• « En politique, elle ne savait qu'une chose : le sort des princesses, soumises aux volontés de leur père, transplantées d'un pays à l'autre contre leur gré, mariées de force à de parfaits inconnus, sacrifiées au bien de leur Etat, n'était guère enviable. »

    Madame l’Étrangère : La Princesse Palatine ; Jacqueline Duchêne

    Publié en 2001

    Editions JC Lattès 

    285 pages 

    Résumé : 

    1671. La princesse Palatine Elisabeth-Charlotte de Bavière arrive en France pour épouser le duc d'Orléans, Monsieur, frère du roi. Elle sait qu'elle aura, au cœur de la cour la plus brillante d'Europe, le titre prestigieux de Madame, mais que l'homme à qui elle est promise n'aime pas les femmes.
    La Palatine devra lutter. Contre la mélancolie de l'expatriation, contre les complots des favoris de son mari. Subir aussi la volonté de Louvois, décidé à détruire « son » Palatinat. Affronter l'hostilité de la Maintenon qui intrigue, contre les enfants de Liselotte, en faveur des bâtards de la Montespan.
    Au milieu de tous ces tourments, la complicité de Louis XIV est le seul rayon de soleil de la Palatine. Le franc-parler de l'étrangère, son insolence, son goût de la chasse et de la vie plaisent infiniment au monarque, quand il n'est pas contraint par ses maîtresses de prendre ses distances avec elle.
    La Palatine vit, la Palatine résiste et surtout, la Palatine écrit des centaines de lettres pleines d'esprit et témoignant d'un sens aigu de l'observation. Et c'est à partir de cette correspondance mordante que Jacqueline Duchêne a construit ce roman d'une belle intensité, qui met en lumière l'une des femmes les plus attachantes du Grand Siècle - et la plus surprenante.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1671, Élisabeth-Charlotte de Bavière, fille de l'électeur palatin, arrive en France pour y épouser Philippe, dit Monsieur, le frère unique de Louis XIV. Veuf depuis dix-huit mois d'Henriette d'Angleterre, il est urgent pour le prince de se remarier pour avoir enfin des fils.
    C'est dans un monde étrange que débarque la jeune femme de dix-neuf ans : guindée à outrance, la Cour de France est dépaysante et même un peu effrayante pour une jeune femme simple qui n'aime rien tant que la chasse, la bière et le chou ! Dans cette Cour où tous ses faits et gestes sont scrutés, décortiqués, commentés, où les louanges hypocrites le disputent aux critiques les plus assassines il va falloir à celle que l'on surnomme la Palatine ou Liselotte beaucoup de courage surtout que son mari Philippe est assujetti à des favoris qui ont la haute main sur sa maison et voient arriver sa deuxième femme comme une intruse. Heureusement, Madame pourra compter sur son beau-frère, le roi, avec qui elle entretiendra toujours de bonnes relations, le roi dont elle fut peut-être un peu secrètement amoureuse.
    La Palatine est un personnage historique que j'aime beaucoup, peut-être la seule personne qui, dans l'entourage du Roi-Soleil, fit preuve de sincérité et de spontanéité dans un monde où on se déchire sans cesse pour la moindre prébende, la moindre prérogative.
    J'ai cherché en vain une édition complète de sa fameuse correspondance, malheureusement la plupart de ses lettres sont encore aujourd'hui censurées et certainement le resteront, ce qui est dommage, parce que finalement, il n'y a pas meilleur moyen de cerner un caractère qu'en le lisant.
    Car la princesse Palatine, en plus d'être un éminent personnage historique, témoin de premier plan du siècle de Louis XIV, est aussi une épistolière de renom, une véritable conteuse, dotée d'un style de qualité et unique.
    Pour moi, elle est attachante pour plein de raisons : cette sincérité à toute épreuve au milieu d'une mer de fausseté et d'hypocrisie, d'une part ; son amour presque juvénile pour le roi et qui ne se démentira jamais, d'autre part ; enfin pour cette droiture qu'elle gardera toute sa vie malgré tout ce qu'elle a traversé au cours de sa longue existence.
    Née en 1652, à Heidelberg, fille de l'électeur palatin Charles-Louis de Bavière, séparée toute jeune d'une mère peu aimante et relativement indifférente, mise en concurrence avec les nombreux bâtards de son père, souvent à son désavantage, mariée à dix-neuf à un homme de douze ans son aîné et homosexuel notoire, arrachée à son pays natal et à sa tante bien-aimée Sophie -la mère du futur roi d'Angleterre George Ier-, puis en butte à la Cour aux jalousies et aux hostilités de coteries en tout genre, on ne peut pas dire que la longue existence de la Palatine fut une promenade de santé, bien au contraire et c'est ce qu'illustre assez bien ce roman : à croire que la place de belle-sœur du roi est maudit et vouée, pour celle qui l'occupe, au malheur.

     

    Description de cette image, également commentée ci-après

     

    Madame, belle-soeur de Louis XIV en 1713 (Hyacinthe Rigaud et atelier)


    Malgré tout, Madame ne s'en tirera pas trop mal. Remplaçant souvent auprès du roi la reine Marie-Thérèse, qui ne fut jamais à la hauteur de son rôle, Madame fut à plusieurs reprises représentante et première dame du royaume. Elle sut s'attirer une amitié sincère et durable de la part du roi, enfin, elle donna à son époux le fils tant attendu, le futur Régent (Philippe d'Orléans). Par ses enfants, elle est l'ancêtre directe de la branche des Orléans donc de l'actuelle famille prétendante au trône de France mais aussi des Habsbourg d'Autriche et donc de Marie-Antoinette et de tous les descendants de la fameuse Marie-Thérèse. Issue d'une puissante famille du Saint-Empire, elle est cousine avec la famille de Hanovre qui hérite en 1714 de l'Angleterre. Madame est un personnage incontournable, finalement quand on y pense. Dans le roman, le récit démarre en Alsace à la fin de l'année 1671, quand Liselotte arrive en France. On va la suivre ensuite jusqu'à l'automne de sa vie, exactement jusqu'en 1715, juste après la mort du roi. Quand on pense à elle, en général -en tous cas c'est le cas pour moi- c'est le tableau de Rigaud qui vient à l'esprit, où l'on peut y voir une femme d'un certain âge, imposante, bien vêtue mais pas vraiment belle, le teint marqué par les chasses au grand air et une petite vérole tardive, les cheveux blanchis... J'ai aimé du coup la découvrir jeune, toute nouvelle dans un royaume qu'elle ne connaît pas et dont elle va devoir apprivoiser les codes. On la découvre ensuite jeune épouse, pas vraiment heureuse puis jeune mère, attentive à ses enfants comme de ses belle-filles, les filles de Monsieur et d'Henriette d'Angleterre, dont elle se séparera à regret.
    Quand on lit ce roman, ce qui ressort surtout de la personnalité de Madame, c'est une simplicité sans affectation, une véritable authenticité et un besoin assez irrépressible d'aimer et d'être aimée en retour, conséquence peut-être d'une enfance relativement solitaire et de l'absence de ses parents.
    Madame a une personnalité, une présence mais elle est foncièrement sympathique. On peut avoir de l'intérêt pour Louis XIV, pour Madame de Maintenon, pour Madame de Montespan et j'en passe...mais ce ne sont pas des personnages que l'on va trouver forcément sympathiques...Ils en imposent et une certaine distance s'installe, que même l'Histoire ne transcende pas, au contraire. Pour la princesse Palatine, c'est autre chose : elle est accessible, proche de nous. Elle a ce côté avenant qui ne la fige pas et ne la rend pas convenue.
    Peut-être Jacqueline Duchêne, par moments, ne s'est pas assez départie de la rigueur de l'historienne et n'a pas recréé, de sa plume, ce cocon chaleureux propre au roman et qui est, souvent, tellement agréable. Mais au final, le personnage de Madame se suffit assez bien à lui-même : elle est attachante envers et contre tous. Elle est forte, parfois un peu fantasque, pleine d'un naturel désarmant et d'un furieux besoin de rendre ce qu'on lui donne. L'hostilité dont elle a pu être la cible à la Cour serre le coeur par moment parce qu'on se dit que Madame n'était pas mauvaise. Certes, elle avait coutume de dire -et surtout d'écrire- ce qu'elle pensait, ce qui souvent, attire des ennemis, on le sait. Pour autant, avec le recul, on ne peut s'empêcher de penser que Madame était peut-être, dans toute cette foule grouillante et compassée, rampant avec servilité aux pieds du monarque, de ses maîtresses puis de la toute-puissante Madame de Maintenon -que Madame surnommait avec beaucoup d'amitié et de chaleur « la vieille conne » ou encore « la vieille guenipe »-, la seule personne suffisamment lucide pour voir les limites et les contradictions du monde courtisan. D'ailleurs, elle n'en fera jamais vraiment partie et c'est ce qui fait d'elle un personnage différent et intéressant.
    Son expérience d'historienne a évidemment permis à Jacqueline Duchêne de saisir ce personnage dans toute sa complexité et de la repositionner dans un contexte qui, de part sa position éminente dans la famille royale, la concerne au premier chef, que ce soit les ravages de son Palatinat natal par les troupes françaises jusqu'au coup d'Etat de son fils, Philippe, pour prendre en mains la régence du jeune Louis XV, en 1715.
    Ce roman m'a donné envie de me plonger dans une biographie de la princesse Palatine. C'est une très bonne introduction et une fiction historique de qualité, servie évidemment par la formation initiale de son auteure : je ne doutais pas, en commençant ce roman, d'être absolument satisfaite...c'est tellement agréable de lire un roman historique sans erreur ni approximation (parce que malheureusement, ils sont légion). Pour autant, étant donné que c'est un roman justement, l'auteure n'a pas toujours pu développer ni expliciter. Cette lecture va me permettre de rebondir sur un ouvrage peut-être plus scientifique mais Madame l’Étrangère permet cependant d'aborder dans son ensemble ce personnage étonnant qu'est la Princesse Palatine.
    Mon amour des romans historiques n'a, au cours de cette lecture, absolument pas été déçu

    En Bref : 

    Les + : roman historique plaisant et bien écrit, Madame l’Étrangère nous fait découvrir l'intimité et les pensées les plus secrètes de cette princesse allemande devenue l'une des premières dames de France à l'époque du Roi-Soleil. 
    Les - : Aucun. 


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  • « Tôt ou tard, on a tous besoin de faire une halte. Ce n'est jamais une perte de temps. »

    Les Héritiers de Kervalon ; Inès de Kertanguy

     

    Publié en 2015  

    Editions Le Livre de Poche 

    712 pages 

    Résumé :

    Les Kervalon forment à l'aube du XXe siècle une grande famille, fière de ses valeurs et de ses traditions. Apolline n'a que dix ans lorsque sa mère, la baronne de Saint-Eliph, née Kervalon, meurt en couches en mettant au monde son troisième enfant. La fillette grandit entre Paris et le manoir familial, avec son frère et sa sœur, entourée de ses nombreux cousins, avant que la Première Guerre mondiale fasse d'elle une très jeune veuve. Elle élève ses deux enfants dans un monde où les repères s'effondrent et où les femmes apprennent enfin à vivre pour elles-mêmes. D'une guerre à l'autre, les Kervalon poursuivent tous des desseins très différents. Mais jamais ils n’oublient leurs racines. Jusqu'à la lecture du testament de l'oncle... Espérances déçues, batailles fratricides et secrets de famille : dans la tourmente d'un siècle en pleine mutation, Inès de Kertanguy brosse un passionnant tableau de l'aristocratie française.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Ce roman d'Inès de Kertanguy aurait pu être sous-titré : Chroniques de l'aristocratie française au début du XXème siècle, car c'est véritablement cela qu'elle nous propose, tout au long des sept cents pages que compte ce récit.
    Présent dans ma PAL depuis août 2017, Les Héritiers de Kervalon y est arrivé un peu par hasard, surtout parce que le résumé me rappelait Downton Abbey, en fait. Mais un Downton Abbey qui se passerait en France et cela a immédiatement fait tilt ! Les auteurs anglo-saxons sont très forts pour nous raconter cette époque-là, dans de grandes fresques historiques et familiales : je pense notamment à Barbara Taylor Bradford, avec sa saga Cavendon ou encore à Helen Simonson et son Été avant la Guerre. On pense moins aux auteurs français et pourtant, en premier lieu, après avoir songé à la fameuse série de Julian Fellowes, c'est la saga Les Semailles et les Moissons d'Henri Troyat qui m'est venue à l'esprit. Et, effectivement à la lecture des Héritiers de Kervalon, j'ai retrouvé un peu de cette ambiance que j'avais beaucoup aimée dans les quatre romans de Troyat, même si ses héros n'ont absolument rien à voir avec ceux d'Inès de Kertanguy.
    Déjà, commençons par poser l'intrigue : celle-ci va courir sur plus de quarante ans et démarre au tout début du XXème siècle, en 1906 très exactement. Nous sommes à Paris, où le baron et la baronne de Saint-Eliph s'apprêtent à accueillir leur troisième enfant. Seulement, la baronne Aurore de Saint-Eliph meurt des suites de son accouchement, laissant la nouvelle-née, Anne-Sophie mais aussi deux enfants plus grands, Apolline, dix ans et Auguste, douze. C'est un grand bouleversement, comme on peut s'en douter, dans la vie des deux enfants mais aussi dans celle de leur père. Leur existence va alors se partager régulièrement entre Paris, où le baron possède son usine de chapeaux, qu'il dirige et la Normandie, où Apolline et Auguste, auprès de leur oncle Anastase et de leur tante Jeanne ainsi que leurs cousins, vont retrouver un semblant d'équilibre, dans une ambiance familiale, aimante et chaleureuse.
    C'est donc à travers le prisme de ces deux familles, les Kervalon -de bonne et ancienne noblesse bretonne- et les Saint-Eliph -de noblesse plus récente puisque d'Empire-, que nous allons travers les premières décennies du XXème siècle, riches en événements et bouleversements de toutes sortes. Les générations se succèdent et les enfants d'hier deviennent les adultes d'aujourd'hui tandis que les enfants d'aujourd'hui seront les enfants de demain et préfigurent l'avenir. Sur plus de quarante ans se déroulent les existences parallèles des différents personnages : je n'ai pas vraiment eu l'impression qu'il y'ait un héros ou une héroïne qui se démarquent du lot...certes, on suit beaucoup Apolline puis Apolline et ses enfants mais j'ai eu l'impression que l'auteure privilégiait chacun de ses personnages et cet attachement que j'ai ressenti rapidement pour Apolline, je l'ai aussi ressenti pour les autres personnages. Ils m'ont tous plu parce qu'ils sont tous différents, abordent et vivent les événements de diverses manières, pensent aussi l'avenir de manière conservatrice ou alors, au contraire, totalement nouvelle et avant-gardiste.
    Et finalement, c'est intéressant que l'auteure ait choisi de mettre en scène dans son récit deux familles nobles, certes d'extraction différente mais qui connaissent les mêmes bouleversements et, par certains aspects, la même remise en cause de leur mode de vie : les grands domaines deviennent des gouffres financiers, les coutumes ancestrales de la noblesse française sont mises à mal par la modernité galopante qui gagne l'Europe dans cette première moitié du XXème siècle. Les femmes s'émancipent, les plus jeunes veulent voir du pays, on se met à travailler... Et là-dessus viennent se greffer les deux grands conflits de 14-18 et 39-45, qui vont faucher la jeunesse et ses rêves, laissant des centaines de veuves et d'orphelins. Aucune famille ne sera épargnée ni par la première ni par la seconde Guerre Mondiale et les épreuves traversées par les Saint-Eliph comme par les Kervalon sont identiques à celles de nos propres familles... Les joies aussi, d'ailleurs, les peines, les déceptions sont les mêmes... Au-delà de ce portrait circonstancié de l'aristocratie française du début du XXème siècle, c'est surtout une grande et belle description de cette France qui n'existe plus aujourd'hui mais qui a tant de charme -les prénoms délicieusement surannés des différents protagonistes nous font dès les premières pages plonger dans une époque révolue.
    J'ai trouvé cette lecture belle et bien souvent émouvante. Cette France disparue, c'était celle de nos grand-parents, de nos arrière-grand-parents...C'est évidemment un récit qui fait sens et qui fait écho en nous : quand on suit le mari d'Apolline, son frère et ses cousins, dans les tranchées de Verdun ou de la Somme, c'est aussi dans le sillage de nos aïeux que nous nous trouvons ; les prisonniers de 39-45 sont nos grand-pères, nos arrière-grand-pères... Cherchez bien dans votre arbre généalogique mais vous avez certainement un ancêtre qui a fait 14-18, un autre qui a été prisonnier ou a été résistant dans les années 40... Les femmes qui font front et se battent à leur manière à l'arrière, elles aussi, sont nos grand-mères, ces femmes et ces mères qui sont devenues soutien de famille, ont élevé les enfants, tenu les maisons et peu importe le milieu d'où elles viennent, finalement, puisque les événements sont les mêmes pour tout le monde. C'est peut-être ce côté assez universel qui m'a fait me sentir si proche des héros d'Inès de Kertanguy, au-delà, bien sûr, de leurs qualités propres.
    J'ai apprécié les voyages incessants entre les différents domaines, entre Paris et la province, j'ai aimé aussi que l'auteure ne laisse pas de côté la grande Histoire mais, au contraire, l'intègre parfaitement à son récit et fasse interagir ses différents personnages avec elle et jamais de manière trop facile. Sa vision nuancée de la Seconde Guerre Mondiale par exemple m'a vite convaincue.
    Inès de Kertanguy a insufflé beaucoup de vie et de chaleur à ses personnages et donc, de fait, à son récit qui en gagne en teneur. On quitte les personnages à l'issue des sept cents pages que compte le roman avec un peu de tristesse, une certaine nostalgie, comme une envie diffuse de découvrir ou redécouvrir sa propre histoire familiale... Leur existence est décrite avec pudeur et, même si on rentre dans leur intimité, ils gardent une part de mystère bienvenue. Peut-être la fin va-t-elle un peu vite... J'aurais presque aimé un deuxième tome pour connaître la destinée des plus jeunes qu'on laisse, à la fin du roman, à l'aube d'une ère de paix -du moins l'espère-t-on très fort- et d'une vie nouvelle.
    Ce n'est qu'à regret que j'ai tourné les dernières pages du roman. Ce n'est qu'à regret que j'ai laissé partir les personnages et c'est avec un sentiment particulier que j'achève cette lecture, avec le sentiment d'avoir été à la rencontre de personnages que je connaissais ou que j'aurais aimé connaître, comme ces aïeux que l'on voit sur les vieilles photos de famille et dont on se plaît à imaginer le destin.
    Les Héritiers de Kervalon est une grande et belle saga historique et familiale qui saura, j'en suis sûre, ravir tous les amoureux du genre. Personnellement, j'ai été absolument conquise. 

    En Bref :

    Les + : Un roman historique comme, vraiment, je les aime, ce Downton Abbey à la française ne m'a pas déçue, bien au contraire. Courant sur plusieurs décennies, Les héritiers de Kervalon nous fait découvrir des personnages attachants et sympathiques et l'auteure a travaillé son sujet, ce qui ne gâche rien
    Les - : pas vraiment de points négatifs à soulever, bien au contraire. 


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  • « La tutelle d'une fille jolie et riche peut rarement être considérée comme une sinécure. »

    Ces Femmes du Grand Siècle ; Juliette Benzoni

     

    Publié en 2017

    Editions Pocket 

    384 pages 

    Résumé :

    Agent secret de Louis XIV, dame de lettres et de pouvoir, aventurière, rebelle, épouse bafouée, intrigante ou favorite... toutes les femmes racontées ici évoluent dans l'ombre du Roi-Soleil. Toutes sont des figures emblématiques et incontournables du Grand Siècle. Alliant le souffle de l'aventure à la rigueur de l'Histoire, Juliette Benzoni redonne vie à ces personnalités exceptionnelles, qu'elles soient espionnes, maîtresses ou courtisanes, qu'il s'agisse des sœurs Mancini, de la princesses des Ursins, de la Grande Mademoiselle, d'Henriette d'Angleterre, de la marquise de Sévigné, de Louis de la Vallière ou encore de Ninon de Lenclos. Des vies singulières, romanesques et inoubliables. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    C'est connu, l'Histoire inspire. Elle ennuie, aussi...mais elle inspire. Et s'il y'a bien une auteure qui y a beaucoup puisé, c'est Juliette Benzoni. Surtout le XVIIème siècle, d'ailleurs, que l'on retrouve dans pas mal de ses romans. Il était donc presque normal qu'elle nous écrive un jour, dans la veine des Reines du Faubourg ou de Suite Italienne, un recueil dans lequel on retrouverait les figures féminines du Grand Siècle.
    Dans beaucoup de pays, le XVIIème est le Siècle d'Or et ce n'est pas n'importe quoi - ce n'est sûrement pas un hasard non plus ! En France, c'est le Grand Siècle et ce n'est pas rien non plus. Siècle d'expansion après les décennies tourmentées par les guerres de religion, chez nous, les années 1600 sont marquées par les règnes successifs des premiers Bourbons et notamment par celui, immense par la durée et par la gloire, de Louis XIV. C'est l'époque du baroque et du classicisme, de Molière, de Racine mais aussi des Précieuses, de la construction de Versailles. Paradoxalement, alors qu'on continue de marier les jeunes filles contre leur gré et que les femmes n'ont pas vraiment une place définie dans la société ou dans l'Etat, où elles sont avant tout des épouses et des mères, c'est aussi une période où l'esprit féminin va être à son apogée et surtout reconnu.
    Alors, qu'elles soient actrices, femmes de lettres, princesses ou maîtresses royales, elles ont toutes leur place dans ce livre car chacune de celles dont Juliette Benzoni a choisi de raconter l'histoire est représentative de son époque et la symbolise parfaitement. Quel est le point commun entre Mademoiselle du Parc, la marquise de Sévigné, la Grande Mademoiselle, Louise de Keroualle, Madame des Ursins ? Eh bien c'est que ce sont toutes des femmes du Grand Siècle et, chacune à son échelle, a eu un grand destin.
    Intéressant, ce petit roman nous emmène à la rencontre de ces femmes dans des chapitres courts et dynamiques. On s'attendrit, parfois on s'émerveille devant la grandeur insoupçonnée d'un destin, parfois on s’apitoie devant une succession de malheurs.
    Livre catalogue, Ces Femmes du Grand Siècle a les défauts de ses qualités : c'est une bonne introduction et un moyen comme un autre d'en apprendre plus, rapidement et facilement, sur une époque à travers des personnages marquants. Mais évidemment, chacun des chapitres est court et l'auteure n'approfondit pas. Enfin, dans ce type de livres, il est difficile de ne pas éviter les redites et les redondances et finalement, on peut ressentir une certaine frustration parce que le but n'est pas de développer, au contraire. Disons que ce sont des petits livres qui peuvent permettre de découvrir une époque sans se prendre la tête, avec la légèreté que l'aspect romanesque peut amener. Ce sont de bonnes introductions mais ça ne va pas au-delà. Quoi qu'il en soit, Juliette Benzoni a eu souvent recours au cours de sa longue carrière à ce type d'écrits : je vous citais plus haut Les Reines du Faubourg, Suite Italienne mais on pourrait aussi ajouter à la liste Dans Le Lit des Rois, son pendant féminin, Dans Le Lit des Reines mais encore Elles Ont Aimé, Tragédies Impériales, Reines Tragiques, qui ont fait partie de mes premières lectures de l'auteure, d'ailleurs... A chaque fois, elle a l'art et la manière de nous raconter des histoires et de nous faire nous évader et c'est l'essentiel.

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    Olympe, Hortense et Marie Mancini : ces trois nièces du cardinal Mazarin, italiennes d'origine, sont pourtant indissociables du Grand Siècle français (tableau du XVIIème siècle, vers 1660)


    J'ai trouvé Ces Femmes du Grand Siècle agréable à lire, j'ai pris grand plaisir à retrouver certaines figures que je connais et que j'apprécie, comme Madame de Sévigné ou encore Henriette-Anne d'Angleterre. J'ai découvert avec intérêt le destin fabuleux d'Adélaïde de Lespinay une jeune femme qui quittera tout pour suivre un ambassadeur ottoman dans son pays : un vrai conte des mille et une nuits !
    En racontant la vraie Histoire avec sa plume inimitable de romancière, Juliette Benzoni la rend vivante et chaleureuse, presque romanesque - d'ailleurs, peut-être tout n'est-il pas vrai dans ce livre mais on s'y laisse prendre et on se dit qu'après tout, peu importe, parce que c'est trop plaisant.
    J'adore le XVIIème siècle, peut-être pas autant que le XVIIIème, mais c'est une époque que j'ai toujours trouvée très fascinante, pour plein de raisons. Le XVIIème siècle français est une époque extrêmement riche, dans beaucoup de domaines et finalement, le XVIIème siècle européen l'est aussi : en Espagne, c'est l'époque flamboyante des Habsbourg, aux Pays-Bas, celle des peintres flamands.
    Malgré tout, quelques petits bémols m'ont empêchée d'apprécier pleinement cette lecture. Si j'ai trouvé le livre plus finement écrit que certains autres romans de Juliette Benzoni, toujours enlevés mais avec un style parfois un peu lourd, surtout dans les dialogues, malheureusement, il n'est pas exempt d'erreurs et je crois qu'elles auraient très largement pu être évitées. C'est vraiment dommage parce que, dans l'ensemble, le contenu est bon mais il y'a des petites maladresses qui m'ont un peu fait froncer le nez. Rien de grave en soi mais elles enlèvent un peu de qualité aux récits, à mon sens.
    Ce recueil m'a plu sans me convaincre tout à fait. Si on ne peut pas dire qu'il souffre de longueurs sachant que des chapitres courts se succèdent sans cesse, je n'ai pas forcément été tout le temps intéressée mais je me suis replongée avec plaisir, toutefois, dans l'ambiance d'une époque que j'aime beaucoup et qui m'intéresse depuis longtemps. Le XVIIème siècle est une époque passionnante que l'on n'a pas fini d'explorer et c'est formidable. Si c'est une époque qui vous intrigue, pourquoi ne pas commencer avec une lecture comme celle-ci, avant de se diriger vers des productions un peu plus précises ?

    En Bref :

    Les + : écrit finement, chaleureux comme un roman, ce recueil nous raconte une dizaine de destins absolument passionnants. 
    Les - : des erreurs qui enlèvent un peu à la qualité du livre, c'est dommage. 

     


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  • « Au bout du compte, le bonheur fait oublier l'impatience et l'attente. »

    Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat

     

    Publié en 2016

    Editions du Seuil 

    559 pages 

    Résumé :

    Juillet 1652. Dans les derniers jours de la Fronde, le duc de Beaufort, petit-fils d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, tue en duel le duc de Nemours, son beau-frère. La mort du beau Nemours laisse ruinées Jeanne Baptiste et Marie-Françoise, ses deux filles. Elisabeth de Nemours, leur mère, va dès lors tout mettre en oeuvre pour les marier. Jeanne Baptiste épouse le duc de Savoie, Marie-Françoise le roi du Portugal. Mais le sort semble s'acharner sur les deux princesses. Le mari de la première se révèle être un pervers couvert de maîtresses ; quant au roi du Portugal, la rumeur le dit fou à lier. Il faudra aux deux jeunes femmes toute leur force de caractère, dont elles ne manquent pas, mais aussi les leçons qu'elles ont tirées chacune de leur fréquentation assidue de l'école des Précieuses, pour se tirer d'une situation en apparence inextricable. Mais à quel prix ? 

    A travers le roman tumultueux de ces deux princesses devenues mantes religieuses, l'auteur des Bâtards d'Henri IV fait revivre le Grand Siècle alors à son apogée, les hauts faits de sa noblesses, mais aussi sa violence et son goût du sang. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1652, le duc de Beaufort et le duc de Nemours se rencontrent en duel. Le duel, interdit par de nombreux édits de Louis XIII et Richelieu car ils décimaient la noblesse, était sévèrement puni pour les contrevenants. Pourtant, la bouillante noblesse française du XVIIème siècle ne se pliera jamais aux édits royaux et continuera à se rencontrer sur le pré, comme on disait.
    En cette année 1652, alors que la Fronde jette ses derniers feux, ce duel oppose l'un de ses fers de lance, le fameux Beaufort, surnommé par les Parisiens « le Roi des Halles » et son propre beau-frère, époux de sa sœur Elisabeth de Bourbon-Vendôme. Or, le malheur veut que Beaufort couche raide mort le duc de Nemours dès le premier coup de pistolet, faisant de sa sœur une veuve et de ses deux nièces, Mesdemoiselles de Nemours et d'Aumale, respectivement âgées de sept et cinq ans, des orphelines.
    Ce sont ces deux jeunes filles qui seront les héroïnes du livre de Jean-Paul Desprat, Les Princesses Assassines. On croisera une multitude d'autres jeunes femmes parmi les plus célèbres du temps, des nièces de Mazarin à Madame Scarron, en passant par la belle Montespan, mais ce sont surtout Jeanne-Baptiste et sa sœur Marie-Françoise qui seront au centre du récit.
    Ces deux jeunes filles ont une ascendance prestigieuse, puisqu'elles sont descendantes directes d'Henri IV et, par là même, cousines du roi Louis XIV. Par leur père, Nemours, on peut remonter leur ascendance jusqu'à Lucrèce Borgia, la fille du pape Alexandre VI et même jusqu'à Charles VII et Marie d'Anjou. Mais le bleu de leur sang est malgré tout un peu dilué par celui de la belle et sulfureuse Gabrielle d'Estrées, leur arrière-grand-mère. Car, même si Henri IV a veillé à faire des Vendômes, ses bâtards préférés, des princes légitimés, arrivant tout juste après les enfants nés de Marie de Médicis et avant même les princes du sang et de potentiels héritiers de la couronne si la branche directe n'en a pas, ils sont mal acceptés et leur bâtardise leur est souvent jetée au visage. César, l'aîné des enfants d'Henri et de Gabrielle, s'est marié avec Françoise de Lorraine, dont il a eu plusieurs enfants : Louis, duc de Mercoeur, qui épousera une nièce de Mazarin et sera gouverneur de Provence ; François duc de Beaufort, au physique avantageux mais un peut tête à vent, que certains ont soupçonné d'être le père biologique de Louis XIV ; et Elisabeth, qui se mariera avec le duc de Nemours, cadet de Savoie -il descend de ce fameux prince de Nemours qui, sous Henri II, sera amoureux de la fameuse princesse de Clèves. Elisabeth nous intéresse au premier chef puisqu'elle est la mère des deux jeunes filles qui seront nos héroïnes tout au long du roman.
    Elevées d'abord au couvent, entre Paris et Moulins, en Auvergne, puis fréquentant les premiers bals de la jeune Cour de Louis XIV, qui n'est pas encore le Roi-Soleil et les salons de celles que l'on appellera bientôt les Précieuses, Jeanne Baptiste et sa sœur Marie-Françoise découvrent l'univers princier qui est le leur. Et, à mesure qu'elle s'épanouissent, en même temps que le règne de leur glorieux cousin, la question de leur établissement, c'est-à-dire de leur mariage, devient de plus en plus pressante. Car comment marier ces deux jeunes filles selon leur rang alors que le sceau de la bâtardise les marque ? Jeanne Baptiste et Marie-Françoise ont beau être nées d'un mariage parfaitement conforme, leur mère aussi, personne n'oublient de qui elles sont les arrière-petite-filles et que Gabrielle d'Estrées est autant leur aïeule que le bon roi Henri ! Et tandis que le roué cardinal Mazarin, conseiller d'Anne d'Autriche et de Louis XIV, manœuvre pour marier ses nièces Mancini et Martinozzi aux plus beaux partis de la noblesse française, Elisabeth de Nemours perd peu à peu la santé à s'inquiéter pour l'avenir de ses filles. Qui voudra d'elles ? Et surtout, se marieront-elles sans mésalliance ?

    Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat                                          Les Princesses Assassines ; Jean-Paul Desprat

     

    Les deux sœurs de Nemours : à gauche, Jeanne Baptiste, duchesse de Savoie, à droite Marie-Françoise, reine de Portugal (représentations contemporaines, seconde moitié du XVIIème siècle)


    Contre toute attente, le destin sera clément pour ces deux jeunes filles et leur procurera un établissement digne d'elles : Mademoiselle de Nemours, l'aînée, deviendra duchesse de Savoie en épousant Charles-Emmanuel, lui aussi descendant d'Henri IV mais légitimement, par sa mère la duchesse Chrétienne de Savoie. Et la petite et agaçante mademoiselle d'Aumale deviendra, elle, reine de Portugal puis, après avoir manœuvré habilement pour faire déposer son époux débile, en 1668, elle épousera le frère de celui-ci, don Pedro. Comme Anne de Bretagne qui fut deux reine de France, elle sera deux fois reine de Portugal.
    Elles ne seront pas heureuses. L'une mourra jeune, à 37 ans. L'autre, en 1724, à presque quatre-vingts ans, ayant vu mourir le vieux siècle et s'en ouvrir un nouveau. Mais les demoiselles de Nemours et d'Aumale sont malgré tout de brillants symboles de cette époque qui n'usurpe pas son surnom de Grand Siècle. De toute façon, à l'époque, on ne mariait pas les princesses pour qu'elles soient heureuses et elle ne seront que deux parmi bien d'autres à déchanter amèrement, après s'être nourries de récits romanesques et s'être méchamment rendu compte que la vie n'a rien à voir avec ce qu'on peut lire dans les grands romans d'amour. L'une, mademoiselle d'Aumale, parviendra à toucher du doigt le bonheur, aimera et sera aimée en retour, mais sera déçue. Sa sœur, mademoiselle de Nemours, ne trouvera jamais en Savoie que la condescendance et la froideur d'un mari qui lui impose ses maîtresses et qu'elle fera cocu à son tour et dont elle ne pleurera pas la mort.
    Ce livre de Jean-Paul Desprat -qui n'est pas un roman, ni une biographie ni un essai historique mais un peu les trois à la fois-, très riche et très dense, court sur plus de cinquante ans et déroule le fil des destins bien remplis des deux filles d'Elisabeth de Nemours qui, malgré leur naissance entachée par la bâtardise de leur grand-père César de Vendôme, ne démériteront pas et feront de très belles unions, à défaut d'être, dans le privé, bien mariées. J'ai trouvé intéressant de suivre ces deux jeunes femmes parce qu'elles sont, après tout, bien peu connues. Mariées loin de France, ces princesses ont fini par se confondre dans la longue cohorte de ces jeunes têtes couronnées que l'on a sacrifié aux raisons d'Etat. Malgré tout, elles sont nées et ont vécu à une époque où se développe un mouvement féministe avant la lettre, celui des Précieuses, dont on reconnaît encore le talent littéraire, le savoir et l'intelligence. Émules des Scudéry, Lafayette et autres Sévigné, les deux sœurs de Nemours ont été élevées à bonne école et, faisant leur l'adage « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », elles transformeront les revers en forces. Marie-Françoise, reine de Portugal en titre, tiendra fermement le pouvoir ; Jeanne-Baptiste, comme sa belle-mère Chrétienne, sera régente de Savoie après la mort de son mari et les deux soeurs se montreront, malgré les cabales, les intrigues et parfois les faux-pas, parfaitement aptes à gérer les affaires de l'Etat. A une époque où les femmes sont encore sacrifiées très jeunes à des mariages de raison, où elles ne sont que des pions sur un échiquier politique compliqué et tenu par les hommes, malgré tout se développe pour la première fois une conscience et l'idée qu'elles sont capables, idée dont elles se gargarisent dans les salons à la mode mais qui les fortifient ensuite quand elles se trouvent face à des écueils. Car les deux femmes que nous décrit là Jean-Paul Desprat sont des femmes de tête, des femmes puissantes et confiantes, qui savent ce qu'elles valent, qui elles sont et ce qu'elles veulent.
    Le livre est très riche et nécessite beaucoup de concentration. Nanti de plus de cinq-cents pages, je crois qu'elles étaient nécessaires, malgré, parfois, quelques petites longueurs. L'époque choisie par l'auteure est tellement pleine d'événements et de personnages, tous plus intéressants que les autres, que les développements sont nécessaires, pour bien tout comprendre. Après tout, ce n'est pas rien, mais le récit s'ouvre en 1652, alors que les petites Nemours sont encore des enfants et il ne s'achève qu'en 1724 ! En 1652, la Fronde se termine et le règne de Louis XIV s'achemine doucement vers son fabuleux règne personnel, qui fera du XVIIème siècle le Grand Siècle. En 1724, c'est Louis XV qui règne depuis neuf ans sur la France et qui ouvre une nouvelle ère, celle du XVIIIème siècle français, une époque riche elle aussi en bouleversements de toute sorte mais bien différente de celle qui la précédait. Les filles d'Elisabeth et du duc de Nemours ont traversé une période passionnante qui méritait que l'auteur s'étende un minimum dessus.
    Si vous vous lancez dans cette lecture, ne vous effrayez pas ! C'est vrai qu'elle est ardue et qu'elle demande beaucoup à son lecteur. Si les derniers chapitres m'ont paru relativement faciles à lire, les premières parties du livre ont été moins évidentes, même si, bien sûr, mon intérêt
    a été capté très rapidement parce que c'est une époque qui me passionne vraiment, qui m'est familière et que je connais assez bien. Comme je le disais plus haut, le gros avantage de ce livre -j'ai du mal à le qualifier de roman, alors on va se contenter de cette appellation générique-, c'est qu'il nous permet d'aborder une époque relativement bien connue et étudiée à travers deux figures féminines qui le sont nettement moins. Par exemple, Jeanne-Baptiste de Nemours est la grand-mère de Marie-Adélaïde de Savoie, la petite duchesse de Bourgogne, tant aimée de Louis XIV à la fin de sa vie et qui sera la mère de Louis XV ! Voilà une figure assez familière et présentée d'ailleurs comme plutôt attachante par beaucoup d'historiens. Mais jusqu'à la lecture de ce livre, j'aurais été incapable de vous dire qui était sa grand-mère...J'avais peut-être lu son nom ici ou là mais sans forcément le retenir parce que l'auteur ne s'y était pas appesanti. En fait, le destin de la duchesse de Savoie, comme celui de sa sœur reine de Portugal sont à retenir parce que, finalement, elles symbolisent aussi bien leur époque que des figures aussi connues que La Grande Mademoiselle, Henriette d'Angleterre ou Madame de Maintenon. Si on ne peut nier que ces dernière personnifient une époque, on ne peut pas nier que ce fut le cas aussi pour les demoiselles de Nemours, à leur échelle et à leur manière.
    Les premières parties du livre m'ont paru assez redondantes parce que l'auteur s'étend assez longuement sur les tractations matrimoniales parfois un peu embrouillées dont les deux jeunes filles font l'objet et qui était, en général, la manière de faire pour toutes les princesses. A partir d'un certain âge, les filles ne s'appartenaient plus et étaient jetées dans l'arène, dans l'univers impitoyable des mariages arrangés. Certaines en feront leur affaires, d'autres tomberont amoureuses, d'autres enfin seront carrément déçues. Là, on saute d'un projet à un autre, d'un bon parti à un autre mais tout ceci se déroule sur plusieurs années : ce sont des moments d'attente et d'angoisse pour les jeunes filles, de désillusions aussi quand un projet finit par ne pas aboutir. Donc, même si j'ai parfois eu le sentiment de quelques longueurs, j'ai trouvé ces premières parties intéressantes et nécessaires pour bien comprendre que, princesses ou pas, bien souvent, un mariage ne se faisait pas en un claquement de doigts.
    Malgré tout, j'ai préféré les chapitres consacrés à leur vie respective en Savoie et au Portugal. Lorsqu'elles quittent la France, encore toutes jeunes, on ne peut qu'avoir le cœur serré pour ces deux adolescentes qui disent adieu à leur enfance, aux lieux familiers dans lesquels elles ont toujours vécu, qu'elles ne reverront plus, tout comme leur parents, à qui elles disent adieu pour toujours. Une princesse se débarrassait en plus de tout ce qui lui appartenait et qu'elle apportait de son pays natal, des bijoux aux vêtements en passant par les animaux de compagnie, pour arriver comme vierge de toute autre influence dans son nouveau royaume. On peut aisément comprendre le déracinement et le mal du pays ressenti par les jeunes femmes, à plus forte raison lorsqu'elles sont mal mariées. Chacune de leur côté, Jeanne-Baptiste et Marie-Françoise découvrent un nouvel état, celui du mariage et un nouvel Etat, avec un grand E, avec des coutumes différentes de celle de la France, des manières parfois étranges, des personnages parfois peu amicaux voire méfiants. C'est souvent un dépaysement douloureux qui frappe les jeunes mariées et les deux sœurs de Nemours n'en sont pas exemptes, malgré les beautés qu'elles sont promptes à trouver à leur nouveau pays.
    A mesure qu'elles grandissent, elles deviennent plus attachantes et les petites filles un peu superficielles, un peu chichiteuses que l'on découvre au début du roman disparaissent au profit de femmes de tête que les expériences parfois douloureuses de la vie ont participé à faire mûrir.
    Ce livre est passionnant. Ardu, mais passionnant, à condition de prendre son temps. En mêlant habilement vérités historiques et légendes -car le XVIIème siècle n'en est pas exempt-, Jean-Paul Desprat, qui est avant tout historien, nous prouve qu'on peut parfois prendre quelques libertés avec l'Histoire établie à condition de bien connaître celle-ci ceci étant dit.
    Si vous me suivez depuis un moment, vous aviez peut-être lu, il y'a quelques années, mes chroniques de ces excellents romans que sont Jaune de Naples et Bleu de Sèvres, sur l'aventure porcelainière en France au XVIIIème siècle. L'ultime tome de cette trilogie, Rouge de Paris, est aussi un roman historique d'une grande qualité : véracité historique et chaleur d'une plume de romancier se mêlent, pour donner un récit fiable et habilement maîtrisé. Entre temps, j'avais aussi découvert le Desprat biographe, avec son ouvrage sur Madame de Maintenon, qui m'avait aussi beaucoup plu.
    Les Princesses Assassines ne m'a pas déçue non plus et j'ai passé un bon moment de lecture. Je regretterais seulement l'absence de bibliographie en fin d'ouvrage et peut-être l'auteur aurait-il pu nous expliquer sa démarche en postface. J'avoue apprécier, quand les auteurs se permettent quelques petites entorses, qui nous expliquent pourquoi ils ont fait tel ou tel choix. A part ça, rien de vraiment grave et j'ai vraiment pris un grand plaisir à replonger dans cette époque passionnante et florissante, qui n'était pas tendre pour les femmes mais qui, paradoxalement, est peuplée de nombreuses figures féminines ambitieuses, courageuses et déterminées, à l'image de ces demoiselles de Nemours que l'on quitte à regret en refermant le livre.
    Les Princesses Assasines n'est pas à conseiller à tous. Si vous aimez les romans historiques mais sans vous prendre la tête, passez votre chemin. Pour les autres, lancez-vous, je suis sûre que vous ne regretterez pas !

    En Bref : 

    Les + : le livre est riche, dense et passionnant, très bien écrit. Il a le mérite de nous présenter une époque très connue au travers de deux destins qui ne le sont pas. 
    Les - : je regrette l'absence de bibliographie et j'aurais aimé que l'auteur nous explique pourquoi il a choisi, parfois, de mêler légendes et réalité...savoir quelle était sa démarche au départ me paraît intéressant, c'est dommage. 


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  • «  C'est la guerre qui gagne. Et elle continue à gagner, encore et toujours. »

    Le Chagrin des Vivants ; Anna Hope

     

    Publié en 2014 en Angleterre ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Wake 

    Editions Folio 

    432 pages 

    Résumé :

    Durant les cinq premiers jours de novembre 1920, l'Angleterre attend l'arrivée du Soldat inconnu, rapatrié depuis la France pour une cérémonie d'hommage. 
    A Londres, trois femmes vivent ces journées à leur manière. Evelyn, dont le fiancé a été tué et qui travaille au bureau des pensions de l'armée ; Ada, qui ne cesse d'apercevoir son fils pourtant tombé au front ; et Hettie, qui accompagne tous les soirs d'anciens soldats sur la piste du Hammersmith Palais pour six pence la danse. Dans une ville peuplée d'hommes mutiques, rongés par les horreurs vécues, ces femmes cherchent l'équilibre entre la mémoire et la vie. Et lorsque les langues se délient, les cœurs s'apaisent.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En novembre 1920, à quelques jours de la cérémonie officielle des funérailles du Soldat Inconnu, nous suivons trois femmes, trois Londoniennes aux parcours, aux âges et aux statuts différents. Evelyn a trente ans, elle vient d'un milieu relativement aisé et guindé, qui ne tolère pas vraiment la vie simple et presque bohème qu'elle s'est choisie à Londres. Elle a perdu un fiancé à la guerre et après cette perte, elle est devenue « munitionnette ». En 1920, Evelyn, comme son frère Edward, se bat contre ses propres démons et son amertume.
    Hettie, de son vrai nom Henrietta, est une jeune femme de dix-neuf ans, originaire de Hammersmith. Parce que son frère est revenu profondément marqué des combats et que leur père est mort prématurément c'est elle qui fait bouillir la marmite et ramène l'argent pour faire vivre sa mère et son frère. Avec son amie Di, elle est danseuse de courtoisie, accordant une danse à six pence à tous ceux qui le demandent.
    Ada est une femme mûre d'une cinquantaine d'années. Elle est une mère qui a perdu son fils unique, comme des millions d'autres femmes, seulement elle n'arrive pas à faire son deuil, ce qui gangrène son couple et la ronge intérieurement.
    Ces femmes sont le reflet de millions d'autres, en Angleterre comme ailleurs : elles sont le symbole de cet arrière qui n'a pas participé aux combats ou du moins pas directement mais qui a malgré tout payé un lourd tribut. Ces femmes, ce sont les épouses, les amantes, les mères, les filles, les cousines, les sœurs, qui se sont dévouées et on attendu, bien souvent à vain et ne sont plus jamais défaites du noir qui marquait leur deuil.
    En parallèle, on suit, quelque part dans la Somme, au début d'un automne sale et froid, les pérégrinations de soldats ordinaires, choisis pour désigner, à leur tour, quel sera celui qui sera enterré dans la tombe du Soldat Inconnu, à Londres et qui cristallisera le deuil de millions de famille et l'hommage national lors des commémorations du 11 novembre. On les suit dans cette campagne française éventrée par les combats, rongée par les munitions qui polluent son sous-sol gorgé de sang et d'ossements. Dans les tranchées en ruine, deux ans après la fin des combats, au milieu des barbelés rouillés, dans une ambiance chaotique de fin du monde, de jeunes soldats anglais ont pour mission de déterrer des corps, de les identifier si possible grâce à leur immatriculation militaire ou leurs insignes. Plusieurs corps sont exhumés puis un seul est choisi, pauvres restes anonymes, dans lesquels la nation pourra trouver un réconfort en s'imaginant que le soldat qui dort à Westminster est le frère, le fils, le fiancé, le mari disparu et qui n'a jamais été retrouvé.
    Ce roman est mon premier d'Anna Hope et je dois dire que, pour une découverte, elle est absolument magistrale ! J'ai dévoré les quatre cent et quelques pages sans les voir passer, sans éprouver aucune lassitude ni ressentir aucune longueur. Ce roman est extraordinaire, d'abord par ce qu'il véhicule mais aussi par la manière dont il le véhicule. Il y'a énormément de romans sur la Grande Guerre, tous écrits différemment, selon l'auteur, selon la sensibilité de ce dernier. Chez Anna Hope c'est puissant et violent, attirant et repoussant tout à la fois. Son style peut se faire doux et compréhensif comme aussi des plus triviaux. C'est la guerre toute nue qu'elle nous expose là, avec son cortège d'horreurs, d'injustices, d'erreurs et de faiblesses humaines. C'est l'horreur d'un conflit qui dépasse tout et n'a pas de précédent, un conflit qui, en Europe et notamment en France, en Allemagne, en Russie et en Angleterre, ne laissera aucune famille indemne.

    Le Chagrin des Vivants ; Anna Hope

     

    Cérémonie officielle de l'inhumation du Soldat Inconnu à Londres, le 11 novembre 1920


    Le roman se déroule sur une courte période de cinq journées : les quatre qui précèdent la cérémonie d'inhumation du Soldat Inconnu et cette fameuse journée du 11 novembre 1920, quand, à onze heures, les Londoniens, vêtus de noir, suivront le cercueil jusqu'à sa dernière demeure sous les vôutes de l'abbaye de Westminster. Cinq journées décisives pour les trois héroïnes, des journées pénibles mais nécessaires, qui vont leur permettre, sinon de surmonter les blessures et les drames, du moins de mieux vivre avec, car ce que Le Chagrin des Vivants illustre bien, c'est qu'une guerre, surtout une guerre comme celle-ci, ne se termine jamais. Pour ceux qui l'ont connue, elle a duré toute une vie et son traumatisme s'est transmis de génération en génération. Qui, aujourd'hui encore, lorsqu'il évoque la Première Guerre Mondiale, ne convoque pas le souvenir d'un disparu ? Un disparu que l'on n'a pas connu, certes, mais qui fait partie de nos origines et de nos racines, un grand-père ou un arrière-grand-père, un lointain cousin, un ancêtre qui parfois n'a pas regagné sa région d'origine et dort dans la terre retournée du nord ou de l'est de la France ou même ailleurs, sur un autre front ?
    La guerre est comme une maladie qui les ronge, ces héros du Chagrin des Vivants. Peut-on dire qu'ils sont attachants ? Je ne sais pas... Je ne sais même pas si cela faisait partie des préoccupations de l'auteure...Qu'on les aime ou pas, peu importe, après tout, ce n'est pas ça qui compte. Ce qui compte c'est ce qu'ils disent, ce qu'ils symbolisent, ce qu'ils portent à bout de bras et qui est infiniment plus grand qu'eux : la responsabilité, la culpabilité, les blessures irrémédiables et les faiblesses de toute une génération qui, en cette fin de l'année 1920, ne cherche pas encore à s'étourdir comme elle le fera les années suivantes mais commence à nouveau à s'enivrer désespérément, comme pour oublier.
    Ce roman est un bel hommage... A ceux qui se sont battus et qui ne sont pas revenus, à ceux qui se sont battus et sont revenus, avec parfois une culpabilité chevillée au corps et une question lancinante qui revient : « Pourquoi moi ? » Un hommage à tous ces soldats qui souffriront toute leur vie d'un stress post-traumatique, que l'on comprend et que l'on soigne aujourd'hui, ce qui n'était pas le cas il y'a cents ans.
    C'est un bel hommage aussi au courage de celles qui restent en arrière et se retrouvent pourtant tout autant détruites que ceux qui sont partis. Ces femmes qui, dans leur cuisine, ont attendu le retour des hommes, celles qui, dans les usines ou les dispensaires proches des zones de combat ont donné leur vie pour ceux qui se battaient et pour la grandeur de la nation.
    Ce roman est d'une puissance rare. Il vous percute comme un coup de poing, comme une gifle magistralement assénée. Il vous secoue tout entier et vous fait entrer à l'intérieur du crâne une abomination dont vous vous seriez volontiers passé mais qui est malgré tout salutaire. N'oublions pas notre Histoire. A une époque où les pires raccourcis sont faits et souvent de manière malheureuse, où l'Histoire est instrumentalisée à gogo, n'oublions pas le passé, souvenons-nous car sans passé, point d'avenir. Et surtout, n'oublions pas d'honorer les héros ordinaires qui ont combattu et souvent sont morts pour la paix. 

    En Bref :

    Les + :  Le Chagrin des Vivants est un véritable travail de mémoire, servi par le style impeccable de l'auteure. Que reste-t-il après un conflit d'une telle ampleur ? Qu'est-ce qui se cache derrière le chagrin de ceux qui restent. Un beau roman qui analyse finement les rouages de l'âme humaine. 
    Les - :
    je n'en ai pas trouvé.


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