• « Sois ferme, mon fils. Le monde ne te fera pas de cadeaux. Prends ce que tu peux avant de te laisser prendre. »

    Murena, tome 1, La Pourpre et l'Or ; Jean Dufaux et Philippe Delaby

    Publié en 2001

    Editions Dargaud

    48 pages

    Premier tome de la saga Murena 

    Résumé : 

    « Il était d'un naturel féroce et sanguinaire qui se trahissait dans les moindres choses comme dans les grandes... Dans tous les combats de gladiateurs donnés par lui ou quelqu'un d'autre, il faisait égorger même ceux qui tombaient par hasard pour observer leur visage quand ils expiraient. »

    Suétone, Claude XXXIV. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Quand j'ai eu le premier tome entre les mains, le premier mot qui m'est venu est : mystère. Une couverture un peu inquiétante, tout en étant très belle, il faut bien le dire. Une citation de Suétone issue des Vies des Douze Césars, pour tout résumé.
    On s'attend évidemment à plonger en plein cœur de la Rome antique sans savoir forcément ce que l'on va y trouver.
    L'intrigue démarre donc à Rome, sous Claude, en 54 de notre ère. Claude, né en Gaule, timoré et balbutiant, n'aurait jamais dû monter sur le trône. L'anecdote qui entoure son accession au pouvoir est assez représentative : caché derrière un rideau alors qu'on massacre sa famille, Claude est tiré de là, pensant qu'on va l'exécuter à son tour. Il est finalement acclamé par les soldats et devient empereur.
    Dans sa vie conjugale non plus, il n'eut pas de chance : d'abord marié à Messaline, prostituée notoire, qu'il fera assassiner discrètement, il se marie ensuite avec Agrippine la Jeune, sœur de Caligula, descendante d'Auguste et de Marc-Antoine. Agrippine a déjà été mariée, très jeune, à un homme qui aurait pu être son père et qui lui a donné un unique fils, le futur Néron. Ambitieuse, Agrippine ne souhaite qu'une chose : que son fils accède enfin au pouvoir suprême. Il est jeune encore et elle pense pouvoir le manœuvrer et incarner la réalité du pouvoir à travers lui... mais il reste encore un obstacle à son plan, c'est le fils que Claude a eu de son premier mariage, c'est Britannicus, le fils de la sulfureuse Messaline.
    L'Histoire est pleine de soufre, de luxure, de corruption. Mais s'il y'a bien une époque qui les condense tous, c'est bien l'Empire romain des premiers siècles. La société y était violente, sans scrupules. L'ambition sert et appelle le meurtre. Et, au vu de ce que l'on sait aujourd'hui, il semblerait que les auteurs antiques n'aient pas exagéré, ou alors, si peu.
    Pas étonnant donc que cette époque inspire et surtout les auteurs de bande-dessinée ou les créateurs de séries télévisées, parce que c'est une époque très visuelle, du moins l'est-elle pour nous.
    J'ai trouvé que les auteurs se débrouillaient plutôt bien, sans pouvoir juger de tout non plus : l'Histoire ancienne en fac était ma bête noire, une époque trop lointaine et donc abstraite pour moi, dont je n'ai jamais été fichue de retenir la moindre date ! Disons que j'ai une connaissance globale de l'époque, sans pouvoir entrer dans les détails.

    Murena, tome 1, La Pourpre et l'Or ; Jean Dufaux et Philippe Delaby


    Pour autant, j'ai eu l'impression que la BD était fiable historiquement parlant, me mettant sous les yeux des images qui correspondent à l'idée que j'ai de l'Empire romain. Jeux du cirque succèdent à des séances -parfois torrides- aux bains et à des intrigues de palais à peine dissimulées. La violence est partout et semble conditionner la vie des grands comme des serviteurs, au même titre que la corruption qui anime la société.
    Ce premier tome, qui se situe à la toute fin du règne de Claude voit son épouse intriguer pour s'en débarrasser et éliminer aussi Britannicus, le dernier obstacle sur la route de Néron. Chacun use à volonté du poignard ou du poison, au milieu d'une société débridée et qui ne semble avoir aucun tabou.
    La Pourpre et l'Or pose l'intrigue, nous laisse le temps de nous adapter à une atmosphère assez tendue et perturbante. Même en tant que lecteur on a l'impression que le danger peut se cacher derrière chaque colonne, chaque bosquet, chaque plat ou chaque coupe.
    La mort se cache dans la nourriture, les boissons, dans les fourreaux des poignards ouvragés, délicatement dissimulés sous les toges.
    Bref, sans être une fan de bande-dessinée ni même de l'Antiquité romaine, je dois dire que j'ai été assez convaincue par ce premier tome. Les dessins sont beaux, ils ne m'ont pas totalement séduite mais quand même, on doit reconnaître qu'ils sont beaux et détaillés. Le scénario est simple, sans être simpliste pour autant : l'auteur va droit au but. Les dialogues sont assez incisifs.
    Finalement, contre toute attente, je partais avec un a priori négatif qui ne s'est pas vérifié. Je ne vous dirais pas que j'ai été totalement séduite, je n'aime pas suffisamment la BD pour ça, mais il faut bien reconnaître que les auteurs se sont attaqués à une période lointaine et qu'ils se sont bien débrouillés en nous restituant ici une image cohérente et vraisemblable de la Rome sous les Julio-Claudiens. 

    En Bref :

    Les + : les auteurs ont bien pris la mesure de l'époque et des personnages ; le récit est maîtrisé et cohérent. 
    Les - : une bonne BD, qui ne m'a pas transportée parce que je ne suis pas fan du genre mais qui, je pense, n'a pas beaucoup de points négatifs pour ceux qui savent apprécier. 

     

    Murena, tome 1, La Pourpre et l'Or ; Jean Dufaux et Philippe Delaby

    Bingo littéraire du printemps

     


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  • « Des nonnes deviennent prostituées, des prostituées se marient, des épouses se font nonnes. Et certaines combinent deux ou trois de ses états. Quoi que nous soyons, nous faisons toutes de notre mieux. »

    Borgia, tome 1, Le Serpent et la Perle ; Kate Quinn

     

    Publié en 2015 aux Etats-Unis ; en 2016 en France (pour la présente édition)

    Editions Pocket

    590 pages 

    Premier tome de la saga Borgia

     

    Résumé :

    Rome, 1492. La belle Giulia Farnese épouse le jeune et séduisant Orsino et croit que la fortune lui sourit. Mais elle découvre bientôt que son mariage n'est qu'un leurre, orchestré par le cardinal Borgia, décidé à faire d'elle sa concubine. 
    Enfermée dans une prison dorée, espionnée par les serviteurs, Giulia résiste aux avances du cardinal. Elle peut compter sur le soutien de Carmelina, une cuisinière au lourd secret, et Leonello, un cynique garde du corps mû par la vengeance. Au milieu des convoitises et des complots, Giulia et ses acolytes doivent à leur tour manœuvrer pour survivre. Mais n'est pas intrigant qui veut...

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1492, en Italie, le Moyen Âge a déjà depuis longtemps cédé la place à une flamboyante Renaissance. Cette année-là, à Rome alors que la succession pontificale se prépare, on célèbre aussi des noces, celles de Giulia Farnese et Orsino Orsini, issu d'une des plus puissantes familles romaines. Par sa mère, Adriana da Mila, le marié est aussi apparenté au sulfureux cardinal Borgia, d'origine espagnole et qui est en train de se tailler un nom en Italie. Et le cardinal ne tarde pas à s'enticher de la belle Giulia, fraîche jeune femme d'à peine vingt ans, qu'il n'aura de cesse de séduire.
    Ce premier tome de Borgia, la saga renaissance de Kate Quinn -que je connaissais pour ma part et comme beaucoup d'autres lecteurs sans doute qu'à travers son fameux roman La Maîtresse de Rome, intéressant quoiqu'un peu trop romanesque-, nous ramène aux origines de la fameuse famille, l'année où, pour eux, tout va se jouer. Car si Rodrigo Borgia est alors un riche prélat, que ses enfants ont des titres relativement éminents -duc de Gandie pour son fils Juan, évêque de Pampelune pour César- et que sa fille, la petite Lucrèce, que son père aime tendrement, est promise à un bel avenir et à un mariage avantageux, l'ambitieux n'en convoite pas moins la tiare pontificale. Qu'il obtient, d'ailleurs, à la mort d'Innocent VIII.
    Si l'emblématique famille de la Renaissance romaine est au centre du récit, l'héroïne du roman reste sans conteste la jolie Giulia. Il n'est pas difficile à comprendre le titre du roman, la perle symbolisant la jeune Farnese et le serpent, Alexandre VI Borgia.
    En lisant le résumé, j'ai apprécié que le roman tourne plutôt autour de la concubine du pape plutôt que de ses enfants. Les Borgia sont à la mode depuis quelques années -il faut bien reconnaître qu'ils sont assez fascinants-, on a vu de tout fleurir sur eux : séries télévisées, romans, biographies. Les destins d'Alexandre VI et de ses enfants, notamment César et Lucrèce, son bien connus. De Giulia Farnese, en revanche, on sait moins de choses, hormis qu'elle fut très belle, qu' elle sera la maîtresse du pape pendant de nombreuses années, au vu et au su de tous et qu'elle lui donna même une fille, Laura.
    En ce début de Renaissance, la famille Farnese n'a pas encore l'importance qu'elle gagnera par la suite et qui est, sans aucun doute, une conséquence de l'eclatante faveur de Giulia. Originaire de Capodimonte, près du lac de Bolsena, Giulia est une toute jeune femme à peine sortie de l'adolescence lorsqu'elle épouse Orsino Orsini. Mariage qui s'avère en fait être un coup monté de Borgia pour faire plus facilement de la jeune femme sa maîtresse.
    Kate Quinn, dans ce premier roman, se concentre donc sur la faveur naissante de Giulia et ses premières années en tant que favorite officielle du pape. Nous faisons la connaissance d'une jeune femme attachante et plutôt simple, une petite orpheline au passé relativement modeste, propulsée sans beaucoup de préparation au milieu des sulfureuses intrigues de la Ville Éternelle.
    De Giulia Farnese, j'avais finalement une image relativement contemporaine et très influencée par l'image des actrices qui l'ont incarnée il y'a quelques années dans les deux séries qui ont été consacrées aux Borgia.
    Dans The Borgias, la série anglo-saxonne, Giulia est incarnée par l'actrice néerlandaise Lotte Verbeek -pour les fans d'Outlander, Geillis Duncan, c'est elle-, et apparaît comme une femme faite et accomplie. Ce qu'elle n'est pas.
    Dans la série de Canal +, c'est la comédienne italienne Marta Gastini qui l'interprète. Au niveau de l'âge, à quelques années près, on retrouve une certaine corrélation. Mais la comédienne est un peu trop brune, alors que sur les tableaux, notamment le plus connu, réalisé par Raphaël, Giulia est une beauté blonde, comme on les aimait à l'époque...
    Difficile donc de se faire une image relativement nette de Giulia, à plus forte raison si, comme moi, on est influencé par des images cinématographiques.
    Je trouve que le portrait de Kate Quinn est relativement exhaustif et vraisemblable. De toute façon, aujourd'hui, il sera difficile de brosser un portrait absolument incontestable du personnage ; des parts d'ombre demeurent et ne disparaîtront jamais. N'oublions pas, donc, que l'auteure se livre à un travail romanesque et produit une fiction historique, pas une biographie.

    La Jeune Fille à la Licorne, tableau de Raphaël, serait une représentation de Giulia Farnese 


    Toujours est-il que j'ai trouvé ce roman captivant ! Il est vrai que l'ère des Borgia, qui coïncide avec les débuts de la Renaissance italienne, est absolument fascinante ! Quelle époque : meurtres, violence, luxure... et tout cela sous les ors des palais pontificaux ! Le sulfureux attire, c'est bien connu, il n'y a qu'à voir les séries historiques qui jouent justement sur cette alternance de violence et de sexe. Au-delà de ça, pourtant, il y'a quelque chose de bien plus intéressant, il y'a l'étude d'une époque et d'un pays, à travers les personnages qu'ils produisent. Et on doit bien avouer que l'Italie du XVème est particulièrement prolixe en richesses et personnages en tous genres, dont les Borgia sont certainement les plus fameux.
    J'ai aimé me plonger dans ce roman et je dois dire qu'il se lit assez facilement. Les quelques six-cents pages qui le composent n'ont absolument été laborieuses, bien au contraire. L'alternance de trois voix, de trois narrateurs, par exemple, m'a énormément plu. Le Serpent et la Perle est un roman polyphonique, raconté tour à tour par trois personnages : Giulia elle-même ; Leonello, son garde du corps ; et Carmelina, jeune cuisinière originaire de Venise, au passé trouble et qui travaille chez Adriana da Mila.
    Chaque personnage a son caractère et sa personnalité et c'est un plaisir de les retrouver, chacun à leur tour parce qu'ils ont tous leur intérêt.
    Je dois dire que Giulia a eu ma préférence parce que, même si elle a dû apprendre à être forte, elle n'en reste pas moins une jeune femme qui doute parfois et qui a peur. Sans statut, à une époque où la hiérarchie est si importante, ni épouse vertueuse ni réellement prostituée, Giulia Farnese fut une favorite atypique, une concubine pontificale, ce qui n'est tout de même pas commun. Propulsée dans une vie qu'elle ne voulait pas, tout du moins qu'elle n'envisageait pas, Giulia est la bonne illustration de ces fameux réseaux de clientèle qui se créent, de cette ambition démesurée des grands... sacrifiée pour les besoins d'un cardinal vieillissant et concupiscent, manipulée, Giulia n'est ni plus ni moins, entre les mains qui se servent d'elle, un joli objet dont on espère qu'il rapportera quelque chose. Encore un bel exemple de la manière dont a traité et considéré les femmes pendant des siècles : ou mère et épouse ou putain, sans aucune demi-mesure.
    Ce premier tome de la saga augure bien de la suite et me donne envie de me plonger dans le deuxième volume, assurément. Ne connaissant jusqu'ici Kate Quinn qu'à travers son fameux roman La Maîtresse de Rome, qui m'avait plu mais dans lequel j'avais trouvé cependant quelques invraisemblances, je craignais aussi de retrouver cela dans Le Serpent et la Perle. Bien sûr, tout dans le roman n'est certainement pas vrai, mais plausible et c'est le principal.
    L'aspect un peu policier du roman m'a semblé peut-être un peu superflu, sans me gêner outre-mesure non plus : à mon sens, les Borgia et le parfum de soufre qu'ils véhiculent se suffisent à eux-mêmes mais bon, pourquoi pas ? Tout est possible et, dans la mesure où c'est bien maîtrisé, je n'y vois aucun inconvénient.
    Bref, vous l' aurez compris, j'ai passé un très bon moment avec cette lecture. Il y'a quelques années, j'avais beaucoup lu sur les Borgia, cela m'a rappelé des souvenirs du coup.
    Un vrai bon roman historique, enlevé et efficace

    Borgia, tome 1, Le Serpent et la Perle ; Kate Quinn

     Lotte Verbeek et Marta Gastini interprètent Giulia respectivement dans The Borgias (Showtime) et Borgia (Canal +)

    En Bref :

    Les + : un contexte fascinant et passionnant et des personnages travaillés.
    Les - : 
    malgré quelques libertés prises avec le contexte établi, le roman est cohérent. J'aurais envie de dire aucun, mais l'aspect quelque peu policier du roman ne m'a pas entièrement convaincue.

     

     

    Borgia, tome 1, Le Serpent et la Perle ; Kate Quinn

    Bingo littéraire du printemps

     


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  • « J'eus quinze ans. On me dit que j'étais laide. Je pensai que cela n'avait guère d'importance dans ce trou de province où j'étais destinée à mener une vie de jeune fille pauvre. J'ignorais que cette disgrâce, justement, ferait un jour ma fortune, et combien seraient nombreuses les personnes appelées à les commenter. »

    Mademoiselle Chon du Barry ou les surprises du destin ; Frédéric Lenormand

     

    Publié en 2014

    Auto-édition

    147 pages

    Résumé :

    Comment réussir quand on est pauvre et laide dans un monde où rien ne se fait hors du plaisir et de l’argent ? Frédéric Lenormand raconte les aventures picaresques et enlevées de Chon du Barry, belle-sœur de la favorite de Louis XV, depuis la cour de Versailles jusqu’aux tempêtes de la Révolution. Bien vu, aussi rigoureux que léger, ce joyeux divertissement ressuscite avec allégresse la société insouciante du XVIIIe siècle à travers le regard incisif d’une aventurière de salon.

    Ma Note : ★★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    Quelle bonne idée d'aborder un grand personnage et sa notoriété, au travers du destin de l'un de ses proches, condamné à rester dans l'ombre, me suis-je dit en lisant le résumé de ce roman !
    Je voulais découvrir l'oeuvre de Frédéric Lenormand à travers sa fameuse saga Voltaire enquête, au final, ce sera avec ce roman et je ne le regrette pas.
    Les lecteurs qui me suivent depuis un moment savent mon amour inconditionnel pour le XVIIIème siècle. Je ne pourrais vous dire ce qui me passionne autant, mais voilà... j'adore cette période de notre Histoire, alors vous comprenez bien que mon intérêt a été forcément été attrapé quand j'ai vu passer ce bouquin ! Frédéric Lenormand est en plus un auteur que je voulais découvrir, donc il était presque obligé que j'ajoute ce roman à ma PAL.
    Après l'y avoir fait dormir pendant près d'un an, je n'ai qu'un regret : c'est de ne pas l'en avoir sorti plus tôt. Enfin, non, j'ai deux regrets en fait : maintenant que j'ai terminé cette lecture, j'aurais aimé qu'elle dure plus !
    Vous l'aurez compris, j'ai été extrêmement satisfaite par cette lecture. Honnêtement, je ne m'attendais pas à ça. Mais j'ai tout aimé dans ce bouquin, du début jusqu'à la fin.
    Déjà, de quoi parle-t-il ? Si vous lisez attentivement le titre, vous allez y lire un nom connu : du Barry. Autrement dit, le nom de celle qu'on surnomma la Sultane et qui fut la dernière passion charnelle sinon le dernier amour, de Louis XV : Jeanne Bécu, comtesse du Barry.
    Mais ce qu'on oublie souvent, c'est que son nom, factice peut-être, mais nom quand même, fut aussi celui de son mari et de sa belle-famille, à commencer par sa belle-sœur, Chon, qui sera sa dame de compagnie -d'aucuns diraient son âme damnée- et sa confidente.
    Le monde n'aurait pu créer deux femmes aussi dissemblables et pourtant, la force des choses va les accorder.
    La future belle-sœur de la Du Barry, née Françoise-Claire voit le jour entre 1730 et 1734, près de Toulouse. Son véritable nom est Dubarry, un nom que l'on retrouve dans la région de Toulouse dès la fin du Moyen Âge. Sa famille, si elle n'est pas des plus modestes, ne fait pas partie non plus des grands noms de France. Laide mais intelligente, Françoise, surnommée Chon, s'est résignée à un destin sans éclat de vieille fille de province. C'était sans compter sur son frère Jean-Baptiste, installé à Paris et qui vit d'affaires louches. En cette fin des années 1760, le souteneur entretient une jolie prise, la jeune Jeanne Bécu, petite bâtarde lorraine, dont on murmure qu' elle est fille de moine. Ravissante, mais un peu idiote, la jeune femme, âgée de vingt-cinq ans, a déjà beaucoup d'expérience et notamment des amours tarifées. Mais voilà que Jean-Baptiste est approché par Lebel, valet de Louis XV, pour faire de Jeanne la nouvelle favorite. En effet le roi, vieillissant, est seul, depuis la mort en 1764 de son ancienne amante et amie nécessaire, Madame de Pompadour. L'âge n'a cependant pas estompé les ardeurs du souverain et le voilà qui s'entiche de cette belle jeune femme toute fraîche et qui le divertit par sa spontanéité et sa naïveté, qui confine parfois un peu à la bêtise.

    Jeanne Bécu, comtesse du Barry (1743-1793), dernière favorite de Louis XV


    Avant de devenir favorite du roi, Jeanne a contracté un mariage blanc avec Guillaume, le frère de Jean-Baptiste et devient, par une entourloupe de haut vol, comtesse. Elle se voit flanquée de leur sœur, Chon, qui joue auprès de la nouvelle favorite le rôle de conseillère occulte en quelque sorte (  «Je restai. Je restai comme gardienne de vache, comme fille publique, comme fausse noble, chargée de tous ces mots mauvais rôles que l'on m'avait donnés. Je restai comme une pauvre âme qui n'avait nulle part où aller. » ). Nous sommes en 1769, les deux femmes ont près de dix ans d'écart, deux personnes n'ont jamais été aussi éloignées l'une de l'autre qu'elles deux mais, plongées dans le monde venimeux et décadent de la Cour de Louis XV, Jeanne et Chon vont devoir se soutenir pour s'en sortir sans trop de dommages et affronter les langues aiguisées des courtisans qui les dédaignent.
    Moins vulgaire que ce que les pamphlets ont bien voulu dire, plus inexpérimentée qu'on ne pourrait le croire, Jeanne du Barry apparaît sous un jour authentique mais relativement éloigné de l'image véhiculée depuis le XVIIIème siècle, image qui tend d'ailleurs à se nuancer chez les historiens d'aujourd'hui.
    J'ai aimé le parti-pris de l'auteur : choisir Chon comme héroïne à la place de Jeanne est intéressant et très bien trouvé. Chon n'a peut-être rien pour elle, physiquement parlant, mais son intelligence et son esprit caustique m'ont plu aussitôt. Chon est un personnage atypique, un héros de roman auquel on ne s'attend pas et pourtant, ça fonctionne très bien : elle nous change des héroïnes trop belles et trop lisses, qui peuvent en devenir parfois un peu lassantes, à force d'être prévisibles !
    Frédéric Lenormand lui prête une plume acérée et précise qui a fini de me séduire : il est sûr que le style, très imagé, de Chon, est aussi imaginaire et absolument pas XVIIIème, mais qu'importe ? J'ai littéralement adoré la manière de raconter de l'auteur et j'espère retrouver ce mélange d'humour et de maîtrise dans Voltaire enquête, parce que j'ai vraiment savouré chaque mot de ce roman.
    Sous nos yeux défile le siècle et les années, les courtisans gangrenés par l'ambition et une quête effrénée de la reconnaissance, la décadence d'une monarchie agonisante et qui vacille déjà sur ses bases.
    Puis ce sont les horreurs de la Révolution, la mort de Jeanne, la prison, la survivance de Chon, qui meurt, vers soixante-quinze ans, en 1809 et connaît donc le nouveau siècle. Chon qui, sur ses vieux jours, prend la plume pour nous raconter sa vie et immortaliser le passage de sa belle-sœur, joli météore, à Versailles, où, après la mort de Louis XV, on se hâta de l'oublier et de la refouler dans les limbes.
    Le portrait que Frédéric Lenormand, au travers de ces faux mémoires de Chon du Barry, nous livre un portrait de la favorite qui m'a plu et m'a semblé relativement conforme à l'image que j'ai moi-même de Jeanne, qui était certainement plus une ravissante idiote manipulée par les circonstances et l'ambition de ses protecteurs, qu'une dangereuse intrigante, vulgaire et envahissante.
    La véritable intrigante du duo était assurément Chon, qui mit son intelligence et sa ruse au service de sa belle-sœur. Mais, elle aussi ne fut finalement qu'une victime de l'ambition de ses frères, tirée de sa retraite provinciale pour aller se faire haïr à Versailles puis y risquer sa vie... Cruauté des temps, cruauté des hommes...
    Mademoiselle Chon du Barry ou les Surprises du Destin est un bon roman, qui parvient à faire vivre sous nos yeux une époque révolue. Sans forcément en réemployer la langue, Frédéric Lenormand nous offre ici un vrai roman historique, efficace et cohérent. Un vrai moment de lecture aussi, parce que son style est juste un plaisir à découvrir. J'aime les mots et quand on me les assemble avec tant de finesse, je ne peux que valider.
    Ce roman était trop court, vraiment. J'en ai tourné la dernière page à contrecœur. J'ai aimé découvrir Jeanne du Barry, au travers du regard de Chon, trop intelligente pour la jalouser mais trop fine pour ne pas la mépriser. Et surtout, je me suis attachée à cette héroïne, qui, en apparence n'a rien pour elle mais s'avère être, au milieu de ces courtisans veules, une femme d'exception, philosophe et suffisamment critique envers la royauté pour en saisir toute l'agonisante complexité ( « [...] elle était à la fois en retard, mal élevée, idiote et prétentieuse, elle avait tout ce qui faisait le charme des vrais nobles. » ).
    Je conseillerais ce roman à tous les amoureux d'Histoire et plus précisément à ceux qui, comme moi, ont une passion pour le XVIIIème.

    En Bref :

    Les + : un parti-pris intéressant et un style parfait qui a su me séduire. 
    Les - : Aucun. Ce roman est un coup de cœur. 

     

    Mademoiselle Chon du Barry ou les surprises du destin ; Frédéric Lenormand

    Bingo littéraire du printemps

     

     

    Coup de cœur 

     

     


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  • « je savais que j'avais des rêves mais je ne savais pas lesquels. »

    La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

    Publié en 2012 en Angleterre ; en 2015 en France (pour la présente édition)

    Titre original : The Colour of the Milk

    Editions 10/18 (collection Domaine Etranger)

    186 pages

    Résumé :

    1831. Mary, une jeune fille de quinze ans, mène une vie de misère dans la campagne anglaise du Dorset. Simple et franche, mais lucide et entêtée, elle raconte comment, un été, sa vie a basculé lorsqu'on l'a envoyée chez le pasteur Graham pour servir et tenir compagnie à son épouse, une femme fragile et pleine de douceur. Avec elle, elle apprend la bienveillance. Avec lui, elle découvre les richesses de la lecture et de l'écriture...mais aussi obéissance, avilissement et humiliation. Un apprentissage qui lui servira à coucher noir sur blanc le récit tragique de sa destinée. Et son implacable confession. Nell Leyshon réalise un travail d'orfèvre avec ce portrait inoubliable, où vibre la voix lucide et magnifique de son héroïne. 

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1831, la jeune Mary, seize ans, prend la plume pour nous raconter sa toute jeune vie. Pour quelle raison ? Cela, nous ne le saurons qu'à la toute fin, quand tout se démêle enfin et que la vérité se fait jour, dans sa plus criante cruauté.
    Nous sommes donc en Angleterre, au début des années 1830. Une fois n'est pas coutume, l'auteure a situé son intrigue à la charnière des époques géorgienne et victorienne :la première s'achève doucement, la seconde se profile déjà à l'horizon. J'ai souvent l'habitude de lire des romans anglais qui se passent sous le règne de Victoria. Et, généralement, ils se passent en ville. Là, c'est un portrait de l'Angleterre rurale des premières décennies du XIXème siècle que nous raconte Nell Leyshon.
    L'intrigue démarre dans le Dorset, à la ferme familiale, où vivent quatre filles, dont Mary, notre héroïne, est la benjamine, leurs parents et le grand-père impotent, confident de la jeune Mary. La vie y est rude, le père aussi, qui n'hésite pas à distribuer des taloches à la pelle et fait payer à ses filles sa déception de n'avoir pas eu de fils. La mère reste relativement indifférente et trime de son côté, pour abattre un maximum d'ouvrage.
    C'est une vie compliquée, fatigante et répétitive que mènent les habitants de la ferme, pour survivre et faire vivre leur exploitation, loin des préoccupations des autres couches sociales, plus aisées.
    Justement, la vie de Mary est sur le point de basculer puisque le pasteur du village l'embauche comme bonne et dame de compagnie auprès de son épouse malade. Là-bas, au presbytère, Mary va se heurter à un mode de vie qu'elle ne connaissait pas : elle en retirera du positif comme du négatif. Si le pasteur va lui apprendre les rudiments de l'écriture et de la lecture, ce qui va lui permettre par la suite de nous raconter sa courte -mais tragique- histoire, la jeune Mary va aussi se rendre compte que c'est parfois aussi entre les murs des maisons de ces gens aisés et instruits qu'il se passe parfois les choses les moins belles.
    Comme beaucoup de lecteurs, en démarrant La Couleur du Lait, j'ai été un peu déroutée par la graphie assez particulière du roman et sa syntaxe très personnelle : le fait de voir un livre sans majuscules, sans ponctuation, sans guillemets pour signaler les dialogues est surprenant pour tout lecteur d'aujourd'hui, qui est habitué à un tout autre ordonnancement. Est-ce que cela m'a gênée ? Oui et non. Parfois j'avais du mal à me repérer, mais j'ai trouvé l' idée de l'auteure excellente : quel meilleur moyen de donner de l'authenticité à son roman qu'en l'écrivant comme Mary, certainement, l'aurait fait ? Bien sûr, La Couleur du Lait est un objet contemporain, un livre imprimé, sur du papier qui n'a pas vécu. Certes. Mais justement, donner cet aspect au récit, c'est aussi le rapprocher du manuscrit, c'est nous permettre de mieux imaginer Mary assise devant sa table de travail, noircissant des feuilles de papier jaunies d'une écriture malhabile et trempant une vieille plume d'oie dans un peu d'encre
    Alors oui, on peut être gêné par les répétitions, les fautes de grammaire mais il ne faut pas perdre de vue que nous lisons là le récit d'une jeune fille de quinze à seize ans, qui n'a pas eu la chance d'être instruite et ne possède que quelques rudiments. Autre chose à ne pas oublier et que Mary nous répète à plusieurs reprises, d'ailleurs : c'est qu'elle n'a pas le temps. Pourquoi ? Cela, on ne l'apprend que dans toutes les dernières pages, mais Mary n'a pas de temps devant elle, pas de temps pour choisir ses mots, s'appliquer. Il lui faut parler et se confesser...Voilà d'ailleurs un mot qui conviendrait bien pour décrire ce roman : Nell Leyshon a écrit une longue confession. 
    C'est ça aussi qui m'a plu dans La Couleur du Lait : la vérité cruelle, un portrait criant de véracité de la paysannerie au XIXème. Profession encore extrêmement dure, sans mécanisation ou presque, on pourrait presque la comparer à un sacerdoce.
    Mary et ses sœurs en sont un bon exemple : sacrifiées, soumises aux humeurs de leur père, mal considérées, elles ne sont que des bras, jaugées selon leur capacité à travailler et à produire du rendement. Si l'époque était difficile pour les hommes comme pour les femmes, il ne faut cependant pas oublier que celles-ci naissaient déjà avec une longueur de retard. Le XIXème siecle est peut-être une période de grands bouleversements sociaux, il n'en reste pas moins une époque extrêmement dure pour les femmes, soumises aux pères, aux frères, aux maris, confinées dans leur rôle de travailleuses, de mères et de maîtresses de maison.
    J'ai aimé cet aspect du roman. S'il ne faut pas généraliser, je suis quand même bien sûre que, si Mary sa mère et ses soeurs sont des personnages de fiction, des femmes, en leur temps, ont eu à souffrir des mêmes choses qu'elles.
    Nell Leyshon nous brosse un portrait sans concession mais juste de ce milieu rural plein d'adversité et qui n'est pas propre à l'Angleterre. Ce qu'elle décrit dans son roman est révoltant mais malheureusement, assez universel.
    La Couleur du Lait n'est pas ce que l'on pourrait appeler un roman évident : du moins ne l'a-t-il pas été pour moi. J'ai soulevé plus haut cette graphie très particulière qui, si elle donne de l'authenticité au propos, n'en reste pas moins perturbante.
    Autre chose, j'ai personnellement eu du mal à m'attacher à Mary au départ. L'intérêt n'est venu que bien après, quand j'ai entrevu la raison pour laquelle la jeune fille nous raconte son histoire et que j'ai pris la mesure de tout son courage. Dans les premiers chapitres, je l'ai trouvée un peu trop forte tête, j'avais du mal à me faire à sa gouaille un peu tapageuse. Par la suite, sans pour autant m'identifier à elle parce que Mary fait partie de ces héros de roman vraiment pas gâtés par la vie, je me suis sentie un peu plus proche d'elle, j'ai ressenti toute l'injustice de son sort et beaucoup de pitié envers elle. Mary est une héroïne à part, pas seulement une héroïne au sens de personnage principal d'un roman. Elle a quelque chose d'héroïque, dans sa lucidité terrible, dans sa détermination, malgré toute absence d'espoir. Au final, j'ai apprécié sa lucidité et son langage sans concession.
    La Couleur du Lait est un roman percutant. Il est court alors il est difficile de raccrocher les wagons si le début ne nous transcende pas : j'y suis cependant arrivée et j'en suis ravie parce que je n'avais pas envie de passer à côté de ce roman, dont je pressentais dès les premières pages toute la force dramatique et le potentiel.
    J'ai été émue parfois, révoltée bien souvent et j'ai pris la mesure de toute la force latente de ce roman, qui est un portrait absolument exhaustif d'une époque finalement pas aussi éloignée de nous qu'on pourrait le croire. Le XXIème siècle est le produit du XIXème siècle, sans aucun doute, alors il est intéressant de voir que les évolutions sociales, acquises de nos jours, ne l'étaient pas encore il y'a cent-quatre-vingt ans et que la misère noire sévissait encore de manière bien moins sporadique qu'on n'aimerait le croire.
    Vous l'aurez sûrement compris, ce roman m'a beaucoup plu, malgré un début qui m'a fait un peu peur. Je sais que bon nombre de lecteurs ont eu un coup de cœur pour ce roman : ce ne sera pas mon cas, mais cela ne m'empêche pas de ranger ce livre dans la catégorie des bonnes lectures, fortes, incisives, puissantes et percutantes. Nell Leyshon signe un roman très personnel et abouti : j'ai été heureuse de découvrir cette auteure talentueuse par le biais de ce roman. 

    En Bref :

    Les + : une belle histoire, dramatique mais bien maîtrisée ; une héroïne déterminée, courageuse et admirable sinon attachante. 
    Les - :
    un début pas très évident. 

     

    La Couleur du Lait ; Nell Leyshon

    Bingo littéraire du printemps

     


    6 commentaires
  • « Croyez-vous que le génie d'un seul homme puisse opérer une révolution sur toute une nation ? »

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     

    Publié en 2014

    Editions Pocket

    928 pages

    Résumé :

    Lyon, septembre 1777. Des textes gaulois sont découverts : ils traitent des origines du peuple français. L'avocat Antoine Fabert se retrouve propulsé au centre d'une bataille dont l'enjeu est colossal. Avec ses proches - un ténor du barreau lyonnais, un historien paralytique, un rédacteur de la première gazette sur l'actualité locale, une comédienne - il se lance à corps perdu sur la trace d'une mystérieuse statuette dont le secret pourrait à lui seul ébranler la royauté à la veille de la Révolution française. Une course-poursuite au cœur d'un siècle fascinant pendant lequel le peuple de France s'est écrit un nouveau destin...

    Ma Note : ★★★★★★★★★ 

    Mon Avis :

    En 1777 à Lyon, des documents gaulois sont retrouvés dans une ancienne hypocauste, mise au jour lors de travaux, sur la colline de Fourvière. Découverts sur la propriété d'un avocat émérite de la cité, Antoine Fabert, ce dernier s'attelle à l'étude des textes, grâce à l'aide de l'historien Antelme de Jussieu. Mais à l'époque, découvrir de tels documents n'est pas forcément considéré comme une bonne chose...si, aujourd'hui, toute mise au jour de vestiges ou de textes anciens est un événement considérable pour le monde scientifique, susceptible de faire progresser la discipline, il n'en était rien encore il y'a deux-cent-cinquante ans. En 1777, la monarchie n'en a certes plus pour très longtemps mais elle est encore bien là et l'Histoire est instrumentalisée au profit de l'État et de la royauté. Les textes traduits par Antoine Fabert pourraient se révéler particulièrement explosifs et dangereux pour lui, car remettant en cause l'Histoire avantageuse créée de toutes pièces notamment par les prélats, pour servir la royauté. Aujourd'hui, l'historiographie contemporaine admet sans aucun doute possible les racines gauloises de notre pays et de notre culture, sans les porter aux nues de façon exagérée comme le font certains courants politiques, ceci étant dit. Au XVIIIème siècle, au contraire, il était inconcevable de considérer que l' Histoire de la France pouvait remonter au-delà du peuple franc, converti au catholicisme à la suite de son chef charismatique, Clovis, au Vème siècle. Admettre les racines païennes de notre pays, la culture orale des druides ou même le proclamer était une hérésie et les historiens ou érudits qui osaient le faire publiquement étaient passibles d'emprisonnement. En pleine émulation culturelle, en pleine époque des Lumières, il n'était pourtant pas si facile de bouleverser des idées établies depuis des siècles : car affirmer que le tiers état descendait d'un peuple soumis et surtout, sans culture connue, c'était légitimer la mainmise de la monarchie, alors que le contraire tendait à remettre en cause cette suprématie basée sur une interprétation fausse de l' Histoire. 
    C'est donc la quête d'Antoine et son combat pour établir la vérité, qu'Eric Marchal, grâce à un subtil mélange d'authentique et de fiction, se propose de nous raconter dans cet ambitieux roman de près de mille pages.

    Dès le départ, avant même de commencer, j'avais le sentiment que La Part de l'Aube était un roman ambitieux, sérieux, pour lequel l'auteur avait beaucoup travaillé, afin d'être le plus précis possible et ne rien laisser au hasard. Et ce sentiment s'est très vite confirmé.
    Je ne vous dirais pas que j'ai été captivée tout de suite et le suis restée jusqu'aux ultimes pages parce que ce serait malhonnête. J'ai parfois ressenti quelques longueurs, mais heureusement, l'intérêt du roman a pris le dessus. J'ai aimé la façon dont l'auteur abordait son sujet, jamais de manière frontale et directe, mais toujours en louvoyant, avec des chapitres qui s'arrêtent parfois un peu abruptement, mais toujours en faisant monter le suspense et, dans le même temps, la tension et l'intérêt du lecteur. 
    Il faut dire que le sujet choisi par Eric Marchal est très intéressant et il nous livre là un peu plus qu'un roman historique : La Part de l'Aube est aussi un roman historiographique, ce qui en fait une sorte d'ovni dans le paysage littéraire contemporain. 
    J'ai beaucoup aimé les personnages et le fait que l'auteur nous balade de l'Antiquité au XVIIIème siècle. Découvrir la Lugdunum du Ier siècle après J-C, ville florissante au confluent de la Saône et du Rhône, a pour moi été un vrai voyage. Je suis partie à la découverte d'un personnage, Louern, qui sera le fil conducteur de tout le roman. Je suis partie à la rencontre d'une civilisation assez extraordinaire quoique méconnue. Certes, les avancées scientifiques nous permettent de mieux appréhender le peuple gaulois dans toute sa globalité et sa complexité mais ce peuple, à l'origine du nôtre, reste encore entaché de beaucoup de clichés et idées reçues. Et l'époque des Lumières, époque de fleurissement intellectuel n'était pas tendre avec celles considérées comme barbares et incultes. On se rend compte que le XVIIIème siècle, connu pour être une ère d'émulation scientifique n'en restait pas moins frileuse, parfois, lorsqu'elle se trouvait face à une révélation à la portée absolument exceptionnelle et colossale. C'est tout le contraste d'un siècle si paradoxal : les mœurs qui se libèrent tout en étant condamnées, l'émancipation des préceptes religieux en même temps que la condamnation du chevalier de La Barre pour blasphème. Le XVIIIème siècle, dans toutes sa complexité et ses contradictions, est passionnant. C'est une époque si vive, si riche, qui préfigure la nôtre tout en restant encore attachée aux us et coutumes ancestraux.
    Sans être historien, Eric Marchal parvient à saisir cette complexité et à l'exploiter habilement, faisant s'opposer les fers de lance de la culture et ceux de la monarchie, agrippés à des principes surannés et en retard, qui font de la royauté française en cette fin de siècle, un colosse aux pieds d'argile. On pourrait croire alors que le roman est manichéen mais non, du moins, ce n'est pas ainsi que je l'ai ressenti. Chacun essaie de défendre son propre point de vue et parfois, sa propre vie et son propre équilibre, ce qui, au final, est légitime . Bien sûr que la vision monarchique de l'Histoire de France est vue comme rétrograde et dommageable par l'auteur et par son héros, Antoine, partisan du progrès. Pour autant, sans la partager, on comprend aussi les défenseurs d'une Histoire instrumentalisée et au service de la propagande royale, parce que remettre en question le système, c'était, à coup sûr, disparaître et, on le sait bien, le changement fait peur. Et puis il y'a aussi les irrécupérables, ceux qui aiment être mauvais, comme l'inspecteur Marais, plus soucieux de lui-même que du reste, les opportunistes qui se servent d'un combat qui n'est pas le leur pour en tirer le plus de bénéfices possibles.
    Justement, parlons-en, des personnages ! Ils m'ont tous, à leur manière, beaucoup plu et je crois que l'auteur a passé beaucoup de temps à les travailler pour leur donner autant de relief et de vérité. Ils sont très nombreux au point que, parfois, j'arrivais à les confondre... certains arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe, sans qu'on comprenne bien quelle est leur véritable portée. Et puis, au fil de la lecture, on se rend compte que tout est lié, personnages comme événements et qu'aucun n'apparaît par hasard. La Part de l'Aube est un écheveau, lentement tissé. Peu à peu, après avoir ressenti des longueurs, je me suis habituée à la lenteur apparente du récit, je l'ai même aimée. Pour utiliser des termes à l'opposé l'un de l'autre, La Part de l'Aube est lent et dynamique à la fois, comme une eau qui dort et peut s'éveiller à tout instant. Les personnages sont un grand atout du livre. Chacun a une personnalité propre et beaucoup de caractère, de détermination, à commencer par Antoine, le héros, avocat talentueux et à l'intelligence extraordinaire. Les autres personnages, qui gravitent autour de lui et peuvent apparaître comme secondaires ne le sont en fait pas du tout et j'ai appris à m'attacher à eux au fil des pages. 
    L'autre atout du roman, je crois, c'est qu'il se passe ailleurs qu'à Paris. Lyon est une ville que je ne connais pas mais que j'ai apprécié de trouver au centre du récit. Cette cité pluri-séculaire a un passé et une histoire extrêmement riche. L'ancienne capitale des Gaules, qui a vu naître l'empereur Claude, est au XVIIIème siècle une ville qui peut rivaliser à Paris et possède une industrie naissante, celle de la soie. Historiquement parlant, Lyon est une ville bigarrée, qui a connu successivement les influences impériale et française et qui a un passé antique intéressant, avec de nombreux vestiges de sa gloire passée. Il est intéressant aussi de voir comment les dernières décennies de la monarchie ont été perçues en province, comme il est intéressant de voir aussi comment la Révolution par la suite s'y développa. 
    Bref, La Part de l'Aube est un roman riche et complet. Ambitieux, comme je l'ai déjà dit plus haut, mais maîtrisé par son auteur, ce qui lui donne ainsi toute crédibilité. Eric Marchal est un auteur talentueux dont je connaissais pas l'univers, univers que je ne regrette absolument pas d'avoir découvert avec ce roman !
    L' autre atout du roman est sans nul doute la quête effrénée d'Antoine, qui nous permet de mieux comprendre la culture gauloise, en nous débarrassant des dernières idées reçues que nous pourrions encore avoir à l'esprit. C'est un peuple et une culture dans toute leur diversité qui nous apparaissent et j'ai beaucoup aimé
    La Part de l'Aube a mis du temps à me convaincre : les premiers chapitres m'ont déroutée, je dois bien l'avouer. Il m'a fallu du temps pour bien appréhender la pléthore de personnages et leurs caractéristiques propres. Mais une fois que l'ambiance du roman a pris, que je m'y suis habituée, ce ne fut qu'une très bonne expérience. Ce roman bien souvent ne se lâche qu'à regret. On veut continuer, encore et encore. Aller jusqu'au bout. 
    Après un début un peu lent, j'avoue que je me suis vite prise au jeu et que je suis sortie de ce livre un peu mélancolique. Je m'étais attachée aux personnages et habituée à son ambiance. Quand un livre nous paraît trop court, c'est bon signe, non ? La preuve avec ce roman !

    En Bref : 

    Les + : un roman ambitieux et pour lequel l'auteur s'est donné les moyens ; son travail est maîtrisé, son intrigue captivante et ses personnages attachants. Une réussite. 
    Les - : 
    un début un peu lent mais heureusement vite rattrapé par la suite de l'intrigue, ce n'est donc qu'un tout petit bémol.

    La Part de l'Aube ; Eric Marchal

     Bingo littéraire du printemps


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