• « La discipline militaire et son règlement s'adressent à des hommes, certes pétris dans la glaise du courage, mais qui ont aussi leurs petites faiblesses et quelques défauts. »

    Amitiés rouge Sang - Le Sang des Âmes

    Publié en 2018

    Editions Librinova (livre numérique)

    503 pages

    Résumé :

    1914, Franz Reihmann trouve l’amour mais déjà la guerre le happe et le cloue dans les tranchées à Neuve-Chapelle, (62). 1916, Francisco et Amilcar, enrôlés côté portugais, se battent dans le même bourg. Un Christ, tombé de sa croix, devient un symbole face à l’ennemi. Bientôt l’Allemand et les deux Portugais sont face à face.
    1956, Francisco, chargé des cimetières Portugais en France, orchestre la remise du Christ qu’il fait transporter à Batalha. Instable, il papillonne tandis qu’Amalia, sa maîtresse, l’attend.
    Mutilé, Franz épouse Cornélia à Karlsruhe. Le couple fait face à moult revers.
    Mai 1968. Franz et son petit-fils découvrent un cliché du Christ des tranchées. Les recherches les mènent à Paris en pleine insurrection et au Portugal où Francisco se morfond, honteux d'avoir fomenté une vengeance machiavélique envers l'ex maîtresse de son ami Amilcar.
    Tissé entre des faits historiques avérés, largement méconnus, ce roman s’étale sur une soixantaine d’années.

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Il y'a quelques semaines, j'ai été contactée par les éditions Librinova qui me proposaient la lecture du roman Amitiés rouge Sang, de Jean-Pierre Schackis. C'est une maison d'édition qui ne propose que des livres numériques et, si vous me suivez depuis un moment, vous avez pu constater que je ne lis pas sur liseuse : je n'ai rien contre et c'est vrai que c'est réaliser de vraies économies, en place comme en argent, que d'avoir recours à la lecture numérique... Malgré tout, je n'ai pas encore franchi le pas et nul doute que ce ne sera pas pour tout de suite. Au-delà du plaisir de la lecture, j'aime le livre en tant qu'objet et j'ai bien du mal avec un ouvrage dématérialisé qui a, malgré toute sa qualité, moins d'âme.
    Ceci étant dit, je ne me voyais pas non plus refuser cette lecture et c'est donc via l'application Google Play Books que j'ai lu ce conséquent roman d'un peu plus de 450 pages.
    Alors, justement, qu'est-ce qui m'a motivée à lire ce roman ? L'époque, tout simplement, car Amitiés rouge Sang est un roman historique qui se déroule sur près de cinquante ans, de 1914 au début des années 1970... Au travers des journaux de nos deux protagonistes, Francisco et Franz, nous traversons toute la première moitié du XXème siècle, entre conflits mondiaux, croissance économique, réaménagement des frontières et émeutes étudiantes et ouvrières de mai 1968.
    Que partagent Franz et Francisco, hormis un prénom presque semblable et qui rappelle notre pays, la France ? L'un est un Allemand, de Karlsruhe, fils d'industriel. L'autre est un Portugais de Lisbonne. En apparence, rien ne devrait les réunir et pourtant... Ils ont vingt ans ou presque en Quatorze quand la Première guerre est déclarée et chacun va se retrouver au cœur des combats, dans les tranchées, mais dans des camps ennemis. Et, en 1968, lors d'un voyage à Verdun avec son petit-fils, Franz reconnaît sur une photo, un Christ qui, pendant plusieurs mois, a surplombé les lignes portugaises et allemandes, une photo qui va l'emmener jusqu'à Neuve-Chapelle, dans le Pas-de-Calais et jusqu'à Lisbonne, où Franz retrouvera Francisco cinquante ans après leur première rencontre.
    Cette grande fresque historique avait tout pour me plaire et je l'ai effectivement trouvée très dense et bien menée, avec un contexte maîtrisé par l'auteur. Jean-Pierre Schackis ne ménage pas son lecteur avec des passages parfois particulièrement durs et éprouvants mais nécessaires. Beaucoup de chapitres sont consacrés au récit de la vie dans les tranchées, entre promiscuité, froid, boue, attaques ennemies régulières, faites pour démoraliser, système militaire et propagande habile qui broient le combattant, même le plus volontaire... Quant à sa réflexion sur la guerre en général et ses conséquences dans le temps, je l'ai trouvée aussi très juste. Enfin, les points de vue adoptés s'ils ne sont sûrement pas inédits, n'en sont pas moins originaux... ici les protagonistes ne sont ni anglais, ni français... Ils sont allemands et portugais... Pour le premier, c'est, disons, le point de vue de celui que l'on considère comme l'ennemi, dès lors que l'on étudie les deux conflits mondiaux. Pour le second, très honnêtement je l'avoue, je ne savais pas du tout que des contingents portugais s'étaient battus en France aux côtés des Alliés. Du coup, j'ai trouvé vraiment intéressant que l'auteur prête sa plume à ces deux personnages, qui nous livrent une vision différente du conflit qu'ils vivent et en même temps, si semblable : la détresse, la peur, l'espérance, l'instinct de survie n'ont pas de nationalité et n'appartiennent à aucun peuple, comme l'illustrent bien Franz et Francisco.
    Quant au Christ des tranchées, qui unit nos deux personnages, d'abord sur les lieux du conflit, dans ce Nord de la France ravagé par les obus puis qui, à la fin des années 60 leur permet de se retrouver, sans haine et sans ressentiment, c'est une histoire vraie et j'ai trouvé très intéressant que l'auteur intègre cet épisode à son récit. Alors, justement, qui est-il, ce Christ ? Au plus fort des combats, les soldats pouvaient voir un grand Christ, initialement placé sur un calvaire détruit. Sa croix l'avait été aussi et, amputée des deux jambes, fichée en terre, la statue avec ses bras ouverts semble implorer l'arrêt de ces combats fratricides. En 1958, quarante ans après l'armistice, le Christ quitte la France pour le Portugal, où il est encore visible, veillant sur les tombes des soldats inconnus portugais, l'un tombé en Afrique et l'autre en France.
    Personnellement je ne connaissais pas cet épisode de la Première guerre mondiale et j'ai trouvé plaisant de le découvrir, d'autant plus que l'auteur l'intègre avec beaucoup d'habileté à son récit.
    Enfin, l'alternance de narrateur nous permet d'avoir toujours, comme dans un miroir, la vision de l'un puis celle de l'autre.
    Bref, Amitiés rouge Sang est un bon roman MAIS...car il y'a un mais, j'ai été très déçue des erreurs récurrentes qui donnent l'impression de lire des épreuves non corrigées alors que, vraisemblablement, ce n'est pas le cas ! Qu'un auteur fasse des erreurs, en soi, c'est normal. Ça peut arriver à tout le monde mais justement, il y'a des phases de correction qui permettent d'éliminer erreurs et coquilles...or, là, à mesure que j’avançais, j'avais l'impression que les erreurs se faisaient de plus en plus nombreuses : erreurs de syntaxe, parfois de conjugaison, absence d'un mot, chronologie parfois un peu confuse. J'avoue que j'ai eu du mal à réfréner mon agacement à mesure que j’avançais dans ma lecture ! Quelques erreurs passent encore mais quand il y'en a toutes les deux pages, au bout d'un moment, c'est non ! Je trouve que c'est décourageant et que le rythme de lecture en est perturbé ! C'est comme regarder un film avec plein de faux raccords et c'est dommage, d'autant plus que le fond, en lui-même, est bon. L'auteur a travaillé son sujet et le connaît bien, en sortant parfois des sentiers battus, s'éloignant des grands épisodes connus pour s'arrêter sur d'autres, perdus dans les brouillards de l'Histoire. Je n'aurais eu aucun déplaisir à lire ce roman si ces erreurs n'avaient pas si été nombreuses. Au contraire, je crois que j'aurais été captivée ! Et d'ailleurs, je ne serais pas sincère si je disais que je n'ai pas aimé ce roman car ce n'est pas vrai... Jean-Pierre Schackis a imaginé un roman cohérent intercalant faits imaginaires et historiques. Entre violence, émotion et réflexions justes, on s'attache tout autant à Franz et à Francisco. Voilà une bonne lecture mais qui aurait pu être encore meilleure si la forme avait été à la hauteur du fond !

    Je remercie ceci étant dit -et très chaleureusement- les éditions Librinova de m'avoir proposé cette lecture ! !

    En Bref :

    Les + : un roman historique assis sur des bases solides, une intrigue percutante et bien menée. 
    Les - :
    des erreurs récurrentes et c'est vraiment dommage. Sans ça, le roman aurait été bien meilleur. 


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  • « On n'oublie jamais. On se contente de faire semblant. »

    Les Tisserands de la Licorne ; Françoise Bourdon

    Publié en 2007

    Editions Pocket

    320 pages

    Résumé :

    En 1869, le village de Saint-Blaise vit au rythme du tissage artisanal du drap. Joséphine, dix-sept ans, étouffe dans la maison familiale où le métier à tisser prend toute la place. Contre l'avis de son père, elle décide de partir pour Sedan.
    Là-bas, elle tombe amoureuse de Jérôme, le fils de la puissante famille Desprez, propriétaire d'une fabrique de draps depuis près de deux siècles. Très épris l'un de l'autre, ils projettent de se marier malgré l'opposition de la tyrannique mère du jeune homme.
    Mais la guerre de 1870 va bouleverser leur destin...

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    A la veille de la guerre de 1870, les Ardennes et notamment la ville de Sedan et les villages environnants, vivent au rythme des métiers à tisser. Les manufactures sedanaises tournent à plein régime et leurs draps sont envoyés partout en France et même au-delà. Joséphine, dix-sept ans, vit à Saint-Blaise, village tisserand, dans lequel elle étouffe : orpheline de mère, la jeune femme, comme ses frères et sœurs, doivent supporter la violence d'un père alcoolique. Sur un coup de tête, Joséphine quitte la maison familiale pour Sedan où elle est embauchée à la Licorne, une puissante usine de draps. Là, la jeune femme découvre le monde ouvrier et industriel à grande échelle, bien différent de celui, plus artisanal, qu'elle a connu jusque là dans son petit village. Un jour, dans la cour de la manufacture, elle rencontre Jérôme : il s'agit du fils unique et donc héritier de Charles et Félicité Desprez, les propriétaires de la Licorne. Tombés amoureux, les deux jeunes gens deviennent amants, au grand dam de Félicité, qui voue une haine à cette jeune femme qu'elle prend pour une arriviste. Elle va alors tout tenter pour les séparer mais l'Histoire va les rattraper : la Prusse menace la France et, en 1870, c'est à Sedan que meurt le Second Empire, après que Napoléon III ait été fait prisonnier. Occupées, les Ardennes sombrent dans un chaos dont elles ne sortiront que quelques années plus tard et les manufactures s'arrêtent.
    Entre grande Histoire et histoires individuelles, Françoise Bourdon signe là un roman intéressant, sur fond d’industrialisation et de guerre. Le personnage de Joséphine est, sinon attachant, du moins admirable pour son courage, sa détermination, sa volonté de s'en sortir, malgré les critiques, malgré les coups bas.
    Les Tisserands de la Licorne aborde beaucoup de sujets : la France industrielle, la modernisation galopante, le monde qui change, la guerre qui anéantit tout. Région frontalière, les Ardennes seront particulièrement touchées par les conflits de 1870, de 14-18 puis de 39-45. C'est aussi, comme le grand Est et le Nord, une région très industrialisée au contraire du reste du pays, qui reste encore très rural et agraire. Là-bas, on vit au rythme des mines, de charbon ou d'ardoise ou à celui, comme à Sedan, des métiers à tisser. Les drapiers sont des notables influents et font tourner les rouages de Sedan, avant que la guerre ne vienne enrayer la machine et ne marque le début d'une grande modernisation qui en laissera certains sur le carreau.

    La manufacture royale de draps du Dijonval à Sedan


    J'ai trouvé que Françoise Bourdon prenait très bien la mesure de l'époque dans laquelle elle situe son roman : les revendications syndicales, l'organisation des entreprises, l'occupation prussienne après 1870 mais aussi la passion, profonde, qui fait de leur métier, pour beaucoup de tisserands, un compagnon de vie à part entière. Enfin, c'est la seconde moitié du XIXème siècle, un monde en plein mutation, qui revit ici sous nos yeux.
    A travers Joséphine, ce sont aussi les premiers combats des femmes pour leur reconnaissance qui sont abordés, ou même à travers Félicité Desprez, véritable gestionnaire. C'est le combat de femmes qui veulent enfin être reconnues autrement que comme des mères et des épouses et prouvent au monde entier qu'elles sont suffisamment intelligentes pour savoir, comme les hommes, mener leur barque, faire des choix, voire diriger et avec beaucoup d'à-propos d'ailleurs, des entreprises ou des usines, bref, à être des patronnes.
    Le seul bémol que je soulèverais, comme pour Le Maître Ardoisier, c'est que Les Tisserands de la Licorne est parfois un peu trop rapide. J'ai trouvé que les premiers chapitres ne nous permettaient ni de bien connaître les personnages ni de bien nous installer dans l'intrigue. On sait le principal sur Joséphine mais je crois que le mot, quitte à être un peu plus long, aurait mérité d'être parfois un peu plus développé...C'est difficile de traiter plus de vingt ans en un peu plus de 300 pages et je comprends bien sûr que l'auteure, parfois, ne se soit pas attardée...C'est sûr qu'on ne peut pas reprocher au roman d'être plein de longueurs... ! Mais parfois, c'est bien aussi de prendre le temps, surtout au début...sans tomber bien sûr dans l'excès inverse avec des pages et des pages, des tonnes et des tonnes de descriptions ! A part ça, le reste du roman est intéressant et j'en ai beaucoup appris sur le métier de drapier et de tisserand -même si certains termes auraient peut-être mérité d'être expliqués. Françoise Bourdon décrit aussi très bien et avec beaucoup d'affection cette région des Ardennes, qu'elle avait déjà utilisée comme cadre de son roman Le Maître Ardoisier : d'ailleurs, j'ai trouvé que le personnage de Joséphine ressemblait à celui de Benjamine Warlet, qui se bat pour les ardoisières familiales, avec beaucoup de force et de détermination.
    Ce court roman, entre Histoire et traditions, saura sûrement trouver son public ! ! Pour ma part, si je n'ai pas été convaincue par tout, j'ai trouvé que Les Tisserands de la Licorne était un bon livre et l'auteure a fait de bonnes et solides recherches pour restituer une époque dans toute sa richesse et sa complexité mais aussi sur l'industrie drapière et ses particularités. Entre roman historique et destin de femme, Les Tisserands de la Licorne nous emmène au cœur de ce XIXème siècle entre traditions et modernité. 

    En Bref :

    Les + : un roman historique et de terroir entre histoires individuelles et grande Histoire, dans un contexte d'industrialisation en pleine expansion.
    Les - :
    un début un peu trop rapide et quelques termes techniques qui auraient peut-être mérité d'être expliqués...

     

     

    Brooklyn ; Colm Tóibín

     Thème de septembre, « Nos régions ont du talent », 9/12


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  • « Cette nuit, je rêverai de Tyneford House. Dans mon sommeil, je verrai le manoir tel qu'il était en ce premier été. Les églantines autour de la porte de service. Le cheval dans la cour qui grince des dents. L'odeur du magnolia et des embruns. Alors je me réveillerai à l'intérieur de mon rêve. [..] J'ai un goût salé sur la langue. Un goût de larmes et de longue traversée. »

    Le Manoir de Tyneford ; Natasha Solomons

    Publié en 2011 en Angleterre ; en 2014 en France (pour la présente édition)

    Titre original : A Novel in Viola

    Editions Le Livre de Poche

    518 pages

    Résumé :

    Au printemps 1938, l'Autriche n'est plus un havre de paix pour les juifs. Elise Landau, jeune fille de la bonne société viennoise, est contrainte à l'exil. Tandis que sa famille attend un visa pour l'Amérique, elle devient domestique à Tyneford, une grande propriété du Dorset. C'est elle désormais qui polit l'argenterie et sert à table. Au début, elle se fait discrète, dissimule les perles de sa mère sous son uniforme, tait l'humiliation du racisme, du déclassement, l'inquiétude pour les siens, et ne parle pas du manuscrit que son père, écrivain de renom, a caché dans son alto. Peu à peu, Elise s'attache aux lieux, s'ouvre aux autres, se fait aimer...Mais la guerre gronde et le monde change. Elise aussi doit changer. C'est à Tyneford pourtant qu'elle apprendra qu'on peut vivre plus d'une vie et aimer plus d'une fois.
    Par l'auteur du délicieux Jack Rosenblum rêve en anglais.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1938, la jeune Elise doit quitter sa ville natale de Vienne pour l'Angleterre... Elle est la fille d'un auteur renommé et d'une célèbre cantatrice mais cette notoriété ne sert à rien... Dans la Vienne de la fin des années 1930, les Landau sont des indésirables pour le régime... En d'autres termes, des Juifs. Et leur vie en est menacée, au point que Julian et Anna, les parents, décident d'envoyer leurs filles en sécurité : Margot, l'aînée, ira aux États-Unis avec son époux tandis que la jeune Elise doit traverser la Manche pour se placer dans comme domestique dans une grande maison du Dorset, Tyneford House. Au service de Mr. Rivers, la jeune femme va découvrir une vie radicalement éloignée de ce qu'elle connaissait jusque là mais elle va finir, malgré la méfiance et le racisme, dans le contexte pas facile de la Seconde guerre mondiale, à s'y faire une place... pourtant, Elise va à l'encontre de bien des difficultés malgré la stabilité qu'elle a pu trouver en son nouveau foyer. Des difficultés qui la feront grandir et évoluer et lui permettront aussi, d'une certaine manière, de faire le deuil de ce qu'elle a perdu pour toujours et ne retrouvera plus...
    Le Manoir de Tyneford fait partie de ces romans au style tout en finesse et qu'on lit la gorge serrée, étreint par une multitude d'émotions que la plume subtile de l'auteur parvient à transmettre par des mots sur le papier. Je ne connaissais pas Natasha Solomons et je dois dire qu'elle a une très belle écriture ! Cette histoire, qui aurait pu en être une énième sur la guerre, donc du vu et revu n'en est finalement pas parce que l'auteure en a fait quelque chose de personnel et de très beau, avec la musique en trame de fond, la musique comme un palliatif à la guerre et à sa barbarie... Le Manoir de Tyneford est un drame, un roman empli de tristesse et de mélancolie mais aussi quelque part porteur de beaucoup d'espoir... Étrangement, ce roman m'a finalement émue le plus quand la lueur est enfin perceptible au bout du tunnel, après le marasme des années 1940... Les réunions et les retrouvailles m'ont plus touchée que les séparations... Finalement, le livre illustre bien que, dans tout drame un jour il y'a une renaissance.
    J'ai beaucoup aimé que l'auteure s'inspire de deux histoires vraies pour bâtir son roman : celle d'une parente autrichienne, qui a inspiré le personnage d'Elise et quitta son pays pour devenir aide maternelle en Angleterre, pendant la guerre ; et celle d'un village du Dorset, Tyneham, village réquisitionné en 1943 par l'armée et qui ne fut jamais rendu à la vie civile. Aujourd'hui c'est un village fantôme, figé dans le temps et ouvert au public quelques mois par an. Son manoir élisabéthain a été en partie démoli dans les années 1960... C'est lui qui a inspiré Tyneford à Natasha Solomons.
    Maintenant, j'aimerais vous parler du personnage d'Elise, au centre de ce récit... Elise qui, au début du roman, est une jeune Viennoise comme les autres, une jeune femme de dix-neuf ans issue cependant d'une classe aisée et qui n'a jamais connu de difficultés...Entourée d'une soeur et de parents aimants, elle a finalement une vie confortable et par beaucoup d'aspects, enviable. Mais tout est en train de changer, puisque, avec les lois anti-juives, Vienne, la somptueuse capitale des Habsbourg est en train de devenir une ville sombre et paranoïaque, une ville de pogroms et d'autodafés, où les devantures des commerces juifs sont brisées. L'Autriche, en 1938, est devenue un satellite du Reich où sa forte population juive n'est plus en sécurité... Certains comme Elise sont parvenus à s'échapper... Beaucoup connaîtront l'enfer des camps de concentration...
    Je me suis attachée à Elise dès le début, même si c'est encore une enfant un peu capricieuse dans les premiers chapitres. On perçoit cependant tout le désarroi d'une jeune fille qui doit quitter tout ce qu'elle a toujours connu puis qui découvre un pays étranger, une langue et un mode de vie qui le sont tout autant... En Angleterre, Elise rétrograde d'un rang : alors qu'à Vienne elle était servie, voilà qu'à son tour elle devient domestique... J'ai essayé de me mettre à sa place et de comprendre ce qu'elle peut ressentir : l'humiliation due à la condescendance de ceux qu'elle sert, la nostalgie de son univers familier, le manque de ses parents, l'incertitude et l'angoisse quant à leur situation périlleuse en Autriche, l'attente toujours, l'espoir de les revoir, en Angleterre ou en Amérique... J'ai trouvé Elise touchante et fragile mais aussi très courageuse... Elle symbolise bien toutes ces personnes dont l'existence a été bouleversée à jamais par cette guerre : la séparation d'avec les siens, des vies brisées à jamais, des lieux quittés sans espoir de retour, des frères et soeurs qui se retrouvent des années plus tard sans se reconnaître, l'enfer de la déportation et de la Shoah...

    Les ruines du village de Tyneham, dans le Dorset, qui ont inspiré Tyneford à Natasha Solomons


    Elise échoue dans un monde en perdition lui aussi, celui de ces grands domaines anglais dont les rouages parfaitement huilés ont commencé à s'enrayer après 14-18... Un monde où malgré la guerre, malgré le manque d'argent, le majordome continue de servir à table en gants blancs et à soigneusement repasser chaque matin le journal du maître de maison. C'est une époque de profonds bouleversements que décrit l'auteure ici, une époque charnière entre le premier XXème siècle et le deuxième... La Seconde guerre mondiale est un tournant, un moment où le monde évolue du tout au tout, comme les êtres et sonne le glas d'une ère bientôt révolue...
    Voilà un roman comme je les aime... Le Manoir de Tyneford est une caresse mais aussi une gifle... C'est un roman qui nous fait sourire et qui nous fait pleurer... C'est un roman qui nous fait nous sentir vivant, car la vie, souvent, est plus forte que tout.
    Dernièrement, j'avais beaucoup aimé la vision froide, noire et torturée de la Seconde guerre mondiale et de son immédiat après de Sébastien Spitzer dans Ces rêves qu'on piétine... Un livre choc et coup de poing qui laisse tout, sauf indifférent.
    Je me suis rendu compte que chaque auteur a une vision personnelle et une manière bien à lui d'aborder cette période qui fait partie de notre Histoire commune même si on est né bien après... Natasha Solomons instille dans son roman la nostalgie et la tristesse de ceux qui sont partis et ont été obligés de se reconstruire ailleurs... Sans violence, elle nous livre ici un récit en forme de devoir de mémoire... Un livre qui nous murmure à l'oreille combien se souvenir est important, malgré le temps qui passe. Aujourd'hui encore en 2018, des êtres et des pays portent encore les stigmates de ce traumatisme quasi universel. Elise n'a peut-être pas existé, Tyneford non plus... Mais Gabi Landau et Tyneham, oui et c'est un très bel hommage que leur rend l'auteure.
    Le Manoir de Tyneford est clairement une de mes meilleures découvertes de l'année et j'en ressors avec les larmes qui ne sont pas loin...
    Une lecture formidable... Oui, formidable : quand on aime, n'ayons pas peur des mots. 

    En Bref :

    Les + : une histoire subtile et tout en finesse, émouvante, touchante et dramatique ; le style de l'auteure est aussi, clairement, d'une grande qualité !
    Les - : la seule déception que j'aie pu ressentir et encore, je ne sais pas si on peut réellement parler de déception, c'est à propos de ce fameux roman dans l'alto, qui donne même son nom original au roman... Le dénouement le concernant est certes surprenant mais aussi légèrement décevant, je ne m'attendais pas à ça... Ce n'est cependant qu'un minuscule bémol.


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  • « J'ai toujours voulu voir plus loin que mes yeux ne le peuvent. »

    Une Chanson pour Ada ; Barbara Mutch

    Publié en 2012 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Housemaid's Daughter

    Editions Pocket

    512 pages

    Résumé :

    1930. Au cœur de l'Afrique du Sud, chez les Harrington de Cradock House, naît Ada, fille illégitime de la domestique noire. Très tôt privée de mère, elle trouve en la douce Mrs Harrington une protectrice suffisamment généreuse pou lui enseigner ce qui deviendra la passion de sa vie : le piano. Mais les assiduités du maître de maison chassent bientôt la jeune fille de ce paradis.
    Ada a dix-huit ans et la politique de l'apartheid se répand comme une traînée de poudre sur l'ensemble du territoire. Son talent pour la musique et l'amitié de Mrs Harrington vont se révéler ses seuls alliés dans un monde où elle semble n'avoir nulle part sa place...


    Ma Note : ★★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Une Chanson pour Ada est un roman lumineux et plein d'espérance, certainement une des plus belles découvertes de l'été 2018.
    Entre les années 1930 et 1990, c'est un portrait flamboyant de femme que nous offre Barbara Mutch ainsi que la description sans concession d'un pays troublé, l'Afrique du Sud, en plein apartheid.
    Parce que je ne connais pas vraiment l'Afrique du Sud, j'ai eu vite envie de lire ce roman, après avoir pris connaissance du résumé.
    Dans Une Chanson pour Ada, c'est au travers des yeux de celle-ci, jeune fille noire de Cradock que nous traversons cette époque agitée, mais aussi au travers des yeux de Catherine Harrington, sa maîtresse, irlandaise de naissance venue se marier en Afrique du Sud au début du XXème siècle.
    Noir et blanc. Ambivalence incessante : voilà des termes qui caractérisent à merveille ce roman. Une Chanson pour Ada est un roman paradoxal, qui recèle autant de douceur que de violence, autant d'espérances que de marasmes... Barbara Mutch, sud africaine de naissance a su prendre la mesure du contexte et le transposer habilement dans son livre, sans pour autant tomber dans le manichéisme : non, l'apartheid, ce n'est pas que des gentils contre des méchants. C'est un système de ségrégation, comme il y'en avait aussi en Amérique au même moment, avec une multitude de courants, des radicaux et des plus modérés. Enfin, appartenir à tel ou tel camp de part sa couleur de peau ne veut pas forcément dire qu'on cautionne tout pour autant : c'est le cas par exemple de Mrs Cath, la maîtresse d'Ada, qui l'aime comme sa fille et pour qui la couleur de la peau compte peu.
    Ce roman est une grande fresque historique, qui nous fait traverser les années 1930 puis la Seconde guerre mondiale et enfin, les années troubles qui verront la mort de plusieurs leaders noirs et l'emprisonnement de Mandela. C'est aussi une fresque familiale où le destin des Harrington, riches colons originaires d'Irlande, se mêle étroitement à ceux de leurs bonnes noires, Miriam et sa fille Ada, Ada qui révélera très tôt une passion pour le piano, comme Mrs Cath, ce qui va les rapprocher et les lier étroitement.
    Dans son roman, Barbra Mutch ne donne pas de leçons et ne culpabilise personne, au contraire. C'est un beau récit qui transcende ce système des races, tout à fait faux mais persistant et qui juge de l'utilité et de l'importance d'une personne à sa couleur de peau ; c'est un récit de communion entre deux femmes liées par une même passion, par la musique et sa beauté et peu importe alors que l'une soit blanche et l'autre noire, peu importe que l'une soit riche et l'autre pas, parce qu'au delà de ces contingences matérielles, c'est aussi la beauté immanente et intangible de l'art qui unit ces deux destins qui n'auraient jamais dû se trouver.
    Une Chanson pour Ada serait presque une histoire d'amour, celle de deux femmes qui se trouvent au-delà ou justement peut-être grâce à leurs différences et qui se consolent mutuellement de ce qu'elles n'ont pas ou de ce qu'elles n'ont plus... Mrs Cath et Ada, à leur manière, sont deux héroïnes extraordinaires et attachantes, qui nous font nous sentir partie prenante de leur combat et nous font du bien parce qu'elles recèlent beaucoup d'espérance et d'optimisme.
    Ce roman peut plaire à un public large : aux amoureux de la musique, parce que le piano Zimmermann de Cradock House et la musique classique sont des héros à part entière du récit ; aux amoureux, comme moi, de belles histoires, de grandes fresques exotiques et dépaysantes qui prennent corps dans un pays lointain.
    Il y'a du Tamara McKinley dans ce roman, du Colleen McCullough ou du Sarah Lark mais aussi du Kathryn Stockett : lire Une Chanson pour Ada m'a furieusement rappelé une autre lecture percutante et forte, celle du roman La Couleur des Sentiments, qui se passe aux États-Unis dans les années 60, alors que la ségrégation y est à son niveau maximal et que les Noirs se battent pour leurs droits et l'égalité avec les Blancs. Et il se passe la même chose, au même moment, en Afrique du Sud : violences policières, pauvreté, empoisonnements arbitraires sont le lot quotidien. Barbara Mutch décrit aussi très bien les violences envers les métis, coupables de n'être ni tout à fait noirs ni tout à fait blancs et sont rejetés par tous. Elle décrit aussi ce climat de peur et de suspicion qui s'installe vite et fait monter la violence des deux camps...
    Une Chanson pour Ada est un roman habile, efficace et tout en nuances. Des nuances qui prennent la teinte ocre de la terre du Karoo, cette région grandiose et sauvage où prend corps le récit. C'est une Afrique immémoriale, faite de traditions, de musiques et de chants mais aussi une Afrique façonnée par les colons européens, néerlandais d'abord puis anglo-saxons qui revit sous nos yeux... Une Afrique qui n'existe peut-être plus aujourd'hui mais qui a existé il n'y a pas si longtemps - n'oublions pas que Nelson Mandela, par exemple, n'a été libéré qu'en 1990 ! Il a certes été par la suite président de la République d'Afrique du Sud mais avant cela, il avait passé plus de trente ans incarcéré.
    L'apartheid est un épisode violent de l'Histoire d'un pays, qu'il ne nous appartient pas de juger comme ayant bien fait ou mal fait ; la grande Histoire et la somme de plus petites, toutes subjectives et qu'il faut avec le recul juger avec objectivité... Il n'est pas question de considérer comme légitime un système inique de ségrégation basé sur la couleur de peau et donc fondamentalement raciste. Il faut seulement aborder le problème dans son ensemble et dans son contexte et ce que fait l'auteure avec beaucoup de talent, en oubliant la répulsion normale qu'une telle morale, si éloignée de la nôtre, peut engendrer.
    Une Chanson pour Ada est le roman de la bienveillance et du partage, de l'amour pur qui ne demande rien en retour. C'est un roman fort et qui donne à réfléchir, c'est certain. L'autre point fort de ce livre, assurément, c'est le style, qui s'adapte selon que l'auteure prête sa plume à Ada ou Mrs Cath, qui ont deux passés différents, deux éducations différentes, deux manières de s'exprimer différentes. J'ai aimé découvrir cette histoire à travers les yeux d'Ada, qui nous emmène des beaux quartiers blancs et proprets aux townships agités de bruits, de musique et de danse. Mais j'ai aimé aussi découvrir les récits de Mrs Cath, en forme de journaux intimes, qui viennent s'intercaler au récit fait par Ada, très certainement dans les années 1990, alors qu'elle se retourne sur une vie qui touche doucement à sa fin.
    Si ce roman n'a pas été un coup de cœur, assurément il aura été une bonne lecture, de ces lectures qui vous font passer par toute une palette d'émotions. C'est la magie de la lecture et, une chose est sûre, Barbara Mutch sait nous emporter.
    A mettre entre tous les mains. 

    En Bref :

    Les + : une très belle histoire, flamboyante et pleine d'espoir qui dépayse et enseigne. Parfait.
    Les - : Aucun !

     

    Brooklyn ; Colm Tóibín

     Thème d'août, « Saga Africa », 8/12


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  • « La vie était une épreuve d'endurance face à laquelle tout le monde finissait par échouer. »

    Une Saison à Longbourn ; Jo Baker

    Publié en 2013 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : Longbourn

    Editions Le Livre de Poche

    453 pages

    Résumé :

    Sur le domaine de Longbourn résident les Bennet et leur cinq filles, en âge de se marier. A l'étage inférieur veillent les domestiques. Personnages fantomatiques dans l'oeuvre de Jane Austen Orgueil et Préjugés, ils deviennent ici les protagonistes du roman. Mrs Hill, l'intendante, orchestre la petite troupe -son époux, la juvénile Polly, Sarah, une jeune idéaliste qui rêve de s'extraire de sa condition, et le dernier arrivé, James- d'une main de fer. Tous vivent au rythme des exigences et des aventures de leurs patrons bien-aimés. Une fois dans la cuisine, les histoires qui leur sont propres émergent et c'est tout un microcosme qui s'anime, pendant qu'Elizabeth et Darcy tombent amoureux au-dessus.

    Ma Note : ★★★★★★★★★

    Mon Avis :

    Il y'a quelques années, quand les premiers romans inspirés de l’œuvre de Jane Austen sont apparus et ont eu beaucoup de succès, j'ai ostensiblement passé mon chemin en détournant mes yeux de lectrice outrée que l'on puisse s'attaquer au monumental univers d'une auteure classique que l'on ne présente plus... d'autant plus que, très souvent, ces réécritures étaient des romances et cela me poussait encore plus à prendre mes jambes à mon cou !
    J'étais persuadée et je le suis toujours d'ailleurs, qu'une adaptation, si bonne soit-elle, n'égalera jamais l'original. Mais en découvrant Une Saison à Longbourn, je dois dire qu'il est possible de rendre un bel hommage à une œuvre puisque c'est exactement ce que fait Jo Baker dans son roman. J'ai beaucoup aimé la postface où l'auteure nous explique comment elle a découvert l’œuvre de Jane Austen et notamment Orgueil et Préjugés, qui reste son roman favori. De là son envie de lui rendre hommage en écrivant Longbourn (qui est donc devenu Une Saison à Longbourn en français).
    Dans son roman, Jo Baker se place du côté des domestiques et non plus du côté des maîtres : si toute l'intrigue se déroule chez la famille Bennet, ce n'est plus elle qui est au centre du récit mais les domestiques qui les servent, Mr. et Mrs. Hill, majordome et gouvernante de Longbourn, Sarah et Polly, les femmes de chambre et James, le valet. Dans l’œuvre originale, les domestiques n'apparaissent que de façon sporadique et pourtant, leur présence est nécessaire pour qu'une demeure comme Longbourn tourne comme un mécanisme bien huilé.
    En se plaçant auprès des domestiques des Bennet et en leur rendant la voix dont ils avaient été privés par Jane Austen dans Orgueil et Préjugés, c'est aussi une vision sociétale et historique que Jo Baker nous donne : dans Une Saison à Longbourn, elle nous représente quelles sont les conditions de vie des domestiques à l'époque géorgienne, dans une maison de la gentry rurale comme il y'en avait tant à l'époque. L'auteure décrit aussi très bien les hiérarchies tacites qui peuvent s'instaurer entre valets d'une même maison ou avec ceux des autres et comment, parfois, ce sont même des liens familiaux et affectueux qui peuvent se tisser entre eux. Et, tandis qu'à l'étage, la fougueuse Lizzie succombe au charme ténébreux de Mr. Darcy et que Jane et Mr. Bingley tombent amoureux à leur tour et alors que l'inconstante Lydia se jette à la tête du déplaisant Wickham, la touchante Sarah, femme de chambre des filles Bennet pourrait bien à son tour découvrir l'amour...
    Une Saison à Longbourn est une tranche de vie, un roman doux où il ne se passe peut-être pas grand chose mais qui est un beau portrait du début du XIXème siècle britannique. On voit Longbourn traverser les saisons, les filles participer à des bals et autres réceptions puis se marier, prestigieusement ou non. Mais tous ces événements bien connus des lecteurs d'Orgueil et Préjugés, sont abordés ici du point de vue des domestiques et donc, de manière bien différente que dans l'oeuvre originale.
    Lire Une Saison à Longbourn, c'est comme regarder un paysage bien connu dans un miroir : c'est la même chose mais subtilement changée tout de même... C'est vraiment le sentiment que j'ai eu en lisant ce roman mais, surtout, son gros point fort c'est que j'y ai retrouvé l'ambiance d'Orgueil et Préjugés et je n'ai pas été dépaysée. Certes, Jo Baker ne fait pas du Jane Austen mais je ne suis pas certaine que c'était au final ce que j'attendais d'elle... Que le roman soit moderne, avec un style qui l'est tout autant et abordant des sujets que Jane Austen, en son temps, n'aurait sûrement pas abordés ou du moins pas aussi frontalement, ne m'a pas gênée, au contraire ! Je crois que Jo Baker a surtout écrit un roman historique sur la période géorgienne en se basant sur un univers déjà existant et auquel elle rend très bien hommage, c'est indéniable.
    Tous les grands événements et même les plus petits, sont soigneusement reportés d'Orgueil et Préjugés à Une Saison à Longbourn : les repas préparés dans le second sont dégustés dans le premier. Quand James, le valet, attend les jeunes filles de la famille durant une réception, on les voit, apprêtées et dansant avec de jeunes hommes qu'elles tentent de séduire dans le roman de Jane Austen. On retrouve ces personnages qui ont fait d'Orgueil et Préjugés un classique incontournable pour bon nombre de lecteurs : Elizabeth, Darcy, lady Catherine de Burgh, les Collins, les Bennet, les Bingley ... Et ces lieux aussi, ces propriétés anglaises aux charmes surannés : Longbourn, Pemberley, Netherfield...
    S'il y'a bien une chose que l'on peut porter au crédit de l'auteure, c'est qu'elle ne dénature absolument pas l’œuvre d'origine ! En écrivant Une Saison à Longbourn, Jo Baker a réussi ce qu'elle voulait : montrer son amour pour l’œuvre de Jane Austen, qui l'a ouverte, alors qu'elle était toute jeune, à une littérature plus adulte et, surtout, qui a augmenté et entretenu son goût de la lecture... La démarche est louable mais elle aurait pu être ratée ! Ceci dit, ce n'est pas le cas et en plus de se replonger avec délice dans l'atmosphère d'un classique marquant, on découvre le propre univers d'une auteure très talentueuse. J'ai aimé sa manière de raconter et ses parti-pris, entre fidélité à l'oeuvre d'origine et imagination propre. J'ai aimé ses personnages et surtout la jeune Sarah, qui a eu un passé pas facile avant d'arriver à Longbourn mais a surtout beaucoup de rêves et d'espoir. On s'attache peut-être moins aux Bennet ici que dans l'oeuvre originale peut-être parce que même si Jane Austen ne les ménage pas et ne leur épargne pas son ironie légendaire, elle reste relativement indulgente envers ses personnages principaux. Ici, jaugés par l’œil acéré des domestiques, ils apparaissent comme beaucoup de maîtres : sans être tyranniques, les Bennet, du haut de leur petite position, ne se rendent pas compte du quotidien de leurs domestiques, de la condescendance qui, parfois, pointe dans la plus anodine des paroles.
    En plus d'avoir produit une réécriture intelligente et fidèle à son modèle, Jo Baker signe aussi un bon roman historique.
    Amoureux de Jane Austen, n'hésitez plus ! Vous avez là peut-être la plus belle adaptation contemporaine de son univers si plaisant !

    En Bref :

    Les + : une réécriture sensée et intéressant de l'un des grands classiques britanniques, des personnages attachants et un style qui n'a, certes, rien à voir avec celui de Jane Austen, mais est tout de même de qualité.
    Les - : Aucun. J'ai beaucoup aimé ce roman.


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