26 Janvier 2025
« C'est à cela, à mon sentiment, que sert l'histoire : elle nous apprend que les mêmes problèmes se posent à nous qu'à nos ancêtres, quoique en des formes différentes. »
Publié en 1992
Éditions Le Livre de Poche
504 pages
Premier tome de la saga Fortune de France
Résumé :
De la mort de François Ier en 1547 à l'édit de Nantes en 1599, la France s'enlise dans l'épreuve des guerres de religion. C'est dans ce pays dévasté, en proie à la misère, au brigandage, à la peste, à la haine, que grandit le jeune Pierre de Siorac, rejeton d'une noble famille périgourdine et huguenote, héros et narrateur du roman.
Dès ce premier volume d'une saga qui nous conduira jusqu'à la fin du siècle, c'est toute une époque qui revit à travers l'histoire des Siorac, avec ses paysans, ses princes, ses hommes d'épée ou d'Eglise, ses truculences et ses cruautés ; sa langue, aussi, savoureuse, colorée, merveilleusement restituée au lecteur d'aujourd'hui.
Epoque où peu à peu va naître une exigence de tolérance et de paix, en écho au cri d'indignation et d'espoir de Michel de l'Hospital : « Ne verra-t-on pas la Fortune de France relevée ? »
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
Dans le Périgord du XVIe siècle, Jean de Siorac et Jean de Sauveterre, deux anciens capitaines de l’armée royale, deviennent coseigneurs de Mespech, une terre du Sarladais. Tous deux sont protestants et se lient avec la noblesse du pays, parmi laquelle de nombreux seigneurs, influents ou plus petits, se sont convertis. Jean de Siorac rencontre Isabelle de Caumont, cousine des seigneurs des Milandes, huguenots convaincus. La jeune femme, elle, est restée fermement catholique. Elle n’en épouse pas moins Siorac, dont elle aura plusieurs enfants et notamment un fils, Pierre, le cadet, qui est le narrateur de notre récit.
Ce premier tome est une chronique familiale mais aussi celle d’une province et d’un royaume puisque les destinées des Siorac, de Sauveterre et de leurs gens s’entremêlent avec les grands événements du temps et notamment le début des guerres de religion, qui endeuillent la seconde moitié du XVIe siècle et les règnes des derniers Valois. On y croise ainsi de nombreux personnages de fiction mais aussi des personnages historiques comme le roi Henri II, son épouse Catherine de Médicis, le prince de Condé, la reine Jeanne d’Albret, l’amiral de Coligny, le connétable de Montmorency, les Guise, le roi Charles IX… Jean de Siorac est également témoin oculaire de la reprise de la ville de Calais par le duc de Guise en 1558.
Le jeune Pierre de Siorac (destiné à devenir médecin comme son père, alors que son aîné François deviendra seigneur de Mespech) raconte son enfance et sa prime jeunesse dans une province opulente mais éloignée des centres du pouvoir : il faut environ trois semaines pour rallier le Périgord et Paris, capitale du royaume. Pourtant, le Périgord n’en est pas moins déchiré lui aussi par les débuts d’un conflit religieux qui embrase la grande comme la petite noblesse : de nombreux seigneurs locaux se rallieront d’ailleurs à la religion protestante et surtout dans la région du Sarladais.
Dans l'adaptation du premier tome de Fortune de France, en 2024, Nicolas Duvauchelle et Guillaume Gouix interprètent respectivement Jean de Siorac et Jean de Sauveterre
Fortune de France est aussi une chronique minutieuse de la vie quotidienne d’un domaine rural à cette époque : à Mespech, seigneurs et gens vivent dans une étroite cohabitation et Siorac comme Sauveterre, en bon huguenots, mettent un point d’honneur à ce que leurs gens sachent lire, afin d’entendre la parole de Dieu, qui ne dépend pas pour eux de l’Église mais avant tout de la compréhension des textes religieux. Les deux coseigneurs ne sont pas inaccessibles en leur tour d’ivoire mais participent aussi aux travaux, notamment agricoles (moissons, moulin, élevage), qui font vivre le domaine. Mais le domaine est aussi déchiré par la mésentente religieuse du couple Siorac, Isabelle restant une fervente catholique et entre Siorac et Sauveterre, le second reprochant au premier sa trop grande appétence pour la gent féminine. Finalement, cette mésentente dans le couple symbolise bien la méfiance qui, à plus grande échelle, commence à déchirer la population française.
On retrouve aussi des personnages truculents et hauts en couleur, comme la cuisinière Maligou, au cœur superstitieux ou encore le gens d’arme Coulondre, qui n’ouvre la bouche que pour asséner des vérités qui jettent un froid. Ceux-ci ajoutent une touche d’humour à un récit par ailleurs plutôt grave et c’est assez bienvenu.
Avec passion, Robert Merle a reconstitué avec beaucoup de détails la vie quotidienne, les mœurs, les mentalités et le langage de l'époque et c’est assurément un point fort du roman, qui lui permet de tirer son épingle du jeu. Là où son presque contemporain Maurice Druon (ce dernier terminait son cycle des Rois Maudits quand Merle commençait sa Fortune de France) prenait un grand plaisir à jouer avec l’Histoire et à en manipuler les faits, Robert Merle se place plutôt dans les pas de l’historien : certes, s’il fait œuvre ici de fiction, tout ou presque, y est vrai et c’est un véritable travail de reconstitution minutieuse à laquelle l’auteur s’est adonné, en respectant notamment au plus près la langue, ce que fera par la suite Françoise Chandernagor dans son Allée du roi.
En employant une langue proche de celle qui était parlée au XVIe siècle, tout en ayant à cœur de la rendre compréhensible au lecteur contemporain, Robert Merle signe un roman historique bien ancré dans une époque et qui porte déjà la patine du temps, ce qui lui donne une certaine authenticité. Je me suis délectée de cette langue et de ce roman, merveilleusement bien écrit et d’une richesse folle, où français et occitan se mêlent avec élégance, comme c’était le cas à l’époque et comme cela le sera jusqu’au XXe siècle, où langue officielle et parlers vernaculaires se conjuguaient souvent et dans bien des régions. En effet, en ce milieu de XVIe siècle, si l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 a institué le français comme langue unique des documents officiels, le royaume reste encore morcelé, de région en région, par la langue parlée par le peuple et le Périgord ne fait pas exception, lui qui parle plus volontiers l’occitan que le français de la Cour.
Pur roman historique, Fortune de France (qui tire son nom d’une citation historique authentique prononcée par Michel de L’Hospital) entame qu’un cycle qui s’annonce passionnant et haletant. Moins spectaculaire que la série mais aussi plus riche et moins manichéen, ce premier tome m’a totalement convaincue et je me fais déjà une joie de lire la suite cette année.
Le siège de Calais en 1558 est un élément central du premier tome de Fortune de France
En Bref :
Les + : une intrigue historique et bien menée, servie par une langue subtile et maîtrisée.
Les - : aucun point négatif à soulever, j'aurais juste voulu que le roman soit plus long encore de quelques pages.
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