Fille sur la Falaise, là, j'ai trouvé le style bien moins fluide et les dialogues qui commencent sans arrêt par « Bon » m'ont horripilée, clairement.
    Mais parce qu'un livre ne peut pas avoir que des défauts -comme il ne peut pas avoir que des qualités-, parlons maintenant de ses points positifs. J'ai trouvé que l'auteure abordait parfaitement bien la célébrité précoce et ce qu'elle peut engendrer comme troubles sur une personne déjà un peu fragile psychiquement. Cheska devient par hasard actrice à l'âge de quatre ans, en faisant de la figuration dans un film. Mais, de fil en aiguille, son talent se révèle et, poussée par sa mère, qui joue auprès d'elle un véritable rôle d'agent, elle devient actrice à plein temps, soumise à une pression constante et à une obligation de résultat bien trop lourdes pour ses fragiles épaules d'adolescente puis de jeune femme isolée dans un monde factice. Evidemment, on ne peut s'empêcher de se dire qu'elle n'est pas responsable de ses actes, même si le personnage peut apparaître monstrueux parfois. J'ai espéré très fort que cela me permettrait de m'attacher un petit peu à elle, mais malheureusement, ça n'a pas fonctionné. Quoi qu'il en soit, Cheska est le symbole de tous ces jeunes enfants brisés par une célébrité trop soudaine et trop brutale qu'ils ne savent pas gérer, au point, parfois, de détruire toute leur vie. Enfin, j'ai admiré le dévouement et l'abnégation de David, l'un des rares personnages masculins de ce récit, qui se dévoue corps et âme, d'abord à Greta, dont il est un ami, puis à Cheska et enfin à Ava, la seule qui semble d'ailleurs avoir un peu de reconnaissance pour lui.
    Ce sont les seuls points positifs que je peux soulever dans L'Ange de Marchmont Hall. J'ai été déçue de ne pas aimer ce roman, de ne pas m'attacher et de me sentir indifférente devant ce récit qui avait pourtant tout pour me plaire. Pour moi, il est inconcevable de comparer ce roman à ceux de Kate Morton, toujours menés d'une main de maître. Ici, ça s'essouffle trop vite pour être crédible, c'est trop long et les personnages ne se bonifient franchement pas avec le temps et c'est dommage. Ce roman avait du potentiel, c'est une belle histoire qu'avait forgée au départ Lucinda Riley. Dommage que sa restitution par écrit ne marche pas. Pour moi, c'est un gros flop

    En Bref :

    Les + : une bonne idée de départ ; le cadre et l'ambiance sont sympathiques...
    Les - : des personnages caricaturaux et pas du tout attachants, un style lourd, des longueurs...ce roman a vraiment peiné à trouver grâce à mes yeux, je suis totalement restée indifférente.


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  • « J'éprouvai la sensation aiguë que quelque chose ne tournait pas rond dans ce monde qui tolérait, et même encourageait, que l'on inflige des souffrances sans raison et en toute impunité. »

    Les Portraits de Joséphine ; Tara Conklin

     

    Publié en 2013 aux Etats-Unis ; en 2017 en France (pour la présente édition) 

    Titre original : The House Girl

    Editions Pocket 

    507 pages 

    Résumé : 

    Virginie, 1848. Joséphine, 17 ans, esclave depuis l'enfance dans une plantation, voit sa maîtresse, l'artiste peintre Lu Anne Bell, dépérir. Ne pouvant plus compter sur sa protection, elle s'enfuit dans l'espoir d'offrir une vie meilleure à l'enfant qu'elle porte. 
    New York, 2004. Lina Sparrow, avocate, défend les droits des descendants d'esclaves. Elle découvre l'histoire de Joséphine, que les experts soupçonnent d'être la véritable artiste à l'origine des tableaux signés Lu Anne Bell. Convaincue d'avoir trouvé le cas parfait pour illustrer la cause qu'elle défend, Lina entreprend de retracer son histoire. 
    Au fil de ses recherches, elle en vient à se questionner sur sa propre famille et sur les mystères entourant la mort de sa mère. En plongeant dans le passé d'une esclave en fuite, Lina pourrait bien se découvrir elle-même...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1852, Joséphine, jeune esclave de dix-sept ans, s'enfuit une seconde fois de la plantation de Bell Creek, en Virginie et disparaît.
    En 2004, Lina Sparrow, avocate new-yorkaise, se voit confier un dossier en réparation qui a trait à l'esclavage : un grand industriel demande à son cabinet de lancer une procédure pour dresser le bilan humain et financier de l'esclavage. C'est un gros dossier et Lina et l'un de ses confrères se voient confier la mission de trouver un demandeur, c'est-à-dire une personne qui pourrait représenter cette cause devant les tribunaux. En faisant des recherches, la jeune femme remonte alors la piste de cette fameuse Joséphine, esclave domestique en Virginie entre la fin des années 1840 et le début des années 1850, date de sa deuxième fuite. Elle ne travaillait pas aux champs, contrairement aux autres esclaves de Bell Creek mais près de la maîtresse de maison, Lu Anne Bell, peintre renommée, considérée a posteriori comme une artiste à l'engagement féministe -j'ai fait quelques recherches et ce personnage est fictif, tout comme Joséphine. Lu Anne est surtout une femme malade, abandonnée par son mari et souffrant d'une sévère mélancolie depuis la mort successive de ses enfants et les nombreuses fausse-couches subies. Joséphine est une adolescente isolée, seule dans la grande maison, soumise au maître qui n'hésite pas à la rejoindre dans sa petite chambre au grenier et elle doit veiller sur sa maîtresse, particulièrement faible, physiquement comme mentalement. Lu Anne a appris à lire et écrire à Joséphine mais surtout, elle lui a appris à peindre et il se pourrait que certaines œuvres présentées depuis cent-cinquante ans comme celles de Lu Anne soient en fait celles de Joséphine, ce qui, bien évidemment, n'arrange personne. C'est un point de départ pour Lina qui va l'emmener jusqu'en Virginie, à Bell Creek devenu une sorte d'atelier communautaire et un musée et sur les traces de Joséphine, qui semble se volatiliser après la mort de sa maîtresse, en 1852.
    Le roman de Tara Conklin ressemble à bien d'autres que j'aie pu lire ces dernières années : j'ai retrouvé les univers de Katherine Webb, de Kate Morton et ce roman m'a aussi fortement évoqué Le Jardin au Clair de Lune que j'ai lu au début de l'été dernier et le roman de Sarah McCoy Un Parfum d'Encre et de Liberté qui traite sensiblement du même sujet : l'esclavage et le chemin de fer clandestin. En soi, il n'est pas révolutionnaire et l'auteure applique un schéma qui est effectivement vu et revu, mais qui, pour moi, est efficace...cette alternance des époques, le personnage contemporain qui part sur les traces du personnage historique et parvient, via cette quête, à exorciser ses propres démons. Ca pourrait être répétitif, j'en conviens mais je trouve que c'est une autre manière d'aborder le roman historique qui peut être intéressante, notamment pour ceux qui n'aiment pas forcément ce genre ou appréhendent de le découvrir. L'alternance des époques permet de ne pas se lasser, on découvre en parallèle les histoires de deux personnages qui finissent par se lier d'une manière ou d'une autre et c'est plutôt sympa.
    J'ai vite été captivée par ce roman. Pourquoi, je n'en sais rien, parce que ce n'est pas le premier que je lis sur le sujet, mais j'ai trouvé que Tara Conklin décrivait avec finesse ce que pouvait être la vie sur une plantation américaine quelques années seulement avant le début de la Guerre de Sécession : la résignation, les mauvais traitements, le travail harassant, les chasseurs d'esclaves, sans pitié et puis, au milieu de tout cela, les abolitionnistes qui se battent pour offrir leur liberté aux esclaves en risquant leurs propres biens et leur vie et ceux qui ne font pas forcément partie du réseau abolitionniste ou du chemin de fer clandestin mais vont les aider, comme le docteur Harper que l'on découvre à la fin du roman. L'esclavage est une tâche sur l'Histoire du monde, pas seulement celle des Etats-Unis, même si l'économie de ce futur pays va se fonder dessus : de 1619 aux débuts de la Guerre de Sécession (et même après), il existe des plantations employant des esclaves, dans le Sud des Etats-Unis... Pour Lina et ses confrères chargés du dossier, il va falloir se dépouiller de l'aspect affectif de cette affaire, la considérer comme n'importe laquelle, même si, évidemment, le sort des esclaves ne peut laisser indifférent. Ils vont se heurter au temps qui a passé, à l'absence de descendants ou au refus de ceux-ci de devenir demandeurs et de remuer le passé peu évident voir horrible de leurs ancêtres. J'ai trouvé intéressant de découvrir pas à pas, dans le sillage de Lina, le travail de ces jeunes avocats qui jouent leur carrière et leur réputation, pour qui la pression et l'attente de résultats sont grandes, qui n'ont finalement pas droit à l'échec, sous peine que celui-ci ne rejaillisse sur leur cabinet. C'est du chacun pour soi, un monde de requins finement décrit par Tara Conklin qui, avant d'être auteure, était justement avocate elle-même. Ce qu'elle raconte est donc sûrement à peine exagéré.
    Ce roman est particulièrement riche et met en évidence, également, que la question de l'esclavage n'est pas encore réglée, malgré les abolitions successives qui eurent lieu au XIXème siècle et après : en France, on apprend tous que le combat de Victor Schoelcher permit, en 1848, l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies. Aux Etats-Unis, c'est la Guerre de Sécession qui permettra aux esclaves du Sud de devenir libres. Et pourtant...aujourd'hui, plus d'un siècle plus tard, le combat des populations afro-américaines n'est pas terminé : ce que raconte Kathryn Stockett dans La Couleur des Sentiments se passe dans les années 1960...la Marche pour les Droits de Martin Luther King date également de cette époque là...cela fait cinquante, soixante ans en arrière et, à l'échelle de l'Histoire, ce n'est rien et surtout, cela montre bien que l'abolition officielle n'a pas tout solutionné. Et on comprend rapidement que ce dossier est explosif, pour le cabinet comme pour les jeunes avocats qui en ont la charge, parce que parler d'esclavage dérange, parce qu'aujourd'hui, c'est un sujet qui suscite encore de la honte, parce que c'est tabou, tout simplement et que cette attitude-là n'est pas inhérente aux Etats-Unis mais à tous les pays qui l'ont pratiqué à un moment ou un autre. Mais je trouve que c'est une belle démarche des auteurs de continuer, via des intrigues certes romancées mais qui décrivent une réalité qui fut celle de centaines de personnes que l'on a maintenant oubliées, à contribuer au devoir de mémoire.
    Les Portraits de Joséphine m'a énormément plu et j'ai lu ce roman avec beaucoup d'intérêt. J'avais un peu peur au départ parce que j'ai lu des avis assez mitigés, qui parlaient notamment de longueurs...personnellement, je ne les ai pas ressenties et j'ai aimé la manière dont l'auteure a construit son roman, émaillé de lettres et de récits à la première personne, qui lui donnent du dynamisme. J'ai voyagé jusqu'en Virginie dans les années 1850, j'ai découvert la plantation de Bell Creek et la vie monotone et triste de cette jeune fille pour laquelle on souhaite le meilleur. Cette Joséphine que l'Histoire a dépouillé de son talent et de son don, pour l'attribuer à sa maîtresse blanche n'est-elle pas un bon porte-flambeau de tous ces hommes et de ces femmes qui ont été considérés froidement comme des marchandises, à qui on a refusé jusqu'à la plus petite considération humaine ? Quoique fictive, Joséphine les représente tous et on se prend à imaginer qu'elle a peut-être existé, cette jeune fille, sous un autre nom, dans un autre endroit, mais que son destin n'est pas si imaginaire que cela. Les personnages de Tara Conklin sont assurément très finement travaillés et servent efficacement son récit.
    Les Portraits de Joséphine est un roman à lire. Émouvant et percutant, il ne laisse pas indifférent.

    En Bref :

    Les + : une belle histoire, malgré un schéma vu et revu...si certains lecteurs n'ont pas été convaincus par la manière dont Tara Conklin aborde l'esclavage, pour ma part, j'ai trouvé que ce roman était un bel hommage à tous ces hommes et femmes que l'Histoire a oubliés...
    Les - : je n'ai pas vraiment de points négatifs à soulever concernant cette lecture, bien au contraire.


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  • «  Il n'existe pas de test plus éprouvant pour un être humain que celui de la perspective certaine de la douleur. »

    Schuyler Sisters, tome 1, La Vie Secrète de Violet Grant ; Beatriz Williams

     

    Publié en 2014 aux Etats-Unis ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Schuyler Sisters, book 1, The Secret Life of Violet Grant 

    Editions Pocket

    568 pages 

    Premier tome de la saga Schuyler Sisters 

     

    Résumé :

    New York, 1964. Un avis de passage du facteur dans la boîte aux lettres de Vivian Schuyler qui n'attendait rien. Le paquet s'avère être une valise adressée à une certaine Violet. Quelques rapides coups de fil familiaux plus tard, Vivian découvre une grand-tante dont elle n'avait jamais entendu parler et glane les bribes d'une étrange histoire. Celle de cette aïeule bien née, qui décide de devenir scientifique avant d'être accusée d'avoir tué son mari à Berlin en 1914 et de prendre la fuite avec son amant pour ne plus jamais donner de nouvelles. La curiosité piquée au vif, Vivian décide de se lancer sur les traces de cette ancêtre atypique, meurtrière et adultère, happée par les remous de l'Histoire. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    En 1964, Vivian Schuyler, jeune new-yorkaise branchée -et friquée- reçoit une mystérieuse valise vieille de cinquante ans et qui a appartenu à une certaine Violet Grant, née Schuyler, au début du XXème siècle. Violet, qui a disparu au cours de l'été 1914, sans laisser de traces, en compagnie de son amant et, paraît-il, après avoir assassiné son mari, le célèbre professeur Walter Grant.
    Vivian, qui travaille comme pigiste chez Metropolitan et qui s'ennuie un peu dans ce métier pas très palpitant, décide alors d'écrire un article sur cette mystérieuse histoire et de faire la lumière sur ce que la famille Schuyler considère comme un scandale. De New-York à Paris, en passant par Londres et Berlin, en 1964 ou 1914, nous découvrons petit à petit cette année charnière qui a bouleversé la vie de Violet, jeune scientifique de génie mais aussi la face du monde, avec la mort de l'archiduc François-Ferdinand le 28 juin et la déclaration de guerre début août. En même temps nous suivons Vivian, vingt-deux ans, issue d'une riche famille de la bourgeoisie américaine, qui est en fait la petite-nièce de Violet. Désireuse de travailler et de s'émanciper de la tutelle de ses parents, décidée à échapper à la vie oisive de sa mère, la jeune femme s'est installée dans une modeste colocation près de Greenwich Village et a décroché un poste dans un grand magazine.
    Violet, cinquante ans plus tôt, est bien différente : jeune femme intelligente, passionnée par les sciences et notamment par la chimie, elle a, sans l'accord de sa famille, quitté les États-Unis pour l'Angleterre, afin de poursuivre ses études. C'est là qu'elle rencontre le professeur Grant, qui devient rapidement son amant puis son mari. Très vite, il se montre autoritaire et extrêmement possessif avec la jeune femme tout en entretenant de nombreuses relations extra-conjugales. Installé à Berlin, le couple fréquente Max Planck, Albert Einstein ou Lise Meitner et se trouve aux premières loges quand, au début de l'été 1914, les premiers soubresauts de la Grande Guerre ont lieu en Europe centrale.
    Dans ce roman, à ma grande surprise parce que je ne m'attendais pas vraiment à ça, j'ai retrouvé le secret, ce fameux secret que j'aime tant et qui m'évoque aussitôt Kate Morton notamment ou d'autres auteures... Là, le point de départ est cette vieille valise contenant des effets personnels vieux de cinquante ans et qui avait disparu quelque part près de Zurich comme sa propriétaire. Évidemment et, quand en plus cette valise a appartenu à votre grand-tante dont on vous a soigneusement caché l'existence, forcément vous avez envie de savoir ! On se passionne pour la quête de Vivian, qui se plonge dans un monde qu'elle ne connaît pas, celui, particulièrement fertile, de la science en ce début de XXème siècle mais aussi de l'espionnage en temps de guerre, deux univers complètement à l'opposé de celui de Vivian !
    J'ai trouvé cette quête vraiment prenante parce que même si on sait dès le départ que Violet a disparu en étant accusée d'adultère et surtout d'avoir assassiné son mari, on a envie de comprendre. Comprendre comment et pourquoi une scientifique prometteuse en est arrivée à l'irréparable et surtout, la question que l'on se pose tout au long du roman, comme Vivian, c'est : Violet est-elle encore en vie, ce qui est tout à fait possible puisqu'elle avait vingt-deux ans en 1914.
    Je me suis passionnée pour l'histoire de Violet, aux prises avec un époux extrêmement possessif et qui en devient violent, luttant désespérément contre l'attirance que fait naître chez elle un mystérieux militaire anglais rencontré à Berlin. J'ai aimé découvrir son travail de recherches, sa passion, dans laquelle je me suis retrouvée même si je n'y connais pas grand chose en atomes, en protons et en neutrons. J'ai aimé la suivre dans les cabinets feutrés et les grands salons berlinois où, comme partout ailleurs en Europe à cette époque-là, on s'étourdit à coups de champagne et de cigarettes, loin d'imaginer la conflagration qui se prépare. Pour Violet, un drame bien plus intime se prépare et ce sera bientôt l'heure des choix.
    Pour Vivian, c'est un peu plus compliqué. J'ai aimé son assurance mais parfois elle m'a aussi tapé sur les nerfs ! Je ne sais pas si je l'ai vraiment appréciée... Je ne crois pas m'être attachée à elle parce que je l'ai trouvée un peu trop exubérante et gouailleuse mais j'ai été sensible au fait que l'auteure parfois craquelle un peu sa carapace et nous montre dessous une jeune femme plus authentique et plus simple parce que malgré son envie de vivre normalement et de travailler, Vivian reste malgré tout une gosse de riches un peu trop gâtée.
    Globalement, La Vie Secrète de Violet Grant est un bon roman, assez différent de ce que j'ai l'habitude de lire et qui m'a beaucoup plu parce qu'un certain suspense s'instaure petit à petit et nous donne envie de poursuivre, de tourner les pages de savoir, enfin : qu'en est-il réellement, Violet est-elle bien une meurtrière ? Surtout, est-elle encore en vie ?
    Si je n'ai pas forcément retrouvé l'univers de L'Eté du Cyclone -je n'aurais pas su que La Vie Secrète de Violet Grant avait été écrit par elle, je ne l'aurais pas forcément deviné- j'ai aimé ce roman pour ce qu'il est. Intéressant, avec des bases solides, historiques comme scientifiques, c'est un récit cohérent. Oui, je n'ai pas forcément apprécié Vivian mais j'ai trouvé intéressant de la suivre et j'ai vraiment été happée dans l'urgence de 1914, quand drames mondiaux et intimes se nouent sous un soleil estival insouciant.
    La Vie Secrète de Violet Grant est le premier tome d'une trilogie : vous vous doutez certainement que je vais vite lire Les Lumières de Cape Cod et Une Maison sur l'Océan. 

    En Bref :

    Les + : le secret, l'époque choisie par l'auteure, la description fine et bien documentée et indéniablement, la plume de Beatriz Williams, très souple et qui s'adapte à ses personnages. 
    Les - : je dirais que Vivian, parfois, a été pour moi un petit bémol... J'ai eu du mal à supporter son caractère un peu exubérant et vite lassant.


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  • « Il faut marcher une lieue dans les souliers d’un autre pour comprendre ce qu’il sent. »

    Hope ou le Secret des Harvey ; Lesley Pearse

     

    Publié en 2006 en Angleterre ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Hope

    Editions Charleston (collection Poche) 

    662 pages 

    Résumé :

    Somerset, XIXe siècle. 
    Dans le château de Briargate, Lady Anne Harvey accouche en secret d'une fille, fruit de ses amours adultères avec le trop séduisant capitaine Pettigrew. Ne pouvant se résoudre à ce que l'enfant soit condamnée à la misère et désireuse de sauver l'honneur de sa maîtresse, la servante, Nell Renton, la confie à sa mère. 
    Celle qu'ils ont baptisée Hope grandit ainsi dans une famille aimante, au milieu de dix frères et sœurs, dans l'ignorance du secret de ses origines. 
    Mais à la mort des parents Renton, Nell choisit de la faire entrer au service de la famille Harvey. 
    C'en est fini de l'enfance, et Hope va être rapidement confrontée à la violence d'Albert, le jardinier, nouveau mari de Nell. Malheureusement, la vie lui réserve encore bien des surprises...
    Dans l'Angleterre victorienne du XIXe siècle, un roman bouleversant sur le destin chaotique d'une jeune femme qui, toute sa vie, puisera au fond de son cœur l'espoir de trouver un jour le bonheur qu'elle mérite tant. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Si vous aimez les ambiances anglaises à la Jane Austen ou la Downton Abbey, alors cette grande fresque de Lesley Pearse est faite pour vous. Imaginez : un grand domaine au milieu de ses fabuleux jardins, Briargate, quelque part au milieu du Somerset. Des serviteurs dévoués, un village entouré de champs dans lesquels pâturent les moutons...Vous êtes en Angleterre, pas de doute.
    En 1832, lady Anne Harvey met au monde un enfant illégitime. Sa nourrice et sa jeune femme de chambre de seize ans qui l'accouchent décident de lui dire que l'enfant est mort-né alors que la jeune Nell, prise de pitié, emmène la petite chez elle, où elle l'a confie à sa mère. Prénommée Hope, l'enfant grandira dans l'ignorance de ses origines, au milieu d'une famille adoptive aimante et soudée...jusqu'à la mort des parents. Alors, Hope devra, comme ses frères et sœurs avant elle, devenir domestique à Briargate et sera malgré elle -et pour le pire- associée à l'intimité du couple Harvey, qui se délite lentement sous les yeux du personnel en même temps que le domaine sombre dans la décrépitude.
    Contrainte de quitter Briargate, Hope connaîtra la vie misérable dans les bas-fonds de Bristol, la pauvreté et la maladie, puis les vastes champs de bataille de la guerre de Crimée, pendant laquelle elle assistera, presque aux premières loges, au siège de Sébastopol. Mais, par-dessus tout, elle ne perdra jamais l'espoir de connaître une vie meilleure, de retrouver Nell, sa soeur adorée et le Somerset, qu'elle a quitté dans le sillage de son époux, médecin militaire.
    Hope ou le Secret des Harvey est une grande fresque, une grande saga comme je les aime. En plein cœur du XIXème siècle, dans une jolie région qui m'a évoqué, par les descriptions de l'auteure, les paysages d'Orgueil et Préjugés, par exemple, dans cette campagne anglaise inimitable, Lesley Pearse nous emporte dans le tourbillon d'un grand domaine, de la flamboyance jusqu'à la ruine. Rien ne nous est caché : adultère, alcoolisme, homosexualité, misère, pauvreté, maladie et même la guerre traversent la vie des personnages, pour le meilleur et pour le pire. Portrait sans concession d'une époque où les riches brûlent la vie par les deux bouts au risque de se consumer et où les pauvres se débattent dans des conditions de vie plus que précaires, ce roman est dense et particulièrement riche mais aussi étonnamment fluide et on se laisse rapidement prendre au jeu.
    Si le secret du titre est celui des Harvey, en revanche, il n'est pas le nôtre. Dans certains romans, le lecteur est associé à la quête du personnage principal et se laisse petit à petit happer par l'enquête : ici, rien de tout ça. On sait dès le début que la petite Hope est la fille de lady Harvey mais pas celle du lord. On la suit tout du long en sachant qui est elle alors qu'elle-même est ignorante de ses véritables origines mais, au final, on se prend au jeu parce qu'on pressent le moment où elle saura enfin qui elle est, on se prend à l'espérer, à le guetter, à se demander qui lui apprendra et comment elle réagira.
    Peut-être que, comme moi, vous aimez les romans où le secret occupe une place de choix... Je suis une fan de Kate Morton, par exemple et je ne vous dirais pas le contraire : c'est vrai que le suspense qu'instaure quasi d'emblée le secret donne envie, indéniablement, de poursuivre sa lecture pour enfin lever le voile et tout comprendre.
    Mais je ne peux raisonnablement pas vous déconseiller Hope ou le Secret des Harvey ! Est-ce que le roman aurait été meilleur si le secret avait été celui du lecteur aussi ? Je ne pense pas. Peut-être qu'il aurait été aussi bon, mais pas meilleur, au contraire, parce que le suspense qu'on pourrait croire absent ne l'est pas du tout : Hope va évoluer très vite dans l'univers qui l'a vue naître, ce que, bien sûr, elle ne sait pas. Mais le lecteur, comme sa soeur Nell, le sait, lui. Et c'est avec parfois appréhension, en retenant son souffle, qu'on la voit nouer une forte amitié avec le fils de lady Anne et lord William, Rufus. Que va-t-il se passer si jamais ils tombent amoureux, se dit-on ? On se surprend à imaginer Hope découvrir une ressemblance, des points communs avec son demi-frère, avec sa mère biologique. Finalement, j'ai autant aimé le parti-pris de l'auteure que si elle avait décidé finalement de nous taire à nous aussi la vérité.
    Enfin, le gros point positif de ce roman, c'est qu'il nous offre au final bien plus qu'on n'en attendait. En lisant le résumé, je me doutais de ce que j'allais y trouver, mais je ne pensais pas que j'allais me plonger dans la lecture d'un roman aussi dense, aussi riche, et qui allait m'emmener jusque sur le front de Crimée, au milieu des troupes britanniques, françaises, turques et Russe, alors que le port de Sébastopol est en passe de tomber. Je ne pensais pas non plus que l'auteure serait si peu tendre avec ses personnages, notamment avec Anne et William, qui, malgré leurs failles et le fait qu'ils font de temps en temps tomber le masque, ne sont pas vraiment attachants, peut-être parce qu'ils sont le reflet de cette époque victorienne, aux multiples facettes et dont certaines sont bien laides. En revanche, j'ai beaucoup aimé le duo formé par Nell et Hope : les deux jeunes femmes sont unies par un lien compliqué, qui est plus que de la sororité. Pour Nell, de seize ans l'aînée de Hope et qui l'a vue naître, littéralement, elle est un peu comme la fille qu'elle n'a pas eue et pour Hope elle est une mère de substitution, une femme sur qui elle peut compter sans contrepartie et sans limites. C'est un lien touchant qui se noue entre elles et qui m'a énormément plu, parce que finalement, si Hope, jamais, ne tissera aucune relation avec lady Anne, trop distante, trop hautaine, trop arc-boutée sur des principes et des préjugés de classe qui la rendent parfois injuste ou méprisante, elle aimera par-dessus tout et sera aimée en retour, sans condition, par une femme avec laquelle elle n'a rien en commun et finalement, ce roman illustre bien que le lien parental ou fraternel n'est pas forcément inhérent aux liens du sang, bien au contraire.
    C'est une belle histoire que celle de cette jeune Hope, si bien nommée et qui, si elle doute parfois, n'abandonne jamais. Ce qu'elle traverse n'est pas évident et je me suis surprise à m'apitoyer plusieurs fois sur son sort et elle rebondit toujours, illustrant à merveille le fameux adage : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».
    Fresque familiale sur un fond historique qui n'est malgré tout pas absent (l'auteure aborde beaucoup de sujets de cette époque victorienne si intéressante historiquement et socialement, des épidémies à la guerre, de la pauvreté à la plus grande et insolente richesse), Hope ou le Secret des Harvey est mené tambour battant et ne nous ennuie pas une seconde. Parfois, on est horrifié devant ce que peut faire faire la nature humaine. Et puis, parfois, on se dit que l'humain, s'il est souvent mauvais, peut être aussi fondamentalement bon : des personnages comme cela, si bien ciselés, attachants ou au contraire pas du tout, on en voudrait tous les jours.
    Bien écrit enfin, ce roman se lit avec plaisir et avec beaucoup d'aisance. L'auteure parvient à poser des mots touchants sur les ressentis des différents protagonistes et ne juge jamais leurs erreurs, qui pourraient être celles de n'importe qui. Oui, on s'attache plus ou moins à certains personnages et si on n'excuse pas, malgré tout, parfois, on se surprend à les comprendre tous.
    Hope ou le Secret des Harvey est un bon pavé, qui court sur plusieurs décennies mais, si vous vous lancez dans cette lecture, j'ose espérer que vous ne serez pas déçus. Amoureux de l'Angleterre victorienne, vous vous régalerez sans nul doute ! !

    En Bref :

    Les + : un roman dense et qui offre plus que ce que l'on attendait au départ. Une belle histoire qui nous emmène jusqu'en Crimée et dans les paysages verdoyants de l'ouest de l'Angleterre. 
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs dans ce roman, je dois dire !


    2 commentaires


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