• « Je devais apprendre à vivre avec ça. Apprendre que ce sont nos absents qui nous constituent, qui nous font ce que nous sommes, autant que nos vivants. »

     

    Couverture Les déracinés, tome 3 : Et la vie reprit son cours

     

     

     

        Publié en 2021

       Editions Pocket

       384 pages 

       Troisième tome de la saga Les Déracinés

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Chaque jour, Ruth se félicite d'avoir écoute sa petite voix intérieure : c'est bien en République dominicaine qu'il lui fallait poser ses valises. Chez elle. Il suffit de regarder sa fille Gaya pour en être sûre. A la voir faire ses premiers pas et grandir aux côtés de ses cousines, elle se sent sereine, apaisée. En retrouvant la terre de son enfance, elle retrouve aussi Almah, sa mère. Petit à petit, la vie reprend son cours et Ruth - tout comme Arturo et Nathan - sème les graines de sa nouvelle vie, loin des bouleversements de son époque : guerre des Six-Jours, assassinat de Martin Luther King, chute de Salvador Allende...Jusqu'au jour où Lizzie, son amie d'enfance, revient à Sosùa dans des conditions douloureuse...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Chaque jour, Ruth se félicite d’avoir pris la décision de revenir chez elle, en République dominicaine. Auprès des siens, à Sosùa, elle élève sa petite fille, Gaya, au milieu d’un environnement aimant et paradisiaque, même si la République dominicaine des années 1960 est une dictature qui ne dit pas son nom. Pour les Rosenheck, qui ont dû quitter l’Autriche annexée par les nazis, pour Ruth qui est née sur l’île, ce pays fait partie d’eux et a été un havre, le seul qui s’ouvrait à eux au moment de leur fuite éperdue.
    Car Ruth est la fille d’Almah et Wil Rosenheck, juifs autrichiens qui ont dû fuir leur pays après l’Anschluss et les lois antisémites. Les « déracinés », qui ont donné leur titre à la saga, ce sont eux, les parents, qui ont fui pour sauver leur peau et en espérant donner un avenir à leur premier-né, le petit Frederick. Ironiquement, c’est l’un des pires dictateurs des Caraïbes, Trujillo qui, au moment de de la Seconde Guerre Mondiale, ouvrira son pays aux immigrés juifs fuyant l’Europe. Pas par pur altruisme, car c’est moyennant finance que Trujillo accepte d’ouvrir ses frontières aux Juifs qui fuient l’Europe à feu et à sang. Paradoxe aussi que cet homme qui n’a pas hésité, au cours de son « mandat », à faire massacrer des milliers d’immigrés haïtiens et qui est particulièrement raciste, notamment envers les populations noires.
    Et pourtant, pour Wil, Almah, d’autres immigrés et plus tard leurs enfants, la République dominicaine devient leur nouvelle demeure, leur nouvelle patrie. Et Ruth, qui a fait ses études à New York, a senti le besoin d’y revenir et d’y élever sa fille, car bien qu’autrichienne par le sang, parlant l’allemand et l’anglais, elle est aussi dominicaine par le sol et s’y sent en sécurité, à sa place.
    En cette fin des années 1960, Ruth va sur ses trente ans. Elle est une jeune mère, entretient toujours une amitié privilégiée avec Arturo Soteras qui lui, a fait le choix de rester aux États-Unis, où la vie plus libre, moins traditionnelle, lui convient mieux. Elle va aussi rencontrer, par le plus grand des hasards, le grand amour et construire une véritable vie de famille avec lui. Surtout, elle continue de grandir et de s’épanouir sur sa propre terre et s’émerveille aussi de voir sa petite Gaya appartenir un peu plus chaque jour à cette terre qu’elle aime tant, comme sa propre mère Almah qui, malgré ses origines européennes, son appartenance à la communauté juive et donc, assez instinctivement à Israël, ne quitterait Sosùa pour rien au monde.
    Retrouver Almah, Ruth, Gaya et tous les autres, c’est comme retrouver des amis perdus de vue ou sa propre famille. On se sent bien dans la petite communauté de Sosùa, au milieu de ces personnages pas forcément liés par le sang mais qui ont su, au fil des ans, tisser des liens indestructibles. Cette petite histoire se déroule avec comme toile de fond les convulsions de la grande Histoire : la guerre des Six Jours, l’opposition violente entre Israël et Palestine, l’émergence du mouvement hippie aux Etats-Unis, mais aussi la guerre du Vietnam, l’assassinat de Martin Luther King, les prémices de la démocratie en République dominicaine à la fin des années 1970
    Inutile de dire que j’ai dévoré ce roman. C’était comme un petit bonbon, un petit bijou de douceur, malgré des sujets plus graves ou plus tristes. Catherine Bardon a vraiment le don de me toucher au cœur, je ne sais pas pourquoi… Par ma propre histoire, je ne peux pas m’identifier aux personnages des Déracinés et pourtant, les questionnements, les sujets soulevés dans cette saga, au-delà des histoires personnelles et individuelles, sont relativement universaux et même si on ne les connaît pas vraiment, on peut s’identifier, on peut comprendre. Je suis toujours émue par la manière très humaine qu’a l’auteure de traiter ses personnages, d’analyser leurs sentiments les plus profonds.
    Et la vie reprit son cours est le troisième tome de cette saga qui en compte quatre. On avance de plus en plus dans le temps, vers notre époque, qui sera celle de la vieillesse pour la génération de Ruth, de la maturité pour celle de Gaya, née dans les années 1960… il y a évidemment beaucoup de nostalgie dans ce roman, le souvenir des disparus, des générations qui se bousculent. Les jeunes gens des Déracinés, qui quittent leur pays sans rien, alors qu’une guerre d’une terrible violence se profile, parfois traînant après eux des drames personnels (c’est le cas d’Almah et Wil, qui laissent derrière eux leurs parents, leurs familles), sont maintenant des gens âgés. Certains, comme Almah, ont réussi à retrouver une stabilité, malgré l’horreur du départ, malgré les coups durs et les déceptions…d’autres seront marqués à jamais. Dans la génération suivante aussi, il y a ceux, comme Ruth, comme son frère, comme la plupart de leurs amis, qui ont réussi à construire leur vie. Et puis il y a ceux comme l’amie d’enfance de Ruth, Lizzie, qui n’ont pas réussi à faire face ni à surmonter le drame fondateur de leur existence.
    Ce roman aborde beaucoup de sujets divers : l’appartenance à un pays, à une terre, à une culture mais aussi la difficulté de ces générations confrontées à l’indicible et à l’horreur, les liens familiaux, filiaux, amicaux… les personnages se succèdent ici dans une joyeuse sarabande qui se teinte parfois d’un peu de tristesse ou de mélancolie mais on vibre toujours à l’unisson avec eux, on rit ou on pleure avec eux.
    Et la vie reprit son cours était trop court, justement, c’est peut-être le seul reproche que je pourrais lui faire : les chapitres se succèdent vite, trop vite peut-être. Un peu plus de développement aurait pu être chouette à mon sens, pour autant, on ne voit pas le temps passer, on s’immerge dans cette lecture avec délectation, comme dans les eaux chaudes des lagons dominicains. J’ai voyagé avec Ruth, ces deux jours de lecture ont été une véritable parenthèse enchantée et exotique, dans cet univers que je suis déjà triste, par anticipation, de quitter.
    Ce troisième volume nous confirme le talent de l’auteure et le fait que Les Déracinés, grande saga familiale et historique, a tous les atouts pour devenir une saga culte. A lire et à relire si vous aimez les petites histoires dans la grande et les destins authentiques, décrits sans fioritures mais avec sincérité.

    En Bref :

    Les + : l'impression de retrouver de vieux amis ou des cousins perdus de vue de longue date. On se sent bien à Sosùa en compagnie des Rosenheck et de toute leur grande tribu. Je ne sais pas pourquoi mais cette saga me touche à chaque fois en plein cœur. Encore beaucoup d'émotions à la lecture de ce troisième tome... 
    Les - :
    des chapitres peut-être un peu courts, qui auraient mérité un peu de développement mais franchement, ce n'est qu'un tout petit bémol.


    Et la vie reprit son cours ; Catherine Bardon

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    • Envie d'en savoir plus sur cette magnifique saga ?

    Retrouvez mon avis sur Les Déracinés juste ici.

    Et si vous voulez suivre Ruth dans ses pérégrinations new-yorkaises, découvrez mon billet sur L'Américaine juste là.


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  • « N'était-ce donc que cela, commander ? Douter du meilleur et redouter sans cesse le pire ? Ou était-ce l'âge qui emportait avec lui l'insouciance et la fougue de la jeunesse ? »

    Couverture Le Trésor des Américains

     

     

     

         Publié en 2020

      Éditions Pocket

      352 pages

      Deuxième tome de la saga Les Aventures de              Gilles Belmonte

     

     

     

     

    Résumé :

    A la veille du coup d'Etat du 18 brumaire, de retour d'une campagne victorieuse aux Antilles, Gilles Belmonte se languit loin des océans qui l'ont forgé. La France, quant à elle, en lutte contre les puissances européennes unies et fragilisée par dix années de tumultes, est aux abois. Ses finances sont exsangues. De l'or, les Etats-Unis en regorgent. Mais la guerre navale qui sévit entre ces deux nations complique les incursions dans les eaux américaines. 
    Le jeune capitaine aux idéaux et au caractère bien trempés va se voir confier une mission délicate qui conduira sa frégate jusqu'à Philadelphie. Face au pouvoir américain et à ses puissants services secrets, saura-t-il honorer la confiance du nouveau consul Bonaparte ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Ce deuxième tome nous embarque dans de nouvelles aventures à bord de la frégate l’Égalité ! Nous sommes à la fin de l’année 1799 et un nouvel homme fort se distingue, alors que le Directoire moribond est en train de vivre ses derniers moments. En effet, au début du mois de novembre 1799, un jeune général corse de 30 ans, qui s’est distingué sous la Révolution va prendre le pouvoir à la faveur d’un coup d’État : le fameux coup d’État du 18-Brumaire qui met fin à la Révolution et marque le début du Consulat et un nouveau pas du charismatique militaire vers le pouvoir suprême et l’Empire.
    Pour les marins de l’Égalité, cette fin d’année est marquée par un retour victorieux au pays après une dangereuse campagne aux Antilles. Gilles Belmonte et son équipage se sont en effet distingués contre la puissante marine britannique aux Caraïbes et le capitaine de l’Égalité a la responsabilité de la garde de George Davies, un capitaine de la Royal Navy avec lequel il a fini par se lier d’amitié et qu’il s’est promis de défendre lors de son procès qui doit avoir lieu à Paris en cette fin d’année 1799.
    Mais attention, ne croyez pas que l’on va rester à terre dans ce tome, dans les ruelles sales et populeuses du Paris de la fin du XVIIIème siècle ! Absolument pas : car Gilles Belmonte va bientôt se voir confier une mission par les plus grands de ce monde, à commencer par Bonaparte et son roué ministre des Affaires étrangères, Talleyrand, dont l’esprit diplomatique lui permettra de traverser sans encombre la succession de régimes au début du XIXème siècle. Alors que la France a, presque vingt ans plus tôt, soutenu la prise d’indépendance des jeunes États-Unis d’Amérique (on retient le souvenir de Lafayette et de son Hermione, qui se distinguèrent lors de la bataille de Yorktown, en 1781), ces derniers n’ont pas honoré leur dette. Mais il existe quelque part sur le territoire du nouveau pays un trésor qui pourrait, si la France s’en emparait, éponger sa dette. Mais surtout, les Britanniques, ennemis irréductibles, sont eux aussi sur le coup et Bonaparte ne veut pas laisser passer cette trop belle prise. Il confie à Belmonte la mission périlleuse d’aller localiser ce trésor puis de le récupérer, au nez et à la barbe des Américains et des Anglais.
    C’est évidemment une mission pas dénuée d’écueils et de dangers que se voit confier Belmonte, qui retraverse l’Atlantique vers Philadelphie, la capitale des États-Unis. Mais la traversée n’est pas de tout repos : disparition, espionnage, sabotage et même un meurtre tendent légitimement l’ambiance sur le navire. Mais aux États-Unis, Belmonte n’est pas au bout de ses surprises et va même y retrouver de vieilles connaissances. Pourtant, si la France est à un tournant, Belmonte et ses hommes ainsi que leur chère frégate, le sont également, pour le meilleur comme pour le pire.
    Dans ce second tome, nous louvoyons dans la diplomatie menée en sous-main, en Europe comme aux États-Unis. Les grands de ce monde semblent se vouer en face une estime sans bornes mais tous les coups sont permis dans l’ombre, jusqu’à s’emparer d’un trésor sur le sol d’un pays en apparence allié. Toutes les cartes sont brouillées : les ennemis d’hier sont les amis d’aujourd’hui et, en cette fin du XVIIIème siècle, alors qu’une nouvelle puissance émerge outre-Atlantique et qu’un changement considérable de pouvoir est en train de se concrétiser en France, le monde semble à un tournant.
    J’ai trouvé que ce deuxième opus mettait un peu de temps à démarrer. Pour autant, une fois que c’est parti…c’est parti ! Ce roman est mené tambour battant et ne s’arrête pas une seconde. C’est toujours rythmé et cela ne retombe à aucun moment. Des salons parisiens où un nouveau pouvoir est en train de se mettre en place, en passant par les rues de Philadelphie et les rouleaux de l’Atlantique, où la guerre est aussi âpre et meurtrière qu’à terre, nous sommes baladés pendant plus de trois cents pages, pour notre plus grand plaisir.
    Dans ce deuxième tome, jamais la vie n’a été plus précaire, ni plus périlleuse mais, dans le même temps, l’existence à bord est toujours faite de respect, d’estime mutuelles et on découvre aussi l’esprit plein de loyauté, de justesse et de rigueur des marins.
    Ce deuxième tome s’achève sur une ouverture et sur une suite : assurément, je lirai avec intérêt la suite des aventures de Gilles Belmonte et de ses marins sous l’Empire. La Marine française a décidément de beaux jours devant elle ! Souquez ferme, moussaillons et rejoignez le bord !

    En Bref :

    Les + : un tome plein d'aventures, rythmé, dans la droite ligne du précédent et qui ouvre sur une suite que je brûle de découvrir.
    Les - : aucun point négatif à soulever, encore une fois. 


    Les Aventures de Gilles Belmonte, tome 2, Le Trésor des Américains ; Fabien Clauw

       Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    Envie de naviguer sur les mers du globe avec les marins de l'Egalité et de la jeune Marine Républicaine ? Mon avis sur le premier tome de cette saga pleine d'aventures est à retrouver ici


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  • « Je suis née infante d'Espagne et je mourrai reine d'Angleterre. Ce n'est pas une question de choix, c'est mon destin. »

    Couverture La Princesse d'Aragon

     

     

      Publié en 2005 en Angleterre

      En 2020 en France (pour la présente édition)

      Titre original : The Constant Princess

      Éditions Hauteville

      608 pages

     

     

     

     

    Résumé :

    Je suis Catalina, princesse d'Espagne, fille des deux plus grands monarques que cette Terre ait portés : Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Je suis leur plus jeune fille, la princesse de Galles, et je deviendrai reine d'Angleterre.

    D'abord épouse d'Arthur Tudor, le frère aîné de Henri VIII, Catherine d'Aragon, l'infante d'Espagne, a su transformer un mariage d'intérêt en passion amoureuse. Mais lorsque Arthur meurt subitement, il fait promettre à la jeune femme d'accomplir son destin en devenant reine d'Angleterre pour bâtir le pays tel qu'ils l'avaient rêvé tous les deux. Dotée d'une détermination hors du commun, la princesse d'Aragon survit à la trahison, à la pauvreté et au désespoir avant de devenir l'épouse de Henri VIII et de la seconder dans ce qui deviendra l'une des plus grandes victoires de l'Angleterre.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Elle n’a pas dix ans quand ses parents s’emparent de la dernière enclave maure d’Espagne, la somptueuse Grenade. Elle n’a pas cinq ans quand elle est fiancée au fils aîné du roi d’Angleterre, Henri Tudor, élevée toute son enfance dans l’idée qu’un jour elle sera princesse de Galles puis reine d’Angleterre. La vie de la petite Catalina d’Aragon, fille des Rois Catholiques Isabelle et Ferdinand, fers de lance de la chrétienté en Espagne en cette fin du XVème siècle, est toute tracée. Elle sera une grande princesse. Bon sang ne saurait mentir.
    Et pourtant…de Catherine d’Aragon, dont on a oublié le nom espagnol, on retient surtout les dernières années, l’adversité, le divorce…on retient d’elle l’image de la reine pieuse, emmurée dans la dignité parce qu’il ne lui reste plus que cela, fasse à un mari plus jeune et inconstant qui, pour les beaux yeux d’une ambitieuse, n’hésitera pas à divorcer et de sa femme, qui n’a pas su lui donner de fils et de Rome, créant ainsi l’Église anglicane. La première épouse d’Henri VIII a laissé dans le souvenir commun celui d’une reine bafouée, morte en exil loin de la Cour et de sa fille Marie, la future reine Marie Ière, mais une reine qui n’a pas hésité à se défendre devant le tribunal constitué par son époux qui ne souhaitait qu’une chose : se débarrasser d’elle.
    Philippa Gregory, dans La Princesse d’Aragon, se propose de raconter les jeunes années de Catalina, devenue Catherine. Des splendeurs de l’Espagne jusqu’aux froidures du pays du Galles, on découvre la jeunesse de cette reine : les jeunes années passées dans les splendeurs languides des palais maures d’Andalousie où les Rois Catholiques adoptent le mode de vie des anciens occupants, leur façon de se vêtir et de manger, puis le départ en Angleterre, le choc rude à la découverte de ce royaume du nord qui n’a aucune commune mesure avec ce que Catalina a connu auparavant. Mais, toujours en filigrane, on retrouve l’obsédante ambition, celle d’être un jour reine, quoi qu’il en coûte.
    La jeunesse de Catherine d’Aragon, si elle est peu connue, est pourtant éminemment intéressante. On découvre une jeune femme bien différente de l’épouse hiératique et figée, connue pour sa piété, sa constance et sa charité, une femme plus âgée que son époux, un roi sensuel et aimant les femmes, dont la fatalité semble d’être un jour supplantée par une femme plus jeune, plus hardie, plus ambitieuse.
    Et pourtant, de beauté, d’ambition, d’enjouement, de courage, Catalina, devenue Catherine, n’en manque pas. D’abord épouse éphémère d’Arthur Tudor, le fils aîné d’Henri VII et de son épouse Elizabeth d’York, elle perd ce jeune époux tendrement aimé à la fleur de l’âge. Il n’a même pas dix-huit ans quand il disparaît, emportant dans la tombe leurs projets pour le royaume. Arthur ne portera jamais la couronne d’Angleterre et ne fondera jamais un deuxième Camelot. Mais Catalina elle, est bien là, encore bien vivante et elle vivra pour deux. Poursuivant son but d’être princesse de Galles et un jour reine, elle subit avec force tous les affronts, l’indigence, l’indifférence, jusqu’à ce qu’elle épouse Henri VIII, en 1509. C’est son premier mariage que lui reprochera son mari à la fin des années 1520, quand il s’agira de se débarrasser d’elle. Arguant que le mariage avec Arthur a conditionné leur propre union, la rendant stérile (malgré la naissance de la petite Marie en 1516, Henri VIII n’a pas eu le fils qu’il espérait tant), le roi choisit de faire purement et simplement annuler leur mariage. Tout au long du procès, la reine campera sur ses positions, affirmant haut et fort que son mariage avec Arthur, qui n’a duré que quelques mois, n’a jamais été consommé. Ici, Philippa Gregory, s’appuyant sur des sources peu usitées et sur son propre sentiment, livre une image bien différente : Catherine et Arthur auraient consommé leur union, la jeune femme maintenant par la suite jusqu’au bout une version (sa virginité et le fait que le mariage avec Arthur n'ait jamais été consommé) qui n’était qu’un mensonge. Qu’en est-il réellement ? Il semble bien difficile aujourd’hui de le dire.

    Portrait de Catherine d'Aragon au moment de son premier mariage, par Michel Sittow : elle est souvent présentée comme une jeune femme aux cheveux auburn, au visage rond et aux yeux bleus.


    La Princesse d’Aragon est un bon roman historique. Il ne se passe pas mille choses par chapitres mais c’est intéressant : c’est très visuel, les personnages sont toujours bien décrits chez Philippa Gregory, très ciselés. Et l’idée de se concentrer sur la jeunesse de Catherine, de l’Espagne jusqu’à l’Angleterre des Tudors, est assez inédite et innovante. On a tellement l’habitude de la voir plus âgée et surtout, beaucoup plus en retrait que c’était plutôt sympathique de la découvrir au centre du récit. Parfois très imbue d’elle-même et orgueilleuse, la princesse d’Aragon n’est pas toujours très attachante, mais sa détermination et son courage forcent l’admiration. Elle ne déviera jamais des objectifs qu’elle s’est elle-même fixés, malgré les embûches.
    Depuis quelques temps, je renoue avec plaisir avec les romans de Philippa Gregory. Après avoir été un peu moins emballée par La Reine Clandestine et La Princesse Blanche (centrés respectivement sur les destins d’Elizabeth Woodville et de sa fille Elizabeth d’York, la propre mère d’Henri VIII), j’ai lu La Dernière Reine, puis La fille du faiseur de rois et enfin Reines de sang qui m’ont beaucoup plus plu. La Princesse d’Aragon s’intègre parfaitement dans cette saga féminine qui nous montre l’Histoire de l’Angleterre sous un jour nouveau. C’est certes romancé (et il y a beaucoup de romance dans les premiers chapitres) mais pas fantaisiste pour autant et Philippa Gregory s’acquitte parfaitement de la mission du romancier : combler du mieux possible les lacunes laissées par l’Histoire établie, sans pour autant affirmer apporter la vérité vraie.

    The Spanish Princess" The New World (TV Episode 2019) - IMDb

    L'actrice britannique Charlotte Hope interprète Catherine d'Aragon dans la série The Spanish Princess, produite par Starz

    En Bref :

    Les + : sans être forcément très rythmé, ce roman est dense et très riche, ses six-cents pages nous font voyager et partir à la découverte d'un destin relativement méconnu.
    Les - :
    pas vraiment de points négatifs à soulever, La Princesse d'Aragon est un roman historique efficace.
       


    La Princesse d'Aragon ; Philippa Gregory

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    Retrouvez ici mon billet sur La Reine Clandestine, biographie romancée de la reine Elizabeth Woodville, épouse d’Édouard IV.

    Envie d'en savoir plus sur la jeunesse de Bessie d'York, la mère d'Henri VIII ? Retrouvez mon avis sur La Princesse Blanche juste là.

    Dans la lignée de Deux sœurs pour un roi et L'héritage Boleyn, découvrez le déclin du règne de Henri VIII au travers du regard de sa dernière épouse, Catherine Parr. Mon billet sur La Dernière Reine est juste ici.

    Les années sombres et troublées de la Guerre des Deux-Roses sont racontées dans La fille du faiseur de rois, qui met en avant Anne Neville, la fille du duc de Warwick et future épouse de Richard III. Mon avis est à retrouver ici.

    Reines de sang raconte les destins tragiques des soeurs Grey et l'accession au pouvoir d'une reine redoutable, Elizabeth Ière. Retrouvez mon avis ici.


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  • «  Robert a été guidé presque toute sa vie par son ambition de devenir roi, une ambition que toute notre famille lui a instillée. Ce désir a un prix, il nous coûte tous, et certains l'ont payé de leur vie, mais nous le soutenons parce que nous voyons en lui quelque chose qui l'élève au-dessus des autres hommes, quelque chose qui nous donne de l'espoir. »

    Couverture Les Maîtres d'Ecosse, tome 3 : Avènement

     

     

         Publié en 2015 en Angleterre 

      En 2017 en France (pour la présente édition)

      Titre original : Insurrection, book 3 : Kingdom

      Éditions Pocket

      763 pages 

      Troisième tome de la saga Les Maîtres d'Ecosse

     

     

     

    Résumé :

    Après des années de luttes acharnées, Lord d'Annandale et son fils ont échoué à s'emparer du trône d’Écosse. C'est désormais au jeune Robert Bruce de porter les aspirations de sa lignée et de se faire proclamer roi. Mais tout le monde ne l'entend pas de cette oreille. Non seulement, au sein de son camp, un mutinerie le prive de la couronne et du royaume, mais, en Angleterre, le roi Edouard II mène la lutte contre l'insurgé. Accompagné de ses fidèles et de l'envoûtante dame Christiane, Robert Bruce va devoir retrouver la confiance de son peuple et, par là même, sa place sur le trône. Une grande bataille se prépare qui va sceller son destin et celui de l’Écosse. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Écosse, début du XIVème siècle. Le royaume est déchiré par des luttes internes pour le trône et par la guerre qui se joue avec la puissante voisine, la couronne d’Angleterre, qui ne souhaiterait rien tant que d’absorber l’Écosse. Son roi, Édouard Ier, ne rêve rien moins que l’antique réunification des peuples bretons comme au temps du roi Arthur et compte bien le réaliser, à la faveur d'une vieille prophétie de Merlin, rapportée par Geoffroy de Montmouth. Seulement, en cette fin de Moyen Âge, la fédération ne peut se faire que par les armes et, en Écosse, une famille a juré de tout faire pour préserver le trône : les Bruce, dont l’héritier Robert a ceint la couronne mais n’est pas reconnu : par les Anglais d’une part mais aussi par une partie des grandes familles d’Écosse, à commencer par les Comyn, qui luttent âprement contre les Bruce depuis de longues années.
    Quant au sort de l’Écosse, il semble qu’il ne puisse que tomber de Charybde en Scylla depuis la terrible défaite de William Walace et son exécution en 1305. Accompagné de ses fidèles partisans, Robert ne connaît pourtant que défaites et vexations mais c’est mal connaître le jeune homme : celui qui a fait le serment à son grand-père, lord d’Annandale, voilà plusieurs années, n’est pas prêt à se rendre sans combattre. S’il ne le sait pas encore, la Roue de la Fortune est sur le point de tourner et d’écraser ses adversaires.
    Batailles sanglantes, trahisons, retournements inattendus et autres coups fourrés caractérisent ces premières années du XIVème siècle tandis qu’un royaume lutte pour exister et consolider ses acquis.
    Ce que raconte ici la romancière Robyn Young est un épisode avéré de l’Histoire des îles britanniques : les guerres civiles d’Ecosse ou guerre d’indépendance écossaise, qui commencent dans les années 1290 et ne se terminent qu’en 1357 avec la signature du traité de Berwick. A la mort sans héritier du roi Alexandre III en 1286, le trône écossais vacille, disputé qu’il est par les grandes familles (Comyn, Balliol, Bruce) tandis que de l’autre côté du mur d’Hadrien, le roi Édouard Ier, tapi comme un gros chat, guette les moindres mouvements de l’ennemi avant de s’en emparer. A la faveur de ces conflits successifs, de grandes figures de l’Histoire écossaise apparaissent, telles William Wallace (immortalisé par Mel Gibson sous les traits de Braveheart, dans le film du même nom sorti en 1995) ou Robert Bruce, aussi parfois appelé Robert de Bruce et qui fut roi d’Ecosse autoproclamé puis reconnu de fait, de 1306 à 1329. La saga met aussi en avant des faits d’armes qui ont marqué l’Histoire comme Falkirk, la terrible écossaise de 1298 et sa revanche, Bannockburn, en 1314, victoire décisive de Bruce et de ses hommes sur les armées du roi Edouard II.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Avant la bataille de Bannockburn, Robert Bruce passe ses troupes en revue (Edmund Blair Leighton, 1909)


    C’est donc le destin de ce personnage, Robert Bruce, à l’origine des futures dynasties écossaises, notamment les Stuarts, que Robyn Young choisit de raconter ici, dans une saga historique touffue, conséquente, qui se termine en apothéose avec ce troisième tome enlevé, violent mais qui clôture avec brio cette trilogie commencée avec Insurrection. Tout doucement, elle déroule l’écheveau d’un destin d’exception, entre faits historiques avérés et d’autres plus flous qui permettent alors au romancier de s’immiscer dans les lacunes de l’Histoire. Le destin de Bruce est fragmentaire, pas toujours bien documenté, parfois connu par des sources populaires mais dont on peut douter de la fiabilité. L’auteure s’est donc insérée dans ces latences pour apporter sa propre pierre à l’édifice, tout en respectant au maximum le déroulé des événements et ce qu’elle savait de ses différents personnages.
    J’ai retrouvé ici ce que j’avais aimé dans les deux premiers tomes mais peut-être en cent fois mieux ! Non pas qu’Insurrection et Renégat, les deux premiers volumes, soient décevants ou pas intéressants, loin de là. Mais Avènement est peut-être le tome le plus abouti, le plus dense, le plus ambitieux. C’est visuel, quasi cinématographique : les scènes de batailles sont grandioses et épiques (on n'en entend pas moins d’elles), les paysages superbes de l’Écosse très bien décrits, vraiment, on s’y croirait. Quant aux personnages, ils sont tous détaillés ainsi que leur psychologie. Robyn Young laisse autant de place au renégat qu’au plus loyal et le personnage de Robert, découvert jeune homme dans Insurrection et Renégat, s’achemine vers la maturité en même temps que le trône. J’avoue que si j’ai en général une préférence pour les héroïnes (peut-être parce qu’il m’est plus facile de m’identifier à d’autres femmes), ce roman très masculin m’a séduite, un peu comme La Quête de Robert Lyndon. Et c’était passionnant, n’ayons pas peur des mots.
    Le seul petit bémol pour moi et qui est totalement subjectif, c’est le début du roman qui m’a un peu perdue : ma lecture du deuxième tome, Renégat, remontait à plus de deux ans et j’ai mis un peu de temps pour parvenir à me resituer dans l’intrigue et à ne plus confondre les personnages qui, on le sait, en ces temps lointains, ont souvent la fâcheuse tendance à porter des noms identiques ou très proches. Mais une fois que je m’y suis retrouvée, aucun souci.
    Comment conclure cette chronique autrement qu’en vous recommandant chaudement cette saga ? Si vous aimez les romans historiques et l’Écosse, elle est à lire de toute urgence, vous passerez probablement un très, très bon moment. Du moins je vous souhaite une aussi bonne lecture que la mienne et c’est vraiment avec regret que j’ai refermé ce troisième et ultime volume, un peu nostalgique (est-ce que je dois avouer qu’au cours de cette lecture j’ai été légèrement amoureuse de Robert Bruce et de son charisme ? Je crois que oui).

    En Bref : 

    Les + : un troisième tome qui clôt la trilogie dans l'apothéose et l'ivresse de la victoire, on suit le déroulé de l'intrigue comme on regarderait un film. Robyn Young signe là une fiction historique passionnante et qu'on prend plaisir de suivre de bout en bout.
    Les - : pour moi le seul bémol à relever et, comme je le souligne dans ma chronique, qui est totalement subjectif, c'est les premiers chapitres un peu compliqués, il m'a fallu du temps pour me resituer au milieu de la myriade de personnages et des retours réguliers vers la liste des personnages a un peu haché ma lecture mais ce n'est vraiment rien de grave.


     

    Les Maîtres d'Ecosse, tome 3, Avènement ; Robyn Young

      Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

    Envie d'en apprendre un peu plus sur les origines de la saga ? Découvrez mon avis sur les deux premiers tomes : 

    - Mon avis sur le tome 1, Insurrection, est juste là

    - Et retrouvez ici mon avis sur Renégat, le deuxième tome. 

     


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  • « Mais même à ce moment-là, les mots ne diront pas comment les choses se sont réellement passées. Car les mots ne sont pas toujours fiables : ils donnent forme trop facilement, trop superficiellement. »

    Les Graciées

     

     

      Publié en 2020 en Angleterre

     En 2021 en France (pour la présente édition)

     Titre original : The Mercies

     Éditions Pocket

     456 pages

     

     

     

     

     

     

    Résumé :

    Norvège, 1617. Il a suffi d'une nuit, une nuit de tempête et d'horreur. Depuis que la mer a rendu, cadavre après cadavre, tous les hommes de Vardø, les femmes du village ont pris les choses en main. La pêche. Les travaux domestiques. Mais il était dit, même aux confins du cercle polaire, qu'on ne laisserait jamais les femmes en paix. En vertu du Décret sur la sorcellerie, fraîchement entré en vigueur, il est venu du continent un pasteur étranger : Absalom Cornet, inquisiteur fanatique et chasseur de sorcières. Pour Maren, Kirsten et les autres, toutes prisonnières chacune à sa manière, le bûcher est déjà dressé...

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Norvège, 1617. La veille de Noël, une terrible tempête s’abat sur l’île de Vardø, dans l’extrême nord du pays. Une tempête aussi effrayante que brutale et meurtrière : en effet, ce jour-là, les hommes de Vardø devaient sortir en mer pour pêcher. Quarante d’entre eux disparaissent dans les flots déchaînés de la mer de Barents, ne laissant sur l’île que des jeunes garçons et des vieillards.
    Passés le premier choc et le deuil, les femmes vont devoir s’organiser. Dans ces territoires hostiles et froids une bonne partie de l’année, où la vie est rude, il faut réagir vite. L’une d’entre elles, Kirsten, qui a une âme de meneuse, décide d’organiser la pêche, enrôlant certaines autres femmes de Vardø, contre l’avis du pasteur de la communauté et de certaines autres femmes, les plus dévotes. Les habitantes de Vardø ne le savent pas encore mais cette tempête aura d’énormes répercussions, sur leur quotidien immédiat mais aussi à plus long terme. Jamais plus leur vie ne sera comme avant et l’arrivée d’un nouveau seigneur nommé par le roi Christian IV et d’un délégué arrivant d’Ecosse, Absalom Cornet, scellera leur destin. Et quand le mot de « sorcellerie » est prononcé, dans un XVIIème siècle pétri de dévotion, plus aucun moyen de faire marche arrière n’existe…
    Les Graciées est un roman très féminin et presque un huis-clos, à l'ambiance très vite angoissante et presque palpable. A l’exception de quelques chapitres qui se passent à Bergen, on ne fait que naviguer entre les limites de l’île de Vardø, dans un climat qui devient de plus en plus étouffant. Les femmes, d’abord toutes confrontées au même deuil (chacune a perdu un père, un fils, un frère, un mari ou un fiancé) et devant se soutenir, commencent à s’éloigner les unes des autres : haine, jalousies, médisances deviennent leur quotidien. La méfiance, aussi petit à petit, quand certains commencent à distiller l’idée que cette tempête n’avait rien de naturel,  qu’elle n’était pas même l’œuvre de Dieu mais peut-être bien…la volonté du Diable. Et sur cette île perdue à l’extrême nord de l’Europe, certes christianisée depuis longtemps mais où la religion voisine étroitement avec les croyances ancestrales et celles des Lapons, qui peuplent aussi ces contrées et ne sont pas chrétiens, la moindre étincelle peut allumer le pire des incendies. Posséder des figurines traditionnelles ou se livrer à des pratiques aux relents païens devient dangereux. Vardø va devenir le théâtre d’une véritable chasse aux sorcières, où aucune des habitantes n’est à l’abri, sauf peut-être les croyantes les plus fanatiques qui n’hésiteront pas à dénoncer leurs consœurs.
    Le roman est centré sur deux personnages en particulier : Maren, vingt ans, née à Vardø et Ursa, originaire de Bergen et épouse d’Absalom Cornet, qui arrive avec lui sur l’île lorsqu’il est nommé délégué. Elles sont radicalement opposées : Ursa a toujours mené une vie relativement tranquille et confortable, même si pas exempte de deuils et de tristesse. Quant à Maren, c’est la vie d’une sauvageonne qu’elle mène sur son île natale, pelée et battue par les vents, entre ses parents et son jeune frère Erik, dont elle est proche. Une vie rude dans ce pays hostile, où l’on a souvent faim et où l’on n’est pas propre tous les jours. Les habitants vivent essentiellement de la pêche, du troc, mangent la viande de leurs rennes et en tannent les peaux. Maren et Ursa ont donc mené une vie bien différente et pourtant, lorsque la jeune Madame Cornet arrive sur l’île, avec son désarroi et sa solitude, elles vont se lier d’une improbable amitié. Elles assisteront toutes deux impuissantes au procès qui va se mener à Vardø, orchestré par le seigneur Hans Koening et le mari d’Ursa, Absalom Cornet. Aucune des deux n’en sortira indemne et leur vie sera bouleversée à jamais…
    Les Graciées est certes une œuvre de fiction mais qui s’appuie sur un contexte historique avéré : les chasses aux sorcières se sont multipliées au XVIIème siècle en Europe et se sont même diffusées aux Amériques (les fameux procès de Salem, dans les années 1690). Les procès de Vardø eurent bien lieu, en 1621, entre 1651 et 1653 et en 1662 et 1663. 91 personnes y comparaîtront et seront condamnées. Parmi elles, soixante-dix-sept femmes et quatorze hommes. Des Lapons, condamnés pour s’être livrés aux rites et pratiques ancestraux de leur peuple mais aussi des Norvégiens, coupables de ne pas avoir respecté les lois édictées par le roi Christian IV. On estime que, dans le Finnmark, 140 procès en sorcellerie eurent lieu entre 1602 et 1692. A Vardø, une certaine Kirsten (ou Kristi) Sørensdatter sera condamnée : c’est l’amie de Maren, Kirsten dans le roman.
    Prenant exemple sur le roi Jacques VI d’Écosse, puritain convaincu (et devenu aussi roi d’Angleterre en 1603 sous le nom de Jacques Ier) auteur d’une fameuse Démonologie, véritable guide pour reconnaître une sorcière, le roi Christian IV de Danemark et de Norvège édictera pour son double-royaume des lois particulièrement rigoureuses et qui coûtèrent la vie à plusieurs de ses sujets. Sans doute dans les 91 personnes jugées à Vardø au cours du XVIIème siècle, la plupart étaient-elles innocentes – voire certainement toutes. Car au final, qu’est-ce que la sorcellerie et surtout, existe-t-elle seulement ?
    Le XVIIème siècle est réellement l’apogée des chasses aux sorcières, qui ont eu lieu tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance, avant de décroître ensuite à la fin du siècle – même si des flambées d’intolérance persistent ensuite. Aujourd’hui, dans un contexte de féminisme grandissant, prenant le contrepied de ces fameuses chasses, la société tendrait plutôt à réhabiliter leurs victimes qu’à encenser leurs bourreaux.
    Je n’ai pas trouvé ce roman forcément facile d’accès. Beaucoup moins par exemple que Les Sorcières de Pendle, avec lequel je n’ai pu m’empêcher d’établir une comparaison (même époque, même sujet…). Il m’a fallu du temps pour entrer dans cette histoire, me sentir proche des personnages. D’ailleurs je me suis même demandé si ce n’était pas là un objectif de l’auteure : ne pas nous faire sentir proche de ses personnages. Que ce soit Maren ou Ursa, je n’arrivais pas à les apprécier réellement, j’avais juste l’impression de les suivre, sans être partie prenante, sans m’investir dans ma lecture. Pas forcément la sensation la plus agréable pour un lecteur, non ? Heureusement, elle s’est dissipée…pas tout de suite, à tel point que j’ai oscillé assez longtemps entre « j’aime ? » ou « j’aime pas ? » et au final, j’ai aimé ! J’en suis très contente, d’ailleurs. Je n’ai pas aimé autant que je le voulais ou du moins,  autant que je l’espérais (ah ce fameux succès des réseaux sociaux, ce phénomène littéraire qui est finalement à double tranchant) : Les Graciées ne sera pas un coup de cœur pour plusieurs raisons que je n’expliciterai pas forcément pour ne pas vous en dévoiler trop (un conseil : lisez ce roman, il n’y a que ce moyen de se faire un véritable avis constructif) mais après avoir été assez longtemps spectatrice de ma lecture, j’y suis entrée enfin pour ne plus en sortir. J’ai vu la montée en tension presque douloureuse, le drame se mettre en place. J’ai, à ma grande surprise, découvert le personnage d’Ursa, que j’avais trouvé si terne et si peu digne d’intérêt au départ. Je me suis fait la réflexion que ce roman était l’illustration parfaite de l’adage : « on ne peut se fier à personne ».
    Les Graciées est un roman révoltant même si, évidemment, en le replaçant dans son contexte, on ne peut s’empêcher de se dire que c’était malheureusement quelque chose de très banal à l’époque. Mais la charge féministe de l’auteure s’y lit clairement : certes, les « chasses aux sorcières » n’ont pas touché que des femmes mais c’était la majorité des condamnées. Ici, le patriarcat et la religion se liguent pour faire plier des femmes trop indépendantes, qui ont osé empiéter sur les prérogatives des hommes. Hommes qui, ne l’oublions pas, ont péri en mer, laissant leurs mères, épouses, filles dans un dénuement des plus complets. Notre esprit de lecteur du XXIème siècle ne peut s’empêcher de s’étonner voire s’indigner : « Mais c’est débile cette histoire, et que viennent faire Dieu et la religion là-dedans quand on sait que ces femmes seules sont obligées de prendre la mer, comme des hommes, pour se nourrir et nourrir leurs enfants ? » J’ai souvent pensé ça en me retenant de lever les yeux au ciel. Et pourtant, ce n’est que la triste réalité d’une époque et d’une société – pas si éloignée de la nôtre à bien des égards. 

    Les Graciées raconte merveilleusement cela. La grosse découverte de ce roman, c’est clairement la plume de Kiran Millwood Hargrave (certes au travers d’une traduction, mais quand même), son univers. C’était vraiment bien écrit, je me suis délectée de ses mots. Si j’ai eu un peu plus de mal à entrer dans l’histoire, j’ai tout de suite aimé l’écriture de l’auteure, vraiment très talentueuse et dont les mots soulignent avec une rare intensité ce récit vraiment particulier et qui a pour lui son caractère unique et sa force.

    En Bref :

    Les + : le style de l'auteure, le lieu également où l'histoire se situe. Découvrir cette Norvège historique était vraiment intéressant pour moi qui adore l'Histoire. 
    Les - :
    le début du roman qui n'est peut-être pas facile d'accès, l'ambiance qui a mis du temps à me convaincre aussi et m'a mise mal à l'aise de prime abord. Je précise évidemment que ce n'est là qu'un ressenti subjectif et personnel.


    Les Graciées ; Kiran Millwood Hargrave

     Mémoires de la baronne d'Oberkirch sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789 ; Henriette Louise de Waldner de Freundstein, baronne d'Oberkirch LE SALON DES PRÉCIEUSES EST AUSSI SUR INSTAGRAM @lesbooksdalittle

     

    • Envie d'en savoir plus sur Les Sorcières de Pendle de Stacey Halls, qui raconte un procès pour sorcellerie dans le Lancashire du début du XVIIème siècle ? Mon avis est à retrouver juste là.

     

     

     


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