• « Le destin se joue de nos sentiments et de nos rêves.  »

    Angélina, tome 2, Le Temps des Délivrances ; Marie-Bernadette Dupuy

     

    Publié en 2016

    Editions Le Livre de Poche

    976 pages 

    Deuxième tome de la saga Angélina

    Résumé :

    Après des études à Toulouse, Angélina, fille de cordonnier, s'est installée en tant que sage-femme dans la maison familiale au coeur de l'Ariège. La vie est rude dans les campagnes en cette fin de XIXe siècle. Accaparée par son travail, elle peut compter sur sa protectrice, Gersande de Besnac, pour s'occuper de son fils Henri, qu'elle élève seule. Grâce à ses compétences et à sa disponibilité, sa réputation ne cesse de grandir. Son bonheur serait complet si elle ne désespérait de revoir un jour Luigi, un Gitan dont elle s'est éprise et qui s'est réfugié en Espagne pour fuir de fausses accusations de meurtre. Mais c'est Guilhem, le premier amour d'Angélina et le père d'Henri, qui revient au pays. Accompagné de son épouse légitime, il semble pourtant n'avoir rien oublié de ses sentiments pour la jeune femme... 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Dans ce deuxième tome, on retrouve Angélina en Ariège, après ses études qui l’ont menée à Toulouse. Elle a pris la relève de sa mère et est devenue une « costosida », c’est-à-dire, une sage-femme, en occitan. Revenue à Saint-Lizier, sa ville natale et celle où vit également son jeune fils, Henri, elle exerce auprès de toutes les femmes de la région, des plus modestes aux plus aisées. Malgré tout et même si grossesse et accouchement étaient alors, comme depuis longtemps, des affaires de femmes, on n’accepte pas toujours celle qui, forte de ses années d’étude, dispense un discours qui, parfois, déplaît. Mais passionnée par son métier, très investie, Angélina n’en a cure, sa seule priorité étant le bien-être des mères et de leurs enfants.
    Dans sa vie privée, tout n’est pas évident pour elle, en ce début des années 1880. Elle n’a plus de nouvelles de Luigi, le jeune baladin rencontré quelques mois plus tôt et qui ne la laisse pas indifférente ; son secret autour du petit Henri n’a jamais été aussi fragile et surtout…surtout, revenu des îles avec femme et enfant, voilà que son ancien amant Guilhem Lesage est de retour au pays !
    Bref, tout n’est pas évident dans le quotidien pour Angélina mais, tenue par la passion de son métier, par l’amour de son fils et le soutien de sa bienfaitrice, Gersande de Besnac, elle fera front pour traverser toutes les épreuves.
    Il m’aura fallu près de trois ans pour lire le deuxième tome de cette trilogie de Marie-Bernadette Dupuy. J’ai en effet lu le premier tome, Les Mains de la Vie, fin février 2016. Un petit bout de temps, donc ! Pourquoi laisser passer autant de temps, au risque d'oublier certains aspects de l'intrigue ? Tout simplement parce que le premier tome avait peiné à me convaincre et je n’en étais pas ressortie séduite. Le style de l’auteure ne m’avait pas vraiment plu et le personnage d’Angélina m’avait un peu agacée, malgré tout le courage et la détermination dont elle fait montre. Je ne m'étais pas sentie proche d'elle et cela avait pesé sur ma lecture.
    Malgré tout, j'ai eu envie de lire le reste de la saga. Il est rare que je m'arrête au bout d'un premier tome, même si celui-ci m'a un peu déçue...Bon, si j'avais carrément détesté, peut-être me serais-je arrêtée là mais il ne faut rien exagérer : dans Les Mains de la Vie, tout ne m'a pas plu mais j'ai terminé ce roman avec l'envie, malgré tout, de retrouver Angélina et de savoir ce qui lui arrive par la suite. Deviendra-t-elle sage-femme pour prendre la relève de sa mère, Adrienne Loubet ? Retrouvera-t-elle Luigi, le mystérieux baladin ? Et surtout, j'avais envie de savoir ce qui allait se passer entre elle et son fils, Henri. A une époque où mettre au monde un enfant sans père, être une fille-mère est une honte, un déshonneur, comment Angélina va-t-elle pouvoir concilier son métier, très prenant et qui la jette sur les routes de jour comme de nuit, et son enfant, qu'elle n'a pas voulu abandonner ?
    Contre toute attente, Le Temps des Délivrances m'a beaucoup plus plu que le précédent. J'ai retrouvé le style de l'auteure qui, je dois bien l'avouer, ne me séduit toujours pas. Mais surtout, dans ce deuxième tome, Angélina a grandi et beaucoup changé : je l'ai trouvée beaucoup plus agréable, moins agaçante. Au contraire, elle est même touchante et admirable dans son travail de costosida, très professionnelle et toujours investie, malgré les embûches qu'une sage-femme, à cette époque, ne manque pas de rencontrer : la méfiance de certains, la colère impuissante des parents qui perdent un nouveau-né ou d'un mari qui perd son épouse en couches et qui retournent leur hargne contre la sage-femme, la pauvreté de certaines familles qui les contraint à abandonner un bébé, les avortements, à une époque où cela est un crime et où les femmes qui y ont recours risquent les travaux forcés, le bagne ou même pire, la mort.
    Dans un pays encore pétri de superstitions et de religiosité, il est parfois difficile, pour les sage-femmes comme pour les médecins, de faire entendre un discours scientifique et pragmatique, à des populations qui ne sont pas prêtes à les écouter et à les comprendre. Si aujourd'hui, il va de soi que grossesses et accouchements soient encadrés médicalement, à la fin du XIXème siècle, surtout dans les campagnes, ce n'était pas le cas. Affaires de femmes, les naissances se passaient loin des hommes et les parturientes étaient entourées de leur mère, de leur grand-mère, éventuellement d'une matrone, qui n'avait aucune formation médicale, seulement une expérience de plusieurs années en la matière, mais qui ne respectait pas toujours les principes élémentaires d'hygiène et qui pouvait commettre des erreurs, fatales pour la mère ou l'enfant. Malgré tout, il faudra attendre encore quelques décennies pour que la prise en charge systématique par du personnel compétent des futures mères puis de leurs enfants entre dans les mœurs. Il faudra attendre plusieurs décennies aussi pour que le corps médical, majoritairement masculin, cesse de considérer les sage-femmes comme des concurrentes et des subalternes.
    Je pense que l'auteure a fait beaucoup de recherches pour que son roman soit crédible et c'est tout à son honneur. Elle nous donne en tous cas une image globale et relativement juste de ce qu'était la gynécologie et l'obstétrique il y'a 240 ans.
    Au-delà de ça, ce que j'ai apprécié dans ce livre, c'est son aspect roman de terroir. Il y'a longtemps que je n'en ai pas lu mais j'aime beaucoup la littérature dite « régionaliste ». Bien que n'étant pas originaire de la région, Marie-Bernadette Dupuy intègre complètement à son récit ce petit bout de Pyrénées, ce département de l'Ariège aux paysages grandioses, qui est un personnage à part entière de son roman et à qui Marie-Bernadette Dupuy, convoquant de bons souvenirs de vacances dans son enfance, crie son amour.
    Bref, si dans ce deuxième opus, encore, le style de l'auteure a peiné à me convaincre, je me suis plus facilement laissée prendre au jeu que dans le premier. Les personnages m'ont semblé plus humains, plus accessibles et plus attachants. L'intrigue m'a également un peu plus convaincue, je l'ai trouvée plus authentique que dans Les Mains de la Vie. J'ai trouvé que l'auteure nous livrait une vision presque naturaliste de cette fin du XIXème siècle (inégalités sociales criantes, misère, croyances, superstitions, société paternaliste et bien-pensante assise sur des principes rigoureux) et elle cite à plusieurs reprises Emile Zola ce qui, évidemment, n'est pas pour me déplaire (si vous me suivez depuis longtemps, vous savez l'amour inconditionnel que je voue à l'oeuvre de Zola depuis plus de dix ans). Surtout, j'ai enfin réussi à m'attacher à Angélina, plus juste et plus vraie.
    Je ne ressors pas totalement conquise de cette lecture. Malgré tout, elle ne m'a pas déplu et je l'ai appréciée et c'est tout ce qui compte. Ce deuxième tome m'a donné envie de lire le troisième et de découvrir la suite des aventures d'Angélina Loubet et m'a réconciliée avec l'univers de Marie-Bernadette Dupuy qui, jusque là, avait vraiment peiné à me convaincre et me séduire. 

    En Bref :

    Les + : une histoire authentique, entre roman historique, romance et roman de terroir, des personnages attachants...
    Les - :
    le style de l'auteure, qui peine toujours à me séduire, malheureusement.

     

    Thème de février, « Pics, sommets, cols et glaciers », 2/12


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  • «  Si la situation devient trop pénible ou si tu as trop peur essaie de t'échapper en pensées : sors de ton corps et vole vers d'autres lieux. »

    Audrey et Anne ; Jolien Janzing

     

    Publié en 2017 aux Pays-Bas ; en 2018 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Audrey en Anne

    Editions de l'Archipel 

    345 pages

    Résumé :

    Automne 1957. Douze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Otto, le père d'Anne Frank, rend visite en Suisse à une étoile montante du cinéma, Audrey Hepburn. Il veut la persuader d'interpréter le rôle de sa fille dans un film qui va lui être consacré.

    Printemps 1929. Deux filles voient le jour, Audrey à Bruxelles, Anne à Francfort. Toutes les deux marqueront l'histoire. 

    Les deux adolescentes partagent bien des points communs. Toutes deux ont été contraintes de quitter très jeunes leur pays natal. Audrey, issue de la haute société européenne, est envoyée dans un pensionnat anglais. Juifs, Anne et sa famille fuient aux Pays-Bas. 

    Toutes deux sont délaissées par leur mère et trouve refuge dans la danse pour l'une, dans l'écriture pour l'autre. 

    La demande d'Otto réveille en Audrey de douloureux souvenirs. Ses parents, sa mère en particulier, ne frayaient-ils pas avec de hauts dignitaires nazis ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    A première vue, tout oppose Anne Frank, morte à seize ans à Bergen-Belsen, connue de manière posthume après la publication de son fameux journal rédigé pendant la réclusion dans l'Annexe, à Amsterdam et Audrey Hepburn, étoile montante du cinéma dans les années 1950-1960...
    Et pourtant... Elles ont bien plus en commun qu'on ne le pense. A l'exception d'une année de naissance, 1929 et d'une même initiale, c'est surtout deux enfances semblables que les deux filles vont vivre, dans les Pays-Bas des années 1940.
    Cela dit, le roman de Jolien Janzing démarre en 1957, douze ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale : Audrey a vingt-huit ans, elle est actrice. Un jour d'hiver, à Suisse, elle rencontre Otto Frank et sa deuxième épouse, Fritzi. Rescapés tous deux des camps, ils y ont tous deux perdu leurs proches : son fils et son mari pour Fritzi, ses deux filles, Margot et Anne et son épouse Édith, pour Otto. Depuis plusieurs années, le père de celle qui deviendra une célébrité mondiale se bat pour faire connaître les écrits de sa fille. En 1957, il rencontre Audrey dans l'idée de lui faire interpréter Anne dans une adaptation cinématographique du fameux journal - cette rencontre est véridique mais n'aboutira pas : s'estimant trop concernée, Audrey refusera le rôle.
    Cette requête est pour Audrey un assez pénible retour en arrière quand, après l'invasion des Pays-Bas en mai 1940, sa mère frayait avec les hauts dignitaires nazis et son père avec les partisans de Hitler en Angleterre. 

    Alors en parallèle, l'auteure déroule les destins des deux jeunes filles jusqu'en 1945Audrey, née Audrey Ruston à Bruxelles est britannique par son père, Joseph Ruston, néerlandaise par sa mère, Ella van Heemstra. Elle est encore petite quand ses parents, qui ne s'entendent plus, divorcent et se disputent leur enfant. Audrey passera une enfance relativement solitaire et ballottée entre plusieurs pays avant de se découvrir une passion pour la danse puis la comédie
    Anne, elle, naît à Francfort. Cadette de sa sœur Margot, elle est la fille d'Otto Frank, un industriel allemand et de Édith Holländer. Ses parents sont juifs, sa mère plutôt pieuse, son père pas plus que ça. Malgré tout, un jour, leur judéité leur sera reprochée, leur coûtera leur liberté et, pour les deux filles et leur mère, la vie
    C'est aux Pays-Bas que Audrey et Anne vont être confrontées aux violences et aux horreurs d'une guerre hors du commun : après que la neutralité du pays ait été violée en mai 1940 et que le gouvernement soit parti en exil, les Pays-Bas deviennent un satellite du Reich. Au final, ce qui est arrivé en France ressemble beaucoup à ce qui s'est passé en Belgique et en Hollande : l'occupation, la collaboration d'une partie de la population, l'entrée en résistance de l'autre, la peur, le froid, le manque de nourriture... 
    Découvrir autrement un conflit qu'on observe et qu'on analyse surtout à travers le prisme de son propre pays est intéressant. Surtout quand c'est par les yeux de deux fillettes qui deviennent adolescentes : à cet âge, les avis sont tranchés, parfois exprimés avec violence, le manque de liberté est vécu cruellement mais il n'y a qu'à lire le journal d'Anne pour se rendre compte que, chez elles, l'espoir est toujours là, quelque part, bien caché mais toujours prêt à refaire surface. 
    J'ai apprécié aussi que l'auteure choisisse pour héroïnes deux jeunes filles qui ont existé : cela donne beaucoup d'authenticité au récit romanesque dans lequel elles évoluent et qui est, bien sûr, de la fiction. On se dit que malgré tout, c'est certainement comme cela, à quelques détails près, qu'elles ont vécu la Seconde Guerre Mondiale. 

    Image associée

    Otto et Fritzi Frank photographiés à Bürgenstock (Suisse) aux côtés d'Audrey Hepburn en 1957


    Que Jolien Janzing fasse en plus d'Anne Frank la deuxième héroïne de son roman est un bel hommage à cette jeune fille au destin foudroyé et tellement triste : Anne est montée dans le dernier convoi partant pour Auschwitz, en septembre 1944. Elle est morte de maladie quelques jours seulement avant la libération du camp de Bergen-Belsen au printemps 1945. Elle a eu la liberté et l'espoir à portée de main mais le destin les lui a refusés. J'ai toujours trouvé malheureux qu'Anne Frank ait perdu la vie au moment où l'espoir était de nouveau au rendez-vous, juste avant la libération...
    Quant à Audrey, pour moi, elle est une relative inconnue. Je ne suis absolument pas cinéphile et c'est une actrice parmi d'autres en ce qui me concerne. Elle est restée assez figée dans mon esprit telle qu'on la voit quand elle a tourné dans Diamants sur canapé ou Breakfast at Tiffany's : une jeune femme longiligne, coiffée et habillée comme les pin-up des 50's.
    Je ne savais rien d'elle ni de son enfance du coup, j'ai apprécié de la découvrir dans ce roman, petite fille un peu négligée par les siens ( « Ils n'avaient guère de temps pour moi. Et je suppose que, dans une certaine mesure, cette attention du premier âge m'a fait défaut toute ma vie. » dira-t-elle bien plus tard, à propos de ses parents) et qui court inconsciemment après la reconnaissance et le regard des autres, une petite fille qui se révèle dans la pratique de la danse.
    Audrey et Anne sont finalement assez complémentaires. Elles ont vécu une enfance presque similaire, dans un même contexte. Sauf que l'une était juive et l'autre, la fille d'une baronne hollandaise compromise par ses relations avec l'occupant. L'une en sortira marquée par des souvenirs difficiles mais en vie ; l'autre mourra avant d'avoir être pu secourue. 
    Elles connaîtront cela dit toutes les deux la célébrité : Audrey avec ses films et Anne avec son journal qui continue d'être lu par des milliers d'enfants dans le monde mais aussi des adultes
    Si l'idée de départ de Jolien Janzing n'est pas forcément très évidente -on se demande quel peut bien être le lien entre ces deux filles-, on comprend rapidement où l'auteure a voulu en venir. 
    Je ne regrette qu'une chose, c'est que le roman n'ait pas été plus long ! Il aurait pu être plus développé -et aurait mérité de l'être, à mon avis- sans risquer l'ennui du lecteur parce que c'est vraiment une belle histoire que nous raconte l'auteure, avec deux petites héroïnes attachantes, pour des raisons différentes mais qui parviennent toutes deux à susciter un réel intérêt chez le lecteur. Il y'avait longtemps que je n'avais pas lu un roman se passant pendant la Seconde guerre et je ne regrette pas d'avoir jeté mon dévolu sur celui-ci. Une belle histoire servie par le style tendre et presque maternel de l'auteure

     

    Je remercie les éditions de l'Archipel pour l'envoi de ce livre et leur confiance ! 

    En Bref :

    Les + : une belle histoire qui, si elle n'est pas à première vue évidente, s'avère bien écrite et cohérente. Anne Frank et Audrey Hepburn, aussi opposées qu'elles soient, avaient malgré tout beaucoup plus en commun qu'on ne croit. 
    Les - : que le roman n'ait pas été un peu plus long. Certains chapitres auraient mérité d'être plus développés, je pense. 

     


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  • « Le hasard, c'est un coup de pied dans le cul que la vie te donne pour te faire avancer. Le hasard, dans le monde des adultes, c’est une possibilité qu’il ne faut pas gâcher. »

    Publié en 2008 en Italie ; en 2017 en France (pour la présente édition)

    Titre original : La Gang dei Sogni

    Editions Pocket

    945 pages

    Résumé :

    New York ! En ces tumultueuses années 1920, pour des milliers d'Européens, la ville est synonyme de « rêve américain ». C'est le cas pour Cetta Luminita, une Italienne qui, du haut de son jeune âge, compte bien se tailler une place au soleil avec Christmas, son fils. Dans une cité en plein essor où la radio débute à peine et le cinéma se met à parler, Christmas grandit entre gangs adverses, violence et pauvreté, avec ses rêves et sa gouaille comme planche de salut. L'espoir d'une nouvelle existence s'esquisse lorsqu'il rencontre la belle et riche Ruth. Et si, à ses côtés, Christmas trouvait la liberté, et dans ses bras, l'amour ? 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Best seller ces deux dernières années en France et sorti depuis dix ans déjà en Italie, Le Gang des Rêves a hissé son auteur au rang des écrivains qui comptent. Aujourd'hui, la littérature italienne est consubstantielle avec l'oeuvre d'Elena Ferrante mais pas que ; elle l'est aussi de celle de Luca Di Fulvio.
    Il a été comparé à Scorcese et son roman à Gangs of New York, c'est dire ! Il a été encensé par la critique, les lecteurs du monde entier et les blogueurs.
    Pour moi, c'est la définition même du phénomène, qui devient viral, grâce à internet et les réseaux sociaux... Je vais être honnête, je n'aurais pas autant croisé Le Gang des Rêves il y'a un peu plus d'un an et demi sur Instagram, peut-être ne m'y serais-je jamais intéressée. Certainement, même.
    J'ai ceci dit beaucoup hésité avant de me lancer... Et même après avoir acheté le roman, il a dormi un bon moment dans mes bibliothèques. Pourquoi ? Parce que je me méfie du phénomène, en général. Parfois, je suis la tendance et le coup de cœur est au rendez-vous pour moi aussi : ça a été le cas avec La Voleuse de Livres en 2015. Mais il m'est arrivé aussi d'être légèrement déçue alors que j'étais fermement convaincue d'être séduite : c'est ce qui s'est passé avec La Part des Flammes, qui est un très bon roman historique, bien écrit mais qui pour moi, manque de souffle et a peiné à me convaincre alors que les premiers chapitres m'avaient enchantée.
    Avec Le Gang des Rêves, qui, je le savais avant même de commencer, est un roman particulier, je ne savais pas où j'allais... Certes, le contexte avait tout pour me plaire : le New York des années 20, en pleine Prohibition, tandis que les gangs rivaux tiennent la ville et ensanglantent ses rues, une ambiance à la Gatsby le Magnifique ou digne des films de Coppola, le rêve américain de ces milliers d'européens qui n'avaient rien et quittaient tout sans hésiter pour une vie qu'ils espéraient meilleure alors que la plupart ne trouvèrent rien de plus que ce qu'ils avaient quitté sur le Vieux Continent (« C'est vraiment un pays de merde...et le rêve américain, c'est vraiment une connerie! Si t'es pas l'un d'eux, le rêve, tu peux te le mettre au cul...» ; « Et tous ces regards de vaincus, ces dos courbés par la misère et la résignation, et ces poches toujours vides qui criaient la faim, grandes ouvertes comme les bouches hurlantes de leurs enfants mal nourris [...] Et il entendait aussi toutes leurs rengaines sur l'Amérique, l'extraordinaire nation qui promettait tout mais qui, à eux, ne donnait rien. »
    La jeune Cetta Luminita est de ceux-là... Née au début du siècle à Aspromonte en Italie, elle a à peine quatorze ans quand elle quitte tout, avec juste une valise et son enfant sous le bras, pour tenter sa chance en Amérique. Comme tous les Européens qui entreprennent ce grand voyage souvent sans retour, elle débarque à Ellis Island, la porte de l'« american dream ». La porte de tous les possibles. Et quand on est la fille un peu trop belle de pauvres paysans italiens, soumise presque encore enfant à la concupiscence libidineuse des hommes, rien ne peut être plus beau. Et rien ne doit être trop beau pour ce bébé qu'elle emmène avec elle, le petit Natale, âgé de quelques mois et que les gratte-papiers américains rebaptiseront d'un nom qui sonnera plus anglo-saxon : Christmas. Christmas que l'on va suivre jusqu'à la fin des années 20, dans un tourbillon où se mêlent guerres des gangs et trafics en tous genres, prostitution et pauvreté... Un tunnel sombre et crasseux à l'image de cette ville de New York des années 20, incroyablement vivante mais aussi très sale et violente. Une ville cosmopolite où se côtoient les plus grandes fortunes -ceux qui sont nés ou qui ont réussi- et les plus indigents -ceux qui ont raté le coche et sont passés sous ses roues.
    Voilà. Sur le papier, Le Gang des Rêves avait tout pour me plaire.
    Alors qu'en est-il ? C'est justement de ça qu'on va parler maintenant. Tout d'abord, je vous dirais que je n'ai pas éprouvé le coup de cœur presque général qui crie son amour au roman de Luca Di Fulvio depuis presque deux ans. Ce coup de cœur manqué, je l'ai senti dès le début. Dès les premières pages, j'ai su qu'il ne serait pas au rendez-vous et cette intuition s'est confirmée par la suite.
    Malgré ça, je ne peux que vous conseiller de hisser le torchon, intégrer les Diamond Dogs et de crier bien fort : Bonsoir, New York !
    Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé cette lecture et je recommande chaleureusement le roman. Après un début un poil difficile et qui m'a presque dissuadée de continuer, les choses se sont dénouées toutes seules et j'ai pris grand plaisir à découvrir ce roman.
    C'est violent, c'est sale, c'est grand. C'est grandiose. Et le style de l'auteur, hyper visuel, n'y est pas pour rien. Si je n'ai pas eu le coup de cœur escompté pour le roman, assurément j'en ai eu un pour le style de Luca Di Fulvio, que je découvrais. C'est un auteur que je n'avais jamais lu, que je ne connais pas du tout. Et j'ai découvert un auteur extrêmement talentueux, qui joue et jongle avec les mots comme d'autres avec des balles. J'ai découvert un style irréprochable, des mots qui savent se faire doux et réconfortants, blessants et percutants, tendres et douloureux. J'ai eu l'impression de baigner dans leur volupté, d'être entourée de la chaleur des mots d'un auteur talentueux et qui écrit tellement bien.
    Pour cette raison, je dirais que Le Gang des Rêves a été une lecture formidable ! Je ne serais pas honnête si je vous disais que, vers la fin, certains passages m'ont un peu ennuyée. Je ne le serais pas non plus si je ne vous parlais pas de mon ressenti initial... Oui, je n'y ai pas tout aimé et oui, j'ai même failli abandonner. Mais dans sa globalité, Le Gang des Rêves est un roman parfait, travaillé et bourré du talent de son auteur.
    C'est un roman historique comme je les aime, qui a su me dégoûter mais aussi me captiver, me faire peur comme me faire espérer, me donner envie de pleurer comme de rire. Incroyablement universel et actuel, Le Gang des Rêves est un hymne à ceux qui n'ont rien mais n'en possèdent que plus de dignité ; un hymne aux riches qui savent garder un cœur derrière l'argent ; un hymne à ceux qui, jamais, ne cesseront d'espérer, peu importe les origines, les positions sociales et les barrières que les êtres humains aiment à dresser entre eux.
    Le Gang des Rêves est un film... Alors oui, peut-être Luca Di Fulvio est-il le digne descendant de Martin Scorcese... Pour vous en rendre compte, il ne vous reste plus qu'une chose à faire : le lire à votre tour.

    En Bref :

    Les + : un style parfait, superbe, tendre et percutant à la fois, qui sert parfaitement l'intrigue harmonieuse du roman. 
    Les - : 
    un début un poil rude qui m'a fait un peu peur...


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  • « Entre complots, exécutions et maladie, la Cour n'était plus que l'ombre d'elle-même. »

    Mademoiselle de Pâquelin ; Jocelyne Barthel

     

    Publié en 2017

    Editions Pocket

    1052 pages 

    Résumé :

    1571. Demoiselle d'honneur de la reine mère ! Pour une jeune aristocrate de province, le privilège est de taille. N'emportant dans ses malles que son bichon maltais et toute la naïveté de ses dix-huit ans, Corine de Pâquelin découvre ainsi la Cour - ses fastes et ses mensonges, ses splendeurs et ses ombres. Car auprès de la perfide Catherine de Médicis, catholiques et huguenots se livrent d'obscures luttes d'influence...On annonce, avant peu, le mariage de Margot et d'Henri de Navarre. Pour Corine, l'amour prend les yeux d'un gentilhomme protestant. Leur lune de miel sera rouge, du sang versé sur les pavés du Louvre...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1571, la jeune Corine de Pâquelin, fraîchement débarquée de sa ville natale de Mons, devient fille d'honneur de la reine-mère, Catherine de Médicis. A dix-huit ans à peine, elle découvre la plus florissante des Cours d'Europe, celle des Valois. Jeune, dynamique, avide de plaisirs, c'est une Cour pleine d'attraits pour une jeune provinciale mais aussi pleine de dangers et de pièges, entre lesquels Corine va devoir louvoyer... Car en ce début des années 1570, si les conflits religieux semblent en sommeil, ils n'en existent pas moins pour autant et catholiques et protestants se méfient les uns des autres. A la Cour, la reine-mère tente, par un subtil jeu des alliances, de maintenir comme elle peut l'équilibre du pays, tandis que l'amiral de Coligny, chef de file des huguenots, a de plus en plus l'oreille du roi. En 1571, enfin, il est question d'un mariage sans précédent, celui d'une princesse catholique avec un prince protestant : Marguerite de Valois avec Henri de Navarre.
    Entre les châteaux du Val de Loire et Paris, Corine apprend petit à petit les rouages et le protocole de la Cour de France... Et, alors que la reine de Navarre Jeanne d'Albret arrive auprès de Catherine de Médicis, les regards de Corine sont attirés par un jeune noble béarnais, Quentin de Gayrand. Seulement, elle est une catholique fervente et le jeune homme, un farouche calviniste. Et alors que l'Histoire s'accélère et que la France vacille de plus en plus au bord du gouffre, les deux jeunes gens parlent avenir... Mais quel avenir y'a-t-il pour eux dans un royaume où les mariage mixtes sont mal vus voire pas reconnus du tout ? Vers quelles embûches avancent-ils de concert ?
    Même si le schéma de départ n'est, en soi, pas forcément spectaculaire avec cette histoire d'amour compliquée entre deux personnes qui ne devraient pas s'aimer (c'est Roméo et Juliette, Scarlett O'hara et Rhett Butler, Arletty et Soehring), Mademoiselle de Pâquelin est un grand roman historique, une grande fresque qui nous emmène, sur plusieurs années, des prémices de la Saint-Barthélémy jusqu'à la fin des années 1570 et même plus loin, si on compte l'épilogue où, en quelques pages, l'auteure nous brosse un portrait des décennies suivantes et des destinées des personnages historiques authentiques. Plusieurs années qui vont changer à jamais le visage de la royauté française et laisser une trace indélébile sur son Histoire.

    Description de cette image, également commentée ci-après

    Le massacre de la Saint-Barthélémy, par François Dubois (XVIème siècle)


    Très dense, le roman fait un peu plus de mille pages, c'est donc un bon pavé. Si le début commence avec assez de dynamisme, malheureusement je dirais que le roman a les défauts de ses qualités et, avec un tel nombre de pages il est difficile de ne pas déceler quelques longueurs de temps en temps... Ou alors il faut s'appeler Tim Willocks, qui vous embarque dans des intrigues ultra-denses et qui n'ennuient jamais mais, justement, tout le monde ne s'appelle pas Tim Willocks !
    Bref... A part ça, j'ai été très agréablement surprise par l'impeccable restitution du contexte ! On s'y croirait et on sent derrière le roman des recherches en béton en amont... Mais Jocelyne Barthel est archiviste, elle a dû être donc, au cours de sa carrière, en contact avec l'Histoire et ses témoins : les sources. Du coup même si Mademoiselle de Pâquelin est son premier roman, on sent une certaine assurance de sa part et j'ai vraiment beaucoup aimé ! Même si le roman est surtout basé sur la romance entre Corine et Quentin, le fait qu'elle soit étayée par un contexte parfaitement décrit ne gâche rien, au contraire ! Et Jocelyne Barthel n'oublie rien : les rivalités fraternelles entre les fils de la toute puissante Italienne, Catherine de Médicis qui continue de tenir le royaume sous sa coupe, les rivalités amicales et amoureuses aussi, la fragilité de Charles IX, les ambitions du duc d'Anjou, futur Henri III, chef du parti catholique et soutenu par sa mère, les heurts avec la jolie Margot, qui a un caractère bien trempé, les subtiles et sournoises politiques de balance pour satisfaire les catholiques comme les huguenots, les alliances qui se font et se défont, les batailles, le massacre de la Saint-Barthélémy...Tout y est ! C'est les films La Reine Margot  et La Princesse de Montpensier mélangés ! C'est très vivant, très visuel en un mot, très agréable à lire.
    Malgré tout, j'ai fini par trouver le roman extrêmement long et je ne sais pas si 1052 pages étaient nécessaires pour raconter cette histoire... Beaucoup de passages sont superflus et, à mon sens, n'apportent pas forcément à l'intrigue. Mademoiselle de Pâquelin est un bon roman historique, je ne peux pas le nier et d'ailleurs j'ai pris grand plaisir à le découvrir et je suis bluffée par la manière dont l'auteure s'est documentée et a intégré un contexte riche à sa romance. Mais c'est un roman un peu inégal par moments et qui a su me captiver autant qu'il m'a ennuyée parfois. Cette plongée en pleine Renaissance a été passionnante à bien des égards et même si je sors de cette lecture légèrement mitigée, je ne la regrette pas et la conseille aux amateurs de romance un peu compliquée sur fond historique... Si vous n'avez pas peur des happy end et que vous aimez l'Histoire alors cette lecture pourra assurément vous convenir

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     La Cour de France sous le règne d'Henri III (peinture de l'école flamande, 1581)

    En Bref : 

    Les + : une réelle plongée dans la France du XVIème siècle, entre fastes, magnificence et chausse-trappes, dans le sillage d'un personnage féminin intéressant et attachant...
    Les : 
    ...mais un roman malgré tout très long et un peu inégal. En ce qui me concerne, j'ai alterné entre intérêt et ennui et ma lecture en a pâti. 

     

    Thème de janvier « All you need is love », 1/12


    6 commentaires
  • « Il a commencé à peindre en Marivaux des couleurs, il a fini en La Fontaine cynique après avoir été toute sa vie un Diderot du pinceau. C'est dire s'il a épousé son siècle.  »

    Fragonard, l'Invention du Bonheur ; Sophie Chauveau

    Publié en 2013

    Editions Folio 

    524 pages 

    Résumé : 

    Du soleil de Grasse aux ateliers de Chardin et de Boucher, des intrigues pré révolutionnaires aux diktats de l'Empire, Jean-Honoré Fragonard traverse miraculeusement un demi-siècle de chaos. Dans le rougoiement crépusculaire de la monarchie, il fait apparaître une couleur nouvelle, un jaune vie éclatant, qui va révolutionner d'un sourire l'art pictural. Précurseur des impressionnistes, premier conservateur du futur musée du Louvre, Fragonard pose un regard nouveau sur l'amour. Il invente le bonheur... 

    Sophie Chauveau brosse la fresque foisonnante et passionnante de ses soixante-quatorze années d'existence. Elle nous dépeint avec jubilation une épopée de contrastes que parfument les dernières fleurs du libertinage. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Je ne vous apprendrais sûrement pas que le XVIIIème siècle est riche en grands hommes (et femmes, aussi) : philosophes, hommes de lettres, scientifiques et bien sûr, artiste.
    Et quand on évoque des noms comme ceux de Fragonard, Boucher, Watteau, Greuze, Chardin, David, ils font naître aussitôt à l'esprit une certaine idée de la France, comme au siècle suivant, les Géricault, Delacroix, Ingres, Courbet et autres Renoir, Monet, Manet...
    Le XVIIIème français a été galant et grivois, tout en roses et en courbes fraîches et dénudées mais j'avais vulgaire. Admirer une peinture de Boucher ou de Fragonard, c'est laisser courir son œil sur des scènes suggestives avec un délicieux sentiment de transgression mais jamais de voyeurisme.
    Sophie Chauveau qui avait déjà utilisé sa plume talentueuse pour brosser les portraits de Filippo Lippi, Sandro Botticelli et Léonard de Vinci dans sa trilogie Le Siècle de Florence s'attaque ici à un autre monstre sacré mais peut-être plus subtilement connu... Si Les hasards heureux de l'escarpolette est une oeuvre familière, comme Le Verrou, qui a illustré la couverture d'une édition des Liaisons dangereuses, on connaît moins l'homme qui se cache derrière, moi la première. Si la peinture de Fragonard me parlait depuis longtemps, j'ai été forcée de constater que je connaissais bien moins Jean-Honoré.
    Né en 1732 à Grasse, il est le fils de Marco, qui a francisé son nom en François et de Françoise Fragonard. Aîné et unique enfant du couple, qui perd son second enfant, âgé d'une dizaine de mois.
    S'il passe les premières années de sa vie dans cette ville de Provence écrasée de soleil, d'où il développera sa passion pour le jaune, Jean-Honoré doit très vite quitter sa terre natale, qu'il n'est pas loin de considérer comme un paradis, pour Paris.
    Adolescent, il est présenté à Boucher, alors très en vogue et à la tête d'un atelier prospère, par l'entremise de sa mère qui, dans ses dessins, a vu l'ébauche du talent. D'abord élève de Chardin, Jean-Honoré fourbit ses armes dans l'atelier triste et froid d'un maître qu'il n'oubliera pas. Puis c'est Rome et ensuite, le Louvre, dans un joyeux fatras, où s'entassent les artistes et leurs familles depuis 1608... C'est le début de la carrière que l'on connaît, les débuts d'une gloire qui ne finira pas et fera passer Fragonard à la postérité, à tel point qu'une maison de parfums de sa ville natale a pris son nom pour lui rendre hommage !
    Fragonard, c'est aussi un grand amoureux : de la vie, de la beauté, des animaux, des femmes. En 1768, il a épousé une artiste, une Grassoise elle aussi, Marie-Anne Gérard, soeur de la portraitiste et peintre de genre Marguerite Gérard. Ils auront deux enfants, dont une fille, morte à dix-neuf ans, une mort dont il ne se remettra jamais vraiment...
    Dans ce roman, Fragonard est présenté comme un homme à la sensibilité exacerbée, aimant et se passionnant avec excès, ce qui rend aussi les désillusions plus cuisantes et plus amères, que ce soit avec les animaux comme avec les gens.
    Cet artiste qui vivra soixante-quatorze ans et connaîtra la fin de l'ancien monde et l'avènement d'un nouveau, a eu une existence d'une rare intensité, d'une rare densité ! Polymorphe, il était aussi à l'aise à réaliser une scène de genre pleine de sensualité qu'un grand tableau d'Histoire, se pliant ainsi aux désirs de clients tous différents, des fermiers généraux -nouveaux riches et indissociables de ce XVIIIème d'Ancien Régime finissant- à Madame du Barry en passant par des nobles provinciaux que le temps a englouti dans ses limbes, au contraire des œuvres qui, elles, perdurent : qui se souvient du baron de Saint-Julien, commanditaire des Hasards Heureux de l'escarpolette, tableau que l'on peut encore admirer à la National Gallery de Londres ?
    Fragonard est consubstantiel de ce XVIIIème siècle français en pleine mutation, écartelé entre les traditions morales et religieuses et le libertinage des sens et de l'esprit.
    Il a été aux premières loges des dix années qui, entre 1789 et 1799, ont modelé une nouvelle France et une nouvelle manière d'aborder et d'appréhender l'art et ses significations les plus profondes.
    Avec presque aucun dialogue, le récit se déroule comme un long monologue, des rues colorées de Grasse, assoupies sous la chaleur méridionale et desquelles on pouvait toujours voir un petit bout bleu de Méditerranée et qui ont accueilli les premiers pas du petit Frago, comme l'auteure le surnomme, jusqu'à la ferveur puis la fureur de la capitale.

    Le Verrou (1774-1778)

    Très bien écrit, comme toujours, le roman se fait savant mélange de véracité et d'imaginaire mais apparaît toujours cohérent au lecteur... Ce qui fait la force des romans de Sophie Chauveau, au-delà des figures très fédératrices qu'elle choisit comme objets d'études, c'est justement sa manière de raconter et cette capacité à transcender les siècles et l'Histoire pour leur rendre leur humanité. Car derrière ces pinceaux se cachaient des hommes, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs contradictions, leurs passions, leurs faiblesses... Dans sa fureur à vouloir aimer, même ceux qui ne le méritent pas ou qui se montrent ingrats, Jean-Honoré, derrière Fragonard, s'avère extrêmement touchant et émouvant. Car c'est un personnage très attachant qui s'épanouit sous nos yeux, un personnage extrêmement sincère et demandeur d'une affection véritable pour pallier à des carences et des blessures venues de bien loin. Lui, l'amoureux d'une mère à qui il vouait beaucoup de reconnaissance et dont la mort fut le drame de sa vie rechercha incessamment amour et bienveillance dans les yeux féminins, au point d'être parfois cruellement déçu. Il fut cependant aussi amoureux et aussi amoureux de sa femme, Marie-Anne, qu'elle le fut de lui et la mort de sa fille unique, Rosalie, fut un deuil éternel.
    Tout, chez Fragonard, comme chez beaucoup de méridionaux, est exacerbé, la gouaille comme les chagrins, les plus belles joies comme les plus cruelles désillusions.
    Si tout n'est peut-être pas exactement juste dans ce roman, l'auteure a malgré tout réussi à prendre la mesure de toutes les facettes d'un artiste dont l'oeuvre n'est pas aussi simple ou futile qu'elle pourrait le paraître de prime abord... Fragonard n'est pas que le peintre des chairs féminines roses, rondes et alanguies dans des draps froissés, il n'est pas uniquement non plus celui de la fulgurance amoureuse. Certes, aujourd'hui on retient mieux ces œuvres légèrement grivoises qui nous évoquent les écrits de Choderlos de Laclos ou Crébillon et la sensualité épicée du siècle des Lumières... Il est aussi un vrai peintre d'Histoire, qui a influencé David et précurseur, par sa technique, des impressionnistes. 
    Fragonard a inspiré la peinture de son temps et celle des décennies suivantes... Il est parvenu jusqu'à nous avec ses tableaux pleins de dynamisme et plein de vie, où l'existence et la joie de vivre n'ont jamais été si bien croquées...
    Fragonard est un peintre intemporel en même temps que très ancré dans une époque. Il est un peintre sincère et qui ne trichera jamais, même pour plaire au régime corseté de la première Révolution, à la licence du Directoire ou à l'austérité de Bonaparte.
    C'est qui transparaît tout du long dans Fragonard, l'invention du bonheur et c'est, à mon sens, ce qui est le plus important.
    J'aimais déjà la peinture de Fragonard parce qu'elle tranchait avec la rigueur académique du siècle précédent et parce qu'elle me permettait de toucher du doigt une période qui me passionne immensément. En entrevoyant ce que l'homme, derrière le pinceau, pouvait être, cette peinture me paraît encore plus digne d'être aimée, admirée, louée et connue parce qu'elle avant tout sorti du cœur généreux d'un homme ordinaire mais authentique et vrai

     

    Les hasards heureux de l'escarpolette (1767)

    En Bref :

    Les + : un roman historique très bien écrit, très cohérent, une biographie romancée, certes, mais qui nous donne une image vraisemblable de Jean-Honoré Fragonard, peintre méridional chaleureux qui parvint à percer le microcosme parisien et à se faire un nom...
    Les - :
     pas vraiment de points négatifs à soulever...

     


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