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Par ALittleBit le 28 Mars 2021 à 16:43
« Un vitrail musicalement juste et souverainement écrit a le verbe si riche qu'il n'est pas d'écrivain qui puisse prétendre le décrire ou le posséder par l'analyse. Les seuls qui ont le pouvoir d'en approcher la grâce sont les poètes et les musiciens. »
Publié en 1995
Editions Folio
396 pages
Résumé :
« La lumière est diffuse », dit Rosal de Sainte-Croix au jeune Nivard de Chassepierre. « Elle est fugace, changeante, capricieuse. Elle a toutes les ruses. Jamais tu ne seras satisfait de ton ouvrage, si beau soit-il. Jamais tu n'auras assez de couleurs dans tes casiers pour donner vie à un vitrail comme tu le souhaites, jamais tu n'auras la certitude de colorer juste comme on chante juste. Qu'importe ! Tes pas partent du feu et tu dois atteindre le feu, devenir un maître en ton art. »
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Le Passeur de Lumière est un roman historique qui se déroule en plein cœur du Moyen Âge et raconte la quête d'un jeune orfèvre mosan devenu maître verrier...
Voilà comment, en quelques mots, on peut résumer Le Passeur de Lumière. Inutile de vous dire que c'est bien plus que cela. C'est impossible de bien résumer un roman tel que celui-là. Je crois que c'est aussi tout bonnement impossible d'en parler sans le trahir.
Comment mettre des mots sur ceux de Bernard Tirtiaux, je me le demande encore alors que je suis en train de rédiger cette chronique.
Je ne sais toujours pas si j'ai eu un coup de cœur pour ce roman : je crois que oui. Et en même temps c'est plus difficile que ça. Si j'ai eu un coup de cœur ce n'est pas un coup de coup de cœur franc et évident comme on peut en avoir pour d'autres histoires. Peut-être que dans quelques mois, je pourrais dire quand je parlerai de ce livre, quand je le conseillerai peut-être, que j'ai eu un coup de cœur... Aujourd'hui, je n'en sais rien.
Ce que je peux dire c'est que ce livre m'a bouleversée et retournée comme je l'ai rarement été par un récit. J'en suis ressortie avec un sentiment terrible de mélancolie, de solitude (celle, presque insupportable de Nivard, qui se communique au lecteur) et les larmes au bord des yeux, prêtes à couler. Elles ne l'ont pas fait et pourtant, l'émotion n'en a pas été moins intense. Plus que le récit en lui-même, je crois vraiment que ce sont les mots de l'auteur, ce qu'il a fait de son intrigue, qui m'ont totalement emportée. Cette histoire racontée autrement ne m'aurait peut-être pas plu et pas autant plu, en tout cas. Ce sont essentiellement les mots de Bernard Tirtiaux, maître verrier lui-même et qui les travaille comme de la matière, qui m'ont touchée.
Si vous avez lu le résumé, vous savez donc que le héros du récit s'appelle Nivard de Chassepierre et qu'il est maître verrier. Originaire de Huy, non loin de Liège, il parcourra l'Europe et l'Orient du début du XIIème siècle à la recherche du verre parfait, de la maîtrise parfaite, de la couleur parfaite mais surtout, de la lumière parfaite.
La Lumière, avec un grand L. La lumière créatrice, la lumière rédemptrice, l'œuvre de toute une vie, le réconfort de toutes les peines et de tous les malheurs. Car le jeune Nivard, qui se voit d'abord embaucher par un artisan orfèvre d'Huy alors que sa noblesse de naissance est déclassée, qu'il a sombré dans la misère avec sa mère et son frère après la mort du père, va connaître bien des revers et des deuils au cours de son existence. Deuils d'hommes et de femmes qui jalonnent sa vie, deuils des certitudes. Le passeur de Lumière n'est pas un roman d'apprentissage comme je le pensais au départ, c'est le roman de toute une vie consacrée à une seule et même recherche, celle de la lumière, si présente dans nos vies et en même temps impalpable et insaisissable.
Et pourtant, en ce début du XIIème siècle, des artisans qu'on devrait même appeler des artistes décident de rivaliser avec Dieu. Fiat Lux. Que la lumière soit. Alors que, déjà, l'art roman amorce son déclin, une nouvelle manière de faire se modélise dans des esprits intrépides et audacieux : la lumière deviendra muraille, la lumière deviendra pierre, là où les murs en dur devront se réduire à presque rien pour célébrer la lumière divine, la lumière mère de toutes choses et de toute vie. Pour ce faire, les étroites fenêtres vont se faire verrières, les nefs et les chœurs des églises et des cathédrales vont se couvrir des chatoyantes couleurs des vitraux racontant la vie de Jésus, la maternité de la Madone ou encore, le Jugement dernier ou l'Ancien Testament. Le vitrail et donc la lumière, remplacent peu à peu les murailles massives de l'art roman : c'est l'art gothique qui nait doucement, sans faire de bruit et va finir par s'imposer comme la norme, en Europe. L'art gothique, qui tend ses pinacles, ses flèches et ses tours comme des bras vers le ciel et vers Dieu. L'art gothique qui veut en finir avec l'obscurité du premier Moyen Âge et fond l'extérieur avec l'intérieur, l'intérieur et l'extérieur dans des jeux sans fin de lumières et de couleurs. Les verriers seront la pierre angulaire de cet art si fin et qui confine réellement au divin.Une des verrières de la cathédrale de Chartres : la baie 44, représentant la Parabole du Bon Samaritain
Paradoxalement, aucune autre époque n'aura été plus consubstantielle à la recherche quasi obsédante de la lumière dans sa plus pure expression que le Moyen Âge. On a souvent considéré ces dix siècles comme une transition obscure, fanatisée, superstitieuse et boueuse entre la brillante Antiquité des penseurs grecs et romains et la Renaissance des humanistes. Et pourtant : le Moyen Âge central, ce fameux XIIème siècle mis à l'honneur par Bernard Tirtiaux dans son roman, est une époque d'essor absolu, une pré-Renaissance, une époque brillante dans laquelle se détachent les figures de grands érudits comme Adélard, de grands théologiens comme Bernard de Clairvaux, d'artistes et poètes et surtout d'artisans aux techniques spectaculaires, qui vont inventer à eux seuls, dans un lieu relativement circonscrit (le Nord de la France actuelle, entre la Picardie et la Champagne, en gros), un art souvent copié et jamais égalé, ce fameux francigenum opus (art gothique) que l'on retrouve sur les bords du Rhin, en Italie comme en Angleterre. Cet art gothique dont nous visitons encore, les yeux émerveillés, certains fleurons : la cathédrale de Sens, la cathédrale de Chartres, la basilique de Saint-Denis, Notre-Dame de Paris...
Pour Nivard, cette quête de l'absolu s'accompagne d'un long voyage vers l'Orient, d'une réelle découverte du monde.
Le Passeur de Lumière déconstruit à sa manière tous les clichés que l'on pourrait avoir d'un Moyen Âge peu mobile, renfermé sur lui-même, médiocre et xénophobe. Certes, il y'eut des périodes d'intolérance, de fanatisme, il ne s'agit pas de nier l'Inquisition ou l'antisémitisme qui faisait rage en Europe. Non. Mais il est important de montrer aussi que le Moyen Âge, ce n'est pas que ça, qu'en dehors des clichés et des croyances on découvre une époque riche, instruite, intelligente, métissée aussi. Une époque où Occident et Orient se fondent et cohabitent et pas qu'au bruit des épées et des cimeterres qui se heurtent. Certes, c'est l'époque des Croisades mais c'est l'époque aussi où l'Occident chrétien découvre ce que l'Orient musulman peut avoir à lui offrir et à partager.
Le passeur de Lumière n'est pas un pavé : rien à voir avec Les Pilliers de la Terre, par exemple ! Et pourtant... il y'a un peu de Ken Follett chez Bernard Tirtiaux. Il y'a surtout une passion vivace, la sienne, véritable héroïne du récit, une passion qui transcende les siècles et les hommes. Un peu comme la lumière, en fait : on cherche tous la nôtre, au propre comme au figuré. Ce n'est pas que la lumière divine des hommes du Moyen Âge... c'est la lumière universelle. Voilà je pense, pourquoi se roman est si évocateur. Il ne raconte pas les temps anciens il raconte aussi l'Humain, qui est foncièrement le même depuis la nuit des temps.
Ce roman fait clairement partie de ces pépites que j'ai délaissées bien trop longtemps dans un coin de ma PAL. Je ne regrette évidemment pas de l'en avoir enfin sorti, même si cette lecture m'a rendu triste parfois. Un roman peu connu et qui mériterait de l'être plus.Un maître verrier du Moyen Âge soufflant du verre dans son atelier
En Bref :
Les + : la puissance de ce récit ne réside pas uniquement dans ce qu'il raconte...ce qu'il ne dit pas est tout aussi important. Universelle et transcendant les époques, l'intrigue du Passeur de lumière raconte l'humanité et sa quête de la lumière qu'elle quelle soit. Roman puissant et bouleversant il me laisse une impression étrange et mélancolique alors que je l'ai refermé depuis peu.
Les - : un début peut-être un peu abrupt qui peut surprendre mais heureusement cette impression se dissipe vite.
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Par ALittleBit le 24 Mars 2021 à 15:30
« Une femme avisée vit longtemps en espérant que les temps changent. »
Publié en 2017 en Angleterre
En 2020 en France (pour la présente édition)
Titre original : The Last Tudor
Editions Hauteville
696 pages
Résumé :
« J'ai l'impression que je resterai emprisonnée jusqu'à la fin de mes jours pour le seul crime d'avoir épousé l'homme que j'aime tandis qu'Elisabeth ne peut pas épouser son amant. Il s'agit de jalousie poussée à l'extrême, d'une malice funeste. Avec sa lettre de refus, je crains que seule la mort ne puisse me délivrer. »
Jane, Catherine et Mary Grey sont trois soeurs qui ne souhaitent rien d'autre que profiter des beautés de ce monde, de leur jeunesse, et de trouver l'amour. Mais leur héritage royal fait d'elles des cibles aux yeux de leurs cousines : Marie et Elisabeth qui se partageront successivement la Couronne d'Angleterre, et redoutent plus que tout de la perdre. Chacune d'entre elles est cependant déterminée à prendre les rênes de son propre destin, même si cela signifie risquer sa vie et passer le restant de ses jours à la Tour de Londres. Dans ce jeu de pouvoir, qui sera la dernière Tudor ?
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
2020 aura été l'année de mes retrouvailles avec Philippa Gregory puisque j'ai lu La Dernière Reine en avril puis La Fille du Faiseur de Rois, au mois de novembre. Tous deux ont été d'agréables surprises.
En 2021, je compte bien continuer sur ma lancée, avec Reines de Sang, donc mais aussi La Malédiction du Roi, qui vient de sortir aux éditions de l'Archipel et qui raconte le destin de Margaret Pole, nièce d'Anne Neville et Richard III (qui, eux, étaient au centre de La Fille du Faiseur de Rois...vous suivez ?)
Avec Reines de Sang, on revient à l'époque de prédilection de l'auteure, l'époque qui me l'a faite découvrir, d'ailleurs : l'époque des Tudors.
Quand s'ouvre le roman, nous sommes en 1550. Henry VIII est mort depuis trois ans et c'est son jeune fils de treize ans, Édouard, qui règne. De constitution fragile et maladive, le fils de Jane Seymour sait que ses jours sont comptés : il n'aura probablement pas le temps de se marier ni d'avoir des enfants à lui avant de mourir. Or, il lui faut un héritier : sa sœur aînée, Marie Tudor, est écartée de la succession car catholique. Elizabeth, la seconde fille d'Henry VIII est également écartée de la succession par les conseillers de son frère, car sa réputation a été entachée par un scandale... Ne restent alors en ligne directe que les cousines du roi, les sœurs Grey, Jane, Catherine et Mary, qui sont les filles de lady Frances Brandon et les petites-filles de Mary Tudor et Charles Brandon, respectivement sœur préférée et ami proche du roi Henry VIII... Jane, l'aînée, jeune femme érudite, fer de lance du protestantisme et possèdant une vaste connaissance théologique, est désignée pour succéder à son cousin Édouard. En juillet 1553, après avoir été intronisée à la mort de son cousin, elle ne régnera que neuf jours, qui lui laisseront son surnom dans l'Histoire puisque Jane Grey est bien souvent connue comme la reine de Neuf-Jours (Nine Days' Queen en anglais). Emprisonnée à la Tour de Londres par la reine Marie Ière, Jane est exécutée sept mois plus tard, avec son père et son époux, Guilford Dudley.
Ses deux cadettes, Catherine et Mary, ne connaîtront pas un destin plus heureux, même si elles ne monteront pas à l'échafaud. Successivement pressenties pour devenir héritières du royaume d'Angleterre, elles devront subir la haine de leur cousine Elizabeth Ière qui les considère comme des rivales, tout en refusant fermement le mariage et donc de donner un héritier incontestable à la couronne. D'ailleurs Elizabeth en prend plutôt pour son grade dans ce roman : la reine de cœur d'Alice au pays des merveilles n'a qu'à bien se tenir !!
Catherine, qui épouse sans le consentement de la reine le jeune Ned Seymour, comte de Hertford, ne connaîtra jamais plus la liberté quand son secret sera révélé. Baladée de prison en prison pendant plusieurs années, de la Tour de Londres jusqu'à des demeures plus ou moins luxueuses mais toujours privée de liberté, Catherine meurt de langueur en 1568, à l'âge de vingt-sept ans, séparée de son mari et de ses enfants.
Mary, la plus jeune, est certainement aussi la moins connue (mais celle qui, dans le roman fait le plus preuve de combativité et de détermination) : atteinte d'une malformation de l'épine dorsale, de très petite taille, Mary est fille d'honneur de la reine Elizabeth dont elle subira ensuite les foudres pour avoir imité sa sœur Catherine et s'être mariée sans l'autorisation royale, avec Thomas Keyes.
Ce roman est une triade : trois sœurs, trois personnalités, trois destins. Mais un dénominateur commun : une prétention à la couronne anglaise qu'elles n'ont pas voulue mais que leur sang, leur filiation leur impose et qui leur coûtera leur bonheur et, pour deux d'entre elles, leur vie. La haine d'une reine aux tendances tyranniques mais qui connaît parfaitement les limites de son pouvoir et poursuit de sa méfiance et de sa haine tous ceux qu'elle considère comme ses rivaux.
Comme souvent, Philippa Gregory, ce roman parle de sororité : la sororité au sens premier du terme, pas au sens de solidarité féminine comme on peut l'entendre aujourd'hui. Dans Deux Sœurs pour un Roi, déjà, elle explorait les rivalités entre sœurs pour un même homme. Dans La Fille du Faiseur de Rois, les deux héroïnes, Anne et Isabelle, filles du comte de Warwick, sont aussi des sœurs.
Ici, de même. Divisé en trois parties, le roman laisse la parole à chacune des trois sœurs Grey ; chacune est la narratrice de son propre destin dans l'une des trois parties du récit.
Gros pavé de près de 700 pages, Reines de sang est plutôt un roman riche, c'est le moins qu'on puisse dire ! Globalement, ce fut une bonne lecture malgré quelques petits bémols et inégalités qui, dans l'ensemble, n'ont pas gâché mon plaisir de lecture, ce qui est essentiel !L'exécution de Jane Grey par Paul Delaroche (1833)
Avant de parler des choses qui fâchent, listons déjà les points positifs : Philippa Gregory a le don pour rendre l'Histoire vivante et parlante au plus grand nombre ! On ne peut décidément pas contredire le magazine USA Today lorsqu'il la qualifie de reine du roman historique. Il est vrai qu'elle n'a pas son pareil pour transformer en grandes fresques aventureuses l'époque de la Guerre des Deux-Roses et celle des Tudors. Et le fait qu'elle s'attache à raconter l'Histoire du côté des femmes me plaît toujours beaucoup. Elles sont souvent les grandes oubliées des manuels d'Histoire et le fait que l'auteure leur redonne une voix, même de fiction, est méritant. Enfin, ce roman montre bien la place que les femmes occupaient alors dans la société et qu'un destin royal ne protège pas de tout et sûrement pas du malheur : pions manipulables à l'envi, servant l'ambition des pères, des frères ou des maris, souveraines à la position fragile qu'elles doivent sans cesse consolider parfois au mépris des sentiments, les femmes à l'époque Tudor doivent particulièrement se battre pour soutenir leur rang et leurs ambitions ou tout simplement conserver leur vie. Le cas de Jane, placée sur le trône contre son gré par son propre père, ou celui d'Anne Boleyn, victime de l'ambition démesurée de son oncle et de son père en sont un bon exemple ! Pour tout cela, Reines de sang est un bon roman.
Maintenant, parlons des points qui m'ont plus posé problème au cours de cette lecture, ces petites inégalités dont je parlais plus haut : j'ai eu le sentiment que le roman était très répétitif, redondant. J'avais eu la même impression en lisant La Princesse Blanche, roman centré sur la figure de Bessie d'York, la mère d'Henry VIII... des chapitres qui se ressemblaient beaucoup les uns les autres et finissaient par donner au roman un côté un peu lourd et le sentiment, pour le lecteur, qu'on tournait en rond.
Ici, c'est un peu pareil... le roman tourne rapidement autour des emprisonnements successifs des sœurs Grey, de leurs pérégrinations d'une geôle à une autre et de leurs espoirs (souvent déçus) d'être libérées. J'avoue que j'ai trouvé cet aspect du roman un peu pénible par moments : qu'il soit présent, ok. Ça fait partie de la vie des sœurs Grey et notamment de Catherine et Mary, qui vont toutes les deux connaître une longue disgrâce. Mais entre présent et trop présent, il y'a une marge. Même si j'ai surtout ressenti cela sur la fin, j'avoue que j'aurais autant aimé que cela ne se produise pas.
J'ai regretté aussi que le personnage de Jane Grey soit très antipathique alors que son destin plus que tragique nous pousserait plus spontanément à avoir de la compassion pour elle (exécutée à seize ans à peine pour une couronne qu'on n'a pas voulue, c'est triste quand même). Mais son caractère hautain et orgueilleux m'a malheureusement agacée et je trouve ça dommage.
Maintenant la question est de savoir si je regrette cette lecture. Évidemment, non ! Évidemment, je continuerai à lire avec un plaisir non dissimulé les nouveaux romans de Philippa Gregory, malgré quelques inégalités ou petites faiblesses ! Ses romans sont bien sûr de la fiction, la romancière s'immiscant dans les lacunes de l'Histoire et ses parts d'ombre, mais ses récits toujours cohérents et plausibles me séduisent. C'est plein de souffle, c'est épique et c'est bien écrit ! Philippa Gregory explore avec maîtrise deux époques passionnantes de l'Histoire anglaise : la guerre des Deux-Roses et la Renaissance Tudor, marquée par les figures tutélaires (et légèrement tyranniques) d'Henry VIII et Elizabeth Ière. Et j'insiste mais, raconter l'Histoire à travers celle des femmes, souvent laissées pour compte, c'est quand même une idée plus que bonne !! En tous les cas, moi j'adhère à chaque fois.Les deux plus jeunes soeurs de Jane Grey : Catherine Grey, lady Hertford (1540 - 1568) représentée ici avec son plus jeune fils et Mary (1545 - 1578), qui connaîtra la captivité pour avoir épousé sans le consentement de la reine le capitaine Thomas Keyes
En Bref :
Les + : l'aspect historique bien que fictionnel avait évidemment tout pour me plaire, c'est épique et plein de souffle !
Les - : un sentiment que le roman est répétitif et redondant et c'est dommage.
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Par ALittleBit le 19 Mars 2021 à 16:51
« Il était une fois une histoire vraie, ensemble drame et farce. Une histoire au présent, et sans dates, car intemporelle. L'histoire d'une année de paroxysme politique, à elle seule métaphore du XIXe siècle. Une histoire où la grandeur côtoie la bassesse. »
Publié en 2020
Editions Pocket
368 pages
Résumé :
Entrez dans la danse : une des plus sidérantes années de l'Histoire de France commence. Fraîchement débarqué de l'île d'Elbe, Napoléon déloge Louis XVIII pour remonter sur son trône. Son trône ? Après Waterloo, le voilà à son tour bouté hors des Tuileries. Le roi et l'Empereur se disputent un fauteuil pour deux, chacun jurant d'incarner la liberté, la paix et la légitimité.
Sur la scène de ce théâtre méconnu des Cent-Jours, deux couples, fidèles de l'Aigle, sont dans la tourmente. Des héros oubliés liés par un sens de l'honneur et une loyauté hors du commun, qu'ils vont payer cher...
Au bal du pouvoir, la valse des courtisans bat la mesure face à un peuple médusé. La fable reste intemporelle, enjouée et amorale.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
1815, année héroïque (oui, je sais ma vanne est nulle mais c'est pas grave). Après le triste et tragique destin de la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, Marie-Thérèse Charlotte, raconté dans Mousseline la Sérieuse, Sylvie Yvert s'attelle à l'une des années les plus folles de notre Histoire ! 1815. L'année de Waterloo (morne plaine) mais surtout, l'année du vol de l'Aigle, l'année des Cent-Jours, l'année ou Napoléon, délogé de son trône l'année précédente par Louis XVIII l'en chasse pour se réinstaller aux Tuileries avant d'en être à nouveau délogé à son tour par...Louis XVIII. Vous suivez ? 1815, c'est aussi l'année des retournements de veste, des basses vengeances et des piètres ambitions, des élévations bien peu méritées, de l'injuste épuration et de la criante obséquiosité. 1815 est une année à nulle autre pareille.
Pour la restituer dans son contexte, 1815 est censée être la première année de la Restauration des Bourbons : l'année précédente, Napoléon Ier, lâché de tous les côtés (même par son épouse l'impératrice Marie-Louise, sommée de rentrer en Autriche avec son fils, le petit roi de Rome âgé de trois ans), a abdiqué. Le vainqueur d'Arcole, Austerlitz, Iéna, Eylau, vient de connaître des campagnes désastreuses et notamment celle, terrible, de Russie en 1812. En 1814, Napoléon Ier se retire et part en exil sur l'île d'Elbe, petit caillou perdu de Méditerranée, non loin de sa Corse natale et des côtes italiennes. A Paris, c'est le retour des Bourbons : Louis XVIII, frère cadet de Louis XVI, ceint enfin la couronne de France.
Mais, coup de théâtre : au mois de mars 1815, Napoléon quitte l'île d'Elbe et débarque à Golfe-Juan, le 1er mars. Commence alors une marche forcée vers le nord, vers Paris, à travers des villes et des campagnes médusées : tandis que Louis XVIII quitte précipitamment les Tuileries aussi vite que lui permet son piètre état de santé et que les troupes se mutinent, se remettant les unes après les autres au service de l'Empereur, le 20 mars à 21 heures, Napoléon arrive à Paris, accueilli par une foule considérable. Ce que l'on a appelé le vol de l'Aigle est terminé ; c'est le début des Cent-Jours. Cent-Jours qui commencent triomphalement avant de se terminer dans la pire des débâcles. Cette fois, pas de mansuétude, pas de quartier : les Alliés vont se débarrasser purement et simplement du trop embarrassant Ogre de Corse en l'envoyant sur l'île de Sainte-Hélène, où il disparaîtra le 5 mai 1821. En France commence alors une épuration politique où chacun tente de se racheter une conduite et parfois, une conscience. On gratte poliment les abeilles impériales pour faire réapparaître les fleurs de lys royales, Louis XVIII revient aux Tuileries, couchant dans le propre lit de l'usurpateur, pas gêné pour trois sous d'être rassis sur son trône par la force de la coalition européenne. Surtout, les ultras, menés par son frère le comte d'Artois (futur Charles X) hurlent à sa porte comme des chiens déchaînés, réclamant vengeance. Il faudra des boucs émissaires, pour étancher la soif de sang impérial soi-disant de la France mais surtout, des plus intransigeants : c'est dans ce contexte que le prince de la Moskowa, le fameux maréchal Ney, aux côtés de Napoléon à Waterloo, paiera de sa tête sa fidélité. C'est aussi dans ce contexte que les deux héros de Sylvie Yvert, d'abord simplement nommés Charles et Antoine, joueront leurs destins. L'un en sortira presque indemne, après une évasion rocambolesque imaginée par sa femme ; l'autre servira d'exemple, de leçon et sera exécuté à vingt-neuf ans, payant de sa vie sa fidélité à un idéal. 1815 est l'année des reniements et de la punition de ceux qui ne veulent pas s'en détourner. 1815 est décidément une année où tout se joue, un drame mélangé à une farce comme le dit si bien l'auteure.
Au départ, on ne sait pas qui sont Antoine et Charles. Leurs destins sont déroulés en parallèle l'un de l'autre même si l'on comprend rapidement ce qui les lie : leur adhésion à l'Empire. L'un est de naissance modeste et assiste à la chute de la monarchie et à l'ascension d'un petit général sur lequel on ne parierait pas trois sous mais qui va surprendre tout le monde. L'autre est issu de la noblesse provinciale et naît quelques années seulement avant le début de la Révolution. Il est né dans les derniers feux de l'Ancien Régime mais ne l'a jamais connu. Il fera ses armes sous l'Empire et refusera de reconnaître la Restauration, finalement proclamée par l'étranger en 1814, ce qu'il considère comme une tromperie. La force de sa conviction le forcera à se rallier, en mars 1815 à Napoléon, qu'il n'admire pourtant pas mais qu'il préférera toujours cent fois à un pouvoir fantoche manipulé par une coalition européenne.Le ralliement du 5e d'infanterie de ligne à l'Empereur, le 7 mars 1815 (Charles de Steuben, 1818)
Antoine et Charles ont, en apparence, des destinées radicalement différentes. Pourtant, en 1815, ils paieront tous les deux leurs fidélités à l'Empire. On le sait, dans les périodes de fortes tensions politiques, des épurations parfois sommaires ont lieu. Il faut des coupables et on les prend où on les trouve, tant pis s'il y'a plus coupables que les coupables. L'un d'entre eux le paiera de sa vie : sa femme, sa famille, ses connaissances ne lui seront finalement d'aucun secours et c'est avec courage et panache qu'il se présentera devant le peloton d'exécution. L'autre verra tomber autour de lui tous les séides de l'Empereur en attendant son tour : il faudra toute la force et l'amour de son épouse pour s'en sortir.
C'est l'histoire de Charles Angélique François Huchet de La Bédoyère et de Antoine-Marie Chamans, comte de Lavalette que Sylvie Yvert nous raconte ici. Je vous laisse le soin d'aller vous renseigner sur internet pour en découvrir un peu plus sur eux si vous le souhaitez ou alors, lisez le roman, c'est plus simple : d'ailleurs, si je peux me permettre un conseil, je crois qu'il est intéressant de commencer le roman sans rien savoir de ces deux personnages finalement peu connus, en comparaison de tous les autres qui gravitent dans le roman.
Car c'est véritable la grande Histoire qui prend corps ici. Ce roman est digne d'un péplum, c'est une grande fresque que j'ai pris un grand plaisir à savourer. Ma vision de l'Histoire se rapproche beaucoup de celle de l'auteure, j'ai l'impression et je me suis sentie rapidement en communion avec ce roman, qui m'en a rappelé un autre, excellent au demeurant, que j'ai lu l'année dernière : L’Été des Quatre Rois, de Camille Pascal.
Dans ce roman, on croise donc tout ce beau monde de 1815, tous les courants politiques : les libéraux, les royalistes bon ton, les ultras, les modérés, les bonapartistes, les jacobins. Dans ce flot de personnages plus ou moins insignifiants, la figure charismatique de Napoléon se détache, d'autant plus criante que son rival n'est qu'un pauvre roi âgé et podagre qui peut à peine marcher. On y croise aussi Joséphine de Beauharnais, la première impératrice, sa fille Hortense, reine de Hollande par son mariage avec Louis Bonaparte, l'un des frères de Napoléon, Fouché et Talleyrand (que Chateaubriand compare avec brio au vice s'appuyant au bras du crime), le roi Louis XVIII donc, son frère le futur Charles X, leur nièce, la pauvre Madame Royale seule survivante du Temple, enfermée dans une tristesse sans nom depuis des années. On y croise aussi des femmes exaltées et des hommes pour qui fidélité n'est pas un vain mot.
Quand on dit que la réalité dépasse souvent la fiction, c'est vrai : est-ce qu'un romancier aurait pu imaginer une année telle que 1815 ? Il n'y a bien que l'Histoire des hommes capable de concentrer en si peu de temps de tels événements. On qualifierait un roman racontant de tels événements d'être peut-être un peu trop romanesque, justement, peut-être pas très crédible : ils n'en sont donc que plus puissants et plus percutants quand on sait qu'ils ont tous existé et se sont succédé, tourbillonnants, en quelques mois seulement.
Je ne suis pas spécialement intéressée par l'Histoire du XIXème siècle, c'est peut-être la période historique qui me parle le moins avec l'Antiquité...du moins pour ce qui est des régimes qui se succèdent et des courants politiques qui émergent : j'aime l'Histoire sociale du XIXème siècle mais nettement moins son Histoire politique et je reste hermétique à l'épopée napoléonienne. Certes, on ne peut pas enlever son génie au personnage mais j'avoue que son destin ne me captive pas. Sylvie Yvert est parvenue, avec un roman de moins de 500 pages mais qui m'a donné l'impression de lire un véritable pavé, à me passionner comme jamais avant je ne l'avais été pour cette époque ! Vous pouvez lire un pavé de 1000 pages pleines de vide ou, au contraire, un roman plus modeste au premier abord mais qui se révèle d'une richesse rare à chacune de ses pages. C'est le cas d'Une Année Folle, qui confirme décidément le très bon ressenti que j'avais éprouvé en lisant Mousseline la Sérieuse, il y'a deux ans et demi.En Bref :
Les + : C'est palpitant, c'est vivant ! On entend le bruit de la cavalcade des sabots, le roulement des tambours des pelotons d'exécution, les sanglots des veuves... 1815 est une année tournant, un virage à 180 degrés. Rien jamais ne sera plus pareil après cette année. 1815, année héroïque brillamment racontée ici par Sylvie Yvert, l'auteure inspirée de Mousseline la Sérieuse. Un vrai régal.
Les - : Aucun, bien évidemment ! ;)
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Par ALittleBit le 14 Mars 2021 à 16:08
« Aujourd'hui, quand je revois la manière dont les choses se sont passées, je me dis qu'il aurait fallu faire autrement. J'étais tendu vers un but. Il m'a aveuglé. Je suis passé à côté de ce que j'aurais dû voir et combattre. En aurais-je eu le courage ? Je ne sais pas. »
Publié en 2017
Editions Le Livre de Poche
474 pages
Résumé :
Manhattan, 1969 : un homme rencontre une femme.
Dresde, 1945 : sous un déluge de bombes, une mère accouche d'un petit garçon.
Avec puissance et émotion, l'auteur nous fait traverser ces continents et ces époques que tout oppose : des montagnes autrichiennes au désert de Los Alamos, des plaines glacées de Pologne aux fêtes new-yorkaises, de la tragédie d'un monde finissant à l'énergie d'un monde naissant...Deux frères ennemis, deux femmes liées par une amitié indéfectible, deux jeunes gens emportés par un amour impossible sont les héros de cette fresque flamboyante.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Entre 1945 et les années 1970, l'histoire d'une famille allemande déchirée par la tragédie et par la guerre.
En 1969, le jeune Werner Zilch, entrepreneur new-yorkais motivé et décidé à faire fortune sans rien devoir à personne, rencontre une jeune femme dans un restaurant. Il ne le sait pas encore, mais cette rencontre va changer sa vie et pas simplement sa vie amoureuse.
En 1945, sous une pluie de bombes, dans une Dresde ravagée par les missiles alliés et menacée par l'avancée des troupes russes, une jeune femme donne naissance à un petit garçon : elle a juste le temps de le nommer et de le confier au médecin qui l'a accouchée avant de mourir.
C'est difficile de résumer ce roman sans trop en dire, je trouve. Le meilleur moyen de s'en faire une idée, c'est de le lire, bien évidemment... mais comment vous en parler pour vous donner envie sans trop vous en dire non plus et ainsi, gâcher votre curiosité ? Alors même que je suis en train d'écrire ces mots, je ne sais pas du tout à quoi va ressembler la suite de cette chronique.
On va commencer directement, une fois n'est pas coutume, par mon ressenti, avant d'en dire plus...Déjà, je dirai que je n'ai pas trouvé dans ce livre ce à quoi je m'attendais à la lecture du résumé. Est-ce que je m'attendais à quelque chose d'autre ? Oui. Enfin, disons, que je ne m'attendais pas à un récit comme celui-là, clairement. Est-ce que je le regrette ? Assurément, non. J'aurais pu être déçue, justement, de ne pas voir mes attentes satisfaites. Au final, je ne l'ai pas du tout été et j'ai trouvé ce récit d'une puissance rare. Vous lirez des avis mitigés sur internet : le thème qui fait vendre, le personnage principal masculin insupportable, le récit cousu de fil blanc. Que le thème fasse vendre, c'est un fait. Que le personnage de Werner soit parfois un peu insupportable, c'est vrai aussi (en même temps, un mec de vingt-cinq ans ultra sûr de lui et qui profère des énormités machistes dans les années 1970, ça courrait les rues, non ?). Ensuite, que le récit soit cousu de fil blanc...bon, je crois que c'est à l’appréciation de chacun. Personnellement, je n'avais pas forcément vu venir les rebondissements des derniers chapitres.
Je ne m'étais pas non plus forcément attendue à la puissance des premiers chapitres : à la lecture de plusieurs résumés, je savais ce que j'allais y trouver mais honnêtement, j'ai été percutée et j'ai mis quelques secondes avant de redescendre. C'est violent, incisif et l'auteure ne ménage pas ses lecteurs. C'est la Seconde guerre mondiale dans toute son horreur, mais le prisme est légèrement déplacé ici : pas question de parler de la France, de l'Occupation, de la Résistance ou du Blitz, des sujets effectivement vus et revus, mais bien de la défaite de l'Allemagne en train de se jouer. Nous sommes au début de 1945, à quelques mois de l'armistice. L'Allemagne est cernée par les Alliés et par l'Armée rouge : au mois de janvier, les premiers camps de la mort sont libérés, on découvre avec stupéfaction et effroi les horreurs qui y ont été commises pendant toute la guerre...et surtout, de nombreuses villes allemandes sont prises sous le feu des bombes britanniques. Dresde n'y échappe pas : du 13 au 15 février 1945, la RAF, avec l'appui de l'aviation américaine, lâche pas moins de 650 000 bombes incendiaires et explosives sur la ville. A ce jour encore, le nombre exact de morts n'est pas connu et oscille entre 35 000 et 50 000 morts, ce qui est considérable. L'Allemagne du IIIème Reich est finie mais tandis que les hauts dirigeants, pour échapper à l'ennemi, se suicident à l'abri de leurs bunkers, comme le fera Hitler en avril 1945, c'est la population qui trinque. C'est dans cette horreur sans nom, dans cette ville qui n'en a plus que le nom, ce joyau baroque qui n'existe plus en quelques heures, que Werner naît. Oui, vous aurez compris que je ne vous révélerai pas le scoop de l'année : dès la lecture du résumé, on comprend que le jeune homme de 1969 et le bébé de 1945 sont bien la seule et même personne. Werner, donc, dont on va remonter l'histoire petit à petit, pour comprendre. Comprendre le drame d'une famille, bien évidemment bouleversée par la guerre mais aussi par des griefs et des rivalités plus personnelles qui n'ont rien à voir avec elle.La ville de Dresde après les bombardements de février 1945
J'ai aimé ce changement de point de vue : je crois que je peux compter sur les doigts d'une main les romans que j'ai pu lire et qui traitaient de la Seconde guerre mondiale et qui se concentrent sur l'Allemagne. Pourquoi ? Un fond de rancœur ? Un reste de pudeur à évoquer les souffrances d'un peuple qu'on considérait alors comme l'ennemi irréductible ? Par sa proximité avec nous, il est difficile effectivement de s'approprier ce sujet avec une objectivité froide. On va forcément y mettre un peu de nous, des souvenirs de nos proches, parce qu'on a tous un grand-père, une grand-mère qui a bien connu cette époque et qui nous l'a racontée. Ou pas. Et je crois qu'on se forge aussi notre sentiment profond avec ces paroles ou l'absence de ces mots, justement, ce silence qui pèse ; parce que la Seconde guerre est une guerre totale, avec des fronts flous, sans arrière, parce que chacun est touché et risque sa vie, parce qu'il n'y a pas que les soldats qui vont au charbon, comme on dit et que certains jeunes gens réfractaires vont s'improviser guerriers avec des fusils de fortune et quelques bouts de ficelle, et parce que pour la première fois la xénophobie est élevée au rang d'une idéologie sur laquelle on assoit des régimes, cette guerre est décidément bien différente de celle qui l'a précédée, même si l'horreur reste la même. Et on oublie bien souvent que le peuple allemand a été victime lui aussi de cette horreur. On oublie qu'il est peut-être même la première victime du nazisme. C'est ce que montre bien l'auteure dans ce roman : il y'a ceux qui ne se posent pas de questions parce qu'ils n'entendent rien à la politique, ceux qui vont adhérer à l'idéologie parce qu'ils n'auront pas le choix et enfin, ceux, impardonnables, qui vont y adhérer par conviction ou pour assouvir de bas instincts. Mais au final, combien sont-ils, les vrais convaincus et combien sont-ils ceux qui ont subi ? Les seconds sont certainement les plus nombreux. Dans cette Allemagne qui est sur le point de capituler, qui perd un à un ses dirigeants, la population, les femmes, les enfants, les plus âgés, sont les premières victimes du rouleau compresseur qui est en train de réduire le pays à néant, bouleversant des vies à jamais.
La vision de l'auteure m'a plu. Elle ne cherche jamais à excuser mais elle nuance toujours et j'ai apprécié ce parti-pris, l'idée qu'il est facile de juger des années plus tard mais pas toujours évident de faire les bons choix à l'instant T.
En parallèle, la double-temporalité du récit permet aussi d'aborder un monde plus léger, celui du gratin new-yorkais de la fin des années 60 et du début des années 70 : du psychédélisme de la Factory de Wharol aux belles demeures de la Cinquième Avenue, nos personnages s'étourdissent dans une vie tourbillonnante et menée à cent à l'heure, dans une époque encore optimiste où tout semble facile. Werner et son ami et associé Marcus sont les purs produits du rêve américain, des self-made-men qui s'élèvent à force d'ambition et de travail ; la sœur de Werner, Lauren, est une avant-gardiste, hippie et écolo avant la lettre tandis que Rebecca, la petite amie de Werner, est issue de cette aristocratie américaine basée sur la finance et l'industrie, vit fastueusement au milieu de montagnes de billets tout en étant artiste et souhaitant vivre de son art. On alterne donc, tout au long du récit, entre la noirceur d'un monde finissant en plein marasme et les paillettes d'une ville en pleine expansion, à une époque où la vie semble tellement plus facile et plus belle - sans être exempte de ses parts d'ombre pour autant et de ses fantômes.
Comme dans le roman Lola Bensky, de Lily Brett, qui abordait avec pudeur les traumatismes enfouis des enfants de déportés, on découvre ici que les tragédies se transmettent et les traumatismes aussi. Et c'est dans la douleur des révélations, dans la sidération aussi qu'elles peuvent produire, que Werner va peu à peu comprendre qui il est, se stabiliser et arrêter de voler d'un projet à un autre, d'une femme à une autre, pour se construire et comprendre d'où il vient, une préoccupation tellement humaine et qui peut devenir tellement dévorante et tellement destructrice.
J'ai donc beaucoup aimé ce roman, même si le début ne présageait rien de bon : il m'a laissé une drôle de sensation, un sentiment étrange et un peu désagréable, il m'a secouée aussi. Je me suis dit à un moment que ce roman n'était peut-être pas fait pour moi mais j'ai persévéré : je n'aime pas abandonner un livre et, d'ailleurs, je n'en avais pas envie. Au pire, je me suis dit, tu seras déçue. Non seulement je ne l'ai pas été mais j'ai trouvé dans ce roman une teneur, une densité, un récit que je n'attendais pas. Donc, en conclusion, une bien belle découverte, qui abordent des sujets qui me parlent et une époque historique pour laquelle j'ai un certain intérêt. Le changement de point de vue, braqué sur l'Allemagne de 1945, m'a beaucoup intéressée et surtout, j'ai trouvé que l'auteure se débrouillait bien avec un sujet pas simple, sans tomber dans l'écueil du manichéisme, du trop facile et du consensuel. Le Dernier des Nôtres est donc un bon roman historique mâtiné d'un secret qui créé du suspense et, qui évidemment, pique la curiosité.En Bref :
Les + : un sujet intéressant et bien maîtrisé par l'auteure, comme les mots qu'elle manie avec habileté. Une double-temporalité intéressante et qui renvoie dos à dos deux époques, un monde finissant et un autre où le champ des possibles est vaste. C'était sympa et peut-être même un poil trop court pour moi !
Les - : pas vraiment de points négatifs à soulever. Certes, les premiers chapitres, surtout ceux traitant des bombardements de Dresde, m'ont laissé une drôle de sensation...mais ce n'est qu'un avis absolument personnel et donc subjectif, d'autant plus qu'il s'est rapidement dissipé.
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Par ALittleBit le 2 Mars 2021 à 15:38
« C'est un miracle que même dans les pires moments, le cœur humain continue ainsi de battre. »
Publié en 2020 en Angleterre
En 2021 en France (pour la présente édition)
Titre original : The City of Tears
Editions Sonatine
542 pages
Résumé :
Une famille plongée dans l'enfer de la Saint-Barthélemy : l'Histoire de France comme vous ne l'avez jamais lue !
1572. Depuis dix ans, les guerres de Religion ravagent la France. Aujourd'hui, enfin, un fragile espoir de paix renaît : Catherine de Médicis a manœuvré dans l'ombre et le royaume s'apprête à célébrer le mariage de la future reine Margot et d'Henri, le roi protestant de Navarre.
Minou Joubert et son époux Piet quittent le Languedoc pour assister à la cérémonie. Alors que la tension est déjà à son comble dans les rues de Paris, on attente à la vie de l'amiral de Coligny. C'est le début du massacre de la Saint-Barthélemy. Précipités dans les chaos de l'Histoire, Minou et Piet sont sur le point de prendre la fuite quand ils découvrent la disparition de Marta, leur fillette de sept ans...
Après La Cité de feu, Kate Mosse nous propose une nouvelle fresque historique et familiale pleine de rebondissements. Du Paris de la Saint-Barthélemy à Amsterdam en passant par Chartres, elle tisse sa toile et le lecteur, captivé, regarde s'écrire l'Histoire.Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Dix ans ont passé depuis que Minou Joubert a appris le secret entourant sa filiation et sa rencontre avec Piet Reydon, un jeune huguenot franco-hollandais. Installés à Puivert, un écrin préservé des Pyrénées, ils coulent des jours paisibles au milieu de leur famille et avec leurs deux enfants, Marta et son jeune frère, Jean-Jacques.
Mais en cette année 1572, un événement de taille se prépare : pour sceller la fragile paix de Saint-Germain, ratifiée en 1570, la reine-mère Catherine de Médicis a eu l'idée de marier sa fille de dix-neuf ans, Marguerite de Valois, avec Henri de Navarre. Ce mariage princier est mixte, puisque la jeune Marguerite est catholique tandis que son promis a été élevé dans les austères montagnes béarnaises dans la foi calviniste de sa mère, la reine Jeanne d'Albret. Invités au mariage royal, Minou et Piet ainsi que leur famille, se préparent donc à voyager jusqu'à Paris pour assister aux festivités prévues la semaine du 18 août 1572.
C'est dans une ville pleine à craquer et dans une atmosphère électrique, pas seulement due à la canicule, que la famille Reydon arrive aux derniers jours de juillet. La reine Jeanne d'Albret est morte quelques semaines plus tôt d'une fièvre aussi mystérieuse que subite et l'on murmure déjà, chez les protestants comme chez les catholiques, que Catherine de Médicis l'aurait peut-être fait assassiner au moyen de gants empoisonnés...Henri de Navarre, désormais roi, est arrivé à Paris flanquer de nombreux gentilshommes réformés et l'on ne sait pas bien quelles sont ses intentions : cherchera-t-il à venger sa mère ou non ? Malgré une promesse de réconciliation officielle, dont le mariage princier est le garant, la guerre n'a jamais été aussi proche à Paris qu'en cet été 1572...
C'est dans ce contexte que Minou, Piet et leurs enfants s'installent tant bien que mal à Paris, bien déterminée à y rester le moins de temps possible. Le 18 août, la princesse Marguerite consent du bout des lèvres à épouser Henri de Navarre. Paris s'étourdit de fêtes et de réjouissances mais ce n'est que façade. Le 22, dans la rue de Béthisy, alors qu'il regagne son hôtel particulier, l'amiral Gaspard de Coligny, protestant mais conseiller très écouté du roi Charles IX, faveur qu'il dispute à la famille de Guise, est blessé par balles et ne s'en sort que miraculeusement avec une blessure à la main et au bras. L'attentat, perpétré probablement par un homme de main des Guise depuis une maison leur appartenant, met le feu aux poudres. Dans la nuit du 23 au 24 août, Paris s'embrase : commence ce que l'Histoire retiendra comme le Massacre de la Saint-Barthélémy, l'horreur d'une ville en proie à ses démons, une simple décision politique se transformant soudain en une boucherie et un déchaînement de violence d'une frange de la population contre une autre.
Minou et Piet doivent fuir dans une ville devenue franchement hostile aux protestants. Pourtant, ils laissent derrière eux leur petite Marta, âgée de sept ans qui, dans le courant de la journée du 22 août, est sortie discrètement pour ne jamais revenir. C'est déchirés que Minou et Piet laissent derrière eux la capitale du royaume de France, sans savoir si leur petite fille est encore vivante ou non...
Plusieurs années passent... Minou et Piet ont tant bien que mal refait leur vie à Amsterdam, la ville natale de Piet, sans jamais oublier pour autant Marta, dont le souvenir au fil du temps, s'est adouci sans jamais disparaître. Dans les années 1580, la Hollande est en passe de basculer dans les bras des calvinistes, après avoir trop longtemps supporté l'ingérence espagnole. Emmenés par le prince d'Orange, les réformés de Hollande vont s'emparer d'Amsterdam encore aux mains des catholiques... Minou et Piet sont encore une fois aux premières loges pour assister à cette convulsion de l'Histoire, mâtinée de religion et de sédition, comme c'est souvent le cas au XVIème siècle. Et nous, lecteurs, nous changeons d'angle de vue et découvrons une République du Nord un peu à part dans cette Europe du XVIème siècle, ces futurs Pays-Bas dont l'économie repose entièrement sur le commerce et sur la mer et qui sont en passe de laisser derrière eux leur passé pour embrasser leur avenir : celui d'un pays protestant, émancipé de la mainmise de la puissante et très catholique Espagne des Habsbourg. Parce que je n'ai pas eu souvent l'occasion de lire des romans se passant aux Pays-Bas ou Provinces-Unies (à l'exception de La Jeune Fille à la Perle ou encore Les Mots entre mes Mains), j'ai apprécié de me transporter ailleurs qu'à Paris ou dans le Languedoc.Estampe représentant le mariage d'Henri de Navarre et Marguerite de Valois le 18 août 1572
C'est alors que les Reydon vont recevoir une nouvelle bouleversante venue de France... Et si Marta était encore vivante ? Quant à Vidal, l'ancien ami de Piet devenu son ennemi juré, il semblerait que l'on ait enfin retrouvé sa trace après des années de disparition.
Entremêlant la grande Histoire et la petite, de rebondissements en rebondissements, Kate Mosse tisse un roman dans la droite ligne du précédent, La Cité de Feu, mais sur un temps bien plus long puisque le roman court sur plus de vingt ans.
Abordant des sujets inhérents à l'époque (les conflits religieux, le contexte politique, une Europe en pleine mutation, souvent déchirée entre catholiques et protestants) La Cité de Larmes a aussi une dimension plus universelle : le drame que traversent Minou et Piet au moment de la Saint-Barthélémy n'est malheureusement pas à reléguer dans les tréfonds d'une Histoire lointaine. De nombreux enfants disparaissent chaque année, laissant des familles plongées dans l'incertitude et dans la souffrance d'un deuil impossible, l'espoir sans cesse ravivé et souvent déçu.
Globalement, le roman est réussi. Très dense, j'ai eu l'impression qu'il faisait plus que ces cinq-cents et quelques pages. Si j'ai eu la sensation d'un début peut-être un peu lent à démarrer, je crois surtout que cette impression et ce que j'ai pris pour un manque d'intérêt était peut-être plutôt dû à mon propre rythme de lecture qu'au roman en lui-même. Lorsque j'ai pris un rythme de croisière me convenant mieux, je suis totalement entrée dans l'intrigue pour ne plus en sortir. J'ai pris un grand plaisir à découvrir ce roman, qui peut se lire indépendamment du premier mais que j'ai apprécié de découvrir dans le sillage de La Cité de Feu, lu il y'a quelques semaines. C'est avec un peu de nostalgie que je laisse derrière moi la famille Reydon-Joubert, avec presque l'espérance de les retrouver pour un troisième tome. Qui sait ?
Je soulèverai toutefois deux bémols : au-delà de deux ou trois anachronismes facilement pardonnables (Marguerite de Valois est souvent appelée Margot, un surnom qui ne lui a été donné que bien après sa mort, par les auteurs du XIXème siècle ; les jardins à la française n'existaient pas encore dans les année 1580), je voudrais surtout revenir sur cette double temporalité, qui ouvre le roman. Si vous avez lu La Cité de Feu, vous savez que les deux romans s'ouvrent à une autre époque que celle qui sera ensuite traitée tout au long de l'intrigue. Au départ, je m'attendais à retrouver cette double temporalité aussi à la fin du roman. Ce ne fut pas le cas dans La Cité de Feu...pas grave, me dis-je, puisque le roman a une suite. Seulement, je suis bien embêtée parce que la même chose se produit dans La Cité de Larmes : le roman ne s'ouvre pas en 1572, ni en France...et puis ça s'arrête là. Cette double temporalité n'est pas forcément expliquée ni exploitée et je n'ai pas forcément compris, du coup, son intérêt. Est-ce qu'elle était réellement utile pour la compréhension de l'intrigue ? Est-ce qu'il fallait absolument cette double temporalité ? Pour ma part, je n'en suis pas persuadée.
Je n'ai pas non plus été forcément convaincue par les derniers chapitres que j'ai trouvé légèrement trop...romanesques. Ou disons, un peu trop romanesques pour moi. J'avoue ne pas avoir été spécialement convaincue par cette fin qui me laisse perplexe. C'est un peu dommage parce que je ne ressors pas de ma lecture pleinement convaincue, du coup, mais l'essentiel est malgré tout de refermer le roman avec le sentiment d'avoir fait une bonne découverte et ce fut le cas.Une scène du Massacre de la Saint-Barthélémy : l'assassinat de Briou, gouverneur du prince de Conti le 24 août 1572 (Joseph Nicolas Robert-Fleury, XIXème siècle)
En Bref :
Les + : l'histoire d'une famille emportée dans les tourbillons de l'Histoire et un drame intime, un voyage entre la France des Valois et les Provinces-Unies qui s'apprêtent à faire un choix crucial... sillonner l'Europe du XVIème siècle dans les pas de Minou et Piet était bien sympa.
Les - : la fin m'a laissée perplexe et a peiné à me convaincre parce qu'un peu trop romanesque. Enfin, cette double temporalité du départ ne cesse de me questionner : pourquoi ? Je n'ai pas eu de réponse et malheureusement n'en comprends pas spécialement l'intérêt. Pour moi, elle est superflue, le reste de l'intrigue se suffisant amplement à lui-même.
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