11 Mars 2025
« Je bénéficiais d'une liberté royale ! J'avais une vie de luxe et profitais de la compagnie de mes dames, prenant plaisir dans ma musique. J'étais une reine à deux couronnes ! J'avais tout. Mais je suis désormais consumée par mes peines, et de mon cœur coulent des torrents de larmes. Je crie, mais l'on ne m'écoute pas ! »
Publié en 2010 en Angleterre
En 2023 en France (pour la présente édition)
Titre original : Captive Queen
Éditions Hauteville
696 pages
Résumé :
Aliénor était parfaitement consciente du caractère historique de l'instant, alors que Henri lui saisissait la main pour l'aider à se relever, et qu'elle prenait part à un acte qui aurait de lourdes conséquences pour elle, pour son nouvel époux, pour leurs descendants et pour le monde entier - car ce jour voyait la fondation d'un empire qui promettait d'être l'un des plus puissants de la chrétienté.
En 1152, Aliénor d'Aquitaine n'hésite pas à traverser la France à cheval pour fuir son mariage brisé avec le roi Louis VII. Désormais, elle n'a plus qu'un seul but : retrouver son cher duché et épouser l'homme qu'elle aime, Henri Plantagenêt, destiné à devenir un grand roi d'Angleterre. Mais le caractère fougueux de ce dernier va engendrer de nombreux conflits, notamment avec ses fils, qui prendront les armes contre lui, et surtout avec Aliénor pour qui il devra faire le choix le plus tyrannique de toute son existence.
Ma Note : ★★★★★★★★★★
Mon Avis :
En 1151, la reine de France, Aliénor, souhaiterait faire annuler son mariage avec le roi Louis VII : non seulement le couple, trop différent, ne s’entend pas mais surtout, il n’a eu que deux filles. Or, le roi voudrait un fils, afin de faire de lui son héritier. Un concile plus tard et Aliénor, à peine âgée de trente ans est de nouveau libre : héritière du duché d’Aquitaine, elle possède un vaste territoire, qui va du Poitou au pied des Pyrénées, en passant par le Périgord et le Limousin. Autrement dit elle est un parti très convoité…mais Aliénor n’en envisage qu’un seul : le jeune Henri Plantagenêt, de dix ans son cadet, futur comte d’Anjou et, par sa mère, prétendant à la couronne d’Angleterre.
Contre toute attente, le mariage politique de la duchesse d’Aliénor et du futur roi d’Angleterre, devient un mariage d’amour : sensuels, Aliénor et Henri forment un duo uni dans le privé mais aussi sur la scène publique. A eux deux, ils possèdent presque tout l’ouest de la France et l’ambitieux jeune homme tourne vite les yeux vers son héritage maternel, dont il va ceindre la couronne en 1154, jetant les bases d’un véritable empire s’étendant du nord de l’Angleterre jusqu’au nord de l’Espagne.
Aliénor et Henri, personnages emblématiques du XIIe siècle deviennent les parents d’une vaste progéniture : parmi les plus célèbres, Richard Cœur-de-Lion et le plus tristement connu Jean sans Terre qui sera le seul, avec l’une de ses sœurs, à survivre à leur mère.
Mais très vite, l’idylle tourne à l’orage : jalouse de son pouvoir en Aquitaine, dont elle est la dépositaire en titre, Aliénor supporte mal de voir Henri vouloir s’emparer de ses prérogatives sur ses terres natales. A l’inverse, Henri ne tolère pas de voir son pouvoir remis en question par son épouse. Sanguins, impulsifs, le roi (connu pour ses colères homériques et dont le caractère impulsif et instable n’est pas sans rappeler celui de son lointain descendant, Henri VIII) et la reine finissent par se déchirer violemment et, quand leurs fils, qui ont hérité de leurs gènes respectifs, se révoltent contre leur père au début des années 1170, Aliénor commet une erreur fatale, prenant leur parti contre son époux, allant jusqu’à reprendre contact avec son ancien mari, le roi Louis VII de France, ce que Henri va considérer comme une trahison. La reine passera donc plusieurs années emprisonnée, d’abord à Rouen puis en Angleterre, à Sarum, loin de ses terres aquitaines et surtout, loin de ses fils…
Aliénor, reine captive n’est pas, comme je l’ai cru de prime abord, un récit uniquement centré sur la captivité de la reine…le titre n’est donc pas à prendre au sens littéral du terme mais il est assez habile car il décrit finalement ce que beaucoup de femmes, même des femmes de pouvoir comme Aliénor, étaient à l’époque : captives de leur époux, captives de leur mariage, captives de leurs titres. Car bien loin d’une figure féministe ou progressiste – ce qu’on sera tenté de voir en elle –, Aliénor est bien une femme de son temps, certes duchesse d’un immense territoire et tenant entre ses mains un pouvoir que bien de ses consœurs ne pouvaient effleurer qu’en rêve, mais elle n’en reste pas moins une femme des débuts du Moyen Âge, soumise à l'autorité masculine dans une société patriarcale. Et même si le XIIe siècle est connu pour voir été une époque un peu plus lumineuse pour les femmes que les derniers siècles du Moyen Âge, marqués par une misogynie ambiante, tout comme l’époque moderne, Aliénor d’Aquitaine devra longuement batailler avec un époux à l’ubris exacerbé pour faire valoir ses droits et elle n’y parviendra pas tout le temps.
Et puis quelque part, je dis qu’il n’est pas à prendre au sens littéral mais l’autrice s’attarde aussi sur la décennie pendant lesquelles le roi Henri restreint les libertés de son épouse, lui montrant bien que son pouvoir supplante le sien, à bien des égards.
Malgré cela, Aliénor d’Aquitaine reste un personnage fascinant, une figure féminine qui a réellement et durablement marqué son temps et l’Histoire mais qui est aussi salie, malheureusement, par une légende noire tenace. Même si ce serait un anachronisme de voir en elle une figure féministe, malgré tout la duchesse d’Aquitaine se distingue par bien des aspects de son destin, à commencer par l’aura qu’elle aura sur tout un territoire (n’est-elle pas à l’origine de la fin’amor et des cours d’amour où se produisaient les troubadours ?), l’influence également qu’elle exercera sur ses enfants, à commencer par ses fils, et sa longévité : elle mourra à 80 ans au début du XIIIe siècle, à un âge exceptionnel à une époque où l’espérance de vie ne dépassait pas trente ans.
Figée pour l'éternité par les mains des sculpteurs, Aliénor d'Aquitaine repose aujourd'hui à Fontevraud aux côtés de son époux Henri II et de son fils Richard Coeur-de-Lion, où l'on peut voir son gisant dans la nef de l'église abbatiale.
J’ai apprécié ce roman, agréable à lire malgré quelques petites longueurs sur la fin et quelques faiblesses sur lesquelles je vais revenir. Tout d’abord, j’ai trouvé que l’autrice décrivait habilement le lent basculement d’un mariage harmonieux à un conflit ouvert entre deux personnes qui se sont aimées, désirées et ont eu en commun plusieurs enfants auxquels elles vouent toutes deux une affection sincère. Un conflit qui, malgré tout, les fait souffrir car Aliénor comme Henri II gardent une affection mutuelle inconsciente, même dans les périodes les plus violentes de leur mésentente conjugale.
L’autrice décrit aussi très bien l’affection d’Aliénor pour ses terres du Sud, l’amour qu’elle voue à ses enfants, à commencer par Richard, son troisième fils et enfant préféré, celui qu’elle instituera duc d’Aquitaine à l’âge de douze ans en 1169, en faisant ainsi officiellement son héritier et le préparant, sans le savoir, au grand destin qu’il embrassera vingt ans plus tard : ceindre la couronne d’Angleterre après la mort de son père et celle de son frère Henri le Jeune, promis avant lui à devenir roi d’Angleterre, mais qui trouve une mort prématurée en 1183.
Cependant, certaines choses m’ont aussi déplu dans Aliénor, reine captive, à commencer par les premiers chapitres que j’ai trouvés assez laborieux : le roman s’ouvre en 1151, Aliénor est encore une jeune femme, belle, charmante et sensuelle… elle s’ennuie dans un mariage qui ne la satisfait pas, avec un homme bien trop différent d’elle et qui n’éprouve pas particulièrement de désir sexuel. Et c’est là que le bât blesse : dès les premières pages, Aliénor est présentée, au mieux comme une femme assez libre et assumant parfaitement d’avoir une sexualité au pire comme une nymphomane ayant trompé son mari avec son propre oncle – le prince Raymond de Poitiers, retrouvé à Antioche pendant la croisade – puis avec le comte Geoffroy Plantagenêt, père de celui qu’elle convoite, le jeune Henri, ne reculant donc pas devant un mariage qui se serait apparenté à une union incestueuse. Malgré les assertions d’Alison Weir dans sa note de fin de volume, beaucoup d’historiens considèrent aujourd’hui que la légende noire tissée autour d’Aliénor d’Aquitaine et l’attaquant notamment sur une hypothétique sexualité débridée, est fausse – et, comme souvent, on attaquait les femmes sur ce domaine, faisant ainsi d’Isabeau de Bavière une reine adultère et une mère dénaturée, comme on attribuera plus tard à Marie-Antoinette une liaison avec son beau-frère le comte d’Artois et même des idylles saphiques avec ses amies, Mesdames de Lamballe et de Polignac. J’avoue que j’ai donc été assez gênée par ces premiers chapitres où sexe et désir sont omniprésents, comme si la reine ne pensait qu’à cela et c’est dommage. Par chance, cela s’améliore par la suite et les grands événements du règne conjoint d’Aliénor et d’Henri se succèdent sous nos yeux, de la prise de pouvoir en Angleterre en 1154 jusqu’à la mort du roi, en passant par la révolte de leurs fils, la liaison passionnée du roi avec Rosemonde Clifford (la Fair Rosamund des préraphaélites) ou encore, l’amitié d’Henri avec Thomas Becket, qui se transforme en une lutte ouverte aboutissant à l’assassinat de Becket en 1171.
Aliénor, reine captive est un roman immersif et plein d’aventures, en plein cœur d’un Moyen Âge flamboyant et passionnant. En revanche, je déplore quelques anachronismes qui, à mon sens, n’auraient pas dû passer la traduction ni même la correction du roman : j’avoue que l’expression « patate chaude » dans la bouche du roi Henri II m’a un peu déroutée (une patate au XIIe siècle, ah bon ?) tout comme les champs de maïs devant lesquels Aliénor passe lors de la visite de ses états (le maïs n’est-il pas arrivé en Europe après la découverte des Amériques par Christophe Colomb au XVe siècle ?). Mais à part ça, je n’ai pas passé un mauvais moment de lecture, bien au contraire, c’était assez agréable et même si le roman n’est pas exempt de défauts, il fait bien le job. Si vous aimez les romans historiques avec un personnage féminin fort et fascinant, vous trouverez surement votre bonheur avec celui-ci.
Le lion en hiver, sorti en 1968 et mettant en scène Katharine Hepburn dans le rôle d'Aliénor d'Aquitaine et Peter O'Toole dans celui du roi Henri, est l'une des inspirations d'Alison Weir pour l'écriture de son roman
En Bref :
Les + : un roman historique immersif et captivant, décrivant non seulement le règne formidable d'Aliénor mais aussi le lent délitement de son mariage avec Henri II Plantagenêt.
Les - : des parti-pris qui ne m'ont pas toujours convaincue, des anachronismes un peu maladroits.
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