9 Janvier 2025
« Si Marie-Antoinette quitte le delphinat pour la vie de souveraine jusqu'à la fin que nous savons, Marie-Anne Victoire de Bavière, la duchesse de Bourgogne, Marie-Thérèse Raphaëlle d'Espagne, Marie-Josèphe de Saxe et enfin la duchesse d'Angoulême demeurent, elles, enfermées et recluses jusqu'à leur dernier jour en leur statut princier mal défini, incommode, sans accéder à une charge et à une position qui leur étaient promises. »
Publié en 2023
Editions Perrin
400 pages
Résumé :
Qu'ont en commun ces cinq princesses - Marie-Anne de Bavière, Marie-Adélaïde de Savoie, Marie-Thérèse Raphaëlle d'Espagne, Marie-Josèphe de Saxe, Madame Royale - ayant vécu à la cour de France du XVIIe au XIXe siècle ? Le fait d'être des dauphines, c'est-à-dire les épouses des dauphins, les fils aînés des rois en place, par conséquent toutes promises à devenir reines. Sauf que - et c'est un autre point commun de leur destinée -, aucune ne l'a été. Pour les trois premières, ce qui frappe est la brièveté de leur vie, pas une n'ayant dépassé les trente ans. Celle qui, par exemple, subjugue Louis XIV par sa beauté, sa gaieté et son ingénuité, Marie-Adélaïde de Savoie, meurt ainsi en 1712 à vingt-sept ans, atteinte de petite vérole, laissant en vie le futur Louis XV. Troisième et dernier point commun à réunir ces princesses, être confrontées au pire de ce que la vie de cour engendre et réserve parmi les ors de Versailles : sentiments de chagrin, émanations d'ennui, exhalaisons de mélancolie. Marie-Anne de Bavière, dite la Grande Dauphine, en est morte de désespoir. Quant à Marie-Josèphe de Saxe, épouse du fils de Louis XV, mère de Louis XVI, Charles X et Louis XVIII, elle se surnommait elle-même la « triste Pépa ». Enfin, si la dernière dauphine, Madame Royale, duchesse d'Angoulême, n'a pas eu le temps de souffrir de la vie de cour, elle n'en a pas moins assisté à sa disparition et, après un long séjour au Temple, s'est perdue dans les tourments de l'exil.
Fort d'une parfaite connaissance des usages auliques qu'il expose avec une rare précision, alliée à une grande sensibilité, l'auteur, à travers ces pages, dessine avec brio le portrait de ces toutes dernières dauphines de notre monarchie. Un livre exemplaire et sans équivalent.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En France, depuis le milieu du XIVe siècle, l'héritier du roi se nomme Dauphin. Un titre surprenant mais qui fait référence à la région frontalière du Dauphiné. Après le rattachement de la région à la France en 1349, Humbert II du Viennois cédant ses territoires au roi Philippe VI de Valois, le fils aîné du roi portera ce titre, témoignant de l'héritage présomptif dont il est porteur. En revanche si, à l'époque moderne, la notion de delphinat s'assouplit, les petits-fils ou arrières-petits-fils de France portant ce titre automatiquement dès qu'ils devenaient héritiers du trône (Louis XV porta ce titre alors qu'il n'était que l'arrière-petit-fils de Louis XIV, à son tour Louis XVI fut nommé Dauphin à la mort de son père), ce n'était pas le cas jusqu'à la fin du Moyen Âge et jusqu'au début de la Renaissance : ainsi, le futur François Ier ne fut jamais titré Dauphin puisqu'il était bien héritier du roi Louis XII, mais n'était que son cousin et pas son fils.
Depuis la première Dauphine de France, la future reine Jeanne de Bourbon (épouse de Charles V) au XIVe siècle, il y eut un nombre plus importants de Dauphins que de Dauphines...ainsi, lorsque Louis XIV marie son fils le Grand Dauphin en 1680, la dernière Dauphine à avoir foulé le sol français était Marie Stuart, qui épouse le Dauphin François en 1558, soit bien plus d'un siècle auparavant.
Ce n'est donc qu'entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XIXe siècle que les Dauphines de France se succèdent de façon bien plus régulière et l'auteur a choisi comme sujets d'études Marie-Anne Christine de Bavière, Marie-Adélaïde de Savoie, Marie-Thérèse Raphaëlle d'Espagne, Marie-Josèphe de Saxe et Marie-Thérèse Charlotte de France, qui clôture cette galerie de portraits.
La toute première, issue de la famille de Wittelsbach, a dix-neuf ans lorsqu'elle arrive en France pour épouser Louis de France, le seul fils survivant de Louis XIV. Elle sera la mère de trois fils : les ducs de Bourgogne, d'Anjou (futur Philippe V d'Espagne) et de Berry. A l'exception du cadet, les deux autres connaîtront un destin court et tragique, comme leur mère avant eux qui, faute d'avoir pu s'adapter à une vie de cour très codifiée, où l'intimité est absente, s'étiolera progressivement avant de disparaître à l'aube de ses trente ans, sans que jamais personne n'ait su prendre au sérieux le mal qui l'affligeait, que l'on appelait alors mélancolie mais que l'on diagnostiquerait sans nul doute comme une dépression.
La deuxième, Marie-Adélaïde de Savoie, arrive en France à l'âge de douze ans. Petite-fille de cœur d'un Louis XIV et d'une Madame de Maintenon vieillissants, elle est la joie de leurs vieux jours. Souvent présentée comme une jeune fille puis une jeune femme enjouée et heureuse, il semblerait que la vie de cour lui ait tout autant pesé que l'amour un peu trop passionné de son jeune mari, qu'elle affectionnait certes mais sans l'aimer autant que lui. Elle disparaît comme une étoile filante à l'âge de vingt-sept ans, laissant deux fils survivants dont l'un la suivra dans la tombe quelques semaines plus tard, tout comme le duc de Bourgogne qui meurt six jours plus tard.
Portrait de Marie-Thérèse Charlotte de France, duchesse d'Angoulême par Antoine-Jean Gros en 1816
Les deux Dauphines suivantes sont les épouses du fils de Louis XV...elles aussi seront condamnées à rester pour l'éternité des héritières présomptives puisqu'elles ne deviendront jamais reines. La première, Marie-Thérèse Raphaëlle d'Espagne, sera le grand amour de son jeune époux mais disparaît brutalement à peine deux ans après son mariage, laissant un jeune veuf inconsolable et une enfant de quelques jours qui survivra à peine deux jours. La deuxième, Marie-Josèphe de Saxe, qui se surnommait elle-même la triste Pépa, si elle fut féconde et donna à son époux trois fils et deux filles, devra supporter patiemment son deuil, se voyant régulièrement signaler qu'elle ne pourrait jamais remplacer dans le coeur du Dauphin la première épouse, dont le fantôme triste planera sur son union jusqu'à la mort de Louis, en 1765. En le veillant avec dévouement, Marie-Josèphe contractera à son tour la tuberculose qui devait l'arracher au monde et à ses enfants en 1767 : sa dernière enfant, Madame Elisabeth, n'avait alors que trois ans.
Quant à Marie-Thérèse Charlotte de France, née dans les ors de Versailles et morte en exil soixante-dix ans plus tard, elle est peut-être la plus malheureuse de toutes, dont le surnom d'Orpheline du Temple donne une bonne mesure du destin tragique : en effet, la dernière Dauphine de France,que d'aucuns considèrent aussi comme la dernière reine, n'est-elle pas la seule survivante de sa famille, ses parents (Louis XVI et Marie-Antoinette), sa tante (Madame Elisabeth) et son frère le petit Louis XVII disparaissant tous les quatre entre 1793 et 1795. A l'âge adulte, elle dut supporter les convulsions politiques qui la jetèrent sur les routes avec les siens et connut plusieurs longues périodes d'exil : elle ne reviendra jamais de la dernière et Marie-Thérèse meurt en 1851 loin de sa terre natale. Sa dernière désillusion fut aussi celle de ne jamais pouvoir avoir d'enfants avec le mari qu'on lui avait certes choisi mais auquel elle s'attacha, d'un lien plus tiède qu passionné mais malgré tout solide, vivant auprès de celui qui était aussi son cousin germain une vie bourgeoise et sans histoire.
Destins avortés, mélancolie, désillusions, difficultés à s'adapter à la vie de l'une des cours les plus codifiées du temps, les Dauphines de l'époque des Bourbons détiennent probablement la palme des princesses les plus malheureuses et les plus déçues.
Dans son étude, l'auteur laisse à dessein de côté les quatre années de delphinat de Marie-Antoinette, bien moins représentatives que ses années de règne, qui se terminèrent elles aussi dans la tragédie familiale et personnelle que l'on connaît.
La famille du Grand Dauphin par Mignard en 1687 : Louis de France et Marie-Anne Christine de Bavière sont entourés de leurs trois fils, nés entre 1682 et 1686
Cela faisait longtemps que je voulais lire ce livre, dont le sujet m'intéressait beaucoup. Et si je devais encore me convaincre que l'Histoire des femmes est finalement ce qui m'intéresse le plus dans la discipline, ce livre en aurait été un bon moyen d'en arriver à cette conclusion.
Cette galerie de portraits de femmes vise non seulement à les raconter, à leur redonner de la teneur, du relief, loin du souffle éthéré qu'elles ont pu laisser sur l'Histoire de France : ces femmes furent des filles, des épouses, des mères à part entière et sans celles, l'Histoire n'aurait probablement pas été celle que nous connaissons aujourd'hui. En cela, l'auteur cherche à réparer un oubli de l'Histoire...si l'époque des Bourbons est marquée par des figures masculines marquantes, à commencer par l'écrasant Roi-Soleil, les femmes n'en furent pas absentes et eurent leur importance.
J'ai apprécié la fluidité du livre, associée à des recherches et un propos rigoureux. Malgré quelques coquilles (peut-être la correction aurait-elle pu être un peu plus rigoureuse sur certains points), le livre est vraiment plaisant à lire, on navigue d'un destin à l'autre, d'une époque à l'autre et l'on peut y distinguer les changements sociétaux, ou politiques, ainsi que les fractures que ceux-ci peuvent engendrer. Ce fut le cas pour Madame Royale, la fille de Louis XVI, qui connut un basculement irréversible...et quand on dit que, pour elle, la vie ne sera plus jamais la même, ce n'est assurément pas un abus de langage un peu galvaudé, bien au contraire.
En compagnie de l'auteur, on se glisse dans l’intimité des puissants, des salons dorés de Versailles jusque dans les palais étrangers où les derniers Bourbons en exil trouvèrent refuge - de l'Angleterre en passant par la Courlande et l'Autriche. La plume de Bruno Cortequisse est alerte et on ne s'ennuie pas une seconde car le propos reste accessible. Bref, c'est un beau parti-pris pour explorer autrement l'Histoire de France et des règnes masculins très connus comme celui de Louis XIV ou encore, celui de Louis XV.
En Bref :
Les + : un essai intéressant et bien documenté mettant en lumière le destin tragique de plusieurs "presque-reines" de l'Histoire de France, du règne de Louis XV jusqu'à la Restauration. Un document plaisant à lire.
Les - : quelques coquilles qui auraient pu être évitées.
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